MARKETING ET COMMUNICATION DIGITALE “Nous sommes amenés à repenser la relation avec un client désormais connecté en permanence.” L a communication traditionnelle se décline depuis une quarantaine d’années à travers le marketing des 4 P, désignant le Produit, le Prix, la Place et la Promotion. Les fondamentaux restent et le digital fait désormais partie du paysage des entreprises. Sites Internet, applications mobiles, écrans dynamiques, réseaux sociaux… Les « Produits » deviennent des services par l’apport du numérique, parallèlement aux nouvelles offres qui apparaissent. Aujourd’hui ils vous informent sur votre santé, fournissent des indications précises sur votre activité physique, un emballage renseigne sur son contenu ou propose une réduction via un QR code… Le Prix, lui, est devenu relatif, car notre mobile nous permet de comparer les offres. Pour le consommateur multicanal d’aujourd’hui, il y a un accès de l’information en temps réel. Concernant la “Place”, nous assistons, par le digital, à une démultiplication de la distribution. Elle inclue, par exemple, la livraison à domicile qui voit une belle croissance du “click and eat” : les experts anticipent une hausse du CA de la restauration à domicile de 6 % par an entre 2014 et 2017, pour atteindre 124,3 millions d’euros (Source Xerfi). Enfin, la “Promotion” a aussi évolué : nous sommes passés d’une logique masse médias publicitaire efficace mais assez onéreuse, à la possibilité de toucher une clientèle plus ciblée à moindre coût. « Les données (Data) permettent d’envoyer des messages adaptés au bon profil, au bon moment. C’est pourquoi nous sommes amenés à repenser le marketing et la communication, mais aussi la relation client (désormais 158 Cfia | infos connecté en permanence), explique Nicolas Bordas, Vice-Président du réseau publicitaire International TBWA\Europe et Président de BEING Worldwide. Plus de 95% des gens passent leur temps à moins d’un mètre de leur téléphone. Le changement vient d’Internet certes, mais surtout de la relation que les personnes entretiennent avec leur mobile. » D’UNE VALSE À DEUX TEMPS VERS CELLE À QUATRE TEMPS Avec le digital comment évolue l’univers de la communication ? « Depuis 40 ans, en marketing, tout repose sur une valse à deux temps : l’acquisition et la fidélisation ». Ce sont les deux moments de vérité, le premier lié à l’acte d’achat, le second au moment de consommation, où je suis satisfait (ou pas) de mon achat, avec la propension à racheter (ou pas). Mais c’était avant Internet. « Nous sommes passés, depuis, à une valse à quatre temps, avec l’arrivée de deux nouveaux paramètres : le moment de vérité zéro (ZMOT). C’est là où le consommateur se renseigne, compare, via Internet avant d’acheter. » Si une marque ne réussit pas cette phase du “ZMOT”, elle aura peu de chances de gagner, sur les marchés, la bataille de l’achat, du “first MOT”. « Ce combat-là est décisif, souligne notre expert. C’est pourquoi les entreprises investissent autant d’argent pour gagner la bataille du moment zéro, comme la marque qui achète chez Google des Adwords pour être bien placée. Ce service, à lui seul, peut générer jusqu’à 50 % de clics supplémentaires pour une entreprise ! On peut aussi gagner le “ZMOP” via des liens sponsorisés de Facebook, TENDANCES ou différentes communications digitales comme les bannières, les vidéos… » LE TEMPS QUI PREND LE PAS SUR L’ESPACE Enfin, il y a un 4e moment apparu plus récemment, celui de la vérité ultime (UMOT). C’est l’expression publique par le client de sa satisfaction : elle se traduit par un commentaire sur les comptes Twitter ou Facebook d’une marque, une note donnée au restaurant, une photo ou vidéo sur Instagram… Les consommateurs contents de leurs achats le font savoir et le partagent sur les réseaux sociaux. « C’est important pour trois raisons : premièrement, les acheteurs se confortent dans