De la cosmogonie au cycle de l`eau : une histoire des idées (PDF

Colloque International OH2 « Origines et Histoire de l’Hydrologie », Dijon, 9-11 mai 2001
International Symposium OH2 ‘Origins and History of Hydrology’, Dijon, May, 9-11, 2001
De la cosmogonie au cycle de l’eau :
une histoire des idées
From cosmogony to the water cycle:
a history of ideas
Michel DETAY
Ondeo, 18 Square Edouard VII - 75316 Paris Cedex 09 (France)
Didier GAUJOUS
Eau et Force, 300 Rue Paul Vaillant Couturier - 92000 Nanterre (France)
Résumé
Le cycle de l’eau tente de rendre compte du fonctionnement de l’hydrosphère au
sein d’un objet unique et compliqué, la Terre, où les milieux de l’atmosphère, de la surface
du sol et du sous-sol entretiennent des relations complexes avec d’autres cycles physiques,
géochimiques et biologiques. Depuis sa formation, il y a quatre milliards et demi d’années,
la Terre a évolué vers son état actuel. Les océans existaient déjà il y a trois milliards huit
cent millions d’années et leur volume avait atteint plus de 90 % du volume actuel à la fin
de l’Archéen. Ainsi le cycle de l’eau a, lui-même, une histoire, d’autant plus digne d’intérêt
que, sous sa forme actuelle, c’est une science très jeune. De nombreuses branches des
sciences naturelles sont donc intimement liées au cycle de l’eau.
À travers un rappel des théories scientifiques ou mythiques expliquant la
formation de l’univers et de la Terre, nous proposons une reconstitution de l’évolution
historique des idées, concepts et outils qui se sont développés depuis l’Antiquité jusqu’à
nos jours. Nous distinguons quatre périodes :
de l’Antiquité au Moyen Âge : du mythe à la mécanique aristotélicienne.
du XVe à la fin du XVIIe siècle : un nouveau monde. Premiers développements dans la
compréhension de l’origine des sources avec Léonard de Vinci, Bernard Palissy et
Agricola, et de la mécanique des fluides avec les travaux de Pascal.
de la fin du XVIIe au XVIIIe au siècle : émergence des sciences de l’hydrologie. C’est avec
la contribution de Pierre Perrault sur le bilan hydrologique et d’Edmund Halley sur
l’évaporation, que la science de l’hydrologie est née.
depuis le XIXe siècle : vers le modèle actuel.
Les nombreuses controverses doctrinales qui ont animé la scène hydrologique
internationale depuis le XVIIIe siècle mettent en perspective l’évolution des idées. De nos
jours, si l’on ne discute plus les traits généraux fondateurs de l’hydrologie moderne, il ne
subsiste pas moins des divergences aux interfaces des différentes disciplines (hydrologie,
hydrogéologie, hydraulique, limnologie, sciences de l’atmosphère et de l’espace, chimie,
physique, biologie…). Bien que le cycle de l’eau soit appréhendé dans son ensemble, au-
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delà des écoles de pensée, il reste mal maîtrisé. Les étapes de la domestication de l’eau
sont loin d’être achevées. Notre compréhension de phénomènes globaux, comme El Niño,
demeure partielle. Par ailleurs, à une échelle plus locale, l’impact sur le milieu naturel et le
devenir des pollutions dans l’hydrosystème constituent un enjeu majeur pour le vivant.
Enfin, l’eau fait partie de l’histoire du cosmos. L’étude des glaces extraterrestres
fournit un moyen de mieux appréhender l’histoire du système solaire. L’histoire du cycle
de l’eau n’est pas terminée. La connaissance et la quantification du cycle de l’eau
représentent une des grandes aventures de l’esprit humain.
Abstract
The water cycle tries to explain the functioning of hydrosphere at the heart of a
single and complicated object, the Earth, where the atmosphere, sub-surface and
underground have complex relations with other physical, geochemical and biological
cycles. Since the formation of the Earth, 4.5 Gy ago, it has evolved to its present state.
