La préservation des œuvres : histoire des évacuations des collections publiques françaises, 1870-1940 par M. Arnaud Bertinet Dominique Misigaro : Bonjour à tous. J'espère que vous m'entendez bien. Merci d'être si nombreux à venir écouter ces tables-rondes et d'être revenus pour ceux qui étaient là ce matin. Je m'appelle Dominique Misigaro. Je fais partie de l'association Mémoires du Patrimoine qui organise ces tables-rondes et, à ma droite, Odile Boubakeur qui est vice-présidente de cette association. Donc nous allons passer à notre deuxième table-ronde qui a pour titre le Patrimoine dans la guerre : acteurs et législation où nous allons tenter de voir quels acteurs peuvent jouer dans la préservation des œuvres, la préservation des édifices pendant la période de conflits, avec trois intervenants : Arnaud Bertinet, qui va commencer, Laurence Lepetit, et Vincent Négri qui clôturera cette table-ronde. Pour commencer donc Arnaud Bertinet est docteur en histoire de l'art. Il a soutenu sa thèse de doctorat en décembre 2011 à l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne sous la direction du professeur Dominique Poulot. Le titre en était « La Politique artistique du Second Empire. L'institution muséale sous Napoléon III ». Il travaille sur un projet de recherche qui s'appelle « Évacuer le musée : entre sauvegarde du patrimoine et histoire du goût. 1870-1940 » sur lequel il va s'appuyer dans sa présentation aujourd'hui. Il est membre du laboratoire d'excellence Création, art et patrimoine du pôle Recherche et Enseignement supérieur Hautes ÉtudesSorbonne-Arts et Métiers. Voilà. Je le laisse démarrer et n'hésitez pas à la fin de sa présentation, on aura quelques minutes pour des questions. Donc n'hésitez pas. Le micro circulera. Arnaud Bertinet : Bonjour. Je voudrais dans un premier temps remercier l'association Mémoires du patrimoine et l'École du Louvre qui me permettent donc aujourd'hui de vous présenter des recherches en cours. Vous excuserez donc forcément quelques lacunes dans cette présentation, puisque cette question des évacuations successives des musées de France est l'objet du postdoctorat que je mène actuellement au sein du LABECS-CAP où je suis détaché à l'Institut français du patrimoine et à l'INHA. Comme nous l'avons vu dans les précédentes interventions, lors des conflits armés, le patrimoine d'un pays est à la fois l'emblème d'une identité collective et une source de convoitise. Il devient l'objet d'appropriation voire de confiscation abusive, de pièges à grande échelle ou de destruction. La période de mise en danger patrimoniale la mieux étudiée de l'histoire de France, après celle, fondatrice, de la Révolution, est sans conteste la Seconde Guerre mondiale. L'évacuation des œuvres des musées nationaux vers les châteaux de la Loire en 1939, ou l'action de Rose Valland au Jeu de Paume sont des exemples qui nous viennent naturellement à l'esprit. Pourtant il existe des précédents à ces actions qui ont permis l'évacuation de 1939 et qui ont pratiquement disparu de notre mémoire collective. En effet quand l'impératrice Eugénie fuit les Tuileries en passant par La Grande Galerie du Louvre le 4 septembre 1870, elle traverse un musée dont les principaux tableaux ont été évacués. Et, lorsque la Grosse Bertha bombarde Paris en 1918, les principales collections du musée ont depuis longtemps quitté la capitale. Il est tout à fait illusoire de croire pouvoir vous résumer lors de cette intervention d'une vingtaine de minutes l'histoire des musées français lors des conflits de 1870, de la Première et de la Seconde Guerre mondiale. Toutefois il paraissait primordial de présenter dans le cadre de cette journée ces épisodes, pour certains encore méconnus. Avant d'aborder ces premières évacuations, et pour bouleverser la chronologie, revenons sur l'évacuation la mieux étudiée de l'histoire des monuments français. Dès 1933, les services du secrétariat d'état aux Beaux-Arts réfléchissent à la protection du patrimoine français en cas de nouveaux conflits, à la suite des destructions massives de la Première Guerre mondiale. Ils sont alors soutenus dans leur action par l'Office