Jamais le dimanche !
Marianne, 13/12/14
La caricature, une nouvelle fois, s'est invitée dans le débat sur le travail le dimanche. Avec les arguments débiles
habituels nous expliquant, par exemple, que les touristes japonais, s'ils ne peuvent s’acheter une perceuse à
Bricorama, quitteraient la France illico pour Chicago. Et oubliant, comme l’écrivait Jacques Julliard il y a déjà six
ans, que la pause dominicale "consacre la dignité du travailleur à être autre chose qu’un travailleur".
REX FEATURES/SIPA
Certains ont peut-être encore en mémoire ce film de Jules Dassin qui fit chanter à l’immense Melina Mercouri la
charmante ritournelle les Enfants du Pirée (voir la vidéo ci-dessous). Jamais le dimanche nous conte l’histoire
d’une courtisane d’Athènes, de fort caractère, qui travaille tous les jours de la semaine, sauf… le
dimanche, jour réservé, quoi qu’il lui en coûte, à ses amis. Cette œuvre légère, premier succès du cinéma
grec, primée et oscarisée, eut une carrière internationale. Sans doute parce qu’elle nous parlait aussi de
l’incompréhension entre deux modes de vie, deux cultures, deux sociétés.
Plus sérieusement, le débat sur le travail le dimanche illustre bien le fossé psychologique et moral qui n’a cessé
depuis de se creuser entre deux univers : celui des « petits mufles réalistes » que Bernanos a raillés, prêts à toutes les
contorsions pour s’adapter au monde tel qu’il ne va pas et ces femmes et ces hommes qui refusent de
dévaler la pente de l’époque. Oui, deux mondes qui s’éloignent de plus en plus l’un de
l’autre au point que leur divorce devient un véritable enjeu de civilisation. Dès 2008, notre ami Jacques Julliard
qui avait vu venir la manip de loin s’inquiétait du couronnement de ces « centres-villes énucléés par la
spéculation ». Et il écrivait : « Si l’idéal du cadre de vie moderne est de travailler à la Défense, de dormir à Sarcelles
et de faire ses courses le dimanche après-midi à Belle-Epine, que l’on nous le dise tout de suite. »
Encore une fois, on notera que la caricature n’est pas là où on l’attend. Encore une fois, on relèvera que ce
sont les mêmes arguments qui sont ressassés telle que la fantasmatique paresse des salariés français, les mêmes
chiffres bidons sortis d’instituts fantômes, les mêmes arguments débiles sur l’hypothèse que les touristes
fuiraient la France comme si l’impossibilité pour un Japonais de s’acheter une perceuse à Bricorama allait
lui faire prendre illico un avion pour Chicago. On est abasourdi par tant de roueries grossières qui ne se hissent même
pas au niveau des brèves de comptoir. A entendre ces nouveaux Bouvard et Pécuchet, le travail dominical favoriserait la
croissance et l’emploi. Région prospère s’il en est du cœur de l’Europe, la Bavière
n’utilise jamais l’ouverture dominicale.
Dernièrement, un ponte du Medef croyait tenir l’argument massue en soulignant qu’« Internet ne
s’arrête pas le dimanche ». Certes, mais, à ce compte, gageons qu’il ne faudra pas longtemps avant de
déclarer d’utilité générale le travail de nuit. On voit bien que, comme l’écrivit Jacques Julliard il y a déjà
six ans, la pause dominicale « consacre la dignité du travailleur à être autre chose qu’un travailleur ».
Le travail du dimanche
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