CHAPITRE 1 : LES FRANÇAIS DANS LE PAYS DES HINDOUS Depuis le XVIe siècle, l’Inde a été le terrain de manœuvres commerciales des Européens. Le Portugal a été le premier pays d’Europe à débarquer en Inde avec un objectif commercial. Puis en 1602, les Hollandais ont fondé une Compagnie des Indes Orientales. En 1616, les Danois y ont établi sans succès une compagnie. La même année, les Anglais, le plus grand rival des Français en Inde, sont arrivés en Inde pour y créer un véritable monopole commercial. Dès 1617, une Loge française a été fondée à Pondichéry par un traité entre le Naik de Pondichéry et Jean Pépin, facteur de la Compagnie. Cette loge servait de résidence aux Français alors qu’ils achetaient malheureusement, les des Français toiles n’ont de pas coton. Mais, entrepris de nouveaux voyages après 1618, à cause de la Guerre de Trente ans. Ceci dit, il faut dire que les Français ne se sont mis à s’intéresser vraiment au sous-continent indien que tardivement, comparé aux autres Européens. C’est sous le roi Louis XIV que Colbert, son Premier Ministre, a fondé la Compagnie française des Indes Orientales, en 1664, et tentait ainsi de réorganiser le commerce extérieur. Cette Compagnie s’est vu octroyer le monopole du commerce avec l’Inde. La première implantation française s’est faite à Surate en 1668. Cette Compagnie des Indes Orientales a crée le comptoir de Pondichéry français en 1674, suite aux négociations entre Bellanger de L’Espinay, un militaire français et l’envoyé de La Haye, un officier de l’armée du Roi et le gouverneur de Tanjore. En fait, Bellanger de L’Espinay est considéré comme le fondateur de Pondichéry par le célèbre historien, Jouveau Dubreuil, puisqu’il était le premier Français à mettre pied sur la terre de Pondichéry. François Martin, un employé de la Compagnie des Indes depuis 1665 et le futur gouverneur de Pondichéry, possédant une très bonne éducation dans le commerce et la diplomatie a accompagné l’officier, La Haye, lorsque celui-ci est arrivé à Pondichéry en 1673. Il y est revenu le janvier de l’année suivante pour aider Bellanger de L’Espinay. Après quelques mois, il a appris avec beaucoup d’amertume, en août 1674, que La Haye et les cinq cent trente survivants de l’expédition ’San Thome’ étaient faits prisonniers par les Hollandais et renvoyés en Europe. Bellanger aussi, a quitté ce petit village de pêcheurs pour rejoindre l’officier La Haye. Après son départ, François Martin était seul à Pondichéry, entouré de soixante-dix-huit Français dont soixante marins et deux prêtres capucins. Ainsi, c’est François Martin qui devait bâtir ce petit village pour le transformer en un véritable comptoir puissant. Il l’a fait avec une perfection impeccable. Là, il ne faut pas oublier le rôle joué par Lazaro de Motta Tanappa Modéliar, qui fut le premier Dubash ou Courtier de la Compagnie des Indes Orientales et le conseiller principal de François Martin.. Il fut à la fois l’intermédiaire commercial entre les Français et les Indigènes et le représentant des habitants locaux auprès du Gouverneur.. Après une brève occupation hollandaise, de 1693 à 1699 au cours de la Guerre de la Ligue d’Augsbourg, Pondichéry, rendu à la Compagnie suite au traité de Ryswick, s’est transformé en l’une des plus belles villes de la côte de Coromandel et en un véritable chef-lieu des établissements français en Inde sous François Martin. Durant son règne, François Martin « s’est attaché à renforcer les défenses »1 du territoire de Pondichéry et l’a agrandi en obtenant la concession de cinq villages de Daoud Khân, le général du Mogol Aurangzeb. Il a obtenu également le droit d’avoir une monnaie. La période de son règne a vu une augmentation considérable du nombre des Indiens, attirés par une ville bien défendue, des maisons bien construites et des exemptions fiscales, ainsi que celui des Européens. Avec ceci, une véritable société a commencé à voir le jour. VINCENT, Rose, Pondichéry 1674-1761, l’échec d’un rêve d’empire, édition Autrement, Paris, 1993, p.72. 