international des musées, l'ancêtre de l'ICOM, qui regroupent de nombreux conservateurs européens. Bien que le Traité de Washington sur la protection des monuments et des œuvres d'art en cas de guerre ait été signé en 1935, l'année suivante est créé au quartier général de l'armée française un service des monuments historiques qui doit préparer les monuments et évacuer les objets d'art de la zone des armées. En parallèle, Joseph Billet, conservateur général des musées nationaux, est chargé d'établir par ordre d'urgence les listes d'œuvres d'art à évacuer et à protéger sur place en cas de conflit international. La question de la protection des bâtiments en cas d'attaques aériennes domine l'activité de ces services. Et l'évacuation du musée du Prado lors de la guerre civile espagnole a permis d'initier ces mesures qui vont se dérouler dans toute l'Europe. Je vous présente l'entrée d'un des camions lors de l'évacuation de la National Gallery de Londres dans le lieu de stockage souterrain au Pays de Galles, enfin un des lieux de stockage au Pays de Galles, des musées anglais. Une tâche énorme attend ces hommes car, en plus de préparer l'évacuation, il faut trouver des lieux de repli. Ces endroits doivent être éloignés des grandes villes pour échapper aux combats et aux bombardements, bien bâtis, faciles d'accès, à proximité de points d'eau pour les pompes à incendie, mais aussi capables de loger un personnel nombreux et disposés de conditions de conservation décentes. Le choix se porte assez rapidement sur les vieux monuments des campagnes françaises, et notamment les châteaux français. Le château de Chambord est désigné comme plaque tournante de cette évacuation et vingt-sept châteaux ainsi qu'un certain nombre d'abbayes sont réquisitionnés pour servir d'abris. En parallèle, on va créer et même construire les caisses pour emballer les œuvres, en même temps que les sous-sols des musées sont aménagés pour abriter ces caisses. Les caisses et les listes sont codées pour que seuls les conservateurs en connaissent le contenu. Et le Louvre disperse ces différentes écoles de peinture entre des centaines de caisses pour éviter d'en perdre une d'un seul coup. La Joconde est l'unique œuvre du Louvre à disposer de sa caisse personnelle marquée des trois fameux points rouges que vous connaissez sans doute tous. Pour la première fois dans l'Histoire, la mise en sûreté du patrimoine artistique de l'ensemble d'un territoire, d'une nation est projetée. Une véritable répétition générale a lieu au moment du sommet de Munich en 1938. Les œuvres du Louvre partent pour Chambord deux jours avant la réunion, et l'exercice permet de soulever un certain nombre de défaillance du système. À Metz, le conservateur doit ainsi faire appel à des scouts pour évacuer les collections. Seul le vieux concierge du musée n'a pas été mobilisé. L'accord signé entre les différentes grandes puissances européennes, le retour « triomphal » de Daladier permettent aux tableaux du Louvre de retrouver leurs cimaises mais dans une atmosphère surréaliste puisque les caisses prévues pour l'évacuation restent dans les salles sous les tableaux. Le 27 août 1939, sept jours avant l'entrée en guerre de la France, ordre est donné aux conservateurs de France d'évacuer leurs collections. 71 dépôts vont recevoir les œuvres principales de deux cent musées de province. Un tiers des collections publiques françaises est ainsi évacué en quelques jours. Les vitraux des cathédrales et des églises de France sont enlevés et emmenés au château de Champs. Par exemple pour la cathédrale de Metz, ce travail de titan représente 324 caisses et s'est produit en moins de dix jours. Trente-sept convois quittent le Louvre entre le 27 août et le 28 décembre. Les camions du convoi du 3 octobre par exemple s'éloignent de Paris avec à leur bord La Vénus de Milo, les bas-reliefs des Panathénées, les Esclaves de Michel Ange et la Victoire de Samothrace. Il faut bien sûr noter la torture mentale que représente toute évacuation pour les conservateurs. Il est indispensable d'aller vite pour descendre les sculptures de leurs socles ou décrocher les tableaux, alors même que