s’engendra de lui-même. Les sensations de sa jeunesse, les
observations qu’une puissance importune lui faisait faire,
trouvèrent des points d’appui dans les moindres événe-
ments. Bien plus, cette masse d’idées s’harmonia, s’anima,
se personnifia presque et marcha dans les pays fantastiques
où l’âme aime à laisser vagabonder ses folles progénitures.
À travers les préoccupations du monde et de la vie, il y
avait toujours en l’auteur une voix qui lui faisait les révé-
lations les plus moqueuses au moment même où il exami-
nait avec le plus de plaisir une femme dansant, souriant ou
causant. De même que Méphistophélès montre du doigt à
Faust dans l’épouvantable assemblée du Broken de sinistres
figures, de même l’auteur sentait un démon qui, au sein
d’un bal, venait lui frapper familièrement sur l’épaule et lui
dire : — Vois-tu, ce sourire enchanteur ? c’est un sourire de
haine. Tantôt le démon se pavanait comme un capitan des
anciennes comédies de Hardy. Il secouait la pourpre d’un
manteau brodé et s’efforçait de remettre à neuf les vieux
clinquants et les oripeaux de la gloire. Tantôt il poussait,
à la manière de Rabelais, un rire large et franc, et traçait
sur la muraille d’une rue un mot qui pouvait servir de pen-
dant à celui de : — Trinque ! seul oracle obtenu de la dive
bouteille. Souvent ce Trilby littéraire se laissait voir assis
sur des monceaux de livres ; et, de ses doigts crochus, il in-
diquait malicieusement deux volumes jaunes, dont le titre
flamboyait aux regards. Puis, quand il voyait l’auteur atten-
tif, il épelait d’une voix aussi agaçante que les sons d’un har-
monica : —PHYSIOLOGIE DU MARIAGE ! Mais presque tou-
jours, il apparaissait, le soir, au moment des songes. Cares-
sant comme une fée, il essayait d’apprivoiser par de douces
paroles l’âme qu’il s’était soumise. Aussi railleur que sédui-
sant, aussi souple qu’une femme, aussi cruel qu’un tigre,
son amitié était plus redoutable que sa haine ; car il ne sa-
vait pas faire une caresse sans égratigner. Une nuit entre
autres, il essaya la puissance de tous ses sortiléges et les cou-