DEVELOPPEMENT D'UN COMPARATEUR DE LUMINANCE
A FILTRES INTERFERENTIELS POUR L'ETALONNAGE
DE CORPS NOIRS INDUSTRIELS
J. Joly, P. Ridoux, J. Hameury
Centre de métrologie scientifique et industrielle
Laboratoire National de Métrologie et d’Essais
29 avenue R. Hennequin 78190 Trappes
Résumé
Depuis quelques années, il existe une
demande croissante d'étalonnage de corps noirs
industriels dans les bandes spectrales utilisées par
les caméras thermiques, c.à.d principalement les
bandes 3-5 µm et 8-12 µm et éventuellement la
bande 1-3 µm. En globalisant l'ensemble des
applications, le domaine de température à couvrir
devient très vaste : -20 °C à 1500 °C pour les
bandes 3-5 µm et 8-12 µm et à partir de 100 °C
dans la bande 1-3 µm.
Le LNE a donc entrepris le développement d'un
comparateur de luminance, comportant une optique
de conjugaison à miroirs, une roue de filtres
interférentiels, un support modulable pour les
détecteurs IR et une détection synchrone. Le
système est conçu pour offrir de la souplesse en
terme de température et de sélection spectrale.
Les caractéristiques recherchées, dans un premier
temps dans les bandes spectrales 3-5 µm et
8-12 µm, sont une résolution thermique inférieure à
0,05 °C et un effet de taille de source connu et
maîtrisé.
Ce papier présente une description des solutions
techniques retenues pour optimiser le système
optique et des résultats de mesure concernant les
performances en stabilité à court terme, résolution
et effet de taille de source avec les détecteurs Si,
InSb et HgCdTe.
Abstract
For a few years, there is a rising
requirement for calibrating industrial blackbodies at
wavelengths used by thermal cameras or as defined
by specific applications (especially the 1-3µm,
3-5 µm and 8-12 µm bands). Users requests cover a
very wide temperature range, from 20°C to
1500°C in the infrared bands 3-5 µm, 8-12 µm and
from 100°C in the 1-3 µm band.
Therefore, LNE has developed a radiance
comparator with a mirror-based optical system,
associated to a set of interference filters wheels, a
modular holder for several infrared detectors and a
lock-in amplifier. This set-up is designed to be very
versatile in terms of wavelength and temperature.
Targeted performances are a thermal resolution
better than 0.05°C, and a known and controlled
size-of-source effect.
This paper describes the technical solutions
implemented to optimize the optical system.
Preliminary results are presented about the short
term stability, the thermal resolution and also the
size-of-source with the Si, InSb and MCT detectors.
Introduction
Depuis longtemps, il existe une demande
d'étalonnage de corps noirs industriels au LNE mais
les chiffres montrent un accroissement depuis
quelques années. Au début, le besoin provenait
essentiellement d'industriels utilisateurs de caméras
thermiques, c.a.d principalement du secteur de la
Défense, dans les bandes spectrales classiques
3-5 µm et 8-12 µm et dans le domaine de
température couvrant l'ambiante à 1000°C. En
s'appuyant sur des corps noir de référence à
température variable, la solution technique évidente
a été alors de se servir de pyromètres du commerce
ou de caméras thermiques comme comparateurs
optiques pour tenir compte au mieux de l'aspect
spectral devant les deux sources.
Aujourd'hui, les besoins des industriels civils
(automobile, énergie, équipementiers…) sont
globalement ceux d'autrefois du secteur de la
Défense qui, en parallèle, est devenu plus exigeant
en termes de longueurs d'onde et de températures
extrêmes : à partir de 100°C dans la bande 1-3 µm
ou de -20°C dans la bande 3-5 µm et jusqu'à
1500°C dans la bande 8-12 µm ou 8-14 µm.
Si la limite basse en température dans les bandes
1-3 µm et 3-5 µm provient principalement de la
physique car la quantité de rayonnement émis
devient très faible, la limite haute donnée à
1500°C/1600°C est due à la technologie.
En effet, la réalisation de fours, fonctionnant à des
températures supérieures, nécessite d'investir dans
des éléments chauffants et des isolants thermiques
plus couteux mais pourtant fragiles ou de mettre en
œuvre des systèmes plus lourds reposant sur des
éléments résistifs en graphite, donc une enceinte à
vide et un balayage de gaz neutre.
Le LNE a, par conséquent, entrepris le
développement d’un comparateur de luminance à
filtres (CLAF), avec deux applications à l’esprit.
La première est de vérifier la cohérence entre nos
diverses cavités corps noir par des comparaisons
réalisées dans les bandes spécifiques utilisées par
les caméras thermiques. La seconde est d’étendre
nos possibilités d’étalonnage de corps noirs
industriels à des températures plus basses et à des
longueurs d’onde plus courtes.
