L`autorisation et l`encadrement de la recherche sur l`embryon en

TRIBUNE
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La Lettre du Gynécologue - n° 262 - mai 2001
n médecine, jusqu’à 8 semaines à partir de la fécon-
dation, on parle d’embryon ; ce n’est qu’après cette
période de 8 semaines qu’il sera question de fœtus.
Le fœtus est considéré aujourd’hui comme sujet de soins du
fait des possibilités d’intervention in utero. L’embryon devient
lui aussi désormais accessible à l’intervention médicale, en
particulier par le diagnostic pré-implantatoire (DPI), qui per-
met de sélectionner, dans le cadre d’un programme de procréa-
tion médicalement assistée, des embryons “sains” en excluant,
pour l’implantation chez la femme, les embryons porteurs
d’une anomalie génétique grave.
En droit, ni l’embryon ni le fœtus ne sont considérés comme
une personne ; ils ne sont pas des sujets de droit. On ne devient
sujet de droit, c’est-à-dire titulaire de droits subjectifs, qu’à la
naissance, à la condition d’être né vivant et viable. Les lois de
bioéthique votées en France en 1994 ne dérogent pas à ces
principes et ont pris soin de ne pas donner de statut juridique à
l’embryon.
La demande de la communauté scientifique et médicale en
faveur de la recherche sur l’embryon est forte, relayée par des
associations concernées par certaines maladies génétiques. Par
ailleurs, les résultats des enquêtes chez les couples ayant béné-
ficié d’une fécondation in vitro et ayant des embryons surnu-
méraires montrent que 12 % des patients concernés souhaite-
raient en faire don à la recherche.
Pour les scientifiques, la recherche est tournée vers l’améliora-
tion des connaissances pour permettre à terme une améliora-
tion des soins. À ce titre, la recherche, partie intégrante de la
médecine, est légitime. Pour les médecins, l’embryon in vitro
est considéré comme un nouvel âge de la vie et tend à devenir
un être médical, avec sa physiologie, sa pathologie, accessible
au diagnostic ainsi qu’à la thérapeutique. La recherche permet-
trait aussi d’améliorer les techniques de procréation médicale-
ment assistée.
Elle autorise, par ailleurs, tous les rêves en matière de théra-
pies cellulaire et génique et faciliterait, par exemple, les tech-
niques actuellement utilisées dans la greffe de cellules neuro-
nales. Une équipe américaine a pu isoler, en 1998, et cultiver
des cellules embryonnaires humaines, les cellules souches ou
cellules ES (embryonic stem cells). L’étude de ces cellules per-
mettrait d’améliorer la réussite des fécondations in vitro,
d’explorer le mécanisme des cancers et, à terme, grâce aux
recherches sur la différenciation cellulaire, de créer des tissus
ou organes qui pourraient être utilisés comme greffes dans cer-
taines maladies.
Néanmoins, cette vision très “utilitariste” des embryons dans
le cadre de la recherche est remise en cause par le fait que des
cellules provenant de sujets adultes pourraient être utilisées
avec le même succès. En effet, en 1999, des travaux publiés
dans la revue Science ont mis en évidence que des cellules
souches adultes pouvaient se différencier vers d’autres types
cellulaires complètement différents et ouvrir également des
perspectives en termes de création de tissus ou d’organes.
Malgré ces résultats sur cellules adultes, la question de la
recherche sur l’embryon reste posée, car elle concerne tout le
champ d’amélioration des techniques d’assistance médicale à
la procréation (AMP) ; en outre, les cellules souches embryon-
naires seraient plus performantes pour la création de tissus que
les cellules adultes. Il y a donc incontestablement une pression
forte d’une partie du corps scientifique et des milieux indus-
triels en faveur de la recherche sur l’embryon.
Actuellement, une certaine incohérence entoure la pratique et
l’encadrement de la recherche sur l’embryon humain en
France. L’article L. 152-8 de la loi 94-654 de juillet 1994 pré-
cise à la fois :
– “La conception in vitro d’embryons humains à des fins
d’étude, de recherche ou d’expérimentation est interdite.”
– “Toute expérimentation sur l’embryon est interdite.”
