[ Étude comparative des systèmes verbaux du français et du persan

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UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
ÉCOLE DOCTORALE V « Concepts et langages »
Laboratoire de recherche EA 4509
« Sense, Texte, Informatique, Histoire »
THÈSE
pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
Discipline/ Spécialité : Langue française
Présentée et soutenue par :
[ Zahra SADIDI ]
le 4 juin 2012
[ Étude comparative des systèmes verbaux du
français et du persan (mode, temps, aspect) ]
Sous la direction de :
Monsieur Olivier SOUTET
Professeur, Université de Paris-Sorbonne Paris IV
JURY :
Monsieur Samir BAJRIC
Professeur, Université de Paris-Sorbonne Paris IV
Monsieur Allahshokr ASSADOLLAHI Professeur, Université de Tabriz, Iran
Monsieur Mahdi AFKHAMI NIA
Professeur, Université de Tabriz, Iran
Monsieur Olivier
Professeur, Université de Paris-Sorbonne Paris IV
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Position
L'établissement de grammaires comparatives (comparaisons descriptives) à partir des
années 50, a eu pour but de faciliter l'apprentissage des langues étrangères. C'est ainsi qu'est née
la linguistique contrastive qui se propose de prévoir et de corriger l'ensemble des fautes
commises par des élèves d'une langue maternelle donnée (langue source) apprenant une langue
étrangère donnée (langue cible), et ainsi de déterminer un matériel pédagogique conçu en
fonction du système propre à la langue maternelle des élèves et donc répondant à leurs
problèmes.
On sait aujourd'hui qu'il est impossible de comprendre la grammaire d'une langue si on ne
l'analyse pas dans la perspective du fonctionnement du langage. Or la linguistique me parait tout
à fait appropriée à ce type de recherche, car elle vise une connaissance précise des mécanismes
qui régissent la langue.
Cette recherche s'est donné le verbe comme base de son étude comparative car c'est une
des catégories linguistiques qui posent le plus de problèmes en traduction. Le choix du tiroir
verbal approprié au contexte suppose une bonne connaissance des deux langues. Le verbe est
l'élément central de la phrase, c'est lui qui détermine la construction des différents compléments,
et d'une manière générale la structure de la phrase.
Le présent travail nous montrera qu'il subsiste entre le français et le persan, malgré une
ressemblance assez forte, des différences notables : par exemple, le persan possède le futur, mais
le futur persan est une forme préphrastique contrairement au futur français qui est ressenti
actuellement comme une forme simple. Le persan est très pauvre par rapport au français en ce
qui concerne les formes du verbe. Il ne possède pas d'homologues aux formes françaises
suivantes :
1. Formes simples : conditionnel, imparfait du subjonctif.
2. Formes composées : passé antérieur, futur antérieur, conditionnel passé, plus-queparfait du subjonctif, passé de l'infinitif, participe passé composé et toutes les formes
surcomposées.
Le premier chapitre de cette thèse sera consacré au verbe persan. Il débutera par la
définition du verbe dans cette langue puis il se poursuivra par l’explication des caractéristiques
du verbe persan et des catégories morphologiques associées au verbe.
Il existe deux catégories associées au verbe persan :
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1. Les associées morphologiques (sarfi) : le radical (bon), les désinences (shenâse), la
personne (shakhs), les préfixes (pishvâjakhâ), les suffixes (pasvâjakha), etc.
2. Les associées syntaxiques (nahvi) : l'adverbe (gueyd), le complément d'objet (mafou'l),
etc.
Le mode, le temps et l'aspect constituent trois séries de classement des formes verbales
étroitement imbriquées. En persan, ils se manifestent essentiellement par la variation des préfixes
et éventuellement du radical du verbe. L'aspect s'exprime également à l'aide des auxiliaires
(avoir, être, etc.)
La dimension aspectuelle du verbe est souvent réduite au bénéfice de sa dimension
temporelle, à laquelle elle est étroitement associée en persan.
Dans ce chapitre nous apprendrons que les éléments de la conjugaison du verbe en persan
sont les radicaux verbaux et les désinences. Nous prendrons connaissance ensuite de la
différence entre les verbes réguliers et les verbes irréguliers du persan. Nous étudierons le verbe
persan selon son complément d’objet, sa construction, suivant son rôle syntaxique ou bien sa
conjugaison.
