histoire des évacuations des collections publiques françaises, 1870

La préservation des œuvres : histoire des évacuations des collections publiques
françaises, 1870-1940
par M. Arnaud Bertinet
Dominique Misigaro :
Bonjour à tous. J'espère que vous m'entendez bien. Merci d'être si nombreux à venir
écouter ces tables-rondes et d'être revenus pour ceux qui étaient là ce matin. Je m'appelle
Dominique Misigaro. Je fais partie de l'association Mémoires du Patrimoine qui organise ces
tables-rondes et, à ma droite, Odile Boubakeur qui est vice-présidente de cette association. Donc
nous allons passer à notre deuxième table-ronde qui a pour titre le Patrimoine dans la guerre :
acteurs et législation nous allons tenter de voir quels acteurs peuvent jouer dans la
préservation des œuvres, la préservation des édifices pendant la période de conflits, avec trois
intervenants : Arnaud Bertinet, qui va commencer, Laurence Lepetit, et Vincent Négri qui clôturera
cette table-ronde. Pour commencer donc Arnaud Bertinet est docteur en histoire de l'art. Il a
soutenu sa thèse de doctorat en décembre 2011 à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne sous la
direction du professeur Dominique Poulot. Le titre en était « La Politique artistique du Second
Empire. L'institution muséale sous Napoléon III ». Il travaille sur un projet de recherche qui
s'appelle « Évacuer le musée : entre sauvegarde du patrimoine et histoire du goût. 1870-1940 » sur
lequel il va s'appuyer dans sa présentation aujourd'hui. Il est membre du laboratoire d'excellence
Création, art et patrimoine du pôle Recherche et Enseignement supérieur Hautes Études-
Sorbonne-Arts et Métiers. Voilà. Je le laisse démarrer et n'hésitez pas à la fin de sa présentation,
on aura quelques minutes pour des questions. Donc n'hésitez pas. Le micro circulera.
Arnaud Bertinet :
Bonjour. Je voudrais dans un premier temps remercier l'association Mémoires du
patrimoine et l'École du Louvre qui me permettent donc aujourd'hui de vous présenter des
recherches en cours. Vous excuserez donc forcément quelques lacunes dans cette présentation,
puisque cette question des évacuations successives des musées de France est l'objet du post-
doctorat que je mène actuellement au sein du LABECS-CAP je suis détaché à l'Institut français
du patrimoine et à l'INHA.
Comme nous l'avons vu dans les précédentes interventions, lors des conflits armés, le
patrimoine d'un pays est à la fois l'emblème d'une identité collective et une source de convoitise. Il
devient l'objet d'appropriation voire de confiscation abusive, de pièges à grande échelle ou de
destruction. La période de mise en danger patrimoniale la mieux étudiée de l'histoire de France,
après celle, fondatrice, de la Révolution, est sans conteste la Seconde Guerre mondiale.
L'évacuation des œuvres des musées nationaux vers les châteaux de la Loire en 1939, ou l'action
de Rose Valland au Jeu de Paume sont des exemples qui nous viennent naturellement à l'esprit.
Pourtant il existe des précédents à ces actions qui ont permis l'évacuation de 1939 et qui ont
pratiquement disparu de notre mémoire collective. En effet quand l'impératrice Eugénie fuit les
Tuileries en passant par La Grande Galerie du Louvre le 4 septembre 1870, elle traverse un musée
dont les principaux tableaux ont été évacués. Et, lorsque la Grosse Bertha bombarde Paris en 1918,
les principales collections du musée ont depuis longtemps quit la capitale. Il est tout à fait
illusoire de croire pouvoir vous résumer lors de cette intervention d'une vingtaine de minutes
l'histoire des musées français lors des conflits de 1870, de la Première et de la Seconde Guerre
mondiale. Toutefois il paraissait primordial de présenter dans le cadre de cette journée ces
épisodes, pour certains encore méconnus.
Avant d'aborder ces premières évacuations, et pour bouleverser la chronologie, revenons
sur l'évacuation la mieux étudiée de l'histoire des monuments français. Dès 1933, les services du
secrétariat d'état aux Beaux-Arts réfléchissent à la protection du patrimoine français en cas de
nouveaux conflits, à la suite des destructions massives de la Première Guerre mondiale. Ils sont
alors soutenus dans leur action par l'Office international des musées, l'ancêtre de l'ICOM, qui
regroupent de nombreux conservateurs européens. Bien que le Traité de Washington sur la
protection des monuments et des œuvres d'art en cas de guerre ait été signé en 1935, l'année
suivante est créé au quartier général de l'armée française un service des monuments historiques
qui doit préparer les monuments et évacuer les objets d'art de la zone des armées. En parallèle,
Joseph Billet, conservateur général des musées nationaux, est chargé d'établir par ordre d'urgence
les listes d'œuvres d'art à évacuer et à protéger sur place en cas de conflit international.
