Colloque international l’Art Contemporain et la Côte d’Azur – Un territoire pour l’expérimentation, 1951-2011
Jeudi 29 et vendredi 30 septembre 2011 - Nice 1
Clément Rosset : une figure a posteriori de l’art sur la Côte d’Azur.
Ondine BREAUD-HOLLAND, Docteur en Arts et Sciences de l’Art, enseigne l’esthétique à l’École Supérieure d’Arts
Plastiques de Monaco, Pavillon Bosio. Membre du CRHI, Université Nice Sophia Antipolis.
C’est donc de Clément Rosset dont je vais parler, personnage important pour la région puisque c’est à
l’Université de Nice qu’il a enseigné pendant une trentaine d’années, de 1967 à 1998.
Quelques mots sur le plan de cette intervention :
Dans une première partie, j’exposerai les grandes lignes de la pensée de Clément Rosset en insistant
sur le fait qu’elle a été plutôt à contre-courant de son époque. Ce décalage apparaissant en plusieurs endroits,
notamment dans le système d’exemplification de ses idées ou de son idée puisqu’il n’y en aurait finalement qu’une.
Dans une seconde partie, je montrerai que l’indifférence, apparente du moins, de Clément Rosset à
l’égard de ce qui se passait en son temps sur le plan philosophique mais aussi sur le plan artistique, doit
être dépassée. Aussi décalées qu’elles puissent paraitre, une fois encore par rapport aux idées qui leur étaient
contemporaines, les réflexions de Clément Rosset, permettent de lire ou relire, c’est que je pense en tout cas
—, certaines des œuvres dont il est question dans ce colloque, celles produites sur la Côte d’Azur des années
1950 à nos jours ou ayant gravité par cette région.
Et pour conduire cette hypothèse, je choisirai deux moments, les années 50-60 avec un courant qui
semble dans son appellation même relever d’une philosophie rossetienne ou rossetiste, le nouveau réalisme, et
les années 1990-2000 avec les œuvres d’artistes comme Philippe Ramette ou surtout Eric Duyckaerts. Ce qui
me permettra de passer de la philosophie, philosophie fondamentale, de Clément Rosset, à son esthétique.
I. Une pensée à contre-courant.
Au moment Rosset élabore les fondements de la philosophie, c’est-à-dire dans les années 1960-
1970, l’époque est, je le rappelle, en plein structuralisme, pleinement engagée dans des entreprises de
déconstruction du sujet, d’analyse du langage et des mécanismes du pouvoir. L’époque est dominée par les
écrits de Barthes, Foucault, Derrida, et Althusser. Althusser dont, Clément Rosset avait immédiatement décidé
de « sécher les cours, …. complètement indifférent à l’effervescence intellectuelle » qui régnait alors autour de
son maître. C’était à Paris, à l’ENS alors qu’il préparait l’agrégation (1961-1965).
Donc, pendant que l’époque s’attachait par exemple à relire certains processus historiques en leur
retirant leur dogmatisme, Rosset, lui, s’occupait d’ontologie, ontologie négative certes, mais ontologie tout de
même. Il réfléchissait à la nature de la réalité et pour aller vite —, à la manière dont les hommes s’arrangent
avec elle dès lors qu’elle devient pénible, c’est-à-dire la plupart du temps.
Ce qui intéressait donc Clément Rosset et ce qui intéresse toujours, c’était la façon dont les hommes
mettent en place des stratégies — et il y en a à foison — d’évitement du réel, créent des doubles de celui-ci,
ou encore se lancent dans des fabriques illusionnistes par déni une fois encore de la réalité qui leur suffit
rarement ou encore qui leur paraît bien trop incertaine pour être acceptable.
J’ai dit la manière dont les hommes mettent en place des stratégies d’évitement du réel. J’aurais
également pu dire les philosophes qui, pour Rosset, même s’ils s’appellent Platon, Rousseau ou Heidegger, ne
sont pas plus courageux que les hommes ordinaires, ne sont pas moins fous que ces derniers. Mais sans doute y
a-t-il des raisons à cela : l’âpreté du réel notamment, son opacité qui encourage la pratique de la métaphysique.
