LE LASER : principes et applications

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de
l’ELECTRONIQUE QUANTIQUE
à
l’OPTIQUE QUANTIQUE
Claude Fabre
Laboratoire Kastler Brossel
Université Pierre et Marie Curie
et Ecole Normale Supérieure
Paris
Le 16 Mai 1960 T. Maiman produit le premier faisceau laser
C’est l’aboutissement d’un long processus conceptuel
plus que d’une amélioration des techniques optiques
But de cet exposé
Retracer les grandes lignes de ce processus:
- qu’est-ce que la lumière ?
- comment interagit-elle avec la matière ?
- Avant 1960 : « la préhistoire »
- Après 1960 : l’ « histoire »
Les aspects quantiques sont primordiaux dans le laser
dans la matière, dans la lumière, dans leur interaction
Le laser permet de faire de nouvelles expériences
Et de produire de la lumière de plus en plus exotique
Préhistoire du laser:
Une brève histoire
de la physique de
l’interaction matière-rayonnement
Fin du XIXème siècle : les premiers pas
XIXème siècle:
- équations de Maxwell, découverte de l’électron
- spectroscopie: les corps simples absorbent
ou émettent la lumière à des fréquences bien définies
H.A. Lorentz (1892)
Théorie cohérente de l’interaction
entre matière et lumière:
Ondes électromagnétiques
interagissant avec charges
ponctuelles liées par une force harmonique
La lumière est absorbée lorsque sa fréquence est proche
des fréquences d’oscillation de l’électron.
Une variation d’indice est associée à l’absorption.
Pas de transfert d’énergie possible de la matière vers la lumière
Début XXème siècle: naissance de l’« optique quantique »
Planck (1900)
Pour avoir une explication cohérente de la
distribution spectrale du rayonnement thermique
il faut supposer que les échanges d’énergie se font
par multiples de h
Einstein (1905)
Le rayonnement thermique a les propriétés
thermodynamiques d’un gaz
de particules indépendantes
d’énergie h
La lumière a une double nature
Particule
Onde
Les deux
Ni l’un ni l’autre ?
Un objet quantique sans
équivalent classique
Naissance de l’ « électronique quantique »
Bohr (1912)
Niveaux d’énergie discrets
dans les atomes
La lumière est émise ou absorbée
lors de la transition entre niveaux d’énergie
E2  E1  h
2
2
1
1
Absorption:
Energie lumineuse diminue de h
Emission:
Energie lumineuse augmente de h
Une approche phénoménologique de l’interaction atome- lumière
Einstein (1917)
Introduit un aspect aléatoire :
les processus discrets d’absorption et d’émission
ont une certaine probabilité de se produire
en présence d’un rayonnement incident
(« sauts quantiques »)
Retrouve la formule de Planck du rayonnement thermique
à condition d’introduire un processus nouveau
l’émission stimulée
Il y a deux types d’émission de lumière
1: l’émission spontanée
qui existe même en l’absence de rayonnement incident
2
la lumière est émise
dans toutes les directions
1
2: l’émission stimulée
qui nécessite un rayonnement incident
2
lumière
lumière
1
L’énergie de l’atome est transférée
à l’onde incidente
Dans le cas du rayonnement thermique
il y a accroissement de la densité spectrale d’énergie lumineuse
Le processus n’est pas nécessairement cohérent
2: l’émission stimulée
qui nécessite un rayonnement incident
N photons
2
N+1 photons
1
L’énergie d’un photon est rajoutée
à l’onde incidente
Une approche ab initio de l’interaction atome- lumière (1924-1926)
De Broglie, Schrödinger, Heisenberg
avènement de la
Mécanique Quantique:
Elle permet une approche rigoureuse
de l’interaction matière rayonnement
1) l’approche « semi-classique »
Champ électromagnétique
classique
Optique non quantique +
+
Atome quantique
Electronique quantique
Succès de l’approche semi-classique
Schrödinger 1926
retrouve
E2  E1  h
-La formule de Bohr
-Les coefficients d’absorption et d’émission stimulée
- les lois d’Einstein de l’effet photoélectrique
Le « clic » d’un photodétecteur
n’est pas la manifestation de l’arrivée d’un photon,
mais celle du « saut quantique » aléatoire
de l’électron
d’un niveau d’énergie stable
à un niveau excité
sous l’effet de l’onde lumineuse
Propriété nouvelle:
Le processus d’émission stimulée» est cohérent
Ce n’est pas simplement:
N photons
2
N+1 photons
1
Mais plutôt:
2
1
Il y a amplification cohérente de l’onde lumineuse
2) les débuts de l’optique quantique ab initio
1925-1930
Dirac, Jordan, Pauli…
appliquent les lois de la mécanique quantique
au champ électromagnétique
L’énergie du champ est quantifiée
États propres
n
E
0
E4
E3
E2
E1
E0
Ressemble à l’énergie de particules identiques sans interaction: les photons
Dirac Wigner Weiskoff …
La théorie quantique donne
-les taux d’absorption et d’émission stimulée
-le taux de l’émission spontanée
Résultats quantitatifs
-nouveaux pour l’émission spontanée
-exactement identiques à ceux de la théorie semi-classique
pour le reste
-quantités infinies gênantes dans la théorie
On se retrouve dans une situation connue depuis longtemps:
Les phénomènes en optique peuvent avoir deux interprétations
l’une corpusculaire, l’autre ondulatoire
Exemple: réflexion sur un miroir
corpuscule
Al Hazen, Newton …
onde
Huygens, Euler …
Prédictions propres à l’ Electrodynamique Quantique
Landau, Peierls : Inégalité de Heisenberg
sur le champ électromagnétique