leur intention d’achat ou dans le sentiment qu’ils ont bien acheté, ce qui influence positivement le réachat. Le deuxième point, c’est l’impact qu’ils ont sur leurs contacts. » Il y a un 3e effet, qui est un vrai changement de paradigme dans l’univers du marketing : le “UMOT” a aussi une influence séquentielle sur des inconnus. Lorsque vous vous exprimez sur un produit en utilisant Twitter, Facebook, vous allez conforter la décision d’achat chez un consommateur qui sera dans le premier moment de vérité. « C’est un changement de paradigme introduit par le digital dans la communication, un nouveau système de pensée où le temps a pris le pas sur l’espace. On envoyait le même message à tous, en saturant l’espace (l’affichage, le packaging, les médias, etc) pour diffuser un contenu cohérent. Aujourd’hui, avec Internet, nous pouvons connaitre la phase mentale dans laquelle se situe le destinataire, avec un message de fidélisation résultant des informations recueillies grâce aux cookies et au Data. » Ceux-ci permettent de cibler le bon message à la bonne personne, au bon endroit, au bon moment psychologique ! Le consommateur aura des comportements d’achats différents selon son âge, son mode de vie, son environnement, ses valeurs, ses loisirs… Par exemple, une réduction sur un nouveau produit sans gluten, ou enrichi en vitamines et minéraux, à destination des enfants en croissance ou des seniors. Par la même occasion, la marque pourra faire découvrir toute sa gamme santé bien-être. Le marketing se fait dans l’espace mais prioritairement aussi de plus en plus dans le temps. LA PENSÉE PARTAGEABLE Quelle stratégie une marque doit-elle adopter pour profiter de cette révolution ? Il faut à la fois appliquer les règles que l’on connaît déjà, comme le conseille Nicolas Bordas, en ayant un message qui soit stratégiquement différenciant et pertinent, que ce soit par le digital, la presse, les médias ou autres. « Il est important qu’il soit toujours exécuté de manière qualitative si vous voulez des clients contents, ambassadeurs, qui partagent. J’ajouterais trois nouveaux leviers, ce que j’aime appeler les 3 “e” : l’égo, l’expérience et l’exclusivité. Ces éléments augmentent la propension qu’ont les gens à partager du contenu sur Internet. Je peux vous citer l’exemple de l’Ice Bucket Challenge en 2014, qui a permis de recueillir des fonds pour lutter contre la maladie de Charcot ». Si c’est une belle campagne, esthétique, humoristique ou émouvante, elle aura toutes les chances d’être partagée. Si elle implique les gens en leur faisant vivre une expérience étonnante et de manière exclusive (caméra cachée, etc), on développe le potentiel de partageabilité. « Si le slogan de la publicité avant Internet pourrait être celui que nous avons créé pour Apple (“Think different”), je dirais que celui de l’avenir c’est “think shareable”. La pensée partageable devient le nouveau Graal d’une communication digitale réussie qui circule fortement sur les réseaux sociaux ». N.Hennebique GROS PLAN Nicolas Bordas Diplômé de l’Essec, Nicolas Bordas a débuté sa carrière en 1982 en tant que chef de publicité chez Dupuy-Saatchi. Il est aujourd’hui membre du Comité Exécutif Mondial de TBWA\Worldwide, Vice-Président de TBWA\Europe et Président de BEING Worldwide. Enseignant à SciencesPo (cours sur La Marque), il a réalisé plusieurs chroniques, notamment pour La Tribune et i-Télé. Nicolas a été Administrateur de l’ARRP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité) et de l’IREP (Institut de Recherche et d’Etudes Publicitaires). Parallèlement à ses activités, il s’implique dans une agence associative qu’il parraine, Nouvelle Cour, qui favorise l’insertion professionnelle des jeunes du BTS communication de La Courneuve. Son premier livre, « L’idée qui tue », est paru en 2009 aux Editions Eyrolles, et a été traduit en anglais et en chinois. Cfia | infos 159