éclairages | 15 0123 SAMEDI 16 MAI 2015 Migrants | par sergueï Fusillés célèbres et anonymes sous l’Occupation LIVRE DU JOUR marc­olivier bherer D es libérateurs ? La libération par l’armée du crime ! », clamait l’« affiche rouge » placar­ dée par l’occupant allemand et le régime de Vichy pour dénoncer la Résistance. Les pho­ tos de dix des vingt­trois membres du réseau Francs­ti­ reurs et partisans de la Main­d’œuvre immigrée (FTP­ MOI) arrêtés en 1943 puis exécutés en 1944 y figurent. Juive d’origine roumaine, Olga Bancic est la seule femme du groupe dirigé par Missak Manouchian et n’apparaît pas sur l’affiche. Le destin de cette jeune femme, tuée le jour de son tren­ te­deuxième anniversaire, est raconté dans le diction­ naire biographique Les Fusillés (1940­1944), qui rassem­ ble 4 425 fusillés, guillotinés, suicidés pour échapper à l’exécution, ou morts sous la torture pendant l’Occupa­ tion en France et en Alsace­Lorraine, alors annexée par l’Allemagne. Plus de cent auteurs, sous la direction des historiens Claude Pennetier, Jean­Pierre Besse, Thomas Pouty et Delphine Leneveu, ont contribué à cette somme impressionnante. Sans prétendre à l’exhaustivité, les auteurs souhaitent que leur ouvrage encourage les re­ cherches pour mieux faire connaître ceux qui perdirent leur vie aux mains de l’occupant. RECOMPOSER LA MÉMOIRE POLITIQUE | CHRONIQUE par f r ançoi se f re ss oz La raison contre la peur E trange quinquennat qui néglige cette donnée essentielle qu’est la pédagogie ! Il aura fallu que se coagule une dangereuse coalition de mécontents, venus des rangs de la droite, mais aussi un peu de ceux de la gauche, de cinq syndicats, mais aussi d’intellectuels qui ne sont pas tous des « pseudo », pour que Fran­ çois Hollande sonne la mobilisation autour de la réforme du collège et prenne la défense de la ministre de l’éducation nationale, Najat Vallaud­ Belkacem, devenue la cible de critiques peu ra­ goûtantes. Assiégée, la gauche redécouvre que l’éduca­ tion a toujours fait partie de ses grandes ba­ tailles et que celle­ci est d’autant plus impor­ tante à mener qu’elle rejoint l’objectif prioritaire que s’était fixé le candidat Hollande pendant la campagne : la jeunesse. Que la bataille soit per­ due, et ce sera l’échec personnel du président. Le gouvernement le comprend, il est prêt à se battre, à faire front, à ériger camp contre camp la grande bataille éducative. Mais quel retard à l’al­ lumage ! Quel défaut de pédagogie pour vendre cette réforme cathédrale qui prétend faire bou­ ger tous les paramètres en même temps : le mode de fonctionnement du collège, les prati­ ques éducatives, les programmes, et ce en un temps record, puisque tout doit être opération­ nel à la rentrée 2016. FANTASMES DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE Le « mammouth » avait bien travaillé, tout était prêt, mais il manquait le sens général et, entre­ temps, toutes les peurs, tous les fantasmes qui taraudent la société française se sont incrustés, révélateurs spectaculaires de la crise d’identité et de la peur du déclassement qui rongent le pays : l’élite républicaine a manifesté son refus d’être sacrifiée sur l’autel de la massification, les classes moyennes ont dit leur crainte d’être ti­ rées vers le bas. Et comment leur en tenir rigueur, vu l’état ac­ tuel du collège, qui non seulement fabrique des inégalités, mais conduit l’ensemble du système à l’échec ? Simplement, il aurait fallu prendre la peine d’expliquer en quoi l’autonomie accrue des établissements et le suivi personnalisé des élèves peuvent être l’occasion de changer la donne. Là­dessus se greffent d’autres peurs bien plus difficiles à combattre, car elles touchent à l’im­ migration, rejoignent le fantasme du « grand remplacement », se nourrissent de la crainte de l’islam, complaisamment agitée par le FN et re­ layée par l’UMP. Si on met les critiques bout à bout, tout serait conçu pour que l’enseignement de l’islam détrône celui de la chrétienté, que le latin et le grec deviennent des langues vraiment mortes, que l’allemand disparaisse. Et, comme par hasard, cette opération