Tunisie / Femme / Charia / Printemps arabe Printemps arabe : Un enjeu primordial pour les femmes (MFI / 27.03.12) Dans cette interview à l’agence MFI, la Tunisienne Souhayr Belhassen, élue en 2007 à la tête de la Fédération internationale des droits de l'homme, met en garde contre les dangers qui menacent les femmes au lendemain du Printemps arabe. Née en 1943 à Gabès, cette journaliste et combattante nous parle des partisans de la loi islamique, la charia, qui marquent des points. Et leur oppose une autre « boussole » : la Déclaration universelle des droits de l’homme. RFI : Quel a été, selon vous, le rôle des femmes dans ce Printemps arabe ? Souhayr Belhassen : La découverte, c’est que cela a perturbé l’image qu’on avait des femmes dans le monde arabe : un monde plutôt d’enfermement. Aujourd’hui, cette image a été sérieusement mise à mal. On a vu les femmes, qu’elles soient voilées ou pas, en grand nombre dans les rues des capitales arabes durant ces révolutions ou ces révoltes. Elles étaient non seulement nombreuses, des fois parquées séparément des hommes, mais extrêmement présentes. C’est une image forte et généralisée. Dans tous les pays arabes qui se sont révoltés, on a vu les femmes. Elles ont été d’abord dans la rue et elles s’attendent à en recueillir le fruit. Si on prend l’exemple de la Tunisie, du Maroc et de l’Algérie, leur combat est un enjeu capital, entre ceux qui prônent un retour en arrière pour les femmes à travers la charia et les autres qui veulent développer les acquis des processus de modernisation entamés depuis le 19e siècle en Egypte ou en Tunisie, et qui ont été accompagnés de changements de la société et de l’apparition de classes moyennes. RFI : Pourquoi la Tunisie a-t-elle donné l’exemple ? S. B. : Depuis l’époque Bourguiba, en Tunisie, le statut des femmes a été l’un des plus avancés [après celui de la Turquie, ndlr]. Il abolit la polygamie, la répudiation et favorise, comme dans d’autres pays, des progrès par la justice et l’enseignement. Il y a eu l’installation de classes moyennes éduquées et la constitution de syndicats ouvriers. Ce n’est donc pas par hasard que la première révolution dans le monde arabe soit déclenchée en Tunisie, c’était presque programmé quelque part. Dans ce monde modernisé et contrasté où on veut idéologiser l’Islam à travers la charia, la possibilité de jouir de tous les droits fondamentaux ne peut faire l’objet d’une quelconque négociation. RFI : Comment vous situez-vous par rapport à la charia ? S. B. : Concernant la charia, la boussole doit être la Déclaration universelle des droits de l’homme. On accepte dans ce cas l’égalité entre les sexes, l’abolition de la peine de mort, l’égalité en héritage. Adaptez la charia tant que vous voulez mais elle n’est pas le Coran : c’est une interprétation faite essentiellement par les hommes et pour les hommes. Dans ce cadre, pourquoi ne pas se référer à la déclaration des droits de l’homme et interpréter la charia de façon progressive. A ceux qui évoquent le cas de la Turquie et de l’Islam modéré, je leur dis que c’est un cas particulier avec un siècle de constitution laïque et une armée qui veille à l’intégration de la laïcité. RFI : Est-ce différent en Tunisie ? S. B. : En Tunisie où les élections se sont déroulées dans la transparence, nous coexistons avec la mouvance islamiste d’Ennhada et nous sommes prêtes à descendre dans la rue pour défendre les résultats des élections. Il s’agit d’une lutte politique car nous ne sommes pas dans les années 1980 avec l’Iran et le FIS en Algérie. Il faut aussi noter que l’Union générale des étudiants a pris le pas en Tunisie sur les étudiants islamistes. Dans une région arabe bouleversée, la Tunisie est un laboratoire qui est très important, à la recherche d’une alchimie entre des forces régressives et des forces qui apprennent tous les jours à protéger les acquis car si les élites se sont développées, elles traînent encore sur le plan politique. RFI : Qu’en est-il dans les autres pays du Printemps arabe ? S. B. : Les situations sont différentes entre les pays du Maghreb et ceux du Golfe. En Libye, il faut se souvenir que c’est avant tout un pays musulman qui pratique l’Islam. Dans les pays du Golfe, à part l’Arabie saoudite où c’est le trou noir, il existe des communautés ouvertes. Mais au Yémen, par exemple, les femmes n’accèdent pas au Parlement. En Tunisie, par contre, il y a 49 femmes élues au Parlement sur 217, dont 9 n’appartiennent pas à la mouvance islamiste. En Egypte, enfin, des militaires ont remplacé d’autres militaires. Les révolutions arabes ne sont donc pas les mêmes. Il y a eu un moment commun puis on a parlé de forces régressives et on semble oublier ce qui s’est passé en 2011. On ne parle plus de Printemps arabe y compris dans la campagne présidentielle française mais d’immigration, de terrorisme et d’insécurité. Propos recueillis par Marie Joannidis