La question de la protection des bâtiments en cas d'attaques aériennes domine l'activité de
ces services. Et l'évacuation du musée du Prado lors de la guerre civile espagnole a permis d'initier
ces mesures qui vont se dérouler dans toute l'Europe. Je vous présente l'entrée d'un des camions
lors de l'évacuation de la National Gallery de Londres dans le lieu de stockage souterrain au Pays
de Galles, enfin un des lieux de stockage au Pays de Galles, des musées anglais. Une tâche énorme
attend ces hommes car, en plus de préparer l'évacuation, il faut trouver des lieux de repli. Ces
endroits doivent être éloignés des grandes villes pour échapper aux combats et aux
bombardements, bien bâtis, faciles d'accès, à proximité de points d'eau pour les pompes à
incendie, mais aussi capables de loger un personnel nombreux et disposés de conditions de
conservation décentes. Le choix se porte assez rapidement sur les vieux monuments des
campagnes françaises, et notamment les châteaux français. Le château de Chambord est désigné
comme plaque tournante de cette évacuation et vingt-sept châteaux ainsi qu'un certain nombre
d'abbayes sont réquisitionnés pour servir d'abris. En parallèle, on va créer et même construire les
caisses pour emballer les œuvres, en même temps que les sous-sols des musées sont aménagés
pour abriter ces caisses. Les caisses et les listes sont codées pour que seuls les conservateurs en
connaissent le contenu. Et le Louvre disperse ces différentes écoles de peinture entre des
centaines de caisses pour éviter d'en perdre une d'un seul coup. La Joconde est l'unique œuvre du
Louvre à disposer de sa caisse personnelle marquée des trois fameux points rouges que vous
connaissez sans doute tous. Pour la première fois dans l'Histoire, la mise en sûreté du patrimoine
artistique de l'ensemble d'un territoire, d'une nation est projetée.
Une véritable répétition générale a lieu au moment du sommet de Munich en 1938. Les
œuvres du Louvre partent pour Chambord deux jours avant la réunion, et l'exercice permet de
soulever un certain nombre de faillance du système. À Metz, le conservateur doit ainsi faire
appel à des scouts pour évacuer les collections. Seul le vieux concierge du musée n'a pas été
mobilisé. L'accord signé entre les différentes grandes puissances européennes, le retour
« triomphal » de Daladier permettent aux tableaux du Louvre de retrouver leurs cimaises mais
dans une atmosphère surréaliste puisque les caisses prévues pour l'évacuation restent dans les
salles sous les tableaux. Le 27 août 1939, sept jours avant l'entrée en guerre de la France, ordre est
donné aux conservateurs de France d'évacuer leurs collections. 71 dépôts vont recevoir les œuvres
principales de deux cent musées de province. Un tiers des collections publiques françaises est ainsi
évacué en quelques jours. Les vitraux des cathédrales et des églises de France sont enlevés et
emmenés au château de Champs. Par exemple pour la cathédrale de Metz, ce travail de titan
représente 324 caisses et s'est produit en moins de dix jours. Trente-sept convois quittent le
Louvre entre le 27 août et le 28 décembre. Les camions du convoi du 3 octobre par exemple
s'éloignent de Paris avec à leur bord La Vénus de Milo, les bas-reliefs des Panathénées, les Esclaves
de Michel Ange et la Victoire de Samothrace.
Il faut bien sûr noter la torture mentale que représente toute évacuation pour les
conservateurs. Il est indispensable d'aller vite pour descendre les sculptures de leurs socles ou
décrocher les tableaux, alors même que tout mouvement d'œuvres demande habituellement une
patience à toute épreuve. Le tracteur à remorque des décors de l'Opéra part de Paris avec Les
Noces de Cana, Le Sacre de Napoléon, Le Couronnement de la Vierge de Fra Angelico et d'autres
grands formats. Ces toiles monumentales obligent d'ailleurs à déplacer les fils téléphoniques et
télégraphiques rencontrés et une équipe des PTT doit être ajoutée en urgence au dispositif. De
même le poids des marbres et des grands bronzes soulève de très nombreux problèmes lors du
passage de certains ponts. On a peur en fait que les ponts s'effondrent sous le poids des camions.
Les œuvres arrivent à Chambord. Elles sont dispersées en fonction des différents lieux de repli.
