T R I B U N E L’autorisation et l’encadrement de la recherche sur l’embryon en France seront-ils le fruit d’un réel processus de débat social et démocratique ? ● G. Moutel* E n médecine, jusqu’à 8 semaines à partir de la fécondation, on parle d’embryon ; ce n’est qu’après cette période de 8 semaines qu’il sera question de fœtus. Le fœtus est considéré aujourd’hui comme sujet de soins du fait des possibilités d’intervention in utero. L’embryon devient lui aussi désormais accessible à l’intervention médicale, en particulier par le diagnostic pré-implantatoire (DPI), qui permet de sélectionner, dans le cadre d’un programme de procréation médicalement assistée, des embryons “sains” en excluant, pour l’implantation chez la femme, les embryons porteurs d’une anomalie génétique grave. En droit, ni l’embryon ni le fœtus ne sont considérés comme une personne ; ils ne sont pas des sujets de droit. On ne devient sujet de droit, c’est-à-dire titulaire de droits subjectifs, qu’à la naissance, à la condition d’être né vivant et viable. Les lois de bioéthique votées en France en 1994 ne dérogent pas à ces principes et ont pris soin de ne pas donner de statut juridique à l’embryon. La demande de la communauté scientifique et médicale en faveur de la recherche sur l’embryon est forte, relayée par des associations concernées par certaines maladies génétiques. Par ailleurs, les résultats des enquêtes chez les couples ayant bénéficié d’une fécondation in vitro et ayant des embryons surnuméraires montrent que 12 % des patients concernés souhaiteraient en faire don à la recherche. Pour les scientifiques, la recherche est tournée vers l’amélioration des connaissances pour permettre à terme une amélioration des soins. À ce titre, la recherche, partie intégrante de la médecine, est légitime. Pour les médecins, l’embryon in vitro est considéré comme un nouvel âge de la vie et tend à devenir un être médical, avec sa physiologie, sa pathologie, accessible au diagnostic ainsi qu’à la thérapeutique. La recherche permettrait aussi d’améliorer les techniques de procréation médicalement assistée. Elle autorise, par ailleurs, tous les rêves en matière de thérapies cellulaire et génique et faciliterait, par exemple, les techniques actuellement utilisées dans la greffe de cellules neuronales. Une équipe américaine a pu isoler, en 1998, et cultiver des cellules embryonnaires humaines, les cellules souches ou * Hôpital Necker, laboratoire d’éthique médicale et de santé publique, service du Pr Hervé, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris. La Lettre du Gynécologue - n° 262 - mai 2001 cellules ES (embryonic stem cells). L’étude de ces cellules permettrait d’améliorer la réussite des fécondations in vitro, d’explorer le mécanisme des cancers et, à terme, grâce aux recherches sur la différenciation cellulaire, de créer des tissus ou organes qui pourraient être utilisés comme greffes dans certaines maladies. Néanmoins, cette vision très “utilitariste” des embryons dans le cadre de la recherche est remise en cause par le fait que des cellules provenant de sujets adultes pourraient être utilisées avec le même succès. En effet, en 1999, des travaux publiés dans la revue Science ont mis en évidence que des cellules souches adultes pouvaient se différencier vers d’autres types cellulaires complètement différents et ouvrir également des perspectives en termes de création de tissus ou d’organes. Malgré ces résultats sur cellules adultes, la question de la recherche sur l’embryon reste posée, car elle concerne tout le champ d’amélioration des techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP) ; en outre, les cellules souches embryonnaires seraient plus performantes pour la création de tissus que les cellules adultes. Il y a donc incontestablement une pression forte d’une partie du corps scientifique et des milieux industriels en faveur de la recherche sur l’embryon. Actuellement, une certaine incohérence entoure la pratique et l’encadrement de la recherche sur l’embryon humain en France. L’article L. 152-8 de la loi 94-654 de juillet 1994 précise à la fois : – “La conception in vitro d’embryons humains à des fins d’étude, de recherche ou d’expérimentation est interdite.” – “Toute expérimentation sur l’embryon est interdite.” – “À titre exceptionnel, l’homme et la femme formant le couple peuvent accepter que soient menées des études sur leurs embryons.” “Ces études doivent avoir une finalité médicale et ne peuvent porter atteinte à l’embryon.” “Elles ne peuvent être entreprises qu’après avis conforme de la commission mentionnée à l’article L. 184-3 (CNMBR : Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal) dans des conditions définies par décret en Conseil d’État.” Ce décret se rapportant aux études sur l’embryon a été publié le 27 mai 1997. Il stipule : “Art. R 152-8-1. Une étude sur des embryons humains in vitro prévue à titre exceptionnel par l’article L. 152-8 ne peut être 9 T R I B U N E entreprise que si elle poursuit l’une des finalités suivantes : 1) Présenter un avantage direct pour l’embryon concerné, notamment en vue d’accroître les chances de réussite de son implantation. 