Er , t Er , t  T / 4  Ev2
Un champ électrique nul à tout instant ne peut exister
Etat fondamental à zéro photon: « obscurité » ou « vide »
1
E  h
2

Er , t   Ev
L’obscurité totale n’existe pas !
Existence des « fluctuations du vide »
Années 1935-1945
Développement des générateurs radiofréquences
Amplificateur
électronique
(cohérent)
Énergie
électrique
Oscillateur
électronique
Boucle de réaction
Dans le domaine des micro-ondes
Invention du magnétron
pour applications radar
Réaction plus efficace avec une cavité résonnante
Après 1945: l’âge d’or de l’électronique quantique
Townes (USA), Basov,
Prokhorov (URSS)
(1954)
Oscillateur micro-onde basé
sur l’émission stimulée :
le MASER
Microwave Amplifier by Stimulated Emission of Radiation
Cavité résonnante
Injection d’atomes excités
Kastler (1949) Bloembergen (1956)
2
Kastler: Le pompage optique:
transfert total des atomes
vers des niveaux hors équilibre
3
1
2
Bloembergen:
Le maser état solide
à trois niveaux
1
3
Inversion
importante
de population
Le « maser optique »
Schawlow Townes
Gould
(1958)
Idée théorique d’utiliser une
cavité Fabry-Perot pour le bouclage
atomes
Maiman (1960)
16 Mai 1960 : Premier faisceau laser
(laser à rubis)
Après l’avènement du laser:
Vers l’optique (vraiment) quantique
Où en est le débat onde/corpuscule ?
•Optique/Electrodynamique Quantique
théorie compliquée qui permet de calculer l’émission spontanée
ainsi que des effets subtils et petits (Lamb shift…)
•La théorie semi-classique/électronique quantique
suffit pour calculer toutes les autres caractéristiques
de l’interaction matière-lumière
et tous les phénomènes optiques sur les « ondes libres »
Le concept de photon est utile, mais pas indispensable
Il n’y a pas de preuve expérimentale irréfutable de l’existence
du photon en tant que quantum de lumière « libre »
La lumière:
- un corpuscule quand elle interagit avec la matière,
- une onde quand elle se propage
Mesures de corrélation
Hanbury-Brown Twiss 1952
Hanbury-Brown (radioastronome)
propose une nouvelle technique
pour mesurer le diamètre des étoiles:
d
Mesurer la corrélation
des fluctuations d’intensité
I1 (t ) I 2 (t )
Un calcul ondulatoire classique
permet de remonter
de la longueur de corrélation
à la cohérence spatiale de la source
donc à son diamètre
1956 : Extension de la méthode au domaine optique
mesure de la cohérence temporelle (largeur spectrale)
Les photons ont tendance à se « grouper » !
Expérience accueillie avec beaucoup d’étonnement
et de scepticisme
Les photons ne sont pas aléatoirement répartis dans le faisceau
l’optique quantique sort de l’adolescence
R. Glauber 1962
Théorie quantique de la cohérence et de la photodétection
introduction des « états cohérents ou quasi-classiques » 
  0 

