La philosophie à l`épreuve de l`opinion et de l`expertise

Mars-avril 2012 200
La philosophie
à l’épreuve de l’opinion et de l’expertise
Michaël Fœssel*
La philosophie, nous n’oublions pas toutes les eaux qui
sont passées sous ce nom.
Jacques Derrida, États généraux de la philosophie,
16 et 17 juin 1979.
Deux questions provoquent un certain malaise chez les philo-
sophes : « Qu’est-ce que la philosophie ? », « Que peut-on attendre
d’elle ? ». Comme Diogène, qui prouvait l’existence du mouvement
en marchant, le philosophe de métier est tenté de pratiquer la
philosophie sans la définir. Pour cela, il dispose d’une tradition faite
de textes canoniques et de grandes questions auxquelles il est
toujours possible de revenir. Quant aux attentes sociales qui pèsent
sur sa discipline, le spécialiste y repère souvent une série de malen-
tendus, comme si la philosophie était condamnée à se trahir aussitôt
qu’elle se mesure à des attentes qu’elle n’a pas formulées.
Bien sûr, d’autres chercheurs sont exposés aujourd’hui à ce
double malaise. Les historiens, par exemple, doivent compter avec
la fonction sociale, politique, voire identitaire dévolue de nos jours
à leur discipline. L’imbrication entre la recherche sur le passé, la
mémoire collective et la conscience victimaire complique leur
travail. Mais, même de ce point de vue, la philosophie est une disci-
* Maître de conférences à l’université de Bourgogne, membre de l’Institut universitaire de
France, il est conseiller de la direction de la revue Esprit, et a récemment publié État de vigi-
lance : critique de la banalité sécuritaire (Paris, Le Bord de l’eau, 2010).
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