Stopper la fertilité chez I’homme est un processus biologique complexe. par ROWAN SHIRKIE ans les pays en développement, la croissance démographique continueàexercerdespressions sur les ressources, ralentissant ainsi le développementeconomiqueetsocial. Et, bien que les études révèlent que plus de la moitié des femmes nubiles ne veulent plus d’enfants, les deux tiers d’entre-elles n’utilisent aucune méthode contraceptive. A la nécessité de freiner le taux de croissance de la population, s’ajoute aujourd’hui une demande croissante pourquelaresponsabilitéetlesinconvénients du contrôle des naissances soient étendus aux hommes. Les femmes assument tous les risques de la grossesse ainsi que le choix d’une contraception efficace et elles sont de roIus en D~USinsatisfaites de ce rôle. Pourtant, plus de 70 p. 100 des fonds affectés aux recherches sont encore consacrés a la mise au point de nouvelles methodes anticonceptionnelles pourlesfemmesetseulement6 p. 100 sont destinés a trouver des contraceptifs applicables aux hommes. Le reste est consacré a la découverte de technologies pouvant s’appliquer auxsystèmes de reproduction de l’homme et de la femme, comme par exemple les facteurs de libération d’hormones. Le manquedeconnaissances sur la biologiede lareproduction chezrhomme nuit a la mise au point de contraceptifs masculins. Stopper la fertilité chez l’homme est en outre un processus biologique plus complexe. Le sperme qu’il produitquotidiennementcontient jksqe’à un milliard de spermatozo’rdes et il est plus difficile de contrôler ou d’arrêter cette prolifération de cellules que d’intervenir dans le système de la femme pour régulariser une ovulation mensuelle qui ne libère qu’un seul ovule. En outre, les gènes contenus dans lesperme peuventêtre plus facile ment détruits, car toute méthode de contrôle doit être assez puissante pour être sûre a 100 p. 100 : la réduction de 80 a 90 p. 100 du sperme ne peut garantir la stérilité. Les trois méthodes actuellement adoptées en ce qui concerne la con24 traception chez l’homme sont d’arrêter la spermatogénèse, de bloquer le cheminement du liquide séminal au moment du rapport sexuel, ou d’en altérer la qualité ou la composition biochimique.Toutes les méthodes dites populaires actuellement en usage, lavasectomie, le condom ou le retrait avant I’éjaculation,sefondentsurleprincipe selon lequel il faut empêcher le sperme de progresser jusqu’au lieu même de la fécondation, la trompe de Fallope. Larecherchesurles procédésapplitables a l’homme vise a mettre au point une méthode efficace, réversible, facile a utiliser, qui n’entrave ni la libido ni l’acte sexuel et ne comporte aucun effet secondairedangereux Dans le cas des pays en développement, deux caractéristiques supplémentaires sont essentielles : la méthode doit être peu coûteuse et sa diffusion doit être facile. LE PASSÉ Le retrait avant l’éjaculation est le procédé de contraception probablement le plus ancien. Cependant c’est aussilemoinssûr.L’usageducondom pour la prévention de la grossesse ou pour la protection contre les maladies vénériennes s’est développé à la suite des échecs de la méthode du retrait, mais son efficacité dépend d’une bonne synchronisation et il faut bien connaître la méthode d’utilisation. La vasectomie, résection des canaux déférents qui acheminent le sperme des testicules au pénis, est devenue, dans plusieurs pays, une méthode contraceptive largement utilisée dans les programmes de régulation des naissances. En un sens, la stérilisation est un dernier recours, puisque le processus est irréversible et qu’il semblerait que les hommes, et les femmes, préféreraient exercer un choix sur le moment des naissances plutôt que sur la décisiond’avoirdesenfants. Le CRDI subventionne actuellement une recherche sur le lien possible entre la vasectomie et les maladies artérielles. La vasectomie ne stoppe pas la production du sperme, mais étant donné que la décharge normale est bloquée, de nouveaux mécanismes doivent entrer en jeu pour l’évacuer. Une certaine quantité de sperme traverse la barrière sanguine des testicules pour pénétrer