tout mouvement d'œuvres demande habituellement une patience à toute épreuve. Le tracteur à remorque des décors de l'Opéra part de Paris avec Les Noces de Cana, Le Sacre de Napoléon, Le Couronnement de la Vierge de Fra Angelico et d'autres grands formats. Ces toiles monumentales obligent d'ailleurs à déplacer les fils téléphoniques et télégraphiques rencontrés et une équipe des PTT doit être ajoutée en urgence au dispositif. De même le poids des marbres et des grands bronzes soulève de très nombreux problèmes lors du passage de certains ponts. On a peur en fait que les ponts s'effondrent sous le poids des camions. Les œuvres arrivent à Chambord. Elles sont dispersées en fonction des différents lieux de repli. Souci majeur : les châteaux ont été choisi avec la certitude de l'inviolabilité de la Ligne Maginot. D'accord ? Devant l'avancée allemande, il est nécessaire d'évacuer à nouveau les œuvres. Trois châteaux situés au nord de la Loire ne seront pas évacués : Sourches qui abritent les grands formats du Louvre sous la garde de Germain Bazin que vous voyez d'ailleurs ici, Brissac et Courcelles. Et ces dépôts se retrouveront donc en zone occupée par la suite. Une deuxième évacuation part vers l'abbaye de l'Opdieu depuis Chambord et 3120 tableaux arrivent à l'abbaye mais les conditions de conservation ne sont pas correctes. Et l'exode des tableaux continuent, cette fois vers le musée Ingres de Montauban. La peur des bombardements déplacera une dernière fois en 1943 la caravane des peintures du Louvre vers le château de Montal et les contreforts du Massif central. La vie des dépôts s'organise alors. Les gardiens souvent transformés en bûcherons pour chauffer les salles des châteaux. Inventaire et récolement ont lieu dans les différents dépôts, ainsi qu'une mise en place sélective des œuvres dans les dépôts pour permettre une hypothétique évacuation d'urgence tandis que les exercices d'alerte incendie rythment le quotidien des musées déplacés. Uniquement troublés par les inspections surprises des occupants s'assurant de la présence des œuvres et de l'exactitude des inventaires, les œuvres sont interdites de déplacement jusqu'aux combats de la Libération. Ces musées déplacés ont une vie qui est plutôt calme durant l'Occupation. Et, en fait, le danger reviendra avec les combats de la Libération. Et la Direction des musées nationaux, et Jacques Jauger notamment, transmettra aux Alliés l'emplacement des différents lieux d'évacuation pour éviter les malheureux bombardements. Les évacuations de 1939 et de 1940 se sont étonnamment bien passées dans cette France à la dérive de la Drôle de guerre. Les conditions matérielles étaient pourtant loin d'être évidentes. Mais la préparation couplée à l'expérience des évacuations de 1870 et de 1914 a sûrement joué à plein son rôle. En effet, le 29 août 1870, alors que se profile le désastre de Sedan, le comte de Nieuwerkerke, surintendant des musées impériaux, est convoqué aux Tuileries. L'Impératrice désire le voir de suite. Donc ça c'est le mot qui est conservé aux archives des musées nationaux. Donc les archives qui sont Cour Carrée du Louvre et qui sont un véritable trésor continu pour toute personne voulant travailler sur l'histoire des musées. C'est vraiment à chaque fois un bonheur de s'y plonger. Donc lors de cette entrevue, la décision d'évacuer une partie des collections du Louvre est prise. Le lendemain, le maréchal Vaillant informe Napoléon III, dans une lettre absolument confidentielle, qu'on retirerait des musées impériaux pour les mettre en lieu sûr les tableaux les plus précieux. Une décision alors exceptionnelle, la mise à l'abri des collections les plus précieuses d'une nation dans le cadre d'un conflit armé vient d'être prise dans les derniers jours du Second Empire. La peur de saisie prussienne en réponse aux spoliations révolutionnaires et impériales du début du siècle est sans doute la première explication à cette évacuation. Cette peur, qui n'est d'ailleurs jamais clairement énoncée dans les archives, de voir l'ennemi agir comme avait pu agir la France à une autre époque a sons doute amené à cette décision de même que le