1 Avec l’augmentation de la population, les problèmes socioculturels commençaient aussi à surgir. Le régime végétarien de quelques castes hindoues, particulièrement les hautes castes, posait un grand problème aux Français pour lesquels la viande était un repas indispensable. C’est pourquoi, dit-on, on tuait secrètement la viande de bœuf, un animal sacré pour les Hindous, à l’intérieur du fort afin d’éviter les affaires avec ces derniers. Il y avait aussi ce qu’on appelle le dualisme, c’est-à-dire, la division des castes en Main Droite, rassemblant ‘les Vellaja, les Commouty, les Cavaré et Main Gauche, rassemblant les Pallar, Kammâlar et Chetty, qui caractérisait le système des castes en Inde. Ce dualisme accentuait davantage les problèmes liés au système des castes. Au début, il n’y avait que les castes de la Main Droite à Pondichéry. Mais le Gouverneur François Martin, dans un but purement commercial, a invité les marchands appartenant à la caste Chetty de la Main Gauche à s’installer à Pondichéry. Il leur a autorisé à occuper trois rues et leur a donné la liberté d’y célébrer leurs fêtes. Par contre, les rues habitées par les castes de la Main Droite leur étaient interdites. Les castes de la Main Droite ou ‘Valangai’ ne pouvaient non plus traverser les rues de la Main Gauche ou ‘Idangai’2. La coexistence de ces deux n’a pas toujours été pacifique. Ainsi, en 1717, à l’occasion de la fête de Pongal, il y a eu un conflit sérieux lorsque la Main Gauche a traversé une rue de la Main opposée. La religion et les missionnaires catholiques dominaient la société française. « La vie religieuse jouait un rôle important »3 dans cette jeune société. Le terrain des Pères capucins, les premiers missionnaires installés à Pondichéry, et la première Église des Malabars, construite sur un terrain et avec les fonds donnés en souvenir de sa conversion par un Malabar nommé Lazaro de Motta Tanappa Modéliar, interprète de la Compagnie, étaient les centres d’attraction du quartier au sud du Fort St Louis, le quartier français par excellence. Les Jésuites, appréciés pour leur enseignement qui connut un grand succès avec des 2 VINCENT, Rose, op.cit., p.157, 158. 3 LABERNADIE, V.Marguerite, le vieux Pondichéry, 1673-1815, Histoire d’une ville coloniale française, Pondichéry,1936, p.103. Société de l’Histoire de l’Inde Française, pensionnaires venant de tous les continents du monde et les Pères des Missions Etrangères dominaient le quartier à l’ouest du Fort. L’activité principale des missionnaires notamment des Jésuites auxquels le Roi Louis XIV avait confié l’évangélisation des comptoirs français de l’Inde, consistait à évangéliser et convertir la population indigène4. Les questions religieuses sont apparues suite à la rencontre des indigènes, fortement attachés à leur tradition et à la tolérance, et des missionnaires catholiques, voulant faire partager leur foi. Le Gouverneur François Martin a ordonné aux Pères capucins de travailler parmi les Européens et les créoles et aux Jésuites de travailler parmi les indigènes puisque les premiers ne comprenaient pas la langue ni les rites locaux. Les Capucins n’ont pas bien accueilli cette décision : d’une part, ils voulaient avoir le droit exclusif de travailler à Pondichéry ; d’autre part, ils n’appréciaient pas les méthodes que suivaient les Jésuites 4 WEBER, Jacques (éd), Les Relations entre la France et l’Inde de 1673 à nos jours, Les Indes savantes, Paris, 2002, p.355. pour évangéliser le peuple local car ceux-ci toléraient certains rites hindous. Les Jésuites étaient considérés responsables de quelques cérémonies hindoues, célébrées dans le cadre des fêtes chrétiennes, qui ont été vues comme une grande offense au Christianisme. L’un de ces événements était un mariage célébré dans un village aux alentours de Pondichéry, Ariankuppam, en août 1701. Ce mariage a été célébré en grande partie en suivant les rites hindous. La cérémonie chrétienne a été célébrée le matin, à l’Église, et le soir, une deuxième cérémonie a eu lieu selon les coutumes hindoues. L’un des rites hindous suivis lors de ce mariage était