Pour répondre à ces attentes, le comparateur a été
réalisé selon les spécifications suivantes :
- système optique à large bande (de 0,8 à 14 µm)
- domaine de température de 20°C à 1000°C pour
les deux bandes 3-5 µm et 8-12 µm.
- effet de taille de source connu et maitrisé
- stabilité a court terme satisfaisante pendant la
durée d'une comparaison.
- résolution thermique assurant une faible
contribution dans le budget d’incertitude.
Présentation générale du CLAF
Pour utiliser le comparateur dans un large
domaine spectrale avec une distance focale
constante, le système optique est basé sur
l’association de quatre miroirs sphériques traités
aluminium. Selon [1], suite aux travaux de B. Lyot
sur le coronographe, le diaphragme d’ouverture est
placé derrière le diaphragme de champ. Les miroirs
sont placés dans des supports à cardan de faible
encombrement. Les caractéristiques résultantes sont
une distance de travail de 400 mm (depuis la face
avant), une ouverture numérique de f/50 et une zone
de visée théorique de 3 mm (hors SSE).
4
1 2 5
6 7
3
S
régulation du
cheur optique Détection
synchrone amplificateur
PC
Figure 1 : Schéma de principe du CLAF, (S) source, (1) hacheur optique, (2) miroir sphérique, (3) écran, (4)
diaphragme de champ, (5) roue à filtre, (6) diaphragme d’ouverture, (7) détecteur.
La sélection spectrale se fait par un jeu de filtres
interferentiels placé dans une roue indexée assurant
un positionnement reproductible. Deux roues sont
disponibles, une première contenant les bandes
classiques (1-3 µm 3-5 µm, 8-12 µm…) et une
autre pour les éventuelles demandes spécifiques de
clients.
Une attention toute particulière a été portée à la
réduction du rayonnement parasite dans la première
partie du montage, avant le diaphragme de champ.
Toutes les parois internes du boitier ont été traitées
avec la peinture 3M Nextel 811-21 pour assurer une
grande absorption du visible au lointain infrarouge ;
un assemblage d'écrans est placé à proximité du
diaphragme de champ de manière à bloquer le
rayonnement provenant directement de la source.
Tous les éléments sont agencés grâce à des pieds
élévateurs fixés sur la table à inserts. Le résultat est
une très bonne stabilité mécanique avec la
possibilité d’inclure aisément des éléments
complémentaires pour de futures applications. La
chaine de mesure inclut des détecteurs quantiques,
refroidis par de l’azote liquide, avec leurs
amplificateurs, un hacheur optique et une détection
synchrone.
Comme la plupart des besoins d’étalonnage de
corps noirs se situent dans le domaine spectral de
travail des caméras thermiques, le CLAF a été
étudié en termes de stabilité à court terme, de
résolution thermique et d’effet de taille de source
spécifiquement dans les bandes 3-5 µm et 8-12 µm.
Détecteur
Champ
de vision
(°)
Taille
(mm)
D*
@ λ pic
(cm-rthz/W)
λ Pic
(µm)
fenêtre
InSb 10 Φ 4 2.6 x1011 5,3 sapphire
HgCdTe 10 2*2 6.4 x1010 12,5 ZnSe
Tableau 1 : Détecteurs (Judson) associées au CLAF
Stabilité à court terme
La stabilité à court terme a été évalué sur
une période correspondant à la durée d’une
comparaison de deux sources. Un cycle complet de
comparaison est accompli lorsque la mesure sur le
corps noir à étalonner est encadrée par deux
mesures sur le corps noir de référence. Cette durée,
dépendante des paramètres de la détection
(constante de temps, nombre de mesures) est
approximativement de 15 minutes.
La source utilisée pour ces mesures est un corps
noir à caloduc à eau équipé d’un thermomètre à
résistance de platine 25 , placé a proximité du
fond de la cavité. La stabilité de ce corps noir
mesurée sur une période de 2 heures est de l’ordre
de ± 20 mK. La cavité en alliage de cuivre est
traitée de manière à assurer une très haute
émissivité sur un spectre allant de 3 à 15 µm;
l’émissivité de la peinture ayant été mesuré au
préalable avec les installations du LNE [2].
La caractérisation a été réalisée pour différentes
configurations du CLAF; le détecteur HgCdTe avec
les filtres 3-5 et 8-12 µm et le détecteur InSb avec
le filtre 3-5 µm. La procédure suivante a été
appliquée :
remplissage du dewar d’azote liquide au moins
30 minutes avant le début des mesures,
alignement du comparateur devant la source
stabilisée à 200°C,
mesures simultanées de la résistance du
thermomètre du corps noir et de la réponse du
comparateur.