dans le système sanguin où il provoque la production d’anticorps qui s’opposent a cette invasion de spermatozoïdes (étant donné que le sperme n’est pas present normalement dans les tissus du corps, il est traité comme une substance étrangère). Des études effectuées sur des animaux ont démontré que la constitution de complexes d’anticorps endommageait les parois artérielles et accélérait le durcissement et l’épaississe ment habituellement associés a l’âge et aux maladies des artères coronaires. La recherche subventionnée par le CRDItenteradedéterminersi les mêmes effets se produisent chez les hommes qui ont subi la vasectomie. Larecherches’intéressemaintenant a la mise au point d’une “pilule pour l’homme”, soit un produit contraceptif simple, qu’il pourra s’administrer et dont les effets seront réversibles. Comme dans le cas de la production de l’ovule chez la femme, la production des spermatozoïdes chez l’homme est réglee par des hormones; la recherche se concentre sur la régularisation des niveauxd’hormonesafindeprovoquer la stérilité en inhibant la spermatoge nèse. ChezI’hommecommechezlafemme, une hormone produite dans la région de I’hypothalamus située a la base du cerveau semble être le centre de contrôle des fonctions de reproduction. Le facteur libérant l’hormone lutéinisante (le LHF)doit son nom à sa fonction : il régularise la oroduction et la libération dës hormones pituitaires, l’hormone lutéinisante(la~ti)et I’hormonefolliculo stimulante (la F?A) appelées gonadostimulines.ChezI’homme,leseffetsles plus importants des gonadostimulines se situent au niveau des testicules: l’hormone lutéinisante amène les cellulesde Leydigàproduirelatestosterone et les autres stéro’ides qui stimulent la libido et déterminent l’apparition des caractères sexuels mâles secondaires, tels que la voix grave, le développe ment des muscles, etc. ; la FSHstimule les cellules de Sertoli dans les tubes séminifères pelotonnés, préposés a la production des spermatozoides. La recherche sur les contraceptifs masculins porte, entre autres, sur la reproduction de l’action de la pilule anOVulantequi contient desstéroïdes. L’administration d’hormones mâles ou d’analogues d’hormones synthétiques agit sur le cerveau et sur l’hypophyse Photo page pré&dente : L’usage du con- pour diminuer le niveau d’hormones dom, ici en vente en Thaïlande, connan UR gonadotropes et inhiber la spermatoregain de popularité. A droite : Au Chili /a génèse. En realité, un faux signal est recherche se penche sur /a mise au point donné selon lequel les testicules prod’un vaccin contraceptif à base d’enzymes. duisent un surplusdespermeetd’hor- mones et les contrôles naturels qui déclenchent l’arrêt de la production du sperme entrent en action. On a démontré que l’administration directe de la testostérone, l’hormone sexuelle mâle, réduisait considerable ment la production de sperme a cause du mécanisme de réaction sur I’hypophyse. Mais des effets secondaires, tels que l’augmentation du poids, l’acné, le développement des seins et une libido plus faible, s’opposent a son utilisation. Comme la testostérone est inactive lorsqu’elle est administrée par voie orale, il faut l’injecterrégulièrement par doses, ce qui signifie que le régime n’est valable que dans le cas «d’un sujettrèsmotivé»,ainsiquelesouligne le Dr Keith Smith de la Faculté de médecine de I’UniversitéduTexas. Smith, dans son rapport sur les premiers essais cliniques importants de la testostérone, ajoutait: «Je ne pense pas que je pourrais suivre ce programme moimême et m’administrer une injection dans les fesses tous les dix jours.» L’utilisation d’autres stéroïdes pour supprimer la production de sperme, avec de plus petites doses de testosté rone pour conserver la libido et les caractères physiques mâles secondaires, a donné jusqu’à présent des résultats mixtes. La méthode n’a pas toujours réussi à suffisament supprimer la spermatogénèse. Les chercheurs s’inquietent sérieuse ment des détériorations genétiques que pourraient causer ces produits chimiques. Le sperme est continuellement produit à partir de cellules