bombardement et la disparition dans les flammes des collections du musée de Strasbourg le 24 août 1870. Seul le Louvre est concerné par cette première évacuation. On décide d'abriter en priorité des collections de tableaux et de dessins. Le lieu de dépôt des œuvres retenu est l'Arsenal militaire de Brest. Ce choix en fait permet de profiter de la protection de la Marine, tout en offrant la possibilité d'évacuer les collections par la mer si jamais les Prussiens venaient à assiéger la ville. Le préfet maritime pense que ce qu'il y a de mieux à faire, c'est de n'agir trop en cachette : on débarquera les wagons de suite dans un chaland ; ils seront ensuite hébergés sur l'Hermione, un bateau de guerre. Cela ne passera pas par les magasins. Il faudrait que les caisses portassent en grosses lettres : « Envoi au Gabon ». Napoléon III choisit pour cette mission délicate Pierre-Paul de Tauzia, attaché au département des peintures, pour accompagner le premier convoi, accueillir les suivants en gare de Brest, et garder les tableaux tant que durerait la guerre. Le premier convoi part le 31 août 1870. Treize caisses quittent le Louvre. De Brest, Tauzia annonce à Napoléon III être arrivé sans encombre. Les wagons contenant les tableaux sont directement emmenés dans l'Arsenal qui dispose de son propre réseau ferré, et Tauzia choisit le hangar qui offre le plus de garantie contre l'ennemi et surtout contre l'humidité. Tous les aménagements demandés sont aussitôt effectués par les troupes de marines mises au service de la protection des œuvres. L'Hermione stationne face au hangar et, si jamais les Prussiens étaient arrivés jusqu'à Brest, les caisses auraient été transportées dans l'Hermione, et l'Hermione aurait quitté la rade de Brest, aurait été dans un premier temps jusqu'à Rochefort. Si les Prussiens étaient arrivés jusqu'à Rochefort, apparemment elle aurait dû quitter les eaux territoriales françaises pour partir vers les États-Unis en fait. Les envois donc se succèdent jusqu'au 4 septembre, date à laquelle Frédéric Rézé, conservateur des peintures du Louvre, décide de stopper le processus de l'envoi des œuvres vers Brest à la suite de la chute de l'Empire. 75 caisses contenant 293 tableaux ont été évacuées à Brest, la moitié des tableaux recensés comme les plus précieux du Louvre. La liste précise de ces œuvres existe en deux exemplaires, accompagnée de 130 fiches manuscrites rédigées au moment de l'évacuation. Donc ce sont sur ces fiches que vous voyez là écrites par Frédéric Rézé au moment de la mise en caisse. Vous voyez les emballeurs en haut et vous voyez un nom que vous connaissez je pense tous c'est Chenu, parce que la famille Chenu était déjà bien présente dans l'histoire des musées français et ils ont participé à toutes les évacuations des musées français. Donc le plan prévoyait la mise en caisse des œuvres présentées dans le Grand Salon, dans la galerie des Sept Maîtres, dans les deux premières travées de la Grande Galerie, la Galerie flamande, la Galerie française, la Galerie La Caze, ainsi que le Cabinet des dessins. Le Grand Salon et la Grande Galerie sont entièrement évacués au 2 septembre, soulignant la prédominance et le goût dans l'esprit des conservateurs de la peinture italienne. Les tableaux de la Galerie flamande partent du Louvre les 1er, 2 et 3 septembre, la salle des Rubens étant la première à être évacuée. Les premières œuvres de la Galerie française quittent Paris le 3 septembre. Le convoi du 4 septembre essentiellement composé d'œuvres françaises est lui annulé. Toutefois on ne fait pas revenir les œuvres de Brest. Donc les œuvres du Grand Salon qui ont été les premières à être descendues des cimaises et placées en caisse par la maison Chenu, quelles sont-elles ? Et bien dans la caisse 1 du Grand Salon, donc l'équivalent de la caisse LP0 de La Joconde de 1939, sont placées les pièces les plus importantes pour les conservateurs de l'époque. Il s'agit de La Belle Jardinière de Raphaël, accompagnée de La Femme hydropique de Gérard Dou. Dans ces caisses qui quittent le Louvre lors du premier convoi sont entreposés Le Couronnement de la Vierge de Fra Angelico, La Vierge à