Publié le mardi 24 mars 2015 par Caroline Thiry
PRINCES, Collectif Les Bâtards Dorés
Manufacture Atlantique
L’ovni Princes est solument furieux et moderne. Accrochez vos ceintures, le voyage
débute maintenant !
Il est 20h15 et à peine immergée dans le bar de la Manufacture Atlantique, je croise déjà une
amie, puis une autre. Cette pièce attire visiblement. On se raconte nos petites histoires de théâtre
lorsqu’on est interrompu par un grand mec mou et affublé d’une perruque qui interpelle le
public. Il commence à raconter des blagues plutôt décalées et suggestives, il met de la musique,
il chante. Mon amie est venue avec ses élèves de quinze ans, et l’un deux est déjà sur scène
avec le doux farfelu. Je me demande ce qu’il fait et est-ce qu’il veut en venir. Est-ce une
performance avant le spectacle ou celui-ci a-t-il déjà commencé ? Trouble en vue annoncé.
Quels Bâtards ces dorés!
Le collectif ancré à Bordeaux ose tout et n’a froid ni aux oreilles, ni à sa langue. Ils improvisent,
profèrent, mélangent les styles de jeux et passent de l’un à l’autre sans vergogne. L’intensité de
jeu est féroce et l’énergie déployée est incessante. La pièce est vivante, surréaliste, et alterne
entre émotion et drôleries loufoques. On y évoque l’amour, la solidarité, le vivre ensemble, la
jeunesse d’aujourd’hui, le vide, le manque de l’autre, la solitude, la souffrance, la recherche de
sens, le manque de valeurs, les désillusions de l’humanité, l’amertume, le dépit, la mort,
l’idolâtrie. Ils assument leur folie folle, leur envie de spectaculaire, leur liberté, et bousculent
le public. Ils aiment ce qu’ils font et ça se voit. Il y a du potentiel dans cette jeunesse Bâtarde
et de l’espoir. Je suis allée à la rencontre de Jules Sagot, l’un des membres du collectif pour lui
poser quelques devinettes… Attention interview !!
Qu’est-ce qui vous a poussé à créer ce collectif ?
On voulait créer mais on en avait marre de subir l’autorité d’un metteur en scène, on avait
vraiment envie de faire nos caprices d’acteurs. C’est parti d’une envie de jouer et de faire ce
qu’on désire. Dans le collectif, tout le monde écrit, met en scène et joue. Pour que quelque
chose soit appliqué, il faut que tout le monde soit d’accord. Ça prend beaucoup de temps, c’est
très fastidieux, mais c’était vraiment un désir de base, ça a été édicté, c’est ce qui a cimenté les
cinq personnes. On s’est dit qu’on allait faire un théâtre spectaculaire. Finalement ça se fait très
organiquement et on joue sur beaucoup de styles de théâtre différents, sans qu’on l’ait planifié
parce que c’est une écriture de plateau donc on avance étape par étape.
Comment arrivez-vous à vous mettre d’accord ?
C’est un processus lent, mais en même temps une fois que la chose advient, on est tous
pleinement au courant du fondement de celle-ci donc c’est très agréable en tant que comédien,
d’avoir déjà interrogé les pourquoi très profondément, pourquoi je ferais ça? Pourquoi je serais
habillé comme ça ? Pourquoi il y a un effet à ce moment- ? On a tous des affinités théâtrales
différentes, il faut toujours argumenter une idée, donc c’est très épuisant. On exprime et on
revendique nos différences. Cela dit, c’est en les cultivant qu’on construit notre unité. On se
dispute mais dans le travail on s’entend très bien, on débat et souvent pour argumenter notre
point de vue on joue.
Comment fait-on de la mise en scène à cinq ?
On est tout le temps tous les cinq et ça se fait de manière informelle et un peu bordélique. Ça
veut dire que si Romain travaille une scène, on va être là, on va écouter, on va dire « là non, ça
va pas si tu fais ça, non attends, refais le comme ça », alors lui il va gueuler « non je ne veux
pas le faire comme ça, si je fais ça mon parcours ne veut plus rien dire » et ça se dirige comme
ça, et après chacun argumente et se défend. Dans la pièce, il y a beaucoup d’impro donc on est
très libre.
Vous improvisez ?
Oui, il y a de l’impro et il y a des textes très écrits, ça bouge. Et il y a énormément de forme de
théâtre différents. Ce qui nous réunit tous les cinq, c’est qu’on souhaite que le public soit très
impliqué dans la pièce, c’est une raison de faire du théâtre, l’impro c’est aussi ça, jamais pareil,
jamais fixé.
Pourquoi ce choix de mélanger quelque chose de très écrit et l’impro ?
Parce qu’on s’est dit que notre théâtre serait spectaculaire. Le prince revient d’une cure qui l’a
changé, il revient complètement débile, il a renié sa profondeur au nom d’un confort, il s’est
inscrit dans la société, il a perdu ce truc abyssal, ses amis le ramènent à sa complexité en le
retrouvant. Par exemple, Rogojine le ramène via une forme théâtrale, via une épure de la langue.