1!
1 
2
2!
2 
3
3!
3  ...
Superposition quantique d’états à nombre de photons différents
 Eˆ    cost  kz  Arg  
Phase du champ = phase de la superposition quantique
  0 

1!
1 
2
2!
2 
3
3!
3  ...
Distribution des photons obéit à une statistique de Poisson
N  N
Correspond à des photons statistiquement indépendants
absence de groupement de photons
I (t ) I (t   )
Source « chaotique »
à spectre large
Source « chaotique »
à spectre étroit
Laser
Expérience (récente) : F. Boitier et al Nature Physics 5 267 (2009)
Approches théoriques du laser:
- semi-classiques : Lamb, Haken, …
- purement quantiques: Lamb, Scully, …
le laser émet très au dessus du seuil un état cohérent
- et même purement classiques:
Champ d’un état cohérent
laser monomode
E t   E X cos t  EY sin t
EY
Représentation
de Fresnel
Détection
« homodyne »
Distribution
de probabilité
EY
EX
EX
Les « quadratures » EX et EY sont des quantités « complémentaires »
comme x et p
E X EY  E
2
0

État cohérent : E X  EY  E0 
2 0V
Vers l’optique « vraiment quantique »
On se rend compte qu’il existe
toute une gamme de phénomènes optiques
que l’approche semi-classique ne peut expliquer:
« phénomènes non-classiques »
Elles se manifestent essentiellement:
- sur les fluctuations de grandeurs optiques
- sur les corrélations entre grandeurs fluctuantes
Optique (vraiment) quantique 1:
Corrélations non classiques
Corrélations d’intensité après une lame semi-réfléchissante
(1)
(1)
(2)
Une lame semi-réfléchissante
divise une onde en deux parts égales,
mais ne peut pas couper un photon en deux !
Elle les dirige aléatoirement d’un côté ou de l’autre
(2)
Détecteur de
coïncidences
(1)
(2)
Si c’est une onde classique :
Des coïncidences peuvent se produire par hasard
Si c’est un courant de photons isolés :
Il ne peut jamais y avoir coïncidence
Pour une source classique, on a toujours
I (t ) I (t   )  I (t ) 2
groupement de photons
I (t ) I (t   )

I (t ) I (t )  0
n’a
aucune explication
semi-classique
« dégroupement
de photons »
I (t ) 2
La première expérience d’optique « vraiment » quantique
Kimble, Dagenais, Mandel 1977
Un atome unique ne peut émettre
qu’un seul photon à la fois
Détecteur de
coïncidences
(1)
Atome
unique
excité
par laser
(2)
Ils utilisent un jet très dilué
d’atomes
excités par un laser
I (t ) I (t   )
dégroupement de photons
observé
I (t ) 2

1977 : première preuve expérimentale
directe de l’existence du photon « libre » !
Expérience
ultérieure
sur un ion piégé
unique
(1987)
I (t ) I (t   )

Autres corrélations :
génération de photons jumeaux dans les cristaux paramétriques
h
hp
h
h p  h 1  h 2



k p  k1  k 2
Les photons émis dans deux directions symétriques
sont parfaitement corrélés quantiquement
« photons jumeaux »
Hong, Ou, Mandel 1986
hp
h
Détecteur de
coïncidences
h
Lame semi-réfléchissante
I (t ) I (t   )
0
Différence de marche
Pas de coïncidences
quand les photons
jumeaux arrivent en
même temps sur la
lame semi-réfléchissante
Interprétation de l’expérience:
1) onde classique :
il existe toujours une possibilité de coïncidences fortuites
2) photons, particules classiques :
(1)
(2)
(3)
(4)
Dans cette expérience,
-la lumière ne se comporte pas comme une onde classique
-la lumière ne se comporte pas comme un ensemble
de particules classiques
de nouvelles étapes dans l’étrangeté des
phénomènes de l’optique quantique (1)
(1)
h
h
(2)
Einstein, Podolsky, Rosen 1935
Les corrélations entre fluctuations des faisceaux (1) et (2)
permettent de connaître aussi bien x1 que p1
lorsqu’on mesure x2 ou p2
x1 x2 p1 p2  0
Possible pour les
variances conditionnelles
Expérience réalisée en optique sur des corrélations entre
quadratures
De nouvelles étapes dans l’étrangeté des
phénomènes de l’optique quantique (2)
(1)
(2)
Les fluctuations corrélées « EPR » des faisceaux (1) et (2)
sont d’origine quantique, mais elles sont « locales »,
c’est-dire attachées à chacun des deux faisceaux
J. Bell 1953
Montre qu’il existe des situations où les corrélations quantiques
de la mécanique quantique sont « non-locales »,
attachées seulement à l’ensemble (1)+2)
Clauser (1972), Fry (1976),
Aspect (1980), Zeilinger (1998)
Photons intriqués
en polarisation