2) Contribuer à l’amélioration des techniques d’assistance médicale à la procréation, notamment par le développement des connaissances sur la physiologie et la pathologie de la reproduction humaine. Aucune étude ne peut être entreprise si elle a pour objet ou risque d’avoir pour effet de modifier le patrimoine génétique de l’embryon ou est susceptible d’altérer ses capacités de développement.” “Art. R 152-8-2. La réalisation d’une étude remplissant les conditions mentionnées à l’article R 152-8-1 est soumise à l’autorisation préalable du ministre de la Santé. Le ministre se prononce après avis de la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal.” À la lecture de ces textes, il apparaît que la loi interdit toute expérimentation sur l’embryon, mais... que des études sur l’embryon peuvent être autorisées : serait-ce un compromis sémantique qui chercherait à satisfaire partisans et opposants à la recherche sur l’embryon ? En pratique, la question de la recherche sur l’embryon en France est suspendue à une prochaine révision de ce texte de loi. Quels embryons pourraient être concernés ? Il apparaît, à la lecture du premier article du décret de juin 1997, que seuls les embryons transférables ou congelables peuvent être l’objet d’études. Il ne semble donc pas qu’un embryon dont on sait qu’il ne sera jamais réimplanté puisse faire l’objet d’une recherche. Ainsi, les embryons actuellement cryoconservés et qui seraient donnés à la recherche par des couples ne pourraient pas faire l’objet d’études ! Pourtant, selon nos travaux, seuls les couples dont les embryons ne s’inscrivent plus dans un projet parental acceptent le principe d’une telle recherche (12 % de ces couples), du fait même que ces embryons ne seront pas implantés. On peut s’étonner du manque de cohérence du législateur sur un point aussi fondamental et de la différence ontologique qui pourrait ainsi être faite entre différents types d’embryons dès lors que certains seraient réifiés et d’autres non. La loi de 1994, complétée par le décret de 1997, n’a pas su faire de choix clair entre l’interdiction et l’autorisation. Elle paraît de fait totalement restrictive dans la permissivité des études sur l’embryon humain, puisqu’elle n’autorise que les études ne pouvant porter atteinte à l’embryon, ce qui semble être en totale contradiction avec la notion même de recherche et avec sa réalité pratique. Par ailleurs, deux points méritent d’être soulignés pour compléter les éléments du débat. Tout d’abord, si, aujourd’hui, le champ de la recherche sur l’embryon semble de fait interdit aux chercheurs, cela n’empêche pas les équipes françaises d’exposer au public de brillants et indiscutables résultats dans le domaine des diagnostics pré-implantatoires (DPI), réalisés sur des embryons sans qu’il ait été clairement débattu préalablement de la ques10 tion de savoir si ce DPI constitue ou non une forme de recherche qui n’avouerait pas son nom. L’objectif médical du DPI est louable ; il permet d’éviter des grossesses qui aboutiraient soit à des fausses couches, soit à des ITG (interruption thérapeutique de grossesse) ou à la naissance d’enfants porteurs d’un handicap très lourd. Néanmoins, ce DPI peut apparaître en soi comme un acte de recherche sur l’embryon, en somme autorisé en France, alors que le concept de recheche sur l’embryon n’y fait encore l’objet d’aucun consensus. Le DPI, qui nécessite un prélèvement de cellules sur l’embryon, constitue donc une exception de fait au cadre de la loi actuelle (article L. 2131-4). Par ailleurs, alors qu’il existe une loi en France qui encadre la recherche biomédicale (dite “loi Huriet”, qui a fait ses preuves depuis 1988 et qui impose le passage des protocoles de recherche devant des comités régionaux totalement indépendants, dont les membres sont nommés et renouvelés par le fait du tirage au sort parmi des citoyens et des personnalités représentatives de la société civile, des courants de pensée et du monde scientifique), il n’est fait nulle part mention de la possibilité de recourir à ces comités. Ils sont pourtant représentatifs de la société civile, indépendants du monde de la recherche, du monde industriel et des influences politiques, ce que n’est pas forcément la CNMBR (ou toute autre future agence nationale qui pourrait être créée à sa place dans ce domaine). Pourquoi