nous divinise et qui nous transforme en lui. Le seul tabernacle, c’est l’homme »
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, il expose
une théologie qui tire toutes les conséquences de l’Incarnation et qui sacralise l’homme en
tant qu’il est non seulement image de Dieu mais plus encore, en tant qu’il est habité par Dieu.
Ce double aspect qui fonde l’humanisme dans une perspective chrétienne ne se
retrouve pas en islam. L’islam n’est pas la religion de l’homme, fût-il l’homme parfait (al-
insān al-kāmil). L’islam est la religion du monothéisme absolu (tawḥīd), de la toute-puissance
et de la transcendance de Dieu. Allāh ne parle à l’homme que par « révélation ou derrière un
voile » (S. 42, 51). Ce qu’il révèle à l’homme, ce sont ses Noms, ses Attributs mais non
l’intimité de sa Vie. Par miséricorde, Il se fait proche de l’homme, sa créature, au point d’être
« plus proche de lui que sa veine jugulaire » (S. 50, 16), mais l’homme n’est qu’une créature
et Dieu proche ou voisin n’habite pas en lui. L’homme n’est pas le tabernacle de Dieu.
L’expression « humanisme musulman » semble même contradictoire : le musulman met Dieu
au centre, l’humanisme y met l’homme.
Cependant, revenir à l’exhorte de l’Oratio de Pic de la Mirandole n’est pas sans
surprise : « Legi, Patres colendissimi, in Arabum monumentis, interrogatum Abdalam
Sarracenum, quid in hac quasi mundana scaena admirandum maxime spectaretur, nihil
spectari homine admirabilius respondisse », autrement dit : « Très vénérables Pères, j’ai lu
dans les écrits des Arabes que le Sarrasin ‘Abdallah, comme on lui demandait quel spectacle
lui paraissait le plus digne d’admiration sur cette sorte de scène qu’est le monde, répondit
qu’il n’y avait à ses yeux rien de plus admirable que l’homme ».
La restitution exacte de la citation révèle que son auteur n’est point Pic de la
Mirandole. Notre humaniste n’en est que le rapporteur, mais la citation est en réalité d’un
arabe, ou plus exactement, d’un sarrasin, d’un musulman donc. Sans entrer dans la difficile
question de savoir qui est ce fameux ‘Abdallah, cette citation ne serait-elle pas l’indice d’une
réelle dimension humaniste au sein de l’islam et que celle-ci aurait même nourri les
humanistes de la Renaissance ?
Il convient donc de scruter les sources musulmanes et de s’interroger sur la vision de
l’homme qui est promue dans le Coran et chez certains penseurs musulmans pour dessiner les
contours de l’« humanisme musulman ». Il conviendra aussi de préciser la nature de cet
humanisme : relève-t-il d’une dimension ontologique de l’homme ou bien est-il
communautariste ? Autrement dit, l’humanisme musulman met-il au cœur de sa réflexion
l’homme ou l’homme musulman seul ? Les solidarités humaines, les devoirs à l’égard des
hommes sont-ils fondés et justifiés en raison de la nature de l’homme – sa dimension
ontologique –, ou en raison de son appartenance à l’umma, à la communauté musulmane ?
L’enjeu de la question n’est pas sans importance alors même que la mondialisation
accélère les relations entre les cultures et les religions. Il en va du fondement et de la
possibilité d’une « convivencia postmoderna », véritable défi pour de nombreuses villes
européennes, pensons à Bruxelles, Rotterdam, Marseille, Berlin et bien sûr Leicester.
Ce travail d’interrogation, de scrutation, de recherche de l’humanisme en islam a été
une des missions de l’IDEO. Les contributions du Père Anawati dans le Mideo ou dans ses
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Maurice Z
UNDEL
, Vivre Dieu, Presses de la Renaissance, 2007.