contenues dans les testicules. Si l’un des éléments génétiques des cellules est déténoré, ce caractère pourraêtre transm!s aux enfants et donner des foetus malformés. La recherche de produits contraceptifs autres que les ktéro’ides a de nobveau orienté les chercheurs vers des travaux sur le cerveau. Bien que le IHRF du contrôle central soit actif du point devue hormonal, il possède une structure chimique différente de celle des stéroides. C’est une chaîne d’acides aminés liés ayant la même structure moléculaire de base qu’une protéine, un polypeptide. On sait que les peptidesontdeslieuxd’actionplusspécialisés et plus spécifiques dans l’organisme et qu’ils ont une durée de vie moins longue que les stéro’rdes. La découverte et l’élaboration de la structureduiHwontvaluauxchercheursle prix Nobel de médecine en 1977. Mais le LHRFest naturellement trop faible pour être utilisé comme contraceptif. La découverte de sa structure a permis de réaliser la synthèse d’analogues, des substances ayant des caractéristiques semblables, dont on pouvait renforcer les propriétés intéressantes. On a étudié une variété d’analogues : lesagonistesqui imitent le LHw naturel, les antagonistes qui bloquent son action, et les agonistes sélectifs qui ne reproduisent que certaines fonctions du IHRF. On a ainsi créé environ 1 000 analogues. Les expériences les plus poussées ont portésur un superabonkte dont la puissanceestàpeuprès144foiscelle du IHRF, pour augmenter la production des hormones gonadotropes. Mais paradoxalement, au lieu d’accélérer la production d’hormones, le superagoniste paralyse les fonctions de reproduction en surexcitant l’hypophyse et en épuisant sa capacité à répondre de nouveauetà produirelaw et lawi en auantité suffisante oourassurerla oroduction de sperme. Selon le D’ David Rabin, qui a dirigé l’étude surce superagoniste à l’un,iversité Vanderbilt. a Nashville, aux E:U., la production de sperme avait baissé de 75 à 100 p. 100 et cette baisse s’accompagnait d’une certaine réduction de la mobilité. Tous les sujets sont redevenus féconds 10 à 14 semaines après l’arrêt du traitement. «Je crois que c’est la première fois qu’on réussit & interrompre la spermatogénèse chez des hommes normaux, et ce processus est parfaitement réversible»,dedirele D’ Rabin. Ilasouligné, cependant, que chezcertains sujets le régime des injections journalières a réduit le niveau de testostérone et a produit des effets secondaires tels que l’impuissance, une libido affaiblie et des”bouff8es de chaleur”, c’est-à-dire des augmentations momentanées de la température du corps. Efficace, réversible et fiable, le IHRF synthétique se révèle un produt contraceptif prometteur pour l’homme. II reste 26 à éliminer ses effets secondaires fâcheux, mais inoffensifs, et a mettre au point un procédé plus pratique que celui des injections journalières. LE GOSSYPOL II semble que les chercheurs qui sont presque parvenus à créer une pilule pour l’homme soient ceux qui travaiIlentactuellementsurlegossypol dans la République populairede Chine; il s’agit d’un composé que l’on trouve dans les graines, la tige et les racines du cotonnier. Uneétudesurle hauttauxdestérilité dansuneprovincechinoiselesafinale ment conduits à relier ce fait à I’utilisation d’huile de coton crue dans la cwson. Le gossypol a été identifié comme l’agent actif. Les essais cliniques d’une pilule de gossypol ont débuté en 1972 et 10 000 hommes environ y ont participé. Selon la revue médicale chinoise, l’expérience a réussi 2 99.89 p. 100 et les effets secondaires ont kté “bénins et très rares”. IIsembleenoutrequeleqossvpol soit un spermicide extrêmement efficace et certaines recherches sont maintenant en cours surses propriétés antiviralesdans letraitementde I’herpès génital. Apparemment, le gossypol agit comme inhibiteur d’une enzyme qui est vitale pour le métabolismédu sperme et des cellules qui génèrent le sperme. Comme il n’agit pas au niveau des hormones sexuelles et qu’il n’abaisse pas la libido, on est à peu près sûr que le gossypol pourrait bien être, parmi les nouveaux contraceptifs applicables à l’homme, le