l’usage de ce qu’on appelle tiruniru, du cendre préparé à partir de la bouse de vache et béni par les prêtres jésuites5. Une autre instance où les rites hindous ont été acceptés par les Jésuites était lors des funérailles des Chrétiens indigènes. Les Pères jésuites suivaient les traditions hindoues pour les funérailles alors que les Capucins insistaient que les funérailles 5 eussent lieu comme WEBER, Jacques (éd), op.cit., p.363, 364. en Europe. Ainsi, les cérémonies célébrées le trentième jour après l’enterrement d’André, un courtier chrétien de la Compagnie française sous le Gouverneur François Martin, suivaient les traditions hindoues de la classe supérieure sous l’instruction des Jésuites. Les Jésuites et les Chrétiens indigènes sous leur autorité ne prenaient pas du bœuf et certains d’entre eux sont devenus des végétariens afin de plaire aux Hindous de la classe supérieure car ceux-ci considéraient les Européens qui mangeaient du bœuf comme des Intouchables. Cette tolérance des Jésuites s’expliquait par le fait que ceux-ci voulaient, d’une part, être reconnus par les Hindous de la classe supérieure, et d’autre part, essayer de les convertir au Christianisme. Cette attitude des Jésuites était fortement critiquée par les missionnaires capucins. En ce qui concerne les fêtes chrétiennes, elles étaient célébrées en grande pompe et les Français n’évitaient jamais la messe quotidienne. Le Gouverneur François Martin, étant lui-même un catholique fervent, participait activement avec sa femme à la vie religieuse de la ville : ils assistaient aux baptêmes des enfants de leurs employés et aux conversions des esclaves. Les maîtres français allaient même jusqu’à faire instruire leurs serviteurs libres ou esclaves indigènes dans la religion chrétienne6. L’esclavage existait à Pondichéry pendant les périodes de famine lorsque les parents étaient prêts à vendre leurs enfants. Cette forte présence de la religion catholique au milieu d’une population indigène fortement hindoue expliquait des conflits religieux, parfois très compliqués á résoudre, dans cette nouvelle société. Ainsi, lorsque les Pères Jésuites voulaient supprimer les fêtes hindoues et démolir le temple qui était à proximité de leur Église, il faillit y avoir un exode en masse des tisserands, éléments indispensables au développement du commerce de la ville. Mais l’intervention du Gouverneur François Martin, connu pour sa diplomatie et sa sagesse, a évité une véritable crise religieuse qui aurait entraîné une crise commerciale Malgré quelques problèmes religieux et culturels, cette société dont on doit la création à son Chef et animateur, François Martin, jouissait d’une paix remarquable surtout grâce au génie de son Gouverneur. 6 LABERNADIE, V.Marguerite, op.cit., p.89. Les Français de cette première société se sentaient plus ou moins chez eux, trouvant facilement du poisson et des légumes français et aussi des viandes de toute sorte essentiellement parce que les Hindous ne tuaient presque jamais aucun animal. Ils s’habillaient également comme chez eux grâce au talent des tailleurs indigènes qui étaient capables d’imiter exactement. Les indigènes, de leur côté, furent autorisés à mener une vie plutôt paisible. Il existait une relation plutôt amicale entre ces deux populations. Bien que les Français ne se rendaient presque jamais aux cérémonies hindoues, ils assistaient volontiers aux fêtes familiales des Hindoues. Les maîtres français étaient plutôt bienveillants vis-à-vis de leurs serviteurs libres et esclaves qui leur montraient une fidélité exacte. Ils allaient même jusqu’à les marier. C’est la politique indigène de François Martin fondée sur la tolérance (malgré la forte pression des missionnaires) et les exemptions fiscales qui a permis ce début glorieux de la présence française à Pondichéry. Ainsi, entre 1699 et 1706, c’est-à-dire entre la restitution de Pondichéry aux Français et la mort de François Martin, son premier Gouverneur, Pondichéry s’était transformé en une véritable ville, totalement indépendante à l’égard des princes