l'Enfant avec sainte Anne de Léonard de Vinci, La Vierge de la Victoire de Mantegna, La Conception de la Vierge de Murillo, La Déposition de Croix de Ribeira. La Joconde, placée dans la caisse no11 avec deux paysages du Lorrain et la Salomé de Bartholomé Diugny, et Diogène, le premier Poussin évacué, ne part que le lendemain. Les Noces de Cana quitte le Louvre le 1er septembre. Il arrive roulé à Brest à la plus grande surprise de Tauzia, leur condition de conservation ayant défrayée la chronique de nombreuses fois sous le Second Empire. Il faut noter la rapidité avec laquelle cette évacuation s'est déroulée, sans aucun dommage pour les œuvres. Si la suite de l'évacuation s'était déroulée à la même cadence, en une semaine, le Louvre aurait mis à l'abri ses tableaux les plus importants. Une longue attente débute alors pour Tauzia. Il va rester seul avec les tableaux du Louvre, cachés dans l'Arsenal de Brest, en attendant que la situation militaire et politique française se stabilise. Le projet de faire revenir les œuvres est discuté pour la première fois par le conservatoire en mars 1871 lorsque la Commune éclate. L'autorisation de retour des œuvres ne sera finalement donnée que le 31 août 1871. Et le 7 septembre 1871, soit plus d'un an après leur départ, les 77 caisses contenant les tableaux évacués reviennent intactes au Louvre. Cette arrivée se fait dans la plus grande discrétion et les œuvres entrent dans un Louvre fermé au public. Ce silence explique sans doute la chape de plomb qui entoure encore cette première évacuation des collections publiques françaises. Certes le Journal amusant présente quelques-unes des caisses ayant servies à la préservation des collections, mais de façon tout à fait anecdotique. De même les évacuations effectuées dans un certain nombre de musées de province – et je vous présente ici deux sources d'archive, c'est à Montpellier et Lyon mais ça s'est développé dans un certain nombre d'autres institutions, à Bordeaux aussi par exemple. Donc on a eu des évacuations dans des musées de province pour cacher les collections, mais à la suite de l'envoi en fait d'une circulaire d'Arsène Houssaye : toutes ces évacuations en fait sont tombées dans l'oubli. Donc on a, de façon collective, oublié cette évacuation. En revanche, au Louvre, on s'en souvenait parfaitement et, dès le début de la Grande Guerre, on va repenser à cette évacuation. Dès le début de la Grande Guerre, la modernisation des armes de destruction, la systématisation des bombardements entraînent rapidement d'importantes pertes patrimoniales. Les belligérants invoquent largement la culture dans l'effort de guerre. Alors j'ai été un peu trop vite [pb de synchronisation ppt avec son discours], là c'est la circulaire d'Houssaye. Donc celle-là elle date de janvier 1871, mais par les archives de Montpellier, on sait que la première doit dater de tout début septembre 1870. Et donc là c'est pour l'ensemble des collections publiques françaises, et vous voyez on rappelle l'incendie du musée de Strasbourg et on demande à cacher les collections des musées et des bibliothèques. En attendant, les belligérants pendant la Première Guerre mondiale invoquent largement la culture dans l'effort de guerre, multipliant les jugements xénophobes à l'égard du patrimoine étranger et mobilisant historiens d'art et conservateurs contre la culture de l'ennemi ou pour démontrer son inaptitude à protéger son propre patrimoine. Là vous voyez des caricatures de la presse allemande où on invoque le fait que les Français vont bientôt se protéger derrière La Joconde et le contenu du Louvre plutôt que de se battre. Dès les premiers jours du conflit, alors que l'évacuation de 1870 est encore présente dans l'esprit des conservateurs du Louvre, ceux-ci mettent en place les premières mesures de sécurité contre les bombardements en renforçant notamment les structures du musée et les fenêtres du musée. Le 23 août 1914 les Allemands forcent l'armée française à reculer brusquement lors de la bataille de Charleroi. La percée est telle qu'elle déborde les troupes françaises et qu'elle ne sera finalement stoppée que lors de la bataille de la