ECOLE CORANIQUE, BIBLIOTHEQUE, GALERIE COMMERCIALE...
Evry: 30 millions pour la mosquée
Un petit ajusteur a prouvé que lafoi,
mêlée d'un zeste de politique arabe, peut déplacer des montagnes... d'argent
Khalil Merroun, originaire du Maroc, est venu
en France il y a vingt ans. Il est naturalisé
depuis 1986. Père de cinq enfants, il habite un
petit pavillon et travaille à la SNECMA comme
ajusteur. Une barbe bien taillée orne son visage,
comme le veut la sunna, la tradition. Car il est
aussi président de l'ACMIF, l'Association
culturelle des Musulmans d'Ile-de-France.
Fondamentaliste,
mais pas intégriste »,
précise-t-il, il est partisan de l'intégration des
musulmans en France. Et c'est à son action
obstinée que la ville nouvelle d'Evry, dans
l'Essonne, doit le superbe centre islamique qui
va ouvrir ses portes en janvier 1991.
Le coût de l'opération, entièrement financée
par les Saoudiens, s'élève à 30 millions de
francs. Destinée aux 70 000 musulmans du Sud
parisien, la maison de Dieu abritera aussi une
école coranique, une bibliothèque, une salle
polyvalente, une galerie commerciale, etc. Par
sa dimension, par sa richesse, la mosquée
d'Evry pourra sans peine rivaliser avec la
Grande Mosquée de Paris, dont le contrôle a
toujours échappé à l'Arabie Saoudite. « Tout
a
commencé avec une pétition,
raconte Khalil
Merroun, le petit ajusteur devenu l'un des
hommes influents de l'islam en France. C'était
en 1978. Nous demandions une salle de prière
à Evry. Des centaines de personnes ont signé.
Et voilà le résultat »,
ajoute-t-il en pointant son
doigt vers le minaret de la nouvelle mosquée.
A la suite de la pétition, l'Etablissement public
d'Aménagement de la Ville nouvelle d'Evry
donne son accord et propose un terrain.
Merroun entreprend alors un long tour de table
parmi les sommités islamiques susceptibles de
participer au financement.
Il s'adresse d'abord à cheikh Hammami, de
l'association Jarna'at al-Tabligh. Pas de ré-
ponse. Si Harnza Boubakeur, alors recteur de la
Grande Mosquée de Paris, paraît mieux dis-
posé mais il veut contrôler toute l'opération.
Khalil Merroun essaie alors le Maroc. Mer-
roun rencontre Hachemi Filali, ministre des
Affaires étrangères, et Ahmed Bensouda,
conseiller du roi Hassan II. Mais ses démarches
n'auront pas de suite.
Reste la Ligue islamique mondiale, qui dispose
d'un bureau à Paris. C'est la bonne adresse. Le
directeur, Abderrahman Amman, lui aussi
marocain, est d'emblée séduit par le projet II
fera bénéficier Khalil Merroun et l'ACMIF de
ses contacts en France et, surtout, en Arabie
Saoudite. A partir de là, très vite le projet
change de dimension. Ce n'est plus une
mosquée qui est envisagée mais un véritable
centre islamique. La politique s'en mêle. Il y a
depuis longtemps, dans l'islam français, une
lutte d'influence autour de la Mosquée de
KhaleMerroun
Paris. Ellé est contrôlée par l'Algérie, un «
ré-
gime mécréant »
aux yeux des islamistes saou-
diens. Ceux qui veulent contrer l'influence de
la Mosquée de Paris vont soutenir le projet de
mosquée d'Evry.
Quelques placards publicitaires dans des jour-
naux du Moyen-Orient vont rapporter
620 000 francs dans un premier temps. En
1982, à la suite d'un voyage en Arabie Saoudite,
Abderrahrnan Amman, directeur du bureau
parisien de la Ligue islamique, ramène dans son
attaché-case 800 000 francs qu'il doit aux
recommandations du Dar Iftaa as-Sa'oud, une
association islamique influente à Riyad. Assez
pour acheter un terrain valant 2 millions de
francs dont le solde sera réglé en 1987.
Il faut trouver les fonds pour construire. Là
encore, l'intervention de deux personnalités
saoudiennes, cheikh Yamani, ancien ministre
de l'Information, et Omar Nassif, secrétaire
général de la Ligue islamique mondiale, sera
décisive. La Banque islamique de Développe-
ment dont le siège est à Djedda accorde un
pret de 1 250 000 dollars. En contrepartie, le
centre islamique d'Evry devra abriter Al ja-
m'iyat al-bar wal taqwa, une association de
piété et de dévotion fondée par les deux
Saoudiens. L'ambassadeur d'Arabie Saoudite
versera lui aussi 500 000 francs. Le ministère
des Affaires religieuses du Koweit fera un
chèque de 240 000 francs, et le célèbre homme
d'affaires saoudien Akram Odj eh donnera
3 millions de francs. Mission accomplie.