The oceans already existed 3.8 Gy ago and with a volume reaching more than 90 % of
their present volume at the end of the Archeozoic period. The water cycle therefore has
itself a history, all the more interesting in its present form that it is a very young science.
Various branches of natural sciences are therefore closely linked to the water cycle.
Calling to mind all of the mythical or scientific theories which explain how the
Earth and the universe were formed, we propose to reconstitute the historical evolution
of the ideas, concepts and tools which have been developed since the Antiquity period to
the present. We have divided it up into four periods:
from Antiquity to Middle Age: from myth to Aristotelian mechanics.
from the Middle Age to the end of the XVIIth century: a new world. First
developments in understanding the origin of sources with Leonardo da Vinci,
Bernard Palissy and Agricola, and hydraulic thanks to the work of Pascal.
from XVIIIth to the last century: emergence of hydrology. Thanks to the
contributions of Pierre Perrault (1611-1680) on the hydrology appraisal and
Edmund Halley (1656-1742) on evaporation, the science of hydrology was born.
from the last century: to the present model.
Various doctrinal controversies which brought the international hydrologic scene
to life since XVIIIth century put the evolution of ideas into perspective. Nowadays, if the
founding general features of modern hydrology are no longer discussed, divergence to
the various discipline interfaces still exist (hydrology, hydro-geology, hydraulics,
limnology, atmospheric and spatial atmosphere sciences, chemistry, physics, biology…).
Although the water cycle is generally understood beyond the various schools of thought,
it has not yet been fully mastered. The domestication stages of water are far from
finished. Our understanding of the global phenomena, such as El Niño, remains partial.
Moreover, on a more local scale, the impact on the natural environment and the future of
pollution in the hydro-system represent a major stake for life forms.
Finally, water is part of the history of the cosmos. Studying extraterrestrial ice
provides a means to better understand the history of the solar system. The history of
water cycle is not finished. Understanding and quantifying the water cycle is one of the
great adventures of the human mind.
* * *
1. Théories mythiques
Les Égyptiens pensaient que le monde était sorti d’une grande masse
liquide appelée Noun.
« Au commencement le monde était un désert océanique.
Le dieu de lumière apparut sous la forme d’un œuf brillant, qui flottait sur la
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nappe aquatique ».
En Inde, Brahmânda, l’Œuf du monde, est couvé à la surface
des Eaux. Dans certaines allégories tantriques, l’eau figure prâna, le souffle vital.
Chez les Grecs, les eaux primordiales (Oceanos) limitent l’univers.
« L’univers
était dans l’obscurité, avec de l’eau partout, sans aurore, sans clarté, sans
lumière »,
dit un texte maori (Nouvelle-Zélande). Selon les Rig Veda (Inde) :
« Il y
avait au début l’obscurité. Tout était en eau »
. L’Asie tient l’eau pour le « chaos »
originaire,
« la source de toute chose et de toute existence »
. La cosmologie
babylonienne représente l’eau sous deux aspects : océan d’eau douce (apsû) sur
lequel, plus tard, flottera la terre et la mer salée. Selon une version huronne
(Canada) :
« Au début, il n’y avait que l’eau : un vaste océan peuplé d’animaux
aquatiques »
.
« Au début, quand il n’y avait que de l’eau, Dieu et le « premier
homme » se mouvaient sous la forme de deux oies noires au-dessus de l’océan
primordial »
, dit une légende sibérienne. Dans la tradition judéo-chrétienne, on
trouve dans la Genèse :
« La terre était sans forme et vide. L’obscurité s’étendait
à la surface des profondeurs et l’esprit de Dieu se mouvait sur l’étendue des
eaux ».
À ces cosmogonies correspondent les qualités fabuleuses qu’on attribue à
l’eau. L’eau est une composante essentielle de la vie et, en tant que telle,
cristallise toutes les passions. Source de vie, moyen de purification, centre de
régénérescence, l’eau hante les cultures humaines. Lao-Tseu (IVe ou Ve siècle avant
J.-C.), maître du Tao enseigne que l’eau est l’emblème de la vertu suprême. Dans
la Bible, de nombreux passages relatent son importance pour les tribus d’Israël.
