5 On peut distinguer trois moments dans l’évolution du dispositif missionnaire jésuite. Le
premier, qui va de 1600 à 1650, correspond aux premières fondations du pôle
missionnaire paraguayen3, à celles de Chiloé et de la Frontera au sud du Chili4 et aux
efforts missionnaires entrepris par la Compagnie à partir de Bogotá et de Cartagena de
Indias5. Les grands traits de l’institution missionnaire sont alors définis : excentrement
des missions par rapport aux foyers de colonisation espagnole (vocation frontalière du
dispositif), orientation productive des missions (manufactures, yerba mate, bétail), plan et
architecture de l’espace missionnaire (hiérarchisation du plan de la mission,
reconnaissance de l’autorité médiatrice des caciques, séparation des jeunes célibataires,
etc.), stratégies linguistiques (élaboration de vocabulaires et de grammaires indiennes,
traduction des textes évangéliques, utilisations de langues véhiculaires) et technologies
d’évangélisation (emphase sur la dimension rituelle, favorisation des processus
syncrétiques). À ce premier moment fondateur, dont la réussite des missions du Paraguay
assure une renommée mondiale, se succède un deuxième moment, dans la deuxième
moitié du XVIIe siècle, qui se caractérise par l’avancement du front missionnaire sur les
plaines qui s’étendent au-delà des derniers contreforts andins. Le front missionnaire
s’avance alors sur les plaines de l’Orénoque (1630), sur celles de Maynas (1637) à l’Est des
Andes équatoriens, à Mojos (1682) au nord des plateaux boliviens et sur celles de
Chiquitos (1692) à l’Est de Santa Cruz de la Sierra. En s’éloignant des centres coloniaux,
l’écoulement des excédents agricoles ou artisanaux devient plus difficile. L’isolement
géographique des nouvelles positions renforce l’autarchie économique des dispositifs
mission naires. En ce sens aussi, le passage des forêts du Chili méridional ou du Paraguay
oriental vers les plaines de Moxos ou de Chiquitos infléchit l’orientation économique des
missions. L’élevage devient une activité primordiale au détriment de l’orientation
fondamen-talement agricole des premiers établissements. C’est un point important
puisque le bétail constituera un argument décisif lors des efforts missionnaires du XVIIIe
siècle parmi les populations non agricoles du Chaco ou parmi celles des steppes
méridionales de l’argentine. Ces derniers, entrepris à partir des premières années du
XVIIIe siècle, dessinent le troisième moment d’une généalogie que nous ne retraçons ici
que de façon très générale.
6 Au début du XVIIIe siècle, les implantations missionnaires jésuites dans le grand bassin du
Río de La Plata constituent sans doute le centre de gravité du dispositif missionnaire de la
Compagnie en Amérique espagnole. Trois foyers missionnaires s’y trouvent fortement
implantés. 1) À l’est du Chaco, le complexe des missions guaranis, installé sur les rives des
fleuves Paraná et Uruguay. Véritable fleuron de l’action jésuite en Amérique, le complexe
missionnaire guarani compte en 1702 trente missions regroupant une population de
90 000 Indiens réduits. Dans les décennies suivantes, en dépit des épidémies (16 000
Indiens y sont morts en 1695), la population des missions Guarani atteindra 138 934
Indiens6. 2) Au nord du Chaco, le complexe des missions de Chiquitos sur les plaines
orientales de la Bolivie compte au début du siècle cinq missions fortes de 3 000 Indiens
réduits. Les premières fondations datant de 1692, ce complexe se trouve à l’aube du
nouveau siècle en plein essor et dans les décennies suivantes le nombre de missions
doublera et leur population atteindra les 15 000 Indiens7. 3) A l’ouest du Chaco, les
installations jésuites de l’axe Tarija-Tucumán, sur les contreforts andins du nord-ouest
argentin. L’action missionnaire dans la zone est difficile et les Jésuites n’avancent que
timidement sur les vallées de Calchaqui et sur celles, plus septentrionales, menant à
Tarija8.
Lorsque les institutions colonisent
Socio-anthropologie, 17-18 | 2007
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