«Moi,
dit Merroun,
je suis toujours ajusteur et
mon pavillon, je l'ai acheté à crédit comme tout
le monde. Le centre qui va s'ouvrir à Evry est
la propriété de la Ligue islamique, et personne
ne peut lui reprocher son manque d'intégrité en
matière de religion. D'ailleurs,
ajoute-il,
nous
avons recruté un imam de l'université d'al-
Azhar, en Egypte, qui officiera ici pendant trois
ans. »
Fadd
Aïchoune
qui a fourni, toujours par l'intermédiaire de la
LIM, une partie des fonds destinés aux Algériens
du FIS et aux Tunisiens du MTI...
Plus mystérieuse encore que la BID, la DMI
est aujourd'hui considérée comme la première
société d'investissement de la nébuleuse islami-
que. Créée en 1981 à l'initiative d'une douzaine de
princes saoudiens et de chefs d'Etat ou de gouver-
nement arabes, elle est officielement enregistrée
à Nassau, aux Bahamas, mais elle est dirigée à
partir de Genève, où ses bureaux sont installés
près de l'aéroport de Cointrin. A son conseil
d'administration siègent les personnalités les plus
prestigieuses du monde des affaires saoudien et
arabe. La DMI agit par l'intermédiaire de trois
sociétés sœurs : la Masraf Faysal al-Islarni, basée
à Bahreïn, l'Islamic Investment Company of the
Gulf, dont le siège est également à Bahreïn, et
l'Islamic Takafol Company, enregistrée au
Luxembourg. Grâce à leurs innombrables filia-
les, la DIM et ses sociétés sœurs étendent leur
réseau sur une bonne partie du monde musulman
et de l'Europe. Du Pakistan au Sénégal, de
l'Angleterre au Soudan. «
La DMI s'intéresse
surtout à l'Afrique,
explique un expert.
Elle
n'hésite pas à investir dans n'importe quel projet
pour peu qu'il tienne techniquement et financiè-
rement debout. Disons qu'elle accorde un intérêt
tout particulier aux projets susceptibles de ren-
forcer l'influence de l'islam. »
Le seul vrai problème, pour les princes saou-
diens, a été celui des hommes. Car l'Arabie
Saoudite a du pétrole elle a aussi une certaine idée
de l'islam, mais elle manque de bras. Selon
l'Institut international d'Etudes stratégiques de
Londres, sur les 13 millions d'habitants que
compte aujourd'hui le royaume, il y a 5 millions
de travailleurs immigrés coréens, palestiniens,
thaïlandais, indonésiens, philippins et pakista-
nais. L'armée saoudienne elle-même est en
grande partie composée de mercenaires maro-
cains, égyptiens, jordaniens et pakistanais. Une
unité entière, la 12e brigade blindée, était l'année
dernière formée de 5.000 soldats pakistanais.
Pakistanais sur les bulldozers, Pakistanais dans
les chars, Pakistanais aussi dans le « corps expédi-
tionnaire » islamique. C'est naturellement vers
Islamabad, capitale d'un Etat islamiste bon teint,
que se sont tournés les princes saoudiens pour
trouver les imams et les professeurs chargés
d'aller répandre la bonne parole. C'est aussi au
Pakistan qu'ont été formés, depuis une dizaine
d'années, grâce à des crédits saoudiens, les
contingents de jeunes volontaires islamiques
recrutés pendant le pèlerinage de La Mecque, et
envoyés se battre en Afghanistan, aux côtés des
moudjahidin. Plusieurs dizaines d'entre eux
étaient algériens. La plupart sont rentrés chez
eux, où ils constituent désormais la force de frappe
du FIS.
Aujourd'hui, le dispositif saoudien apparent et
secret, est bien iodé. Riyad et Islamaba
d contrô-
lent, grâce à l'argent saoudien et aux cadres
pakistanais, la quasi-totalité des organisations
islamiques internationales : le Congrès du Monde
musulman, la Ligue arabe, la Ligue islamique
mondiale, l'Organisation de la Conférence isla-
mique, la Fédération mondiale des Missions
islamiques, l'Organisation islamique pour l'Edu-
cation, les Sciences et la Culture (Isesco), le
â"ear
19-25JUILLET199019
1 / 1 100%