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Que vous lisiez le célèbre Réel et son double (1976), Le philosophe et les sortilèges (1985), Principes
de sagesse et de folie (1991) ou d’autres ouvrages encore, c’est bien cette idée, sinon cette doctrine que
vous trouverez avec comme horizon la promotion d’une relation au monde, qui passe par son approbation,
voire un état de jubilation constant. Et c’est avec une efficacité redoutable, je pense pouvoir l’affirmer, que
Clément Rosset installe ces principes dans le champ de la pensée contemporaine en les développant selon des
perspectives qui empruntent à la philosophie bien entendu, mais aussi à la psychanalyse : détours par Lacan
par exemple et la question du désir évidemment.
Quant à l’argumentation à proprement parler, elle repose sur la propre intuition de Clément Rosset
: il parle souvent de ce moment, qui remonterait à son enfance, il eut le sentiment d’un réel prééminent,
éminement tragique, hasardeux et absurde, dans une sorte de prescience de ce que serait la réalité. Mais
cette argumentation repose aussi sur un corpus de références philosophiques, voire de réinterprétations d’écrits
célèbres : ceux de Parménide en tête dans lesquels Rosset ancre sa philosophie, ceux de Nietzsche et Cioran
qui lui lègueront leur égale capacité, bien qu’opposée dans leurs conclusions, à ne pas voiler le réel d’un
double fantomatique. Mais si démonstration il y a, c’est surtout à partir et, j’ai envie de dire, par la grâce d’une
multitude d’exemples dont l’origine se situe majoritairement dans la littérature mais également le cinéma, la
musique et parfois la peinture.
Ce qui m’amène à mon second point : le système d’exemplification, d’autres diront d’illustration, des
idées de Clément Rosset. Ce système constituant sans doute une des caractéristiques de sa pensée, de sa
méthode au sens pédagogique du terme, voire de son prosélytisme caché. Car, à peine Rosset a-t-il énoncé un
principe qu’il l’accompagne d’un exemple ou d’une image. Je me demande d’ailleurs si le coefficient de sympathie
dont il bénéfie aujourd’hui ne provient pas davantage de cette pratique que de son éthique à proprement parler
qui pourrait se résumer dans cet oxymore qu’il aime tant « Rassurez-vous, tout va mal » …
Joie donc d’exister, en dépit ou en raison de tout de ce qui peut arriver. Et pour nous en convaincre,
juxtaposition de citations et de procédés analogiques. Car les recours à l’autre, je l’ai dit, non seulement
abondent, mais encore varient du tout au tout. Ainsi parmi les références : Dashiell Hammett aux côtés de
Shakespeare, Mallarmé aux côtés d’Hergé à qui Rosset voue d’ailleurs une affection particulière. Et puis, Jules
Verne voisinant avec Molière, la Comtesse de Ségur avec Buster Keaton, Proust avec Courteline ou encore, pour
revenir aux arts plastiques, une illustration d’ Henri Achille Zo avec la célèbre toile de Pietro Longhi, L’Exposition
du rhinocéros, cet animal surprenant en effet qui, à l’image du réel, apparaît dans son unicité et son idiotie, au
sens étymologique du terme, et surgit sous nos yeux, sans qu’on puisse tenir sur lui et Rosset le martelera
de discours véritable.
Alors bien sûr, l’esprit critique pourrait s’employer à dresser une typologie des exemples cités par Rosset,
ceux qui travaillent en faveur du réel et de ceux qui travaillent en faveur de l’illusion. Plus encore, il trouverait de
quoi s’abreuver face à l’emploi quasi systématique de ces exemples-mercenaires, pour reprendre une expression
de Jean-Sébastien Trudel qui s’est penché sur la question de l’acte de persuasion chez Rosset1. Bref, il aurait
de quoi faire face à ces incursions du côté de références extra-philosophiques alternant culture savante et
culture populaire, face à l’utilisation de ce que l’on pourrait finalement ranger dans la catégorie du symbolique.
