Il redonne des ailes auxSeychelles

publicité
environnement
Il redonne des ailes
auxSeychelles
Gérard Rocamora, ornithologue français réputé, consacre toute son énergie au
sauvetage des espèces d’oiseaux menacées des îles de l’océan Indien. En combattant
les prédateurs introduits par l’homme, les rats, il enregistre ses premiers succès.
Gilles van Kote
C
L’ennemi juré des rats
Après son passage à la LPO, Gérard
Rocamora est parti en mission aux Seychelles et y est resté. Il s’y est déniché une
cause, qui pourrait bien être le combat de
sa vie : la restauration des milieux insulaires. Dans cette région du monde, de
nombreuses îles et îlots sont infestés par
les rats, arrivés à bord des bateaux. En
2004, dans l’archipel, seulement sept îles
de plus de dix hectares n’étaient pas colonisées par les rongeurs.
Or ceux-ci sont des prédateurs. « Selon
une étude parue en 1995 dans la revue
32
LE MONDE 2 21 FÉVRIER 2009
Science, la colonisation des îles par les
hommes et l’arrivée des rats ont provoqué la
disparition d’environ 2 000 espèces d’oiseaux
dans le monde », explique l’ornithologue.
Par amour des oiseaux, Gérard Rocamora a donc décidé de devenir le meilleur
ennemi des rats. Avec des collègues seychellois, il a créé la Fondation pour la
conservation des îles et lancé un programme de « réhabilitation des écosystèmes insulaires », doté d’un budget de
1,3 million d’euros. Il a mis au point une
méthode d’éradication totale des rats par
le volume 14 du monumental Handbook
of the Birds of the World, à paraître fin 2009.
Ou comme le fragile oiseau-lunettes
des Seychelles, que l’on crut un moment
disparu et qui fut redécouvert en 1962. A
son arrivée dans l’archipel, Gérard Rocamora se mit en quête de cette espèce rare.
« Il m’a fallu trois mois pour en voir un et trouver un nid, et deux ans pour comprendre les
données du problème » : menacée par les rats
et d’autres espèces d’oiseaux, la survie
de l’espèce ne tenait plus qu’à quelques
dizaines d’individus.
«Quand on pense qu’on aurait pu connaître des espèces
aujourd’hui disparues comme l’oiseau-éléphant de
Madagascar ou le grand pingouin,c’est malheureux…»
pose de pièges et épandage aérien d’appâts contenant des anticoagulants qui
provoquent la mort des rongeurs par
hémorragie. Une méthode radicale qui
ne peut s’appliquer que sur des espaces
limités.
Une première tentative de dératisation
de l’île du Nord, un domaine privé de
200 hectares situé au nord de Mahé, la
principale île des Seychelles, a échoué. La
deuxième, en 2005, a été la bonne. « Sur
de petites îles, nous sommes en mesure de créer
des sanctuaires et de réintroduire des espèces
peu résistantes à la prédation », assure
Gérard Rocamora,qui préfère préciser qu’il
n’a rien « contre les rats en tant que tels ».
Mais ce Méridional de 49 ans aux faux
airs de Nanni Moretti a toujours eu un
faible pour les bêtes à plumes. Comme le
drongo, un passereau aux teintes
sombres et à la superbe queue fourchue,
sur lequel il a rédigé,avec sa collègue Dosithée Yeatman-Berthelot,un chapitre dans
Des programmes de réintroduction ont
donc été lancés sous sa direction. Sur l’île
Frégate, 31 oiseaux-lunettes ont été introduits en 2001.Ils sont aujourd’hui une centaine. Pour éviter à cette espèce de disparaître de Mahé, où ne subsistent qu’une
soixantaine d’individus,Gérard Rocamora,
soutenu notamment par le Fonds français
pour l’environnement mondial et l’association Conservation des espèces et des
populations animales, a pour projet de
réhabiliter plusieurs petites îles voisines,
afin d’en faire des réserves pour espèces
animales ou végétales menacées.