premier qui soit largement accepté. Mais tout en inhibant les enzymes du sperme, le gossypol paralyse aussi d’autres activités enzymatiques dans l’organisme, par exemple celles qui conduisent à la détoxication de composés organiques dont certains sont liés au cancer. Il reste encore beaucoup derecherchesàfairedanscedomaine. Les spermatozo’ides contenus dans les testicules n’étant pas parvenus à leur état de maturation, ils sont incapables de fécondation ou de mouvement. Ils acquièrent ces capacités au moment où ils se développent dans l’épididyme, formé par le pelotonnement du canal épididymaire qui se trouve immédiatement à I’extrémité postérieure des testicules. On sait peu de chosesausujetdeschangements biochimiques qui se produisent au moment où ils passent à travers I’épididyme, sauf quecertains produitschimiques, dont le gossypol, peuvent interrompre ou inhiber le processus de maturation. En Thailande, des chercheurs tententactuellement,grâceàunesubvention ducf?oI,dedéterminerlesprocessus biochimiques qui entrent en jeu au moment de la maturation du sperme. II se pourrait que les travauxdu Dr Montri Chulavatnol et de ses collègues, du département de biochimie de l’université Mahidol, ouvrent la voie à des techniques sophistiquées pour adap- ter le processus à la contraception. Le Dr Chulavatnol étudie le mécanisme qui permet au sperme de convertir l’énergiechimiqueaccumuléedans la substance cellulaire et de latransmettre etdeI’utilisercommeénergie mécanique, en fournissant de I’éneraie au flaaelle ou à la queue du spermkozo.cdeÏorsqu’il s’acheminevers l’ovuleaprès I’éjacw lation. Si l’on pouvait empêcher la formation du composé qui est la source d’énergie ou si i’on parvenait à empêcher son utilisation, une fois qu’il est formé, on aurait sans doute là la clé d’un procédé de contraception applicable à l’homme, sans risques sérieux de détériorations génétiques ou d’effets secondaires plus généralisés dans l’organisme. D’autrestravawégalementsubventionnés par le cw, portent sur une approche dont l’objectif est encore plus précis; il s’agit de prévenir la fécondation au moment où le spermatozo.rde rencontre l’ovule. On étudie deux enzymes qui favorisent la pénétration du spermatozoïde à travers les enveloppes qui entourent l’ovule. L’hyaluronidase permet au spermatozo’rde de traverser le cumulus, une enveloppe externe, et I’acrosine est nécessaire pour pénétrer la zona pellucida, l’enveloppe interne. Le D’ Horacio Croxatto. du Centra National de/aFami/iadeSantiago,auChili,etle Dr John Elce, du Département de biochimiedeI’universitéOueen’s,&Kmgston, au Canada, effectuent actuellement des travaux qui pourraient peutêtre conduire à la découverte d’un vaccin contraceptif pour l’homme. Les docteurs Croxatto et Elce pensent que si ces deux enzymes particulières, I’hyalurinidase et I’acrosine, pouvaient être isolées et suffisamment purifiées, on pourrait peut-être alors les utiliserpourprovoqueruneréaction immunitaire spécifique contre elles. Une fois cette réaction obtenue, il serait alors possible d’isoler les anticorps spécifiques de I’hyaluronidase et de l’acrosine, de les purifier et de les fabriquer sous la forme d’un vaccin. La méthode des vaccins est d’une élégante simplicité : le spermatozo’ide ne pourrait plus pénétrer l’ovule et l’effet secondaireserait lastérilité. Mais l’un des principaux avantages du vaccin peutaussi bienêtre un inconvénient. Comme dans le cas de tous les vaccins, peut-être ne faudrait-il qu’une injection, ou une injection suivie de doses de rappels après quelques années pour assurer la stérilité. Ayant déclenché les défenses de l’organisme contre le sperme, comment supprimerde nouveau lesanticorps lorsqu’un sujetvacciné désire avoir des enfants? II faut pourparveniramettreau point une technologie efficace, réversible, fiableetpeucoûteusequelarecherche se poursuive sur les nombreuses questions qui se posent toujours concernant la contraception. Sans une telle technologie, qui serait largement accep tée par les hommes, la possibilité de régulariserlacroissancedémographi0 que reste encore lointaine.