Politique motaire en union monétaire et en
change exible : une approche analytique
Daniel Laskar
Abstract
Dans un modèle à deux pays de la "nouvelle macroéconomie ou-
verte", que l’on résout analytiquement à partir d’une approximation
au second ordre, on considère les politiques monétaires optimales en
union monétaire et en change exible. Comparant ces deux systèmes,
on montre qu’une union monétaire est préférable en cas de chocs de
"mark-up" aectant la détermination des prix, et que la symétrie ou
asymétrie des chocs n’y est plus nécessairement déterminante.
Monetary policy in a monetary union and in a exible
exchange rate regime: An analytical approach
Using a two-country model of the "New Open-Economy Macroeco-
nomics" which is analytically solved through a second-order approx-
imation, we consider optimal monetary policies in a monetary union
andinaexible exchange rate regime. Comparing these two regimes,
we show that a monetary union is preferred in case of mark-up shocks
which aect price determination, and that the symmetry or asymme-
try of shocks is not necessarily relevant anymore.
Classication JEL : F41, F42, F33
Keywords: monetary union, international monetary policy coordi-
nation, mark-up shocks, new open-economy macroeconomics
Mots-clés: union monétaire, coordination internationale des poli-
tiques monétaires, chocs de mark-up, nouvelle macroéconomie ouverte
1 Introduction
PSE-UMR8545 (unité de recherche jointe CNRS-EHESS-ENPC-ENS) et
CEPREMAP. Adresse: CEPREMAP, 142 rue du Chevaleret, 75013 Paris. Tél: 01
40 77 84 08. Fax: 01 44 24 38 57. E-mail: lask[email protected] Cette version révisée a
cié des remarques eectuées par deux rapporteurs anonymes.
1
Depuis une dizaine d’années la "nouvelle macroéconomie ouverte", en ren-
dant explicites les fondements microéconomiques des comportements des
agents, a permis de renouveler l’analyse sur le sujet. La question des gains
pouvant résulter d’une coordination des politiques monétaires entre pays a
ainsi été reconsidérée avec des résultats pouvant largement varier selon les
hypothèses faites1. Les conséquences qui en résultent en ce qui concerne
le choix entre une union monétaire, qui pourrait être un moyen de réaliser
une telle coordination, et un système de change exible, ont cependant été
peu analysées, et l’étude de Pappa [2004] semble être une exception2.Une
telle question mériterait pourtant d’être étudiée et, en particulier, la mise
en place de l’union monétaire européenne devrait motiver un intérêt pour
les performances comparées d’une union monétaire dans ce nouveau cadre
d’analyse.
L’objet de cet article est d’eectuer une comparaison entre une union
monétaireetunsystèmedechangeexible, à partir d’un modèle à deux
pays relativement standard de la nouvelle macroéconomie ouverte, mais qui
est cependant susamment riche pour pouvoir générer des gains de coor-
dination. En particulier, comme dans Pappa [2004], on supposera qu’à la
fois l’élasticité de substitution entre les paniers de biens produits par les
deux pays et l’aversion relative pour le risque des agents, peuvent être dif-
férentsdelavaleurunitairesouventprisedanslemodèledebasesimplié
de cette nouvelle macroéconomie ouverte3, et on étudiera comment les résul-
tats varient en fonction des valeurs de ces paramètres, qui peuvent s’avérer
importants pour les questions considérées. L’analyse eectuée ici dière de
celle de Pappa [2004] par deux aspects principaux. En premier lieu, à la
place du modèle dynamique à prix échelonnés de Pappa [2004], on a utilisé
un modèle statique, avec des prix prédéterminés en début de période, dans
la lignée d’Obstfeld et Rogoff [2002]. On peut ainsi, contrairement à
Pappa [2004] qui a recours à des simulations numériques, résoudre analy-
tiquement le modèle, ce qui permet de mieux préciser la nature des résultats
obtenusainsiqueleseets des paramètres du modèle sur ces résultats.
La deuxième diérence principale concerne les chocs qui sont introduits
dans l’analyse. Dans Pappa [2004], seuls des chocs de productivité apparais-
sent dans le modèle, alors qu’ici on introduit en outre des chocs de "mark-up"
1On peut trouver une brève revue de littérature sur le sujet dans Sutherland [2004a]
et Tchakarov [2004].