choisirait-on le principe d’une agence ministérielle nationale de régulation plutôt que celui de la loi Huriet et de ces comités de protection indépendants qui encadrent déjà la recherche biomédicale (au prix d’un léger aménagement de leurs compétences) ? Cette question mérite également débat. La révision du texte de loi de 1994 actuellement en cours de discussion repose sur les avis des différentes instances consultées. Le Comité consultatif national d’éthique (avis de juin 1998), le Conseil d’État (rapport de février 1999) et l’Académie nationale de médecine (2000) envisagent de revenir sur l’interdiction de fait de la recherche sur l’embryon et proposent une autorisation sous conditions : recherche uniquement sur des embryons surnuméraires (pas de production d’embryons à des fins de recherche), consentement des couples concernés et absence de transfert des embryons, ce qui revient à reconnaître implicitement l’absence de bénéfice pour l’embryon. Les interdictions du clonage reproductif et de la constitution d’embryons à seule fin de recherche sont rappelées à diverses reprises dans ces travaux. Le Premier ministre, Lionel Jospin, présentant son projet de révision des lois de bioéthique en novembre 2000, a d’abord annoncé l’autorisation de la recherche sur l’embryon et énoncé le principe d’interdiction du clonage reproductif. Pourtant, plus loin dans son intervention, il précise que les embryons surnuméraires actuellement congelés, ayant fait l’objet d’un abandon parental et dépourvus de couple d’accueil, “mais également des embryons créés par transfert de cellules somatiques” pourraient faire l’objet de recherches. Cela ne remet-il pas en cause le principe de non-création d’embryons à des fins de recherche et n’est-ce pas là une avancée implicite à plus ou moins long terme vers le clonage (et quelle serait alors ici la limite entre clonage thérapeutique et clonage reproductif) ? Si .../... La Lettre du Gynécologue - n° 262 - mai 2001 .../... le texte de révision de la loi reste en l’état et reprend ces éléments, on passerait de l’interdiction de la recherche à une autorisation implicite de la constitution d’embryons à des fins de recherche. Il convient ici de souligner que, par voie de conséquence, si le principe de la recherche sur l’embryon avec possibilité de fabrication d’embryons est accepté (ce qui offre des perspectives thérapeutiques réelles), la question de la production industrielle à partir de tissus embryonnaires doit être d’emblée présente à notre esprit et doit être débattue, car elle repose en filigrane la question de la production d’embryons à des fins industrielles et celle de la commercialisation des éléments du corps humain, contraire à nos valeurs républicaines. A B O N N E La question de la recherche sur l’embryon en France mériterait aujourd’hui une remise à plat de tous ces enjeux. Le but en serait de clarifier les procédures démocratiques qui permettraient, en cas d’autorisation de la recherche, d’assurer une réelle prise en compte de principes éthiques (qui devront reposer sur des procédures plus claires). Les principes concernés sont ceux de transparence, d’indépendance des prises de décision, de respect de la dimension ontologique de l’embryon, d’évaluation et de réel contrôle des pratiques et, enfin, de prise en compte des concepts d’information et de consentement des acteurs concernés, à savoir non seulement les couples, mais aussi tous les citoyens. ■ Z - V O U S ✁ ! À découper ou à photocopier Tarifs 2001 Merci d’écrire nom et adresse en lettres majuscules ❏ Collectivité ................................................................................. à l’attention de .............................................................................. FRANCE / DOM-TOM / Europe ÉTRANGER (autre qu’Europe) ❐ 580 F collectivités (88,42 €) ❐ 700 F collectivités (127 $) Dr, M., Mme, Mlle ........................................................................... ❐ 460 F particuliers (70,12 €) ❐ 580 F particuliers (105 $) Prénom .......................................................................................... ❐ 290 F étudiants (44,21 €) ❐ 410 F étudiants (75 $) ❏ Particulier ou étudiant joindre la photocopie de la carte Pratique : ❏ hospitalière ❏ libérale ❏ autre............................... POUR RECEVOIR LA RELIURE ...................................................................................................... ❐ 70 F avec un abonnement ou un réabonnement (10,67 €, 13 $) ❐ 140 F par reliure supplémentaire (franco de port et d’emballage) (21,34 €, 26 $) MODE DE PAIEMENT Code postal ................................................................................... 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