Mais pour revenir à notre sujet, l’art de son époque, aucune mention. Bien sûr, je pourrais toujours
trouver ici ou quelques exceptions (voir. Matières d’Art). Mais je crois pouvoir affirmer, sans courir trop de
risques, le désintérêt de Rosset pour l’actualité artistique qui l’environnait alors qu’il s’employait à rétablir une
philosophie du réel ; son indifférence quasi totale pour ce qui se passait sur le plan internationnal, national ou
même régional dans les musées, salons ou galeries, que ce soit l’art informel, l’arte povera ou l’art minimal, le
pop art ou l’art vidéo, que ce soit ces mouvements majeurs de la seconde moitié du XXe siècle ou d’autres plus
marginaux. Le simulationnisme par exemple qui aurait pu attirer son attention en raison des effets de brouillage
1. Savoir faire consonner : Clément Rosset et sa manière de procéder, www.fabula.org/lht/1/Trudel.html.
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qu’il opère entre œuvre originale ou originelle et œuvre secondaire, sosie ou jumelle — Je pense par exemple
aux photographies de Sherrie Levine de photographies de Walker Evans ou de Edward Weston.
Aussi avancerai-je volontiers l’idée d’une « étrangèreté » pour reprendre ce terme apparu sous la
plume de René Girard et d’autres penseurs encore de Clément Rosset. Une idiosyncrasie en tout cas dont
on peut se demander si elle n’a pas servi de modèle à une génération de penseurs et d’artistes. Les premiers,
Bernard Lahire par exemple2, s’attachant par exemple à promouvoir la notion de dissonance culturelle au sein
d’une unité familiale, ou encore, ce qui très en vogue actuellement, éclairant des notions philosophiques à partir
de séries télévisées ou autres productions audiovisuelles ; les seconds, les artistes, n’hésitant pas à trouver leur
source d’inspiration dans des univers a priori opposés, voire ne reculant devant aucune audace en matière de
télescopage de références exogènes. Ainsi un texte de Gombrowicz avec une interview de Michel Polac, un livret
d’opérette avec un dialogue de Claudel chez Sophie Perez et Xavier Boussiron, ces deux enfants terribles du
théâtre contemporain.
II. L’art sur la Côte d’Azur
Clément Rosset en décalage donc par rapport à son époque. En retard ou en avance par rapport à
elle. Mais qu’en déduire pour notre propos : l’art sur la Côte d’Azur ? Plutôt que de rester sur l’impression d’une
non-rencontre, j’aimerais, et ce sera mon second point, développer l’hypothèse selon laquelle Clément Rosset,
aurait, et j’insiste sur le conditionnel, prolongé certaines des ouvertures théoriques et problèmes icono-logiques,
proposés par les nouveaux réalistes, en rapportant dans la région, son lieu d’attache universitaire en tout cas,
des préoccupations qui s’étaient développées ou épanouies ailleurs : Paris, Milan, New York, etc.
- Il aurait prolongé, reconduit, le Nouveau Réalisme en reposant par exemple la question de la
prééminence du réel, mais surtout celle de sa perception, d’une perception adhérente et principielle,
nœud de la philosophie restagnienne, si l’on en croit le premier manifeste de 1960.
- Ou encore en affirmant la singularité, voire l’indéterminabilité des objets qui composent le monde, clé
de lecture peut-être des accumulations d’Arman présentant, sur le même plan, « répétition du différent ».
- Ou encore, en montrant qu’il n’y a rien de plus puissant qu’une proposition tautologique (de type A
est A) qui, contrairement à ce que pensait Wittgenstein, ne consisterait pas en un discours pauvre, mais
exprimerait, selon Clément Rosset, « une vérité ontologique et existentielle ».
Allusion à la palissade de Raymond Hains, exposée en 1959 à la première Biennale de Paris (1. La palissade
des emplacements réservés) et prise pour telle par les employés du Musée d’art moderne qui s’en débarrassèrent
sans le moindre scrupule ! Allusion à la profondeur de la démarche de Raymond Hains qui aurait été sensible un
texte le prouve3aux théories de Rosset, eussent-elles été formulées postérieurement : 1985 pour Le Philosophe
et les sortilèges, et 1997 pour Le démon de la tautologie, Clément Rosset travaille cet énoncé logique.
Mais il se peut que ces deux hommes, Hains et Rosset, n’aient pas seulement promu « le même » au
titre d’idéal. II se peut qu’ils se soient rencontrés autour d’une autre idée, d’un autre principe, découlant du
premier (la tautologie) et de ses succédanés : le pléonasme, la pétition de principe, le truisme et la lapalissade.
2. Cf. La culture des Individus, Dissonances culturelles et distinction de soi, La Découverte, 2007.
3 « Comme dans le Larousse on dit que les lapalissades sont des évidences mièvres, moi je conteste Pierre Larousse.
