M I S E A U P O I N T L’apport de Color Kinesis en échocardiographie ! M.C. Malergue* Points forts " Color Kinesis (CK) est une méthode de quantification des anomalies systolo-diastoliques de la cinétique régionale. " Grâce à un support informatique simple de quantification, différents paramètres de fonction régionale peuvent être analysés, tant lors de la systole que de la diastole. " CK permet de quantifier l’étendue des anomalies de la cinétique, mais aussi les retards de contraction ou de relaxation régionale. " Cette technique est également applicable à l’échographie de stress dans la recherche de l’ischémie et/ou de la viabilité. " L’imagerie harmonique et l’échographie de contraste permettent l’obtention de contours endocarditiques optimisés. Mots-clés : Color Kinesis - Quantification acoustique. C olor Kinesis (CK) est une technique récemment développée, permettant un codage couleur du déplacement de l’endocarde. Elle s’inscrit dans une recherche d’information quantitative de l’analyse segmentaire, reposant jusqu’à présent sur une approche subjective, dépendante de l’expérience du praticien et soumise à une grande variabilité interobservateur. COLOR KINESIS ET QUANTIFICATION ACOUSTIQUE Color Kinesis est une extension de la reconnaissance automatique des contours par la quantification acoustique (AQ) (1). * Institut Jacques-Cartier, Paris Sud Massy. La Lettre du Cardiologue - n° 348 - octobre 2001 CK (2) diffère de la quantification acoustique dans la mesure où cette information est utilisée pour l’analyse du déplacement de l’endocarde. CK utilise différentes couleurs, chaque pixel changeant de couleur lorsqu’il passe du sang au myocarde d’une image à l’autre. Les couleurs se superposent l’une à l’autre, tout au long d’une systole ou d’une diastole. La résultante de ce traitement informatique aboutit à l’historique de toute une systole ou de toute une diastole, sur une même image gelée, par l’empilement successif de ces couches de couleurs. EN QUOI CK ET LA QUANTIFICATION ACOUSTIQUE DIFFÈRENT-ILS ? AQ et CK détectent automatiquement le contour endocardique lors de la contraction et de la relaxation, utilisant la même information de l’analyse de l’écho rétrodiffusé. Ces deux techniques donnent cependant des informations différentes. AQ fournit un contour en continu de l’endocarde sans “mémorisation” de la position du contour lors de l’image précédente et permet d’obtenir une courbe de variations de surface tout au cours du cycle cardiaque ; l’une de ses applications est la quantification de la fraction d’éjection. À l’inverse, CK fournit une information, image par image, du changement de position de l’endocarde, modification qui est mémorisée lors de la systole ou de la diastole. L’avantage de la technique est donc d’obtenir de façon facile et instantanée une information quantitative sur l’amplitude et sur le timing du déplacement régional de l’endocarde, et cela sur une seule image télésystolique et télédiastolique. QUELLES SONT LES LIMITES DE COLOR KINESIS ? Comme dans toutes les techniques échocardiographiques conventionnelles, la qualité des informations recueillies par CK dépend de celle de l’image bidimensionnelle. Ainsi, il est illusoire d’obtenir des images en CK, fiables et reproductibles, en cas de mauvaise échogénicité des patients. L’avènement de l’imagerie harmonique a transformé cette technologie par le rehaussement de l’endocarde ; les contours de l’endocarde, en particulier au niveau 31 M I S E A U P O I N T des parois antérieure, latérale et apicale, sont enfin détectés de façon fiable et autorisent un contour reproductible. Le réglage, par l’ajustement des gains