2D’autres travaux ont pu comparer change exible et union monétaire mais dans des
cadres particuliers où ne peut se poser le lien entre gains de coordination et union moné-
taire. Par exemple, dans Sutherland [2004b] la politique monétaire est exogène et seuls
des chocs aectant l’ore de monnaie sont introduits.
3PouruneprésentationcritiquedecemodèledebasevoirCanzoneri et al. [2002].
2
qui aectent la détermination des prix4. De tels chocs ont été assez souvent
considérés dans ce type de modèles car ils rendent un système de prix exi-
bles inecient du fait qu’ils créent un écart entre le prix et le coût marginal.
En ce qui concerne les questions que l’on examine, Clarida et al. [2002]
ont montré que des chocs de mark-up peuvent conduire à des gains de coor-
dination dans des cas où avec des seuls chocs de productivité de tels gains
n’existent pas; et Benigno et Benigno [2004] indiquent qu’en présence de
chocsdemark-upunsystèmedechangexe peut être ecient pour certaines
valeurs des paramètres. L’introduction de tels chocs s’avèrera intéressante
pour les questions considérées. On montrera en particulier que des chocs de
mark-up, qu’ils soient symétriques ou asymétriques, amènent en général à
préférer une union monétaire à un régime de change exible.
Un autre aspect, plus technique, de l’analyse concerne les conditions
d’existence et de stabilité de l’équilibre non-coopératif lorsqu’en change exi-
ble les banques centrales des deux pays ne coopèrent pas entre elles. Comme
l’a souligné la littérature (Benigno et Benigno [2004] et Sutherland
[2004a]), il se peut que cet équilibre n’existe pas car la condition du second
ordredoptimisationdechaquebanquecentralepeutnepatresatisfaite.
On a ici rendu explicite cette condition et montré comment celle-ci dépend
des paramètres du modèle. De plus on a aussi examiné un autre aspect de
la question, que la littérature existante ne paraît pas avoir considéré, et qui
concerne la stabilité, au sens de Cournot, de cet équilibre. Ce pourrait être
en eet intéressant de voir sous quelles conditions les équilibres sont stables
dans ce sens. De telles conditions de stabilité, qui peuvent donc constituer
des restrictions supplémentaires, ont par conséquent aussi été explicitées ici,
ce qui permet d’apporter un complément à l’analyse eectuée.
La section 2 présente le modèle. La section 3 considère l’équilibre non-
coopératif en change exible. La section 4 compare union monétaire et
change exible en cas de chocs de mark-up. La section 5 réexamine la ques-
tion du rôle de l’asymétrie des chocs. La section 6 conclut.
4Dans la littérature on désigne ces chocs du terme de "mark-up shocks" (Benigno et
Benigno [2004]) ou de "cost-push shocks" (Clarida et al. [1999 et 2002], Sutherland
[2004a]), terme qui, comme le mentionne Woodford [2003], paraît cependant moins
approprié. Par concision on gardera l’anglicisme "chocs de mark-up".