Abraham et Isaac étaient avant tout célèbres pour leur faculté de trouver de l’eau
en creusant un puits.
Mais, en marge de ce rôle vital, l’eau est intimement associée à des
phénomènes mystiques et inexplicables. Dans tel passage de la Bible, c’est Jésus-
Christ qui crée une fontaine pour laver sa tunique près du sycomore de Matarea ;
dans tel autre, c’est Saint Pierre qui fait jaillir une source à travers les murs de la
prison de Mamertine afin de baptiser deux soldats romains.
Parmi les penseurs ioniens du VIe siècle av. J.-C., Thalès de Milet (v. 625-547
av. J.-C.), imagine que l’eau de mer poussée par les vents monte dans le sol et les
montagnes pour créer les sources, le dessalement provenant de la filtration. Il
supposait que la Terre flottait sur l’eau et expliquait ainsi les tremblements de
terre par l’agitation de cet océan souterrain. Il considérait que
« l’eau est la cause
matérielle de toutes choses »
et ambitionnait de métamorphoser les
connaissances dispersées en un savoir rationnel et cohérent, débarrassé de la
tutelle des magies. Démocrite (v. 460-370 av. J.-C.) pense également que les
tremblements de terre sont dus à l’eau.
« Une partie de la Terre est concave, et il
s’y accumule une importante masse d’eau. De cette partie de la Terre sort une
substance subtile et plus liquide que tout le reste, qui, lorsqu’elle est repoussée
par la pression d’une masse d’eau qui s’abat par-dessus, exerce une pression sur la
Terre et la fait trembler ».
C’est dans le Tartare [Platon (428-348 av. J.-C.)], le plus profond des
abîmes de la troisième terre, rempli d’eau et descendant jusqu’au centre de la
terre, que convergent toutes les eaux, celles de l’Océan et celles des fleuves. Du
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Tartare ressortent trois courants : le Pyriphlégéton d’où sortent les
manifestations volcaniques chargées de vapeur, le Cocyte qui se jette dans le lac
du Styx et l’Achéron qui donne naissance aux sources et aux fleuves.
Parmi les Présocratiques, Héraclite (v. 550-480 av. J.-C.), pensait que l’eau
provenait du feu :
« En se condensant, le feu s’humidifie ; et, en se resserrant plus
encore, il engendre l’eau ; et quand l’eau se cristallise, elle se change en terre.
Telle est la route descendante. À rebours, la terre se liquéfie, d’elle naît l’eau et de
celle-ci les autres éléments ».
Il ramène presque toutes choses à l’évaporation à
partir de la mer. C’est la route montante. Des exhalaisons naissent de la terre et
de la mer, les unes claires et pures, les autres obscures. Le feu se trouve alimenté
par les exhalaisons claires et pures, l’humide par les autres.
Ainsi, l’eau, comme tous les symboles, peut être envisagée sur deux plans
rigoureusement opposés, mais nullement irréductibles, et cette ambivalence se
situe à tous les niveaux. L’eau est source de vie et source de mort, créatrice et
destructrice.
2. Théories scientifiques
2.1. Du mythe à la mécanique aristotélicienne
L’Antiquité est marquée par une intense créativité dans le domaine des
idées, aussi bien sur les plans philosophique, mathématique, astronomique que
géographique. Sur le plan de la connaissance scientifique générale, toute l’époque
est profondément marquée par la pensée d’Aristote (v. 384-322 av. J.-C.).
La vision générale du Monde est dépendante de la mécanique
aristotélicienne, qui affirme la subdivision entre le monde supralunaire (domaine
des astres et de l’éternité) et le monde sublunaire (domaine de la génération et
de la corruption), et qui repose sur la théorie des lieux et des mouvements
naturels des quatre éléments : la terre, l’eau, l’air et le feu.
La première trace de l’origine atmosphérique de l’eau souterraine est
attribuée à Homère, aux alentours du premier millénaire avant J.-C., dans l’Iliade
(livre 21). Bien plus tard, Thalès (v. 625-547 av. J.-C.), Anaxagoras (500-428 av.