Souci majeur : les châteaux ont été choisi avec la certitude de l'inviolabilité de la Ligne Maginot.
D'accord ? Devant l'avancée allemande, il est nécessaire d'évacuer à nouveau les œuvres. Trois
châteaux situés au nord de la Loire ne seront pas évacués : Sourches qui abritent les grands
formats du Louvre sous la garde de Germain Bazin que vous voyez d'ailleurs ici, Brissac et
Courcelles. Et ces dépôts se retrouveront donc en zone occupée par la suite. Une deuxième
évacuation part vers l'abbaye de l'Opdieu depuis Chambord et 3120 tableaux arrivent à l'abbaye
mais les conditions de conservation ne sont pas correctes. Et l'exode des tableaux continuent,
cette fois vers le musée Ingres de Montauban. La peur des bombardements déplacera une
dernière fois en 1943 la caravane des peintures du Louvre vers le château de Montal et les
contreforts du Massif central.
La vie des dépôts s'organise alors. Les gardiens souvent transformés en bûcherons pour
chauffer les salles des châteaux. Inventaire et récolement ont lieu dans les différents dépôts, ainsi
qu'une mise en place sélective des œuvres dans les dépôts pour permettre une hypothétique
évacuation d'urgence tandis que les exercices d'alerte incendie rythment le quotidien des musées
déplacés. Uniquement troublés par les inspections surprises des occupants s'assurant de la
présence des œuvres et de l'exactitude des inventaires, les œuvres sont interdites de déplacement
jusqu'aux combats de la Libération. Ces musées déplacés ont une vie qui est plutôt calme durant
l'Occupation. Et, en fait, le danger reviendra avec les combats de la Libération. Et la Direction des
musées nationaux, et Jacques Jauger notamment, transmettra aux Alliés l'emplacement des
différents lieux d'évacuation pour éviter les malheureux bombardements. Les évacuations de 1939
et de 1940 se sont étonnamment bien passées dans cette France à la dérive de la Drôle de guerre.
Les conditions matérielles étaient pourtant loin d'être évidentes. Mais la préparation couplée à
l'expérience des évacuations de 1870 et de 1914 a sûrement joué à plein son rôle.
En effet, le 29 août 1870, alors que se profile le désastre de Sedan, le comte de
Nieuwerkerke, surintendant des musées impériaux, est convoqué aux Tuileries. L'Impératrice
désire le voir de suite. Donc ça c'est le mot qui est conservé aux archives des musées nationaux.
Donc les archives qui sont Cour Carrée du Louvre et qui sont un véritable trésor continu pour toute
personne voulant travailler sur l'histoire des musées. C'est vraiment à chaque fois un bonheur de
s'y plonger. Donc lors de cette entrevue, la décision d'évacuer une partie des collections du Louvre
est prise. Le lendemain, le maréchal Vaillant informe Napoléon III, dans une lettre absolument
confidentielle, qu'on retirerait des musées impériaux pour les mettre en lieu sûr les tableaux les
plus précieux. Une décision alors exceptionnelle, la mise à l'abri des collections les plus précieuses
d'une nation dans le cadre d'un conflit armé vient d'être prise dans les derniers jours du Second
Empire. La peur de saisie prussienne en réponse aux spoliations révolutionnaires et impériales du
début du siècle est sans doute la première explication à cette évacuation. Cette peur, qui n'est
d'ailleurs jamais clairement énoncée dans les archives, de voir l'ennemi agir comme avait pu agir la
France à une autre époque a sons doute amené à cette décision de même que le bombardement
et la disparition dans les flammes des collections du musée de Strasbourg le 24 août 1870. Seul le
Louvre est concerné par cette première évacuation. On décide d'abriter en priorité des collections
de tableaux et de dessins. Le lieu de dépôt des œuvres retenu est l'Arsenal militaire de Brest. Ce
choix en fait permet de profiter de la protection de la Marine, tout en offrant la possibilité
d'évacuer les collections par la mer si jamais les Prussiens venaient à assiéger la ville. Le préfet
maritime pense que ce qu'il y a de mieux à faire, c'est de n'agir trop en cachette : on débarquera
les wagons de suite dans un chaland ; ils seront ensuite hébergés sur l'Hermione, un bateau de
guerre. Cela ne passera pas par les magasins. Il faudrait que les caisses portassent en grosses
lettres : « Envoi au Gabon ». Napoléon III choisit pour cette mission délicate Pierre-Paul de Tauzia,
attaché au département des peintures, pour accompagner le premier convoi, accueillir les suivants
en gare de Brest, et garder les tableaux tant que durerait la guerre.
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