“À titre exceptionnel, l’homme et la femme formant le couple
peuvent accepter que soient menées des études sur leurs
embryons.” “Ces études doivent avoir une finalité médicale et
ne peuvent porter atteinte à l’embryon.” “Elles ne peuvent être
entreprises qu’après avis conforme de la commission mention-
née à l’article L. 184-3 (CNMBR : Commission nationale de
médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic pré-
natal) dans des conditions définies par décret en Conseil d’État.”
Ce décret se rapportant aux études sur l’embryon a été publié
le 27 mai 1997. Il stipule :
“Art. R 152-8-1. Une étude sur des embryons humains in vitro
prévue à titre exceptionnel par l’article L. 152-8 ne peut être
L’autorisation et l’encadrement de la recherche
sur l’embryon en France seront-ils le fruit d’un réel
processus de débat social et démocratique ?
G. Moutel*
* Hôpital Necker, laboratoire d’éthique médicale et de santé publique, service
du Pr Hervé, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris.
E
entreprise que si elle poursuit l’une des finalités suivantes :
1) Présenter un avantage direct pour l’embryon concerné,
notamment en vue d’accroître les chances de réussite de son
implantation.
2) Contribuer à l’amélioration des techniques d’assistance
médicale à la procréation, notamment par le développement
des connaissances sur la physiologie et la pathologie de la
reproduction humaine.
Aucune étude ne peut être entreprise si elle a pour objet ou
risque d’avoir pour effet de modifier le patrimoine génétique
de l’embryon ou est susceptible d’altérer ses capacités de
développement.”
“Art. R 152-8-2. La réalisation d’une étude remplissant les
conditions mentionnées à l’article R 152-8-1 est soumise à
l’autorisation préalable du ministre de la Santé. Le ministre se
prononce après avis de la Commission nationale de médecine
et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal.”
À la lecture de ces textes, il apparaît que la loi interdit toute
expérimentation sur l’embryon, mais... que des études sur
l’embryon peuvent être autorisées : serait-ce un compromis
sémantique qui chercherait à satisfaire partisans et opposants à
la recherche sur l’embryon ? En pratique, la question de la
recherche sur l’embryon en France est suspendue à une pro-
chaine révision de ce texte de loi.
Quels embryons pourraient être concernés ? Il apparaît, à la
lecture du premier article du décret de juin 1997, que seuls les
embryons transférables ou congelables peuvent être l’objet
d’études. Il ne semble donc pas qu’un embryon dont on sait
qu’il ne sera jamais réimplanté puisse faire l’objet d’une
recherche. Ainsi, les embryons actuellement cryoconservés et
qui seraient donnés à la recherche par des couples ne pour-
raient pas faire l’objet d’études !
Pourtant, selon nos travaux, seuls les couples dont les
embryons ne s’inscrivent plus dans un projet parental acceptent
le principe d’une telle recherche (12 % de ces couples), du fait
même que ces embryons ne seront pas implantés. On peut
s’étonner du manque de cohérence du législateur sur un point
aussi fondamental et de la différence ontologique qui pourrait
ainsi être faite entre différents types d’embryons dès lors que
certains seraient réifiés et d’autres non.
La loi de 1994, complétée par le décret de 1997, n’a pas su
faire de choix clair entre l’interdiction et l’autorisation. Elle
paraît de fait totalement restrictive dans la permissivité des
études sur l’embryon humain, puisqu’elle n’autorise que les
études ne pouvant porter atteinte à l’embryon, ce qui semble
être en totale contradiction avec la notion même de recherche
et avec sa réalité pratique.
Par ailleurs, deux points méritent d’être soulignés pour com-
pléter les éléments du débat.
Tout d’abord, si, aujourd’hui, le champ de la recherche sur
l’embryon semble de fait interdit aux chercheurs, cela
n’empêche pas les équipes françaises d’exposer au public de
brillants et indiscutables résultats dans le domaine des dia-
gnostics pré-implantatoires (DPI), réalisés sur des embryons
sans qu’il ait été clairement débattu préalablement de la ques-
tion de savoir si ce DPI constitue ou non une forme de
recherche qui n’avouerait pas son nom. L’objectif médical du
DPI est louable ; il permet d’éviter des grossesses qui abouti-
raient soit à des fausses couches, soit à des ITG (interruption
thérapeutique de grossesse) ou à la naissance d’enfants por-
teurs d’un handicap très lourd. Néanmoins, ce DPI peut appa-
raître en soi comme un acte de recherche sur l’embryon, en
somme autorisé en France, alors que le concept de recheche
sur l’embryon n’y fait encore l’objet d’aucun consensus. Le
DPI, qui nécessite un prélèvement de cellules sur l’embryon,
constitue donc une exception de fait au cadre de la loi actuelle
(article L. 2131-4).