Et il y a un philosophe dont j’ai oublié le nom, qui récemment a publié un livre aux éditions de Minuit et qui dit la même
chose, il conteste le Robert et le Larousse, parce qu’il trouve que les Vérités de la Palisse sont des vérités profondes ».
Raymond Hains, Texte de Ileana Cornea, Ides et Calendes, p. 40.
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Quel principe ? La supériorité de la métaphore dans tout processus de redécouverte, de remise à neuf
de la réalité. Hains comme Rosset n’accordant finalement, pour prendre l’exemple de la lapalissade, qu’un crédit
relatif à cette dernière. Pour Rosset, elle essaierait de démentir la tautologie c’est la conclusion à laquelle
il parvient après avoir analysé les discours ridicules des Dupond/t —. Quant à Hains, il s’en serait en quelque
sorte débarrassé (je m’appuie là, en partie, sur l’analyse de Philippe Forrest4) en remplaçant l’objet même qu’elle
désignerait par des images de celui-ci. L’objet même qu’elle désignerait, c’est-à-dire la palissade de 1959, puis
ce gâteau fait de crème et de boudoirs qu’il aurait découvert dans un recueil encyclopédique puis, réalisé lui-
même et fait goûter à ses acolytes en 1961 à Nice lors du festival du nouveau réalisme (2. 3. Entrements de
la palissade), puis ces sonnets rapportés de la ville même du Chevalier où Hains a fait un pélérinage en 1963
comme l’attestent ces cartes postales (4) et ce petit montage datant de 1982 (5) présenté, non pas à Nice
dans le cadre de l’exposition Les nouveaux réalistes, mais à Paris à la galerie Lara Vincy.
Quant aux images de Hains, qu’elles soient objets photographiques ou autre, ces sculptures de bonbons
par exemple (6), elles resteraient bel et bien des signes d’un art sans transcendance, d’un art allègre et qui
envisage le réel comme prolifique, dans ses traverses et ses chemins.
Ce qui m’amène, et ce sera mon point suivant, à l’esthétique de Rosset qui, du reste, est plutôt
abordée par fragments que dans sa globalité.
Première question : quelle figure de style et, plus profondément, quel art présentent le pouvoir
d’exprimer, de dire le monde dans sa plénitude et son auto-suffisance ?
La métaphore je viens de l’évoquer à laquelle Rosset consacre quelques beaux passages aux
accents presque baudrillardiens. Je pense à ces pages du Démon de la tautologie, partant de la métaphore,
il en vient à célèbrer le pouvoir de l’ombre, d’une rhétorique qui maintiendrait, pour partie, l’objet désigné dans
l’obscurité. Comme l’avait fait en effet Baudrillard en 1996 dans ce court texte intitulé « Illusion/désillusion
esthétique » où il reprochait à l’art contemporain une certaine tendance à la pornographie.
Quant à la question de la hiérarchie des arts avec laquelle Rosset renoue incontestablement, elle place
la musique en son sommet, tradition qui remonte à Schopenhauer et Nietzsche dont il est d’ailleurs l’un des
exégètes les plus fins.
Je m’attarderai pas sur les arguments qui jouent en faveur de ce positionnement esthétique : signifiant
sans signifié, effet de réel à même de requalifier le monde, un « existant » à l’état libre, ….
Mais je reviendrais sur la nature des œuvres musicales évoquées : opéra de Mozart, pièces orchestrales
de Ravel ou flonflons mexicains que Rosset celèbre dans l’un des ses derniers ouvrages (Tropiques, cinq
conférences mexicaines). Une posture radicale qui, encore, fait fi des innovations musicales de son époque
alors que Daniel Charles par exemple, autre philosophe qui professa dans la région de 1988 à1998, entamait
un fructueux dialogue avec John Cage (ce qui ne veut pas dire que Clément Rosset et Daniel Charles ne
s’estimaient pas, bien au contraire).
Mais pour revenir à l’esthétique de Rosset et ce sera ma seconde question faut-il en conclure
qu’elle s’en tient à la seule valorisation de l’œuvre musicale qui n’accorderait de place ni au double ni à la
réplique — comme l’a d’ailleurs montré Nelson Goodman en distinguant les œuvres allographiques des œuvres
autographiques ?
