24 heures avec L’élimination d’une tumeur par hyperthermie (chauffage) est aujourd’hui une méthode couramment employée. À l’université Bordeaux 2, l’équipe de Chrit Moonen innove en contrôlant cette opération grâce à l’imagerie par résonance magnétique (IRM) qui permet de visualiser le contour précis et la température exacte de la zone à traiter. otre projet consiste à détruire la tumeur à l’intérieur du corps en élevant sa température au-dessus de 50 °C pendant quelques minutes, sous contrôle de l’IRM. Comparée à l’échographie actuellement utilisée, l’imagerie par résonance magnétique offre deux avantages : elle fournit des informations sur la température de la tumeur et permet une précision de ciblage supérieure au millimètre. Les méthodes thermiques sont moins traumatisantes que la chirurgie. Elles sont comparables à la radiothérapie, sans le risque des rayonnements ionisants sur les tissus voisins. » «N Chrit Moonen, directeur du Laboratoire imagerie moléculaire et fonctionnelle (CNRS, UMR 5543, Inserm ERT IMF), sait expliquer en peu de mots ce projet soutenu par la Ligue contre le cancer et laisse volontiers ses étudiants poursuivre son propos, avec la même simplicité – une caractéristique de son laboratoire. Au détour de la conversation, on apprend que Chrit Moonen, chercheur d’origine néerlandaise, a présidé en 2005l’International Society of Magnetic Resonance in Medicine et a travaillé dans plusieurs laboratoires et universités des États-Unis, de Suisse et de Grande-Bretagne avant de s’installer à Bordeaux. VOIR L’INVISIBLE POUR A L’équipe de Chrit Moonen de l’université Bordeaux 2 au grand complet. 32 _VIVRE_DÉCEMBRE 2005 A L’IRM permet une précision de ciblage de la tumeur supérieure au millimètre. A Les compétences sont variées au sein de l’équipe qui comprend des biologistes, des physiciens, des informaticiens et des physiologistes. A Associer recherche fondamentale et recherche clinique permet d’obtenir des résultats plus rapidement. MIEUX SOIGNER DEUX MÉTHODES D’HYPERTHERMIE (CHAUFFAGE) : ULTRASONS ET RADIOFRÉQUENCES La première méthode utilise des ultrasons d’une fréquence de 1 mégahertz, dirigés vers la zone à traiter par une sorte de parabole de la taille d’une assiette. Charles Mougenot, qui termine sa thèse de physique au laboratoire sur cet appareil, explique : « Comme avec une loupe, nous concentrons les ultrasons sur un point focal, dont la température augmente, et ceci sans aucune intrusion dans le corps. Comme l’organe à traiter bouge à chaque respiration, l’IRM réoriente l’outil automatiquement. » Autre méthode de chauffage : les radiofréquences. Elles consistent à glisser une aiguille dans la tumeur et à appliquer un courant alternatif entre cette aiguille et une seconde aiguille ou une plaque de métal placée sur la cuisse qui joue le rôle de prise de terre. Les mouvements des ions provoquent une élévation de la température. Ces deux méthodes se pratiquent déjà sous contrôle échographique. L’objectif de l’équipe de Chrit Moonen est de remplacer Chrit Moonen, au premier plan, d’origine néerlandaise, a travaillé dans plusieurs laboratoires à travers le monde avant de s’installer à Bordeaux. l’échographie par l’imagerie par résonance magnétique, qui permet d’optimiser les protocoles d’hyperthermie locale, et par conséquent d’améliorer les résultats cliniques. VIVRE_DÉCEMBRE 2005_ 33 24 heures avec Reportage 6 patients ont été traités par radiofréquence depuis novembre 2004 A Le logiciel d’origine de l’IRM a été modifié pour établir, en plus du contour de la tumeur, la carte des températures des tissus en temps réel. Réunir toutes les compétences Le concept est clair mais sa mise en œuvre complexe. Travailler avec l’aimant d’une IRM (cette force invisible qui vous arrache des mains tout objet ferreux, qui démagnétise les téléphones portables et les cartes bancaires) exige d’adapter outils et méthodes. Outre le contour de la tumeur fourni par l’IRM, le logiciel d’origine a été modifié pour établir la carte des températures des tissus, en temps réel, toutes les deux ou trois secondes. Pratiquée en concertation étroite avec des médecins, cette recherche exige le rassemblement de compétences variées, celles de physiciens, d’informaticiens, de biologistes et de physiologistes. Le professeur Chrit Moonen confie : « Le problème de toute équipe pluridisciplinaire, c’est l’absence 34 _VIVRE_DÉCEMBRE 2005 POURQUOI CRÉER DES SOURIS LUMINESCENTES ET FLUORESCENTES ? L’objectif de cette manipulation génétique pourrait sembler farfelu. Il ne faut pas s’imaginer ces souris, génétiquement modifiées, briller dans l’obscurité. Seul un capteur très sensible détecte leur luminosité. Comme l’explique Claire Rome, chercheuse en biologie moléculaire et en pharmacologie : « Les souris luminescentes obtenues par transgenèse dégagent de la lumière lorsqu’on élève leur température de quelques degrés. Il est donc possible de visualiser avec une caméra très sensible l’effet des thérapies thermiques appliquées sur leurs organes. » Concrètement, le gène qui donne le caractère lumineux est multiplié dans des cultures de bactéries, puis injecté dans un œuf de souris ; la gestation se déroule dans l’utérus de la mère porteuse. Franck Couillaud, chercheur