de liqui­ dation serait menée par une ministre qui porte le nom de Belkacem et que Nicolas Sarkozy com­ pare à Christiane Taubira dans le « combat ef­ fréné pour la médiocrité ». Cela s’appelle de la xé­ nophobie rampante, et cela préfigure la grande bataille de l’identité qui se jouera en 2017. C’est pourquoi les jours à venir sont cruciaux pour la gauche : elle doit parvenir à déminer les fantasmes, raisonner les esprits, expliquer sa ré­ forme et convaincre. Une nouvelle bataille des Lumières, mais dans les pires conditions. Ce dictionnaire fait le choix de restreindre la notion de fusillés à ceux qui subirent d’abord un procès, pour les distinguer de ceux qui furent victimes d’exécutions sommaires. Comprise ainsi, la fusillade après condam­ nation n’est pas le moyen de mise à mort privilégié, mais la publicité qui accompagne ces mises à mort et le fait qu’elles se déroulent en France les distinguent. Elles jouent à ce titre un « rôle fondamental dans la prise de conscience de la nature criminelle du pouvoir nazi ». Le travail de l’historien est de recomposer la mémoire que les nazis ont voulu oblitérer en se débarrassant des corps des suppliciés dans des fosses communes ou en les enterrant de façon anonyme, afin d’empêcher les visites. Les familles n’ont pas eu l’occasion de voir la dépouille de leurs proches une dernière fois. Après la guerre, la recher­ che des tombes s’est avérée le plus souvent vaine. Faire parler les archives et rassembler l’information re­ cueillie par les associations et par les musées se révèle ainsi fort utile pour faire revivre des gens souvent oubliés en dépit de leur courage. Olga Bancic n’est pas tout à fait une inconnue, fort heureusement. Mais que dire de Ric, fusillé le 28 mars 1944, selon les registres te­ nus par les Allemands, sans que l’on sache rien de plus sur lui ? Une hypothèse s’impose pour expliquer le peu d’informations dont nous disposons à son sujet : il aurait refusé de parler sous la torture, voire de décliner son identité, s’enfermant dans un mutisme héroïque pour ne pas trahir ses compagnons d’armes. [email protected] Les Fusillés (1940­1944) sous la direction de Claude Pennetier, Jean­Pierre Besse, Thomas Pouty et Delphine Leneveu éd. de l’Atelier, 1 952 pages, 30 € Entre « laïcité vestimentaire » et « islam des Lumières » MÉDIATEUR pascal galinier L’ DANS LA LIGNE DE MIRE, LA PHOTO DE LA JEUNE SARAH TOUT SOURIRE SOUS SON VOILE AUSSI NOIR QUE SA JUPE islam, encore l’islam, toujours l’islam… Luz, le dessinateur de Charlie Hebdo, n’entend pas « passer sa vie à dessiner Mahomet ». Certains lecteurs aussi aimeraient tourner la page, « face à un risque d’emballe­ ment dont nous devons nous prémunir », re­ doute Francis Demigneux, de Saint­Julien­les­ Villas (Aube). « Un peu comme si nous étions tous à bout de tolérance comme on peut être à bout de souffle », résume Raoul Bareiss, de Saint­Amarin (Haut­Rhin). Quatre mois après les tueries de janvier, alors que les « anti­Charlie » retrouvent de la voix, un titre de « une » a interpellé les lecteurs, celui du 30 avril, « Les jupes longues des musulma­ nes, nouvelle fracture à l’école », sur cette collé­ gienne de Charleville­Mézières rappelée à l’or­ dre laïque par la direction de son collège. « C’est prendre les lecteurs pour des voyeurs incul­ tes… », assène Michel Martel (Maillezais, Ven­ dée). « Cela permet à de petits provocateurs de se prendre pour ce qu’ils ne sont vraiment pas », estime Michel Denizart, de La Fère (Aisne). Dans la ligne de mire, la photo de la jeune Sa­ rah tout sourire sous son voile aussi noir que sa jupe, à l’épaule un sac à main rose d’ado de son âge. « Cela la rend plus vulnérable auprès des islamistes radicaux qui doivent être ravis de tout le bruit fait autour de cette affaire », pré­ vient Muriel Herrenschmidt, d’Emerainville (Seine­et­Marne). « En toute cohérence, Sarah aurait dû refuser sa publication, admet Chris­ tine Traxeler (Paris). Vous avez raison de mettre face à face les crispations ridicules de certains fonctionnaires et le but provocateur de ces choix vestimentaires. Mais vous auriez dû en