L’étude de la sémantique verbale sera quant à elle un peu plus longue, abordant les
notions de mode, temps et aspect (vadjh, zamân, nomoud). Durant cette étude nous rencontrerons
les verbes duratifs et les verbes ponctuels, présentant de nombreuses particularités inconnues en
français.
Nous prolongerons ce chapitre par l’étude de l’emploi des modes et des temps du verbe
persan. Le premier mode à étudier sera l’indicatif. L'indicatif persan est un mode personnel et
temporel. Il est le seul mode qui permette, grâce à ces nombreux temps, de situer le procès dans
l'une des trois époques : passé, présent et avenir. On le considère pour cette raison comme le
mode de l'actualisation du procès. L'indicatif persan comporte trois formes simples et huit formes
composées :
* Formes simples :
1. Présent (mozâre ekhbâri)
- miravand (ils/elles vont)
2. Passé simple ou aoriste (mâziye sâde ou mâziye motlag)
- raftand (ils/elles allèrent)
3. Imparfait (maziye estemrâri)
- miraftand (ils/elles allaient)
* Formes composées :
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1. Présent progressif (mozâre malmous)
- dârand miravand (ils sont en train d'aller)
2. Futur (mostagbal)
- khâhand raft (ils/elles partiront)
3. Parfait (mâziye nagli)
- rafteand (ils sont partis)
4. Plus-que-parfait (mâziye baid)
- rafte boudand (ils étaient partis)
5. Passé progressif (mâziye malmous)
- dâshtand miraftand (ils étaient en train d'aller)
6. Plus-que-parfait composé (mâziye aba'd)
- rafte boudeand (ils étaient partis)
7. Imparfait composé (mâziye nagliye mostamar)
- mirafteand (ils allaient)
8. Progressif composé (mâziye nagliye malmous)
- dâshteand mirafteand (ils étaient en train d'aller)
Les formes simples et les formes composées en persan ne sont pas symétriques comme en
français : les premières expriment l'aspect inaccompli, mais les autres ne marquent pas
obligatoirement l'aspect accompli à l'exemple du futur (mostagbal) ou du présent progressif
(mozâre malmous). Les fonctionnements des temps de l'indicatif varient selon les époques
dénotées. Le présent, de loin le plus employé, est le plus complexe. Les temps du passé sont
nombreux et variés.
Le deuxième mode, le subjonctif persan, apparaît beaucoup plus pauvre en temps que
l'indicatif persan. Officiellement, le mode subjonctif comprend deux temps, répartis en une
forme simple et en une forme composée : le présent " bokhoram " (que je mange) et le passé
" khorde bâshad " (qu’il/elle ait mangé). À la différence de l'indicatif, il ne comporte pas de
futur. L'absence de concordance de temps en persan favorise l'emploi des deux temps de ce mode
pour le présent.
Le troisième mode, l'impératif est un mode personnel et non temporel qui est restreint en
personnes. Ce mode est connu sous l'étiquette de " vadjhe amri ". En persan les six personnes se
conjuguent toutes, mais seule la deuxième personne du singulier et du pluriel sont les plus
utilisées. Les autres personnes sont rarement employées. Le dernier parcours de ce chapitre
présente l’étude des formes nominales du verbe : l’infinitif, le participe présent et le participe
passé.
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Le deuxième chapitre de ce travail est consacré au verbe français. L'étude du verbe
persan est plus précise et plus vaste que celle du verbe français, ceci pour deux raisons :
- Premièrement, nous savons qu'il existe peu de travaux concernant le verbe persan écrits
en français, et notre plus grand désir consiste à présenter une étude minutieuse sur cette catégorie
pour les lecteurs francophones.
- Deuxièmement, les études concernant le système verbal français sont tellement
abondantes que notre travail ne prétend pas rivaliser avec elles.
Dans le troisième et dernier chapitre, en essayant de trouver un équivalent en français
pour tous les modes et tous les temps verbaux du persan, nous avons abordé une étude
comparative de leurs emplois dans chacun de leurs contextes.
La dernière étape de notre étude consiste en une conclusion dans laquelle nous avons
repris, en comparant les chapitres entiers de notre travail, les points de divergence les plus
importants des deux langues. Notre source principale pour le verbe persan sont les œuvres de
Ahmadiye Guivi et pour le verbe français Grammaire méthodique du français, écrit par Riegel,
Pellat et Rioul.