1
1 :,2   1 :,2 
2
Possède des
corrélations
Polarisation
quantiques

« non-locales »
(violation de
l’inégalité de Bell)
(1)
(2)
Polarisation

Optique (vraiment) quantique 2:
Fluctuations non classiques
Limite « quantique standard » des fluctuations
Une onde classique provoque des « sauts quantiques »
aléatoires dans le photodétecteur
Leur nombre N est toujours tel que:
N  N
Toute source lumineuse sur laquelle
on mesure un bruit « sub Poissonien »
( N  N
) est non-classique
Fluctuations d’intensité dans un faisceau laser
Golubev, Sokolov, Yamamoto 1984
Le bruit d’intensité d’un laser est de manière ultime
celui de son processus de pompage.
Un laser à « pompe régulière » peut être sub-Poissonien
R
i:
p
Cas d’un
ialim
Laser à
semiconducteur
n
i1
Si les rendements quantiques sont parfaits, la distribution
des photons reproduit celle des électrons,
dont la variance est 2kT/R
R. Slusher 1985
« vide squeezé », moins fluctuant que le vide, possible:
les états « squeezés »


E r , t E r , t  T / 4   Ev2


2
avec E r , t   Ev
si E r , t  T / 4   Ev2
Mesure des fluctuations par technique de mélange homodyne
Fluctuations du vide
Fluctuations du vide comprimé
(produit par techniques d’optique non linéaire)
Fluctuations de champ électrique
inférieures aux fluctuations du vide
Application à l’amélioration de la sensibilité
des interféromètres gravitationnels
VIRGO (Pise, Italie)
Une nouvelle étape dans l’étrangeté des
états de la lumière produits: les « chats de Schrödinger »
Les fluctuations des états sub-Poissoniens ou squeezés
sont d’origine quantique, mais elles « ressemblent »
à des fluctuations classiques (« quasi-probabilités » positives)
Il existe des états dont les fluctuations n’ont pas
d’équivalent classique (« quasi-probabilités » négatives)
Exemple superposition de deux états cohérents opposés :
  
Superposition quantique de E et –E:
ce n’est pas un champ nul !
Fluctuations quantiques décrites
par une fonction de distribution
EY
amplitude
phase
EX
« vide »
État cohérent
émis par un laser
fonction de distribution pour les états non-classiques
« chat de
Schrödinger »
« vide comprimé »
Fluctuations sans équivalent
classique, d’origine quantique,
mais descriptibles par des
probabilités classiques
La fonction n’est pas
positive partout:
Ce ne sont pas de
« vraies probabilités »
Conclusion
L’avènement du laser a permis de soulever de nouvelles
interrogations sur la nature profonde de la lumière
Il a en même temps apporté de nouvelles techniques
permettant de faire de nouvelles expériences
et de mieux comprendre cette nature
La lumière peut ressembler à une onde classique
La lumière peut ressembler à une particule classique
La lumière peut ne ressembler à rien de classique !!
Il existe des états du champ de plus en plus éloignés
de notre expérience classique
Sait-on enfin ce qu’est la lumière ?
« A license should be required for use
of the word photon, and such a
license should be given only to
properly qualified people »
Lamb 1995
« Nous ne connaissons pas la nature
de la lumière, et utiliser de grands mots
sans beaucoup de signification
est une imposture »
Grimaldi 1665
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