Marne. Le 24 août le Conservatoire du Louvre est donc interrogé sur la pertinence d'une évacuation des collections vers Toulouse ou Pau. Le Conservatoire n'en voit pas vraiment l'intérêt, pense que, l'ennemi connaissant fort bien les trésors du Louvre, ceux-ci seront, quoi qu'il se passe, pris en otage en cas de défaite. Les conservateurs sont inquiets d'éventuelles saisies, alors que l'appareil politique lui est effrayé par le potentiel de destruction des armes engagées dans le conflit. Le 25 août la ville de Louvain est en partie incendiée et la bibliothèque universitaire disparaît dans les flammes. Après de courts atermoiements, Albert Dalimier, sous-secrétaire d'état au Beaux-Arts, quitte Paris pour Bordeaux comme l'ensemble du gouvernement et prend la décision d'évacuer les collections. Il ordonne le 28 août à Henri Marcel, directeur des musées nationaux, le déplacement de 250 œuvres majeures des collections du musée du Louvre. L'opération se déroule dans la plus grande urgence une nouvelle fois et la majorité des œuvres est placée dans des grandes remorques de déménagement. Tout comme en 1870, ce sont essentiellement des tableaux, plus aisés à manipuler que des sculptures... Donc là vous voyez la Salle des États, la Salle des Rubens, la Grande Galerie évacuées. La seule sculpture évacuée au début du conflit de 1914, c'est la Vénus de Milo. La Victoire de Samothrace quant à elle à l'époque est protégée in situ dans le Louvre. En réalité 770 œuvres auxquelles s'ajouteront ensuite des œuvres de Versailles, du musée de Cluny, une partie des collections patrimoniales de Reims qui échappent de justesse aux bombardements sont envoyées dans le sud de la France, sous la garde de Paul Jamot. Après un voyage assez difficile... alors ça Paul Jamot le raconte, tout ça c'est disponible aux Archives des musées nationaux. Il a eu peur que des gens montent dans le train pour évacuer Paris... Donc le premier convoi arrive à Toulouse le 3 septembre. Sauf que... le convoi arrive à Toulouse mais qu'aucun lieu de stockage des œuvres n'a été validé. Donc Jamot part dans la ville de Toulouse pour chercher un éventuel lieu de stockage et son choix se porte sur l'église des Jacobins. Les remorques sont alors entreposées directement dans l'église. Là donc vous voyez les remorques de l'évacuation de 1914 et les œuvres sont dans les remorques. L'empressement à Paris a été tel qu'en 1915 l'ensemble de l'entreposage des œuvres dans les remorques est repensé par Jamot et Leprieur, conservateur des peintures, dans un fascinant exercice de réflexion autour de l'histoire du goût, de la question de la préservation des collections et des priorités à donner dans cette protection. En parallèle une douzaine de soldats est chargée de la protection des collections. Un système draconien de surveillance est mis en place dans les quatre années qui suivront, et dont les nombreuses lettres de Paul Jamot à destination du Louvre témoignent presque au jour le jour, notamment lorsque le député de Toulouse Ellen-Prévot cherche à organiser sans succès une exposition dont le point d'orgue aurait été La Joconde au plus grand effroi des conservateurs. La multiplication des destructions tout au long de la guerre et le traité de paix séparée entre la Russie et l'Allemagne entraîne finalement une évacuation complète des musées nationaux après le 19 janvier 1918. [choc de la salle devant une photo montrant les conséquences d'un bombardement dans une salle de musée] Alors ça n'est pas La Radeau de la Méduse, c'est une copie du Radeau de la Méduse de Guimet et Rongeat qui a été faite sous le Second Empire en 1856 parce qu'on avait déjà très très peur à l'époque pour l'état de la toile de Géricault. Et donc c'est la première toile qu'on ait copiée à l'échelle 1 pour ne pas la perdre si jamais l'original venait à trop s'obscurcir. C'est une demande de Napoléon III à l'époque. Mais donc vous voyez l'état de la copie après le bombardement du musée d'Amiens. Et donc la décision d'évacuer de façon accélérée – pourquoi ? Parce que les obus allemands tombent sur Paris – les collections restant au Louvre mais également au musée des Arts