Evidemment non, l’esprit de Rosset est trop rapide pour ne pas anticiper les réactions spontanées qui
pourraient surgir face à ses postulats philosophiques. En voici quelques exemples : évacuation car Rosset
se montre plutôt expéditif de l’idée que l’image puisse être un duplicata d’une réalité quelconque, un
4. Raymon Hains, uns romans, Gallimard, 2004.
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double « négatif » de cette dernière (Fantasmogories), retour aux théories selon lesquelles le goût du faux,
de l’artifice ou du trompe-l’œil, ne serait que des variantes du goût du réel, théories baroques par excellence
(Principes de sagesse et de folie). Insistance sur l’étrangeté produite par le moindre hiatus entre ces deux entités,
intrinsèquement liées que sont le corps et son reflet ou encore le corps et son ombre. Ce qu’aurait montré
Philippe Ramette artiste que vous connaissez tous, « ancien » de la Villa Arson dans cette œuvre chargée
de mélancolie (L’ombre (de moi-même)) le double de proximité, pour reprendre le vocabulaire de Rosset, aurait
perdu ce dont il est l’émanation (7). Bref, autant de formulations de Rosset, qui protègent l’art en général et
l’image en particulier, contre toutes accusations, qu’elles relèvent ou non de présupposés vieux comme le monde.
Ce qui m’autorise, et je terminerai par là, à risquer un autre rapprochement, entre Rosset et un
artiste qui enseigne et réside dans la région, Eric Duyckaerts. Eric Duyckaerts dont les vidéos performances et
installations Analogy (8) et The dummy’s lesson (9) sont présentées actuellement dans le cadre des expositions
La sculpture autrement et Montrer sa nuit en plein jour.
Bien sûr, vous pourriez m’objecter que ce couplage (Rosset/Duyckaerts) relève du contresens dans la
mesure où l’artiste convoquerait a priori tout ce que Rosset déteste : j’entends ce goût immodéré pour l’art de
l’imitation au sens presque médiatique du terme, le glissement dans des identités sociales multiples, celle du
savant, du professeur, en tête, dont Duyckearts imite à ravir les tics de langage et la gestuelle. Bref, ce jeu
duplicatoire qui suffirait, vous l’avez compris, à exaspérer Rosset pour qui la seule identité est l’identité sociale,
pour qui le moi intime, psychologique, n’a guère de consistance ni, par conséquent, d’intérêt théorique. Point
de vue qu’il défendra dans Tropiques en prenant à rebours le celèbre exemple du garçon de café chez Sartre
il est vrai que je n’ai pas eu le temps de développer cet aspect de sa pensée, elle est importante pourtant
dans l’architectonique d’ensemble.
Mais réduire à de simples commentaires d’ordre existentialiste ou autre (néo-romantique) les doubles
qu’Eric Duyckaerts multiplie et démultiplie dans son œuvre, serait manquer son travail. Car, comme l’a écrit
Joseph Mouton dans un article sur son ami « Eric », ce n’est pas devant le public qu’Eric se met en scène (bien
qu’il le fasse parfois) mais face à une caméra dont certains gestes d’Eric pourraient nous faire croire qu’elle
possède un pouvoir réfléchissant. Une surface productrice d’un double qui certes nous projette symboliquement
dans la représentation, mais plus simplement, je crois, génère chez nous, regardeurs interloqués devant tant de
références entremêlées et de dépense physique, un appel, une aspiration vers sa singularité même, son être
d’artiste, sans qu’il y ait rien à ajouter. Singularité que C. Rosset n’a cessé de cultiver, s’exprimant souvent en
son nom, même si c’était au travers des inventions des autres, prônant la joie contre la tristesse et l’humour
contre l’esprit de sérieux pour défendre la thèse d’un monde insignifiant.
Alors, c’est peut-être cela la Côte d’Azur : un lieu de rencontre de singularités, d’êtres qui se disent
ou se trouvent parfois « oisif » (Hains), « riquiqui5» (Duyckaerts), ou même « à plat6» (Rosset), mais qui,
évidemment, ne le sont pas.
5. Cf. Eric Duyckaerts, « Proche Extérieur », Joseph Mouton, Fonds régional d’art contemporain de Bourgogne, 2002, p. 9
6. Cf. Nuit de mai
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