Cette étude montre qu'en persan comme en français les " temps verbaux ", ou prétendus
tels, ne sont pas des marqueurs temporels fiables, aptes à organiser la chronologie relativement
au moment de l'énonciation. Le cas le plus spectaculaire est assurément celui du mâziyé sâde
(passé simple), que G.Lazard a eu raison de rebaptiser aoriste puisqu'il peut s'appliquer au trois
époques du temps. Ce travail a élargi cette conception du système verbal en montrant que le
présent lui-même fonctionne dans les trois époques et ne saurait en aucun cas être réduit à la
notion d'actuel. La chose est encore plus évidente en persan où les règles de concordance
temporelle sont beaucoup moins strictes et où il est fréquent de rencontrer un présent après un
verbe énonciatif au passé. Dans ces conditions, le présent de la subordonnée reçoit en contexte
une interprétation passée. Cela n'empêche pas le présent persan de glisser vers le futur. Si le
présent, forme pivot du système verbal, est ainsi applicable aux trois époques, il en va de même
du mâziye nagli " passé composé " persan, pas plus que le passé composé français, ne mérite son
étiquette et que G.Lazard a eu raison d'appeler parfait.
Plus généralement, on ne peut pas trouver en persan un seul " tiroir " qui soit affecté en
propre à un seul secteur du temps. Le caractère non déictique du système verbal persan est
encore plus spectaculaire que celui du système français, qui contient au moins deux formes
aujourd'hui cantonnées dans le passé, à savoir le passé simple et le passé antérieur, les deux seuls
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tiroirs de la conjugaison française qui méritent leur étiquette temporelle. En persan, on ne trouve
rien de tel, sauf peut-être dans le cas des formes médiatives qui, dans mon corpus du moins,
paraissent cantonnées au passé de l'énonciation. Ces formes mises à part, le système verbal du
persan est foncièrement non déictique et les tiroirs devraient tous comporter un étiquetage
aspectuel ou formel, mais non temporel.
Le présent travail, nous permet de constater d’emblée qu’il existe à la fois une grande
ressemblance « typologique » entre les deux langues et, dans le détail du fonctionnement, de
multiples dissemblances.
Ces dissemblances, nous avons conscience de ne pas les avoir dans tous les cas
suffisament cernées, précisées. Il existe en fait très peu de documents sur l’emploi des formes
verbales en persan ; il s’agit, la plupart du temps, d’études portant beaucoup plus sur la
construction des formes que sur leurs emplois, sur leurs valeurs, et dont la perspective est
diachronique, non pas synchronique.
Nous allons donc à présent rappeler quelques divergences très marquées que nous avons
pu relever à travers nos recherches. Pour le commentaire détaillé de ces différences, nous
renvoyons le lecteur aux chapitres correspondants. Ces différences notables sont :
A) En ce qui concerne la nature des verbes :
Les verbes ponctuels et duratifs en persan présentent beaucoup de particularité, qui sont
inconnues en français.
B) Les formes verbales du conditionnel, du futur antérieur et du futur simple qui sont
utilisées, en français, dans les conversations courantes n’existent pas en persan. Inversement,
l’emploi fréquent en persan de l'aoriste s’opposant au passé composé, dans les conversations de
tous les jours, et, enfin, les formes de l’imparfait composé et du plus-que-parfait composé sont
inconnues en français.
C) Les modes :
Quoique le persan possède comme le français l’indicatif, mode d’action désirée,
douteuse, possible… et par conséquent éventuelle et incertaine, nous avons relevé que dans
certains cas le persan emploie le subjonctif là où le français emploie l’indicatif.
Cela est dû au fait que le français peut exprimer un certain taux d’incertitude dans
l’avenir par un conditionnel, un futur et même un présent (dans les énoncés à valeur d'hypothèse
relative à l’époque future). Le persan traduit souvent tous les indicatifs par un subjonctif.
Bien que le persan possède comme le français le mode non-personnel de l’indicatif, nous
avons noté pourtant, que, dans certains cas, il emploie le subjonctif pour l’infinitif français. En
effet, bien qu’il s’agisse d’une action éventuelle et incertaine, lorsque les deux actants sont
identiques, le français emploie un infinitif. Cet emploi de l’infinitif pour le subjonctif peut
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également être quelquefois dû à une contrainte de construction du persan : lorsque les deux
actants sont identiques, le deuxième verbe se met automatiquement au subjonctif.
