Colloque international l’Art Contemporain et la Côte d’Azur – Un territoire pour l’expérimentation, 1951-2011
Jeudi 29 et vendredi 30 septembre 2011 - Nice 2
Que vous lisiez le célèbre Réel et son double (1976), Le philosophe et les sortilèges (1985), Principes
de sagesse et de folie (1991) ou d’autres ouvrages encore, c’est bien cette idée, sinon cette doctrine que
vous trouverez avec comme horizon la promotion d’une relation au monde, qui passe par son approbation,
voire un état de jubilation constant. Et c’est avec une efficacité redoutable, je pense pouvoir l’affirmer, que
Clément Rosset installe ces principes dans le champ de la pensée contemporaine en les développant selon des
perspectives qui empruntent à la philosophie bien entendu, mais aussi à la psychanalyse : détours par Lacan
par exemple et la question du désir évidemment.
Quant à l’argumentation à proprement parler, elle repose sur la propre intuition de Clément Rosset
: il parle souvent de ce moment, qui remonterait à son enfance, où il eut le sentiment d’un réel prééminent,
éminement tragique, hasardeux et absurde, dans une sorte de prescience de ce que serait la réalité. Mais
cette argumentation repose aussi sur un corpus de références philosophiques, voire de réinterprétations d’écrits
célèbres : ceux de Parménide en tête dans lesquels Rosset ancre sa philosophie, ceux de Nietzsche et Cioran
qui lui lègueront leur égale capacité, bien qu’opposée dans leurs conclusions, à ne pas voiler le réel d’un
double fantomatique. Mais si démonstration il y a, c’est surtout à partir et, j’ai envie de dire, par la grâce d’une
multitude d’exemples dont l’origine se situe majoritairement dans la littérature mais également le cinéma, la
musique et parfois la peinture.
Ce qui m’amène à mon second point : le système d’exemplification, d’autres diront d’illustration, des
idées de Clément Rosset. Ce système constituant sans doute une des caractéristiques de sa pensée, de sa
méthode au sens pédagogique du terme, voire de son prosélytisme caché. Car, à peine Rosset a-t-il énoncé un
principe qu’il l’accompagne d’un exemple ou d’une image. Je me demande d’ailleurs si le coefficient de sympathie
dont il bénéfie aujourd’hui ne provient pas davantage de cette pratique que de son éthique à proprement parler
qui pourrait se résumer dans cet oxymore qu’il aime tant « Rassurez-vous, tout va mal » …
Joie donc d’exister, en dépit ou en raison de tout de ce qui peut arriver. Et pour nous en convaincre,
juxtaposition de citations et de procédés analogiques. Car les recours à l’autre, je l’ai dit, non seulement
abondent, mais encore varient du tout au tout. Ainsi parmi les références : Dashiell Hammett aux côtés de
Shakespeare, Mallarmé aux côtés d’Hergé à qui Rosset voue d’ailleurs une affection particulière. Et puis, Jules
Verne voisinant avec Molière, la Comtesse de Ségur avec Buster Keaton, Proust avec Courteline ou encore, pour
revenir aux arts plastiques, une illustration d’ Henri Achille Zo avec la célèbre toile de Pietro Longhi, L’Exposition
du rhinocéros, cet animal surprenant en effet qui, à l’image du réel, apparaît dans son unicité et son idiotie, au
sens étymologique du terme, et surgit là sous nos yeux, sans qu’on puisse tenir sur lui — et Rosset le martelera —
de discours véritable.
Alors bien sûr, l’esprit critique pourrait s’employer à dresser une typologie des exemples cités par Rosset,
ceux qui travaillent en faveur du réel et de ceux qui travaillent en faveur de l’illusion. Plus encore, il trouverait de
quoi s’abreuver face à l’emploi quasi systématique de ces exemples-mercenaires, pour reprendre une expression
de Jean-Sébastien Trudel qui s’est penché sur la question de l’acte de persuasion chez Rosset1. Bref, il aurait
de quoi faire face à ces incursions du côté de références extra-philosophiques alternant culture savante et
culture populaire, face à l’utilisation de ce que l’on pourrait finalement ranger dans la catégorie du symbolique.
Mais pour revenir à notre sujet, l’art de son époque, aucune mention. Bien sûr, je pourrais toujours
trouver ici ou là quelques exceptions (voir. Matières d’Art). Mais je crois pouvoir affirmer, sans courir trop de
risques, le désintérêt de Rosset pour l’actualité artistique qui l’environnait alors qu’il s’employait à rétablir une
philosophie du réel ; son indifférence quasi totale pour ce qui se passait sur le plan internationnal, national ou
même régional dans les musées, salons ou galeries, que ce soit l’art informel, l’arte povera ou l’art minimal, le
pop art ou l’art vidéo, que ce soit ces mouvements majeurs de la seconde moitié du XXe siècle ou d’autres plus
marginaux. Le simulationnisme par exemple qui aurait pu attirer son attention en raison des effets de brouillage
1. Savoir faire consonner : Clément Rosset et sa manière de procéder, www.fabula.org/lht/1/Trudel.html.