Les résultats montrent une stabilité meilleure que
15 mK pour toutes les configurations. Les mesures
réalisées avec le detecteur InSb en bande 3-5 µm
sont présentées dans la figure 2.
199.85
199.90
0:00 0:03 0:06 0:10 0:13
temps, h:min
temperature, °C
0.01479
0.01481
signal CLAF, V
CLAF : ± 1.9 µV (1σ) c.a.d. 7mK
TRPE : ± 2 mK (1σ)
Figure 2 : stabilité à court terme
Résolution thermique
La résolution thermique est déterminée par
la différence de température équivalente au bruit ou
NETD ("Noise Equivalent Temperature
Difference"). Cette caractéristique, définie comme
l'écart de température qui produit un rapport signal
à bruit égal à 1, est évaluée à partir de la relation
suivante :
)(
)(
0
0TSe
V
TNETD bruit
=
ou Vbruit correspond à la valeur efficace du bruit en
sortie de la chaîne de mesure, et Se(T0) la
sensibilité en (V/°C) du comparateur à la
température T0. La sensibilité est obtenue à partir
d’un étalonnage réalisé avec les références corps
noir, dans un temps très court pour s'affranchir des
défauts de reproductibilité du système. Le NETD
est alors calculé à partir des valeurs de « bruit sans
signal », mesurées grâce à un corps noir stabilisé à
la température apparente du chopper. Le tableau 2
récapitule les valeurs obtenues avec cette méthode.
Certaines de ces valeurs peuvent paraître faibles,
surtout à haute température; ceci est dû au fait que
le bruit généré par la source utilisée est très faible.
En effet, étant stabilisée à la température ambiante,
la source n’est pas pénalisée par sa régulation ou
par des effets de convection comme à plus haute
température. Cette méthode permet de connaître la
résolution thermique de l’appareil avec un
minimum de perturbations d'origine thermique
provenant de la source. A noter, par exemple, que la
valeur efficace du bruit, observé en bande 8-12 µm
face à un corps noir stabilisé à 600°C, est de l’ordre
de 15 mK, à confronter à la valeur calculée de
4mK.
Tableau 2 : valeurs de NETD
Effet de taille de source
L’effet de taille de source, nommé SSE
(Size-of-Source Effect), représente une
augmentation de la réponse d'un luminancemètre
due à une augmentation de dimension de la source
observée. Théoriquement, ce phénomène
n’intervient que pour des dimensions de source
inférieures au champ de l’appareil.
Malheureusement, cet effet est observé pour des
dimension de source bien supérieures. Les
principale causes en sont la diffusion par les
dioptres rencontrés successivement dans l’appareil,
la diffraction par les ouvertures, les inter-réflections
entre ces dioptres, ainsi que les réflexions sur les
parois internes [4].
L’effet de taille de source pour le CLAF a
été étudié dans les configurations précédemment
présentées ainsi que dans le proche infrarouge.
Mesures dans le proche infrarouge
Les investigations ont été réalisées avec un
détecteur Hamamatsu S1337 filtré à 0,900 µm,
associé à un transducteur courant-tension de
fabrication LNE. Le hacheur optique est inhibé et le
signal est mesuré à l’aide d’un nanovoltmètre.
La procédure de mesure est basée sur la méthode
directe : l'appareil vise le centre d’une zone
d’émission circulaire et uniforme de diamètre di
variable. La source utilisée est une sphère
intégrante avec un port de sortie de 100 mm de
diamètre, équipée d’une lampe quartz halogène
alimentée par un courant de haute stabilité
(1.10-5 A). L’ouverture variable est matérialisée par
un jeu de diaphragmes de 1 à 4 mm et par un
diaphragme à iris jusqu'à 60 mm. Afin de réduire la
sensibilité de la luminance de la source à une
variation de dimension de l’ouverture, celle-ci est
découplée du port de sortie de la sphère [3].
Figure 2 : dispositif de mesure de SSE à 0,9 µm
Le SSE correspondant à chaque valeur de di est
calculé par la relation suivante [4] :
0max
0
max );( VV VV
ddSSE
d
i
d
i
=avec dmax = 60 mm
avec Vdi et Vdmax les signaux obtenus respectivement
pour les diamètre di et dmax (ouverture maximale) et
V0 le signal de « fond ».
Les résultats présentés sont issus de 5 séries avec
50 mesures individuelles à chaque diamètre.
La valeur obtenue de SSE(3 ;60) étant 0.99971
signifie que la correction relative SSE est
inférieure à 3.10-4 pour une source de la même
dimension que le champ du comparateur (3 mm).