Par ailleurs, alors qu’il existe une loi en France qui encadre la
recherche biomédicale (dite “loi Huriet”, qui a fait ses preuves
depuis 1988 et qui impose le passage des protocoles de
recherche devant des comités régionaux totalement indépen-
dants, dont les membres sont nommés et renouvelés par le fait
du tirage au sort parmi des citoyens et des personnalités repré-
sentatives de la société civile, des courants de pensée et du
monde scientifique), il n’est fait nulle part mention de la possi-
bilité de recourir à ces comités. Ils sont pourtant représentatifs
de la société civile, indépendants du monde de la recherche, du
monde industriel et des influences politiques, ce que n’est pas
forcément la CNMBR (ou toute autre future agence nationale
qui pourrait être créée à sa place dans ce domaine). Pourquoi
choisirait-on le principe d’une agence ministérielle nationale
de régulation plutôt que celui de la loi Huriet et de ces comités
de protection indépendants qui encadrent déjà la recherche
biomédicale (au prix d’un léger aménagement de leurs compé-
tences) ? Cette question mérite également débat.
La révision du texte de loi de 1994 actuellement en cours de
discussion repose sur les avis des différentes instances consul-
tées. Le Comité consultatif national d’éthique (avis de juin
1998), le Conseil d’État (rapport de février 1999) et
l’Académie nationale de médecine (2000) envisagent de reve-
nir sur l’interdiction de fait de la recherche sur l’embryon et
proposent une autorisation sous conditions : recherche unique-
ment sur des embryons surnuméraires (pas de production
d’embryons à des fins de recherche), consentement des
couples concernés et absence de transfert des embryons, ce qui
revient à reconnaître implicitement l’absence de bénéfice pour
l’embryon. Les interdictions du clonage reproductif et de la
constitution d’embryons à seule fin de recherche sont rappe-
lées à diverses reprises dans ces travaux.
Le Premier ministre, Lionel Jospin, présentant son projet de
révision des lois de bioéthique en novembre 2000, a d’abord
annoncé l’autorisation de la recherche sur l’embryon et énoncé
le principe d’interdiction du clonage reproductif. Pourtant, plus
loin dans son intervention, il précise que les embryons surnu-
méraires actuellement congelés, ayant fait l’objet d’un aban-
don parental et dépourvus de couple d’accueil, “mais égale-
ment des embryons créés par transfert de cellules somatiques”
pourraient faire l’objet de recherches. Cela ne remet-il pas en
cause le principe de non-création d’embryons à des fins de
recherche et n’est-ce pas là une avancée implicite à plus ou
moins long terme vers le clonage (et quelle serait alors ici la
limite entre clonage thérapeutique et clonage reproductif) ? Si
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le texte de révision de la loi reste en l’état et reprend ces élé-
ments, on passerait de l’interdiction de la recherche à une auto-
risation implicite de la constitution d’embryons à des fins de
recherche. Il convient ici de souligner que, par voie de consé-
quence, si le principe de la recherche sur l’embryon avec pos-
sibilité de fabrication d’embryons est accepté (ce qui offre des
perspectives thérapeutiques réelles), la question de la produc-
tion industrielle à partir de tissus embryonnaires doit être
d’emblée présente à notre esprit et doit être débattue, car elle
repose en filigrane la question de la production d’embryons à
des fins industrielles et celle de la commercialisation des élé-
ments du corps humain, contraire à nos valeurs républicaines.
La question de la recherche sur l’embryon en France mériterait
aujourd’hui une remise à plat de tous ces enjeux. Le but en
serait de clarifier les procédures démocratiques qui permet-
traient, en cas d’autorisation de la recherche, d’assurer une
réelle prise en compte de principes éthiques (qui devront repo-
ser sur des procédures plus claires). Les principes concernés
sont ceux de transparence, d’indépendance des prises de déci-
sion, de respect de la dimension ontologique de l’embryon,
d’évaluation et de réel contrôle des pratiques et, enfin, de prise
en compte des concepts d’information et de consentement des
acteurs concernés, à savoir non seulement les couples, mais
aussi tous les citoyens.
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