L’écotourisme, une chance
« Dans ma démarche, il y a la volonté de préserver le patrimoine de biodiversité de la planète et de le transmettre à nos enfants, confie
l’ornithologue. Quand on pense qu’on
aurait pu connaître des espèces aujourd’hui
disparues comme l’oiseau-éléphant de Madagascar ou le grand pingouin, c’est malheu-
Méthode. Gérard Rocamora (en haut) capture des oiseaux-lunettes pour les transférer dans une autre île, préalablement débarrassée de
ses rats, leurs grands prédateurs. Depuis 2003, cinq îles des Seychelles ont ainsi été nettoyées, dont l’atoll de Cosmoledo (ci-dessus).
Outre les oiseaux-lunettes (en haut à droite), la pie chanteuse des Seychelles et le fou à pieds rouges sont aussi typiques de l’archipel.
M. MEYERS / NORTH ISLAND. G. ROCAMORA. F. HOBRO / ICS.
hez les Rocamora, on a
toujours aimé les oiseaux.
Vers l’âge de 6 ans, Gérard
a commencé à accompagner son père quand celui-ci s’en allait
piéger merles et grives lors de séjours en
Catalogne, terre d’origine de la famille.
« On les plumait et on les faisait rôtir sur place,
raconte-t-il. Je suivais, mais ça ne me plaisait pas. Mon père me disait que ce n’étaient
que de petits oiseaux, que ça n’avait pas d’importance. »
Il n’y a pas de hasard. Des années plus
tard, Gérard Rocamora a suivi des études
de biologie et d’agronomie, à Montpellier, puis est devenu, de 1990 à 1995, directeur scientifique de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), à laquelle il a
fini par convaincre son père d’adhérer. Il
est aujourd’hui un ornithologue réputé,
membre correspondant du Muséum
national d’histoire naturelle, auteur de
plusieurs ouvrages et d’une Petite encyclopédie des oiseaux des jardins sur CD (Frémeaux et associés, 1995), qui a reçu le
Grand prix du disque de l’Académie
Charles-Cros et s’est vendue à 20 000
exemplaires.
reux… Donc il faut se préoccuper de l’oiseaulunettes, car sinon, qui le fera à notre place ? »
Pour faire avancer ses projets et assurer la pérennité de ceux-ci, Gérard Rocamora a dû convaincre les autorités
locales, les opérateurs touristiques et les
propriétaires d’îles privées qu’ils avaient
tout intérêt à le soutenir. Avec un argument massue : « La présence de rats est
incompatible avec un tourisme haut de
gamme et les impératifs de santé publique. »
Or le tourisme est, avec la pêche, la première ressource de l’archipel. Le scientifique et ses collègues ont vite compris le
parti qu’ils pouvaient tirer du développe-
ment de l’écotourisme pour financer leur
fondation, qui compte une vingtaine de
salariés et doit assurer des missions permanentes, comme la surveillance des
îlots réhabilités, afin d’éviter les pillages
et une recolonisation par les rats, toujours possible.
« Il faut être réaliste, on ne peut pas tout
mettre sous cloche, il faut accepter de petites
structures touristiques avec lesquelles on peut
travailler en bonne intelligence », assure
Gérard Rocamora.Des visites touristiques
sont ainsi organisées sur l’île Aride. A
30 euros par personne, cela assure la moitié du financement de la réhabilitation de
cette île-réserve qui abrite de nombreuses
espèces d’oiseaux,mais aussi un gardénia
endémique rarissime, le bois citron.
Cette expérience accumulée aux Seychelles, l’ornithologue voudrait en faire
profiter d’autres îles de l’océan Indien
comme Madagascar,Maurice,Mayotte ou
les Comores, en lançant un projet régional. Mais aussi les territoires et départements français d’outre-mer : « J’aimerais
que la France soit davantage leader dans ce
domaine, car elle est le sixième pays du monde
par le nombre d’espèces d’oiseaux menacées,
dit-il. Elle a un rôle et, malheureusement, elle
ne le tient pas suffisamment. »
b
21 FÉVRIER 2009 LE MONDE 2
33
Téléchargement