ti­ rer les conséquences et donner à ce prurit une importance proportionnée dans vos colonnes. » Jean­Pierre Andry, d’Arnas (Rhône), en a, lui, « ras la capuche et la casquette [de] cet accou­ trement que même les jeunes filles d’Alger ou de Tunis répudient (un terme approprié) ». Ancien enseignant, il aurait « évidemment réagi de la même façon que la principale du collège ». Mais les temps ont changé : « J’ai enseigné à des mil­ liers d’élèves de “toutes les couleurs”. Jamais l’ap­ partenance religieuse n’a été un problème. Ja­ mais revendiquée. Un seul lien : les mots “tra­ vail”, “amitié”, “courage”, “fraternité”. » L’esprit du 11 janvier, on le voit, n’a pas dé­ serté le courrier de nos lecteurs. D’où les réac­ tions à une autre manchette, celle du 8 mai, re­ latant la fracture de la gauche provoquée par l’après­« Charlie », avec le livre polémique d’Emmanuel Todd et la réponse de Manuel Valls dans nos colonnes. « L’imposture, c’est de prétendre que nous avons défilé par haine de l’islam ou pour affirmer la domination de la race blanche. La réalité est beaucoup plus sim­ ple : nous avons défilé pour protester contre l’as­ sassinat d’hommes et de femmes », s’agace Phi­ lippe Niogret (Paris). « Ne faudrait­il pas que les musulmans se félicitent d’être aussi libres de pouvoir pratiquer en France leur religion ? », se demande René Steverlinck, de Marcq­en­ Barœul (Nord). « Les quelques intellectuels cités n’ont pas, heureusement, le pouvoir de fracturer la gauche », veut se rassurer Christian Gilain, de Fontenay­aux­Roses (Hauts­de­Seine). LONG CHEMIN ESCARPÉ « N’oubliez pas, M. Todd, dans les cités dites “sensibles”, l’abandon par la République de ceux et celles qui refusent le communauta­ risme. Ils (surtout elles) subissent un chantage religieux d’une bêtise et d’une brutalité écœurantes », lance Raoul Bareiss, qui se re­ vendique lui aussi de son expérience (de mé­ decin qui a, dit­il, « vu évoluer nos compatrio­ tes sur trois, voire quatre générations »). Lui conseille de lire, plutôt que celui de M. Todd, le livre d’Abdennour Bidar Lettre ouverte au monde musulman (Les Liens qui libèrent, 64 p., 5,80 €), qui prône la « [sortie] de la religion, non pas en la bafouant, non pas en la rejetant, mais seulement en déplaçant le curseur de son in­ fluence parce que le temps programmé est venu de le faire ». Un pavé essentiel sur la route de l’« islam des Lumières », en somme. Un long chemin escarpé, si l’on observe « la réalité quotidienne de la République française, héritière des Lumières et fière de sa laïcité » dé­ crite dans notre éditorial du 7 mai, après l’af­ faire de la jupe et celle des élèves fichés par le maire de Béziers. « Islam : une semaine ordi­ naire en France », soupirait notre titre… Yves Le Dantec (Brest) soupire lui aussi dans sa longue missive. « Quand une société en est arrivée à mesurer la longueur des jupes à l’école et à les mettre en relation avec une couleur de peau ou une religion, on n’est plus au pays des droits de l’homme, mais sur le chemin de la dictature de la pensée », écrit ce lecteur de 67 ans, breton « de culture laïque », mais converti à l’islam de­ puis treize ans. « Il est encore temps de réfléchir et de réagir », veut­il croire. C’est aussi l’espoir de Francis Demigneux dans son vibrant plaidoyer, « qui n’est ni le fait d’un journaliste, ni d’un philosophe, ni d’un in­ tellectuel, seulement d’un Français moyen qui souhaite pour ses enfants et ses petits­enfants une France réunie et apaisée », tient­il à préci­ ser. « Que l’Etat fixe des limites claires et raison­ nables aux exigences d’une religion qui ne peut pas se pratiquer en France de la même façon qu’au Maghreb », pourquoi pas ? Mais c’est « en faisant la part de ce qui est important et de ce qui est accessoire », conclut­il, que « la société française pourrait gagner, en termes d’intégra­ tion, ce qu’elle aurait perdu sous forme de laïcité vestimentaire ». De la « laïcité vestimentaire » à l’ « islam des Lumières »… Non, chers lecteurs, Le Monde n’est pas près de tourner la page… [email protected] Mediateur.blog.lemonde.fr @pasgalinier