Comme c’est une écriture de plateau, pendant qu’on crée on choisit la manière scénique et
littéraire et la modalité de jeu qui nous semble la plus adaptée avec le message qu’on veut faire
passer. Parfois on est dans des jeux très droits, très fins, parfois on est dans du jeu ultra bouffon,
très contemporain, parlé. On s’est dit qu’on voulait construire un spectacle qui n’est fait que de
climax, c’est le point culminant. C’est notre manière de construire, et comme on construit étape
par étape au présent, ça répond à peu près à cette utopie. C’est tout le temps intense dans notre
fantasme, on le conçoit comme ça, même si à l’intérieur on change de jeu.
Comment écrivez-vous ?
Dans l’écriture Romain va écrire très librement, ça va permettre de défricher. J’ai un esprit plus
synthétique. Romain va écrire, ensuite je vais essayer de rationaliser. Christophe a dans son
écriture quelque chose de plus lyrique. On a fait une sortie de résidence l’an dernier à Toulouse,
on a répété beaucoup et on est encore en train de changer un endroit du personnage de
Nastassia. On écrit, on lit, on réécrit, on argumente, le texte bouge comme ça.
Vous l’avez joué au théâtre du Pavé à Toulouse l’année dernière, ça a beaucoup
évolué depuis ?
Oui, notre scénographie se modifie et on s’adapte au lieu. Par exemple dans la pièce, j’ai une
société d’évènementiel avec Hippolyte, en fait on a loué La Manufacture pour accueillir le
retour de notre ami. Quand on loue La Manufacture ou le Pavé, ce n’est pas le même lieu, ça
ne raconte pas la même chose. Au Pavé, il y avait des jeux récurrents sur le fait qu’il n’y avait
pas beaucoup de monde. A La Manufacture ce sera l’inverse. La pièce commence dans le bar,
puis j’amène le public dans la salle, ils sont sur la scène et ensuite ils s’installent dans les
gradins. On joue aussi dans les gradins, sur la table au milieu du public.
Vous êtes maîtres de tout ce que vous faites et ça vous donne plus de liberté. Est-ce
aussi l’idée de vous mettre en danger qui vous plaît ?
On a en effet l’impression de se mettre en danger, on a très peur. Après je ne sais pas ce qui
provoque cette peur, l’aspect expérimental de la pièce ou bien le fait de devoir tout assumer :
l’écriture, la mise en scène et le jeu. Le choix de la forme du collectif, c’est l’envie d’être une
équipe. Après il y a le fait que c’est notre objet, c’est à nous cinq. Dans notre fantasme initial,
le partage est vital. La manière dont on construit un projet se raconte aussi aux gens, ils voient
un groupe d’amis jouer une pièce. On est très souvent touché par des spectacles de collectifs,
de groupes les gens s’aiment, ça se ressent et c’est aussi comme ça qu’on a envie de
concevoir notre vie, c’est comme ça que notre métier peut devenir magique et non violent, c’est
stressant mais galvanisant. Beaucoup plus que d’attendre le désir d’un metteur en scène.
Pourquoi ce choix de « L’idiot » de Dostoïevski. Aviez-vous besoin pour un premier
projet de vous appuyer sur quelque chose ?
Oui c’est ça et on a aussi trouvé des similitudes fortes dans le roman, une société qui est en
déclin, en perdition. On a ce sentiment fort qu’on est peut-être au bout du monde, on a du mal
à s’accrocher à nos valeurs, à faire confiance à un mouvement pour s’engager, à trouver un
combat et ce sont des notions qui dans L’idiot sont très présentes. Ce besoin que le prince a de
témoigner son amour, le fait qu’il ne sache pas le mettre pour que ce soit utile, on ressent
une similitude dans notre envie de théâtre. Il y a aussi dans L’idiot cette question de la mort de
Dieu. Pour nous, c’est le sentiment de la mort des utopies qu’ont vécu nos parents. On est tous
attiré par le sacré, on a l’impression que tout est consomrapidement. La question de la
religion est peu posée dans notre spectacle mais par contre, celle de la mort est présente car
Hippolyte est condamné. On a trouvé des ponts qui nous semblaient pertinents. On y a trouvé
des thèmes qui nous intéressaient. Comment épancher notre soif d’amour, comment créer un
mouvement, comment dire que c’est possible ? On a du mal à aimer, en même temps on est très
dans notre image, mais on n’a pas envie d’y être complétement. On culpabilise d’être des
branleurs mais on sent que tout le monde bout d’une envie de quelque chose de brillant. C’était
ce qui déterminait notre envie à tous les cinq de le traduire dans le théâtre. Notre pièce dit tout
ça, trouver des espaces de transe, de dépassement de soi.
Pensez-vous déjà à un nouveau projet ?
On a un projet qui s’appelle La méduse. On partirait du tableau Le radeau de la méduse. On
s’inspirerait des journaux de bord des rescapés. On a plein d’idées mais c’est encore au stade
embryonnaire…
A la Manufacture Atlantique jusqu'au 25 mars.
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