J.-C.), Hérodote (484-425 av. J.-C.) et surtout Platon (350 av. J.-C.) soulignèrent
l’importance de l’évaporation et des pluies comme étant probablement à l’origine
des fleuves et des sources, mais ces philosophes étaient surpris par la taille des
rivières en comparaison du faible volume des précipitations. Aristote fut le
premier à subodorer les modalités du cycle de l’eau entre l’air et la Terre, sans
pour autant appréhender la nature même du phénomène et du stockage
souterrain. Aussi, malgré quelques avancées réelles dans ce domaine, deux
hypothèses prévalaient quant à l’origine des eaux de sources.
La première supposait que l’eau de mer était amenée par l’intermédiaire de
fleuves souterrains jusqu’aux montagnes pour y être purifiée avant de
ressortir au niveau des sources :
« Cette eau amère se filtre, perd son sel,
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remonte vers les sources des fleuves où se rassemble toute la matière humide
et de là, coule en flots adoucis à la surface du sol »
explique Lucrèce en 50
avant J.-C.
La seconde faisait intervenir des phénomènes de condensation au sein de
cavernes souterraines froides ; l’humidité ainsi formée rejoignait les sources.
Marcus Vitruvius, aux environs de l’an XV avant J.-C., parvint à concevoir
correctement le processus dans son ensemble et imagina que l’eau de pluie et de
la fonte des neiges pouvait s’infiltrer dans le sol dans les contrées montagneuses
pour réapparaître plus loin, au niveau des sources :
« C’est dans les lieux creux
qui sont en haut des montagnes que l’eau des pluies s’amasse et que les arbres,
qui y croissent en grand nombre, y conservent la neige fort longtemps, laquelle se
fondant peu à peu, s’écoule insensiblement par les veines de la terre et c’est cette
eau qui, étant parvenue au pied des montagnes, y produit des fontaines ».
Quasiment à la même époque, Lucius Annaeus Sénèque reprit la théorie
d’Aristote tout en déniant la réalité de l’infiltration de l’eau dans le sol.
Le Dominicain français Vincent de Beauvis (né en 1190) reconnut que la
condensation d’un air chaud ascensionnel le long d’un versant montagneux
pouvait provoquer des précipitations. La théorie du cycle de l’eau venait de
naître, mais ces idées beaucoup trop avant-gardistes pour l’époque devront
attendre de nombreuses années avant d’être réinventées.
Les conclusions de Sénèque selon lesquelles l’eau de pluie serait une source
insuffisante pour expliquer le débit des sources furent acceptées pendant plus de
mille cinq cents ans.
2.2. Du
XV
e
à la fin du
XVII
e
siècle : un nouveau monde
La période de deux cents ans comprise entre 1450 et 1650, peut
apparaître, après le Moyen-Âge, comme une nouvelle époque d’innovation et de
créativité dans le domaine des idées et de la connaissance. Ce renouveau se fait le
plus souvent avec une opposition forte contre le point de vue aristotélicien. Les
références classiques en sont l’apparition du système copernicien (1543), des lois
de Kepler (1609-1619) et de la mécanique de Galilée (1632). Tout ceci se
concrétisant, en fin de période, avec la grande synthèse mécanique de Descartes.
Dans le domaine de l’eau et de la Terre, l’époque est marquée par une
interprétation neuve des observations anciennes. Léonard de Vinci, Bernard
Palissy et Agricola, posent les jalons du développement de la géologie grâce à
leurs propos sur la signification des fossiles, la minéralogie et l’origine des
sources.
Léonard de Vinci (1452-1519), génie de la Renaissance, recherchera avec
obstination dans la nature les forces mécaniques primaires, le Prime Motore. Ses
observations sur les vortex, sur les mouvements ondulatoires et sur la continuité
sont remarquables. S’il réaffirme le principe du cycle de l’eau :
« Depuis tant de
temps que le Tigre et l’Euphrate ont déversé par les Monts d’Arménie, on peut
croire que toute l’eau de l’océan a, de multiples fois, passé par ces bouches… Si
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