en biologie moléculaire, souhaite perfectionner l’animal : « Nous voulons créer une souris qui serait à la fois luminescente et fluorescente, avec laquelle nous espérons obtenir une image en trois dimensions. » Les données précises (localisation et degré de chaleur atteint par la tumeur) sont nécessaires pour mieux circonscrire et détruire les cellules cancéreuses. A Toutes les données issues de l’IRM sont ensuite traitées et observées sur ordinateur. A La Ligue contre le cancer a participé au fonctionnement de l’animalerie où vivent les 4 500 souris nécessaires aux expérimentations. A Le laboratoire vit au rythme de la multiplication des cultures de cellules humaines tumorales ou saines et des bactéries Escherichia coli porteuses de gênes à introduire dans les animaux. d’un langage commun. Un effort particulier est donc nécessaire pour bien communiquer. Médecins ou radiologues doivent expliquer exactement ce qu’ils veulent faire, physiciens et informaticiens doivent traduire leurs problèmes en langage clair. C’est pourquoi nous organisons des réunions chaque mardi, de 17 h à 19 h, dans un esprit très peu formel. » Une méthode appliquée début 2006 Associer la recherche fondamentale et la recherche clinique permet d’obtenir des résultats plus rapidement. Ainsi, deux méthodes de chauffage : les ultrasons focalisés et les radiofréquences (voir encadré p. 33), sous contrôle IRM, ont été testés sur des souris, des rats, des lapins puis sur des porcs. Des souris génétiquement modifiées ont UNE ÉQUIPE PLURIDISCIPLINAIRE « Pour nous, il est très important d’associer la recherche fondamentale et la recherche clinique dans une même équipe. » Chrit Moonen réunit autour de lui une vingtaine de chercheurs, ingénieurs et doctorants. Plusieurs médecins et chefs de service du CHU, comme Jean Palussière, Nicolas Grenier ou Hervé Trillaud, les rejoignent une ou deux demi-journées par semaine. été créées pour visualiser facilement l’effet de ces méthodes de chauffage (voir encadré p. 34). Six patients ont été traités par radiofréquence depuis novembre 2004 pour une tumeur au foie, une seule récidive est apparue. Le CCPPRB (Comité consultatif de protection des personnes dans la recherche) et le ministère de la Santé viennent de donner leur accord pour l’utilisation des ultrasons focalisés pour traiter les tumeurs du sein. « L’application commencera début 2006, dès que les radiologues se sentiront à l’aise avec cette technique », annonce Chrit Moonen. Le laboratoire développe d’autres méthodes de thérapies localisées, sans ablation, toujours visualisées par IRM. Une compétence désormais reconnue dans le monde entier. PIERRICK BOURGAULT VIVRE_DÉCEMBRE 2005_ 35 EnBreF O rg a n i s m e Réponse immunitaire forcée L’une des forces de la cellule cancéreuse est sa grande capacité à échapper au système immunitaire. En particulier, elle passe pour normale aux yeux des cellules dendritiques, dont le rôle est précisément d’initier la réponse immunitaire en repérant puis en « présentant » les TUMEURS CANCÉREUSES GROSSIES 7 500 FOIS antigènes (molécules reconnues comme étrangères) à d’autres cellules du système immunitaire. Pourtant, une équipe de chercheurs de l’université de Pittsburgh* a réussi, chez la souris, à « forcer la main » de cellules dendritiques au contact de cellules d’un mélanome ANTIGÈNE c’est une molécule reconnue comme étrangère (B16), en les « provoquant » à l’aide de fragments de bactéries et virus non pathogènes. Une réponse a été observée. Des lymphocytes T se sont attaqués à la tumeur, laquelle a régressé. Ces travaux pourraient déboucher sur un nouveau type d’immunothérapie. *Cancer Research 65, pp. 10 05910 067, 1er novembre 2005. New - Yo r k Un nid accueille la métastase Une équipe de l’université de Cornell* a découvert, chez la souris, un mécanisme fondamental dans la dissémination des métastases. Elle a montré que les cellules tumorales mobilisent tout d’abord des cellules de la moelle osseuse et contrôlent leur migration vers des sites où ces cellules de la moelle osseuse préparent le terrain pour les métastases à venir. Ce mécanisme est contrôlé par des signaux chimiques émis par les cellules tumorales. De nouvelles techniques de lutte contre les métastases pourraient consister à perturber ces mécanismes. *Nature 438, pp. 820-827, 8 décembre 2005. « At l a s g é n o m i q u e » Plus de 200 cancers SÉQUENÇAGE DU GÉNOME HUMAIN. 36 _VIVRE_DÉCEMBRE 2005 Aux États-Unis, le National Cancer Institute et le National Human Genome Research Institute ont lancé en décembre 2005 le projet « Atlas génomique du cancer », dont le coût final pourrait dépasser le milliard de dollars. L’objectif est très ambitieux : décrypter et cataloguer l’ensemble des anomalies génétiques qui provoquent les cancers. Or on dénombre aujourd’hui plus de 200 cancers distincts. Les techniques de séquençage rapide qui ont permis en 2003 de décrypter le génome humain seront mises à contribution sur des milliers d’échantillons de tissus cancéreux et sains. Dans un premier temps, un projet pilote, doté de 100 millions de dollars (83 millions d’euros) sur trois ans, aura pour objectif de tester des méthodes de travail sur un petit nombre de tumeurs. VIVRE_JUIN 2005_ 37