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What English-Speaking Historians of Philosophy Could
Learn If (Only !) They Read Kurt Flasch.
I give below, as promised, the text (in French) of the talk which I gave this Saturday
(21 May 2005) at the journée Incipit of the Centre Pierre Abélard in Paris. The talk
was one of three (the others were given by Thomas Ricklin and Alain de Libera)
designed to honour Kurt Flasch on his 75th birthday ; Flasch was in Paris to give
the annual lecture-series sponsored by the Centre Pierre Abélard. I am making the
paper available, because Flasch puts forward a number of points of methodology
that deserve very careful consideration and his work is not widely known in
anglophone countries. But I beg my readers to bear in mind when reading it that (a)
my French is as yet uncorrected by any native speaker and so certainly
ungrammatical in some places and unidiomatic throughout ; (b) the talk is not
supposed to be a balanced assessment of Flasch, but a tribute to him (though I am
happy to pay him tribute !) ; (c) I have simply typed up the talk as given, with some
very minor changes and corrections.
Here are some bibliographical references :
K. Flasch :-
Das philosophische Denken im Mittelalter. Von Augustin bis Machiavelli, Stuttgart ;
Reclam, 1986 [There is a new edition (2000), but I used the older one]
Einführung in die Philosophie des Mittelalters, Darmstadt ; Wissenschaftliche
Buchgesellschaft, 1987 [There exists a French translation of this book]
Nikolaus von Kues : Geschichte einer Entwicklung : Vorlesungen zur Einführung in
seine Philosophie, Frankfurt am Main : Klostermann, c.1998
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Ce que les historiens de la philosophie anglophones pourraient
apprendre en lisant Kurt Flasch
C’est pour moi un grand honneur de pouvoir participer à cette séance en hommage à Kurt
Flasch, grand médiéviste et historien de la philosophie. Quand Ruedi Imbach m’a
gentiment inviter à parler aujourd’hui, il m’a suggéré que je présente la perspective
anglophone sur l’œuvre et la méthode du Professeur Flasch. Or – et il me fait honte,
comme anglais et anglophone, de l’admettre – une telle présentation aurait été difficile,
sinon impossible à concevoir. Certes, les spécialistes anglophones d’Augustin, d’Eckhart
et de Nicolas de Cues n’ont pas pu négliger totalement les monographies, les éditions et
les articles spécialisés de Flasch, mais en ce qui concerne la méthode flaschienne – sa
conception de la philosophie médiévale et des moyens de l’étudier – l’ignorance en
Angleterre et l’Amérique du nord est presque totale. Ce qui plus est, la plupart des
historiens anglophones de la philosophie médiévale se mettent à leur travail comme s’ils
se sont proposés de contrarier dans leur pratique tout ce que Flasch a affirmé sur le plan
méthodologique : leurs écrits démontrent – tout inconsciemment, bien sûr, parce qu’ils
n’ont pas lu ses œuvres – les pièges et les embrouillements dont Flasch s’acharne à
avertir ses lecteurs. C’est pourquoi j’ai choisi d’intituler ces observations : ‘Ce que les
historiens de la philosophie anglophones pourraient apprendre en lisant Kurt Flasch.’ Et
la réponse brève est tout simplement : beaucoup.
Bien entendu, on se trompe toujours par les déclarations trop générales. Les
historiens de la philosophie anglophones ne constituent pas un corps homogène. Pour
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substituer une généralisation à une autre : aux pays anglophones, les spécialistes de la
philosophie médiévale se divisent en « historiens » et « philosophes ». Les historiens ont
reçu leur formation aux facultés de l’histoire et, quand ils ne s’occupent pas d’enseigner
les philosophes médiévaux, ils donnent des cours sur, par exemple, Charlemagne et sa
politique impériale, le Pape Grégoire VII et sa réforme écclésiastique, Henri II, roi
d’Anglettere. Les philosophes ont reçu une formation dans la philosophie analytique et,
en plus de la pensée médiévale, ils enseignent peut-être la logique symbolique, la
sémantique de Searle et Davidson, ou les théories de la modalité de Kripke ou Lewis.
Jusqu’il y a vingt ans, les historiens étaient plus nombreux et plus considérables parmi les
spécialistes anglophones. Aujourd’hui, les philosophes dominent l’étude du sujet
particulièrement aux Etats-Unis, mais partout dans les pays (qui comprendent la
Scandinave) où on écrit en anglais. C’est aux philosophes que j’adresse les observations
qui suivent ; je reviendrai cependant au cas des historiens un peu plus tard.