décoratifs, au musée du Luxembourg, au musée de Cluny est prise et les œuvres sont envoyées vers le château de Blois et vers Toulouse, toute perte patrimoniale supplémentaire devenant impensable pour le gouvernement et pour les conservateurs. Les civilisations se sont éprouvées comme concrètement mortelles, la protection patrimoniale devenait un enjeu crucial des conflits armés. Au-delà de cette histoire, lors de ces trois évacuations, des listes d'œuvres à protéger en priorité ont été dressées par les conservateurs du Louvre et des musées nationaux. Quelles valeurs et quelle vision du patrimoine ont guidé ces hommes dans la mise en place de ces inventaires ? Quels écrits ont influencé les listes d'œuvres évacuées entre 1870 et 1940 ? Quel rôle a pu avoir sur ces listes le développement de l'histoire de l'art et la formation de l'identité patrimoniale en Europe ? Quels sont les éventuels objets de consensus présents dans ces listes ? Tout cela est l'objet de ce post-doctorat que je mène actuellement. Mais en tout cas, ce qu'on peut en dire c'est que la prise en compte des réflexions au cours de cette période, longue et cruciale pour la politique patrimoniale, nous offre des éléments essentiels pour la compréhension de l'histoire politique du patrimoine et une histoire idéologique du goût, tout en soulevant surtout des pistes nouvelles pour une meilleure connaissance des enjeux nationaux et transnationaux des politiques patrimoniales contemporaines. Je vous remercie. Dominique Misigaro : Merci beaucoup Arnaud Bertinet pour cette présentation très complète de ces différentes phases d'évacuation. Pour ceux qui ont regardé la télé hier, vous avez peut-être vu sur France 3 un reportage qui était dans l'exact sillon de ce qui a été présenté aujourd'hui. Pour ceux qui ne l'ont pas vu, n'hésitez pas à le regarder. Vous verrez, même si c'était beaucoup moins détaillé et qu'on y parlait principalement de la période de la Seconde Guerre mondiale. Nous avons le temps pour quelques questions. Est-ce-que certains ont des questions ? Odile a un micro à faire passer dans la salle. Ah ! Oui, au fond. Odile Boubakeur : Oui alors, parlez bien fort dans le micro. Mme Stéphanie Brouillez, conservatrice à Sèvres, Cité de la Céramique : Bravo pour votre intervention. Moi je voudrais juste citer un exemple pratique puisque à Sèvres on en a un très très bien. En 1939, il y a une partie des collections du musée qui a été évacuée effectivement à côté d'une carrière qui se trouvait à proximité du Parc de Saint-Cloud. Pendant l'Occupation, les conservateurs de l'époque ont choisi de remettre une partie des œuvres en exposition, notamment des porcelaines allemandes, et une partie des œuvres qu'ils ont considérée comme moins importante et éventuellement remplaçable, à savoir les collections asiatiques dont je suis responsable à Sèvres. Et, en 1942 un bombardement qui visait les usines Billancourt qui étaient de l'autre côté du pont a touché le musée et donc les collections qui n'avaient pas été évacuées. Et donc nous avons toujours cette histoire à Sèvres puisque on ne sait pas exactement combien d'œuvres ont été brisées, mais entre 4000 et 8000 objets à peu près ont été détruits, mis en caisses juste après le bombardement. Et ces caisses ont été évacuées, pas vraiment traitées. Elles commencent à l'être, enfin on a commencé l'année dernière. On a un vaste chantier d'ouverture des caisses et de... de puzzles en fait puisque les pièces n'étaient pas toujours rassemblées. Et donc c'est un contre-exemple assez intéressant d'évacuation qui n'a pas fonctionné comme elle aurait dû. Arnaud Bertinet : J'étais tenu par le temps mais il y a d'autres exemples. Par exemple, les musées d'AlsaceMoselle sont en 1940... Les Allemands récupèrent toutes les œuvres des musées d'Alsace-Moselle et les ramènent dans les musées de Metz, de Colmar, de Strasbourg, de Mulhouse... Pourquoi ? Parce que les territoires redeviennent allemands après la guerre de 1870. Et donc ce sont des œuvres qui appartiennent à l'État allemand. Et donc les dépôts de l'État français retournent à Metz et le musée subit les bombardements lors de la libération