),(1)( max
ddSSEdSSE ii =
Pour une source de dimension supérieure à 4 mm,
la correction est inférieure en moyenne à la
dispersion des mesures estimée à ± 2.5.10-5 (1σ).
Detecteur Filtre @ -20°C @20°C
@80°C
@200°C
@600°C
@900°C
(mK)
J-InSb 3-5 µm
330 330 20 4 0.4 *
J-MCT 3-5 µm
220 2020 180 18 2 1
J-MCT 8-12
µm 34 20 13 8 4 4
150
Ouverture
variable
Sphere intégrante
Lampe quartz
halogen
Comparateur
Dans le proche infrarouge, la méthode indirecte, qui
utilise une occultation centrale de la source, est
couramment utilisée du fait de sa meilleure
resolution. Dans cette étude, la méthode directe a
été préférée dans un souci de cohérence avec les
mesures réalisées dans l'infrarouge lointain.
Mesures en bandes 3-5 µm et 8-12 µm
La connaissance de l’effet de taille de
source est particulièrement critique pour la mesure
de luminance à grandes longueurs d'onde. Le SSE
définit les limites d'utilisation du comparateur en
termes de dimensions et d’uniformité de luminance
du corps noir à étalonner.
Une solution équivalente à celle mise en œuvre
dans le proche infrarouge serait d’utiliser une
sphère intégrante à revêtement doré mais un tel
équipement présente un inconvénients majeur. Le
rendement est très faible, nécessitant une source
très énergétique (type Laser). De plus, le caractère
légèrement spéculaire des réflexions internes altère
l'uniformité de la luminance émise. Par conséquent,
la source la mieux adaptée pour la mesure de SSE
dans la bande de 3 à 14 µm doit être thermique,
uniforme et de grande dimension.
Finalement, la méthode décrite pour les mesures
dans le proche infrarouge a été mise en œuvre avec
le corps noir à caloduc à eau. Le diamètre
d’ouverture de la cavité est de 63 mm et peut varier
de 10 à 60 mm grâce à un jeu de diaphragmes. Le
signal de « fond » est évalué en visant la zone
adéquate du plus petit diaphragme (figure 3).
Les diaphragmes sont maintenus dans un support
refroidi, découplé thermiquement de la cavité pour
éviter toute perturbation de la stabilité de la source.
Cette hypothèse est vérifiée par un suivi de la
température de la cavité (sonde platine étalon). La
face interne des diaphragmes (côté source) est
noircie pour limiter son influence sur la luminance
de la source lors des mesures [5].
Les variations d'émissivité de la cavité
engendrées par la variation de l’ouverture ont été
modélisées avec un logiciel basé sur la méthode de
Monte-Carlo. La géométrie de la cavité ainsi que
les valeurs d’émissivité des peintures utilisées pour
la cavité et les diaphragmes sont prises en compte.
Ces variations sont égales à 5.10-5 à 4 µm et
inférieures à 1.10-4 à 10 µm pour une variation
d’ouverture de 10 à 60 mm, donc négligeables par
rapport aux variations de SSE.
Refroidissement à eau
Cavité caloduc à eau
Diaphragme
Zone d’évaluation
du signal de
« fond »
Face noircie
Figure 3 : dispositif de mesure de SSE dans les
bandes 3-5 µm et 8-12 µm
Résultats et commentaires
Le graphique 1 présente les résultats
obtenus dans les trois bandes spectrales étudiées.
Cette synthèse montre clairement que l'effet de
taille de source sur le comparateur est fortement
dépendant de la bande spectrale de travail.
Plus la longueur d’onde est grande, plus l’effet de
taille de source est important. Par exemple, une
correction de SSE de 3.10-4 correspond à une source
de diamètre 3 mm à 0,9 µm, 17 mm dans la bande
3-5 µm et 25 mm dans la bande 8-12 µm. Une autre
approche est d’évaluer l’erreur engendrée en
fonction de la longuer d'onde pour une source de
diamètre donné. Pour une valeur de 10 mm, la
correction est négligeable à 0,9 µm mais est de
l’ordre de 1.6 10-3 et 5.8 10-3 respectivement pour
les bandes 3-5 µm et 8-12 µm.
La sensibilité d'un luminancemètre à l'effet
de taille de source peut être convertie en
température en utilisant la dérivée de la loi de
Planck :
T
T
e
x
L
Lx
=
1 avec T
c
xλ2
=
SSEe
c
T
TT
c
=)1(
2
2
2λ
λ
L est la luminance spectrique du corps noir, T la
température, c2 la deuxième constante du
rayonnement et λ la longueur d’onde centrale du
luminancemètre. Le tableau 3 donne quelques
écarts de température dus à une correction de SSE
de 3.10-4, pour différentes longueur d’onde et
températures de source.
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