Quoique les leçons que les historiens de la philosophie anglophones pourraient
apprendre en lisant Flasch soient beaucoup, je les limiterai à dix – dix comme les
prédicaments d’Aristote. Les voici : -
1. Les historiens de la philosophie médiévale doivent réfléchir sur la méthode.
2. « La pensée des époques passées n’est pas comme une pelote de laine, que
l’on doit mesurer à notre aune. Elle contient sa propre mesure. »
3. On doit se méfier de la Problemgeschichte comme méthode d’étudier
l’histoire de la philosophie.
4. Die Philosophie des Mittelalters war der Versuch Einzelner und ganzer
Gruppen, sich in ihrem Leben denkend zu orientieren. La philosophie formule
la connaissance de soi d’une époque : en écrivant l’histoire de la philosophie,
il faut se mettre en rapport avec les vies des hommes et des femmes.
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5. Concevoir de façon indirecte les rapports de l’étude de la philosophie
médiévale à la pensée d’aujourd’hui.
6. L’importance de la recherche sur les sources (quels textes étaient
disponibles ?) et les conditions de travail.
7. L’importance des auteurs médiocres.
8. Il faut considérer l’extension du champ de la philosophie médiévale, et si
nous devons l’élargir.
9. Il y a beaucoup de listes différentes des « héros » de la philosophie médiévale.
Celle de Flasch est peut-être : Érigène, Anselme, Abélard, Albert le Grand,
Thierry de Freiberg, Eckhart, Nicholas de Cues, Boccace
10. Il ne faut pas sacrifier inconsidérément l’élégance du style à une recherche
de la clarté, malgré l’exigence de celle-ci.
Je me focaliserai pour la plupart sur deux ouvrages de Flasch, ses deux livres de
synthèse : Das philosophische Denken im Mittelalter, publié en 1986, et son Einführung
in die Philosophie des Mittelalters, publiée l’année prochaine. Pour celui qui s’intéresse
aux questions d’ordre méthodologique, cette Einführung est d’une valeur tout à fait
particulière. Tandis que dans Das philosophische Denken – un grand livre contenant plus
de 700 pages – Flasch essaie de présenter à ses lecteurs une véritable histoire de la
philosophie médiévale, l’Einführung offre plutôt une discussion, illustrée par des
exemples détaillés, de la nature de la philosophie médiévale et des problèmes de méthode
qui font face à ceux qui veulent l’étudier. La description de ce livre m’amène tout de
suite à indiquer la première leçon, qui est tout simplement que les historiens de la
philosophie médiévale doivent réfléchir sur la méthode et ne pas se mettre tout naïvement
à l’étude des textes, des auteurs ou des problèmes sans se demander quel sont les buts
qu’ils poursuivent et quels sont donc les moyens pour y parvenir. Kurt Flasch n’évite
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jamais cette réflexion indispensable sur ce qu’il veut accomplir dans ses écrits, et il admet
sincèrement – comme dans l’introduction de sa nouvelle étude de Nicolas de Cues –
quand il croit qu’il ait adopté une méthode trompeuse dans un des ses livres antérieurs.
Cette leçon première rapporte aux neuf autres comme la substance aristotélicienne aux
catégories des accidents : elle fonde tout ce qui reste. Écrire l’histoire de la philosophie,
analyser les textes philosophiques sans la délibération préalable sur la méthode et les
buts, n’équivaut nullement à une lecture sans préjugés, à une reconstruction neutre, donc
« fidèle à l’histoire ». Tout au contraire, l’historien naïf se permet d’être le prisonnier des
préjugés illimités et parfois contraires. S’ils ne veulent pas réfléchir sur la méthode, les
historiens de la philosophie anglophones ne se bénéficieront jamais des neuf autres leçons
flaschiennes – et, en effet, on est frappé par l’absence d’une telle réflexion dans leurs
écrits.
Considérons un passage qui se présente de prime abord comme exception à ce que
je viens de dire, la déclaration assez célèbre par le feu Norman Kretzmann, archiprêtre de
l’approche analytique à la philosophie du moyen âge, dans le préface du Cambridge
History of Later Medieval Philosophy : -
By combining the highest standards of medieval scholarship with a respect for the
insights and interests of contemporary philosophers, particularly those working in the
analytic tradition, we hope to thave presented medieval philosophy in a way that will help
to end the era during which it has been studied in a philosophical ghetto, with many of
the major students of medieval philosophy unfamiliar or unsympathetic with twentieth–
century philosophical developments, and with most contemporary work in philosophy
carried out in total ignorance of the achievements of the medievals on the same topics. It
is one of our aims to help make the activity of contemporary philosophy intellectually
continuous with medieval philosophy to the extent to which it already is so with ancient
philosophy.
Kretzmann observe que, pendant l’époque qu’il veut dépasser en publiant ce livre, on
étudiait la philosophie médiévale dans un ghetto. Son propre but est, tout au contraire,
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