de la ville. Et on a perdu une partie des collections du musée de Metz, notamment des vases de Gallé qui ont disparu comme ça. Il y en a neuf ou huit qui sont dans la nature depuis. Pas forcément détruits, au passage il y a aussi eu des pillages. On a retrouvé des manuscrits de la bibliothèque de Metz en vente chez Christie's à New York après la chute du mur de Berlin. Voilà, donc... Comment est-ce qu'ils ont transité ? Alors ils sont passés par la Russie apparemment. Donc ils étaient du côté est-allemand. Donc on a un certain nombre d'exemples mais malheureusement, je ne pouvais pas tous les aborder. Mais oui. Bien entendu. On a des pertes forcément. C'est malheureusement le cas de toute évacuation. Dominique Misigaro : Je crois qu'on a une autre question au fond. Mlle X : Bonjour. Je voulais savoir si vous saviez pourquoi Paul Jamot justement avait été désigné pour accompagner les peintures et ensuite pour garder le dépôt alors qu'à l'époque justement il n'était pas du tout au département de peintures. Arnaud Bertinet : Non. Il était aux Antiquités orientales. Alors, pourquoi Paul Jamot ? Eh bien, Leprieur n’est pas... Il est beaucoup plus vieux. Il mourra d'ailleurs pendant la guerre en 1918 alors qu'il cherche des lieux de stockage pour cacher des œuvres dans le Louvre avant l'évacuation. Il tombe dans les sous-sols du Louvre. Il se blesse assez fortement et il meurt de cette chute. Il était assez âgé en fait le prieur. Et Jamot était jeune et il était volontaire. C'est indiqué dans les P.V. du Conservatoire. Tout comme Tauzia quand il est envoyé en 1870, c'est parce qu'il est jeune, parce qu'il est volontaire, et surtout parce qu'il a déjà mené un certain nombre d'opérations pour Napoléon III en Italie, notamment lorsqu'il a ramené les fresques Bernardo Luini et qu'il a eu tout un tas de soucis avec les autorités italiennes, et qu'on sait qu'il est mentalement apte à tenir le coup en cas de problème. C'est comme ça, c'est des conservateurs qui sont choisis pour leur force de caractère et aussi le fait qu'ils n'aient pas forcément énormément de famille et qu'ils puissent s'éloigner assez longtemps de Paris. Jamot reviendra régulièrement à Paris, parce que pendant quatre ans bien entendu... Le prieur partira pendant ce temps-là à Toulouse, pendant ses mois de vacances en fait. Mais c'est toujours lui qui repart parce que c'est devenu son projet en fait. Et c'est ce qui fait qu'en suite il changera de département. Dominique Misigaro : Merci. Une dernière question ? Mlle X : Euh... Oui. Votre présentation était centrée sur le cas de la France. Je voulais juste savoir s'il y avait eu des initiatives similaires par d'autres pays européens sur cette période ? Arnaud Bertinet : Oui. Alors comme je vous l'ai présenté au tout début de la présentation, le Prado a été évacué en 1936. C'est la première grande évacuation d'un musée après les destructions de la Première Guerre mondiale. Pendant la Première Guerre mondiale, la National Gallery a été cachée. L’Angleterre cache ses œuvres pendant la Seconde Guerre mondiale ; l'Allemagne aussi hein... Les œuvres allemandes sont cachées en même temps que les œuvres spoliées dans des mines de sel notamment à Atsé ( ?). Mais oui c'est quelque chose qui se généralise dans toute l'Europe pendant la Seconde Guerre mondiale. Et sachant que la première évacuation... Alors c'est difficile parce qu'on n'a pas encore de trace. Personne n'a encore travaillé dessus. Ce serait celle de l'Ermitage en 1812 ou des collections de Moscou... Mais malheureusement il n'y a pas encore de travail sérieux sur le sujet. Donc s'il y a un étudiant russophone qui veut se lancer dessus... C'est l'occasion ou jamais. Voilà. Autrement l'évacuation de 1870 c'est vraiment la première. Et ensuite ça va se propager à l'ensemble de l'Europe. Dominique Misigaro : Bien. Donc l'appel est lancé pour les étudiants russophones... Merci encore Arnaud Bertinet pour cette présentation très complète. Si vous avez d'autres questions, n'hésitez pas - à la fin de la table-ronde on aura un peu plus de temps – à reprendre contact avec nos intervenants pour préciser certains points. Voilà.