D) Les temps
La première chose que nous avons relevée dans cette partie concerne la liberté
relativement grande que possède le locuteur persan dans le choix des temps des énoncés
(complexes), liberté qui paraît très restreinte en français par rapport au persan. En effet, en
persan, une forme verbale donnée n’est pas toujours enfermée dans des limites d’emploi
déterminées par sa propre valeur ; elle peut être ambivalente (c’est le contexte ou un complément
circonstanciel qui précisent les formes ambivalentes).
Nous avons remarqué que l'aoriste en persan peut facilement exprimer un fait présent ou
même futur, d’où l’emploi de l'aoriste pour le présent, le subjonctif présent , le futur, le futur
antérieur, etc. ; cet emploi est inéxistant en francais.
L’imparfait persan peut exprimer une action envisagée dans toute sa durée, action
exprimée par un passé composé ou un passé simple en français. Par contre, l’imparfait français
peut exprimer une action perfective, momentanée, (imparfait d’ouverture, de pittoresque, de
rupture), action exprimée par un aoriste en persan.
Les périphrases (du présent et du passé) progressives sont assez fréquemment employées
en persan, alors qu’elles sont très précises, en français, et sont par conséquent beaucoup moins
employées qu’en persan.
Le même parti pris pédagogique nous a conduit à fonder notre plan d’abord sur le
repérage des formes, non pas sur des catégories sémantiques. Le prix à payer pour la clarté a été
évidemment la répétition. Pour prendre un exemple : l’emploi de l’imparfait persan exprimant
une action envisagée dans toute sa durée a été signalé au chapitre de l’imparfait et à celui du
passé composé.
Le plus-que-parfait composé persan exprime :
- L’accompli dans des propositions indépendantes : c’est-à-dire qu’une action est
accomplie à un moment du passé (lointain).
- L’antériorité, par rapport à un autre verbe, dans des propositions subordonnées
temporelles : c’est-à-dire que cette action accomplie est antérieure à une autre action antérieure.
- Les propriétés du passé composé.
- L’action passée accomplie dont le résultat est important et est encore ressenti au présent
actuel ou relatif (passé révolu). D’où l’emploi de cette forme pour rapporter des événements
(dans le style direct et indirect).
Le plus-que-parfait composé persan correspond au plus-que-parfait français dans le style
direct ou indirect + sans relation ou en relation syntaxique avec un présent actuel :
- On dit, on a dit, on disait , on avait dit qu’il était mort cet été-là (morde boude ast)
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Cela est d'autant plus vrai qu'il existe en français une diversité d'emplois du système
hypothétique riches en nuances et en affinités qui n'éliminent cependant pas les difficultés
d'interprétation. On peut deviner les problèmes liés à l'apprentissage d'une part, et à la traduction
d'autre part, des subordonnées conditionnelles de la langue persane qui ne dispose pas, dans ce
domaine, d'un éventail d'occurrences aussi large que le français. Ce qu'il faut d'abord retenir,
c'est que l'esprit commande les emplois. La langue affective n'observe pas les mêmes règles que
la langue logique. A ce titre, la passion joue un rôle important en formulant des hypothèses sans
les clore par des conclusions. En entreprenant ce genre de recherche, nous n'avons pas la
prétention de créer une grammaire normative mais plutôt de procéder à une étude théorique et
pratique des formes, de leurs valeurs et de leurs fonctions, qui pourront aider à l'avenir, nous
l'espérons, nos enseignant et nos apprenants.
Les formes nominales du verbe, ne pouvant pas actualiser un procès, et n'ayant, par
conséquent, pas par elles-mêmes une valeur personnelle et temporelle (c'est le contexte où elles
figurent qui permet cette connaissance), et qui par là se rattachent à l'espèce des nominaux, nous
paraissent relever d'une catégorie de formes très différente de celle des formes verbales
personnelles. La remarque faite pour ces formes est surtout valable pour le persan, où l'infinitif
remplit toutes les fonctions d'un substantif, où le participe présent n'est qu'un adjectif verbal, et
où le gérondif est très peu usité. Étant donné ces différences, les formes nominales du verbe en
persan et en français présentent trop peu de points communs.
Nous souhaitons vivement que ce travail soit une aide efficace à l'acquisition des bases
du système verbal persan et français.
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