indigènes. Par contre, la période qui suivit la mort de François Martin était un désastre pour Pondichéry. De 1706 à 1721, c’étaient « quinze années perdues », pour reprendre les mots de Marguerite V.Labernadie7. En quinze ans, le pouvoir a changé sept fois de main et les gouverneurs qui ont succédé François Martin ne pouvaient pas avoir le même mérite que ce dernier. Ainsi, une fois, lorsque le Gouverneur Dulivier a refusé aux Hindous l’autorisation de célébrer la nouvelle lune qui tombait un dimanche, un jour sacré pour les Chrétiens, près de trois quarts de la population ont quitté Pondichéry, et Dulivier a fini par autoriser la fête. La situation de la ville de Pondichéry était rendue pire sous le gouvernement d’Hébert. Pondichéry « n’était que cachots, confiscations de biens, qu’exil et désolation »8. Des conflits incessants avec la population indigène ont arrêté le progrès de ce nouveau comptoir si génialement bâti par son premier Gouverneur, François Martin. Bref, c’étaient quinze années de chaos et d’instabilité. 7 LABERNADIE, V.Marguerite, op.cit., p.118. 8 Ibid., p.117. Les quinze années suivantes, le Gouverneur Lenoir a continué l’œuvre de François Martin. Il a repris les travaux abandonnés depuis 1706 et s’est mis à fortifier la ville avec Dumas, alors Conseiller, et qui deviendra plus tard son successeur. C’était une période d’urbanisme et de reconstruction de la ville. Un fait important qui a eu lieu pendant cette période était la permission à tous les habitants, quelque soit leur race, leur foi ou leur statut social, d’utiliser les nouvelles rues. Là, il faut préciser que certaines castes normalement n’autorisaient pas l’accès de quelques rues à d’autres castes. En ce qui concernait les relations extérieures, le Gouverneur Lenoir menait une politique pacifique. Le gouvernement de Lenoir était une époque de progrès durant laquelle les comptoirs de Mahé et de Yanaon ont été acquis. C’était également une époque calme et heureuse grâce à l’harmonie qui régnait dans la société. Par la suite, Benoist Dumas, un habile diplomate, a pris la charge de Gouverneur de Pondichéry, le 18 septembre 1735. Sous le nouveau gouvernement, Pondichéry s’est enrichi et s’est fortifié. C’est sous Dumas que Pondichéry a obtenu le droit de battre monnaie, très important pour la Compagnie9. Il a organisé également une armée de cipayes qui fit de la Compagnie une puissance militaire. Pondichéry est devenu plus grand territorialement et un nouveau comptoir, Karikal, a été acquis grâce aux efforts de Pedro Canagaraya Modéliar, le petit-fils de Lazaro de Motta Tanappa Modéliar et le troisième Dubash de la Compagnie, qui a joué un rôle important dans les négociations pour acheter ce comptoir au Roi de Tanjore. Sachant très bien que le respect des valeurs indigènes était indispensable pour obtenir la sympathie des peuples locaux, Dumas évitait d’intervenir dans les affaires de caste. La politique prudente de Dumas et la paix qui régnait entre les grands pays européens favorisaient l’accroissement non seulement du commerce entre l’Europe et l’Inde, mais aussi les affaires en Inde même. Le prestige de Pondichéry s’est accru d’une manière incroyable aux gouvernement yeux de des Dumas. puissances Elle était locales, devenue formidable, avec sa propre monnaie et armée. 9 VINCENT, Rose, op.cit., p.83. sous une le ville Ainsi, le Gouverneur Dumas qui a reçu le titre de ‘Mansebdar’ (ou Général du Mogol) du Grand Mogol, que ses successeurs continueraient à garder, a pavé le terrain pour son successeur de faire de Pondichéry la plus grande ville de l’Inde méridionale. Joseph François Dupleix, un nom tellement lié à la colonisation française de l’Inde, a pris le relais en tant que Gouverneur de Pondichéry en 1742. D’après le célèbre historien, Rose Vincent, l’histoire de Pondichéry ne peut se raconter sans faire référence à ce « légendaire gouverneur »10. Dupleix poursuivait la politique de protectorat et n’hésitait pas à intervenir dans les affaires des princes locaux afin de protéger le commerce. Secondé par Charles de Bussy, un fin diplomate et un véritable génie militaire et par sa femme Bégum Jeanne qui connaissait bien les dialectes et la fourberie des Maures, Dupleix s’est révélé très vite bon chef de guerre. Les succès militaires de Dupleix comme la défense de Pondichéry lors du siège de 1748 par les Anglais, la victoire d’Ambour et la prise de Gingy, font de cet ambitieux Gouverneur une véritable figure de héros. 