3
2Lemodèle
2.1 Modèle en change exible
Les ingrédients du modèle sont ceux utilisés dans la plupart des modèles
de la nouvelle macroéconomie ouverte. Ici on utilise plus précisément le
cadre d’analyse statique de Sutherland [2004a]5, qui lui même s’inspire
d’Obstfeld et Rogoff [2002]. On considère un modèle à une période
représentant un monde constitué de deux pays, l’un noté H("home") et
l’autre F("foreign"),quisontdemêmetailleetdemêmestructure. Ce
monde est habité par un continuum d’agents indicés sur [0,2] qui sont des
consommateurs-producteurs produisant chacun un bien diérencié. Les agents
du pays H, et donc aussi les biens produits de ce pays, sont indicés sur [0,1[,
et ceux du pays Fsur [1,2] . Considérons un agent hdu pays H. Sa fonction
d’utilité est
U(h)=C(h)1ρ
1ρ+χlog M(h)
PKY (h)(1)
Dans l’équation (1) ,C estunindicedeconsommationdéni à partir des
consommations des diérents biens et le paramètre ρ>0représente l’aversion
relative pour le risque, le cas limite ρ=1correspondant à log C(h).M(h)
désigne la quantité de monnaie du pays Hque l’agent hdétient et Pl’indice
de prix à la consommation qui correspond à l’indice de consommation C, le
coecient χ>0représentant le poids relatif attribué à la détention réelle
de monnaie. Y(h)désignelaquantitédebienhque l’agent produit, et le
terme KY (h)correspond à la désutilité de produire Y(h).Pour simplier,
on a considéré une fonction linéaire6,etlecoecient K>0est alors égal
5Il peut donc être utile de préciser davantage la manière dont la présente analyse en
dière. Sutherland [2004a] analyse les gains de coordination mais ne compare pas,
comme on le fait ici, union monétaire et change exible. De plus, il n’introduit pas de
chocs de mark-up dans l’analyse mais seulement des chocs de productivité (dans un autre
papier Senay et Sutherland [2003] ont introduit des chocs de mark-up et comparent un
système de change xe à d’autres règles simples comme celui de maintenir le niveau des
prix ou le revenu nominal constant, mais ceci a été réalisé dans un modèle où aucun gain
de coordination n’existe, et où les règles simples considérées ne permettent pas d’atteindre
la politique optimale). Par ailleurs, son analyse de base, pour lesquels sont seuls présentés
les résultats analytiques, se limite au cas où l’aversion relative pour le risque est égale
à1.Comme on l’a indiqué, la question de la stabilité de l’équilibre non-coopératif n’est
pas évoquée de sorte qu’une partie des équilibres qu’il considère ne sont pas stables au
sens considéré ici. En revanche, il introduit diérents degrés d’intégration nancière entre
pays, qu’il compare, alors qu’ici on se limite, comme le fait Pappa (2004), au cas où il y
a complète intégration nancière.
6Une telle hypothèse correspond par exemple à celle de Corsetti et Pesenti [2001],
Obstfeld et Rogoff [2002] ou à l’analyse de base de Sutherland [2004]. Les résultats
4
àladésutilitémarginaledeproduirelebienh. Ilsaccroîtavecladésutilité
marginale du travail et décroît lorsque la productivité marginale du travail
augmente. On considère que Kestunevariablealéatoireetonlappelle"choc
de productivité" (un hausse de productivité correspondant à une diminution
de K).CechocestsupposélemêmepourtouslesagentsdupaysH.
L’indice de consommation Cest déni par
C(h)="µ1
21
θ
CH(h)θ1
θ+µ1
21
θ
CF(h)θ1
θ#θ
θ1
(2)
CHet CFsont eux-mêmes des indices dénis à partir des consommations
des diérentsbiensproduitsdanslespaysHet Frespectivement :
CH(h)=Z1
0
c(h, k)ϕ1
ϕdk¸ϕ
ϕ1
(3)
CF(h)=Z2
1
c(h, k)ϕ1
ϕdk¸ϕ
ϕ1
c(h, k)désigne la consommation de l’agent hen bien k;ϕl’élasticité de
substitution entre les biens produits dans un même pays; et θl’élasticité de
substitution entre les deux indices de biens CHet CFdes deux pays. On
suppose ϕ>1et θ1.Ces indices de consommation conduisent aux indices
de prix correspondants donnés par7
P=1
2P1θ
H+1
2P1θ
F¸1
1θ
(4)
PH=Z1
0
p(k)1ϕdk¸1
1ϕ
;PF=Z2
1
p(k)1ϕdk¸1
1ϕ
(5)
p(k)désigneleprixdubienkdans le pays Hen unités de monnaie du
pays H.
On dénit de la même manière la fonction d’utilité d’un agent fdu pays
F, avec des coecients identiques. Comme on autorise la possibilité de chocs
asymétriques entre pays, on a KàlaplacedeK(on met un astérisque pour
les variables du pays F). Toutefois, on supposera que la loi de probabilité
des chocs est symétrique par rapport aux deux pays.
quantitatifs obtenus peuvent néanmoins être assez sensibles à cette hypothèse (voir Pappa
[2004], Sutherland [2004a]). Le point sera brièvement discuté ultérieurement.
7Voir par exemple Obstfeld et Rogoff [1996] p.227 et p.661.
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