10 VINCENT, Rose, op.cit., p.121. Ces succès ont valu à Dupleix la Croix de Commandeur de St Louis de la part du Roi. Il est devenu très vite le Maître d’un vaste ‘Empire’ français. Il jouissait du respect des princes musulmans comme Chanda Saib, Muzaffer et Salabet Jang, qu’il avait soutenus avec succès contre leur adversaire. Cette alliance avec les princes musulmans lui a permis d’étendre son espace commercial et de doter le comptoir français de l’Inde de territoires qui lui permettraient de subsister sans l’aide de la Métropole. Sous Dupleix, le développement de Pondichéry était à son apogée. Son gouvernement marquait une période heureuse et pleine de gloire. Les missionnaires et la religion continuaient à exercer une forte influence dans la ville de Pondichéry sous Dupleix. Un seizième de la population était Chrétien. Cette population chrétienne rassemblait essentiellement des parias, des mendiants et des domestiques. Ceci s’expliquait par le fait que les hautes castes ne voulaient pas se convertir à une religion qui prêchait l’égalité. Une ordonnance du 12 Janvier 1747 obligeait les gens qui avaient chez eux des esclaves à les faire instruire dans la religion catholique et de leur faire administrer le sacrement du baptême dans le délai d’un an .La plupart de ces esclaves ont été libérés lors de leur baptême. Les Français participaient activement à la vie religieuse de la ville. Ils exerçaient de manière très attentive leurs devoirs religieux, suivant l’exemple du Gouverneur et de sa femme. Ces derniers ne rataient presque jamais les cultes religieux et observaient sévèrement le Carême. Toutes les fêtes ont été pieusement célébrées et après chaque victoire militaire, un Te Deum de remerciements a été chanté. Il était empêché de travailler sans permission les dimanches et les jours de fêtes et ceux qui désobéissaient devaient payer une certaine somme d’amende. La ville de Pondichéry devait aux missionnaires, outre leurs services religieux, des services sociaux. Les Capucins s’étaient chargés de l’hospice et de l’hôpital. Les Jésuites s’occupaient de l’instruction. Les conflits religieux continuaient à exister sous le gouvernement de Dupleix. Les missionnaires jésuites, avec l’aide de Mme Dupleix, également connue sous le nom de bégum Jeanne, ont fait démolir le temple d’Iswaran, entraînant ainsi la colère des Hindous. Ils étaient également responsables de l’exode en masse des Brahmanes lors du siège de la ville. Et les maisons de ces derniers ont été occupées par les Parias pour empêcher les Brahmanes d’y retourner. Les missionnaires voulaient que tout le monde, quelque soit leur caste, soit considéré de la même manière à l’intérieur de l’église. Ils ont obtenu la démolition du mur qui était dressé pour séparer les Chrétiens de la caste ‘paria’ des autres Chrétiens de classe supérieure. Mais ceci n’a pas duré longtemps. Très vite, une barrière de chaises a été mise en place à l’intérieur de l’église pour séparer les Chrétiens de la caste paria des autres Chrétiens. Ceci souligne bien combien il était difficile d’inciter les Chrétiens locaux à accepter la notion d’égalité. Le système de varna et de jati qui était fortement présent en Inde ne permettait pas aux missionnaires de mettre en place une situation où tout le monde, sans tenir compte des varnas et jatis, pouvait être considéré égal après leur conversion au Christianisme. Par conséquent, les missionnaires étaient amenés à accepter la situation sociale telle qu’elle existait, bien que le Christianisme n’acceptait pas la discrimination fondée sur la naissance. Le Gouverneur Dupleix détestait le régime végétarien des hautes castes qui ne convenait pas aux Français. Il disait : « Les Tamouls mangent une nourriture d’animal…Ce n’est pas une nourriture d’homme.»11, même s’il aimait beaucoup des éléments de la cuisine indienne comme le chutny et le Curry. Cependant, ni cette haine, ni les missionnaires jésuites ne pouvaient empêcher la confiance que le Gouverneur avait dans son courtier hindou, Ananda Ranga Poullé, chef incontesté des Hindous de la ville. La structure de la ville de Pondichéry soulignait une bipolarité coloniale : d’une part, il y avait ce qu’on appellait la Ville Noire, avec de nombreux ateliers de peinture sur toile et habitée par la population indigène, et d’autre part, se trouvait la Ville Blanche qui rassemblait les Européens et les missionnaires. Le canal séparait les deux villes. Les bâtiments religieux, à l’exception du Fort, étaient les plus importants de la ville. Le style urbain de Pondichéry provenait de la rencontre d’un esprit européen éclairé avec le pragmatisme indigène. Malgré quelques problèmes religieux, la période du gouvernement de Dupleix marqua l’apogée de la présence française en Inde. Le respect que commandait Dupleix essentiellement grâce à ses succès militaires et les quelques concessions accordées aux gens des hautes castes comme la 11 VINCENT, Rose, op.cit., p.148. barrière à l’intérieur de l’église des Jésuites et les pétards accompagnant les fêtes Chrétiennes, permettaient de maintenir le calme et la stabilité au sein de la société. La défaite de la troupe française à Trichinopoly en 1751 a marqué le début de la fin de Dupleix et de la période glorieuse de Pondichéry et de la présence française en Inde. Dupleix a été rappelé en août 1754. La Compagnie qui ne comprenait pas son œuvre et la métropole qui était indifférente à sa politique contribuaient à l’échec de son empire. Les Anglais, installés dans la ville de Madras, se sont inquiétés de la montée en puissance de la France, et ils ont attaqué les possessions françaises en 1756. Leur supériorité militaire leur a permis de renverser les seigneurs locaux, alliés aux Français, puis, de prendre Pondichéry en 1761. La ville de Pondichéry a été même rasée par les britanniques en 1761. Le Fort, le Palais de Dupleix, les fortifications, les églises se sont tous écroulés en poussière. Les années qui suivaient étaient une période de ruines et de chaos pour la ville de Pondichéry, à l’exception d’une brève renaissance sous le gouverneur Law de Lauriston de 1765 à 1777. Pondichéry et les autres comptoirs français redevenaient définitivement français seulement en 1816. Jusqu’au mois de juillet 1852, ils continuaient à être enraciné dans le 18e siècle, restant toujours soumis à la puissance britannique. Cette période était une ruine totale pour les comptoirs français de l’Inde. Ces derniers, en dehors du fait qu’ils étaient démilitarisés, devaient faire face à un cordon douanier qui a été mis en place par la Compagnie britannique pour ruiner l’économie des comptoirs français. Le Traité de Paris de 1814 interdisait à la France l’utilisation de la force (construction de fortifications et implantation de forces armées) pour défendre ses territoires indiens. Le développement économique des comptoirs français, en particulier de Pondichéry, était sacrifié au profit de celui de la France. En d’autres mots, ces comptoirs étaient exploités. Cependant, cette période était aussi caractérisée par une ‘politique indigène prudente’. La France et le gouvernement pondichérien étaient obligés de respecter le système de ‘Mamoul’ (signifiant tradition) car la moindre violation des valeurs indigènes pouvait entraîner des émeutes sanglantes. Après la période glorieuse sous Dupleix, les comptoirs français de l’Inde entraient dans une période d’instabilité qui durera un siècle. Entre 1754 et 1852, tout espoir était perdu en ce qui concerne Pondichéry et les autres Établissements français. C’est seulement sous le Second Empire que ces comptoirs français vont connaître un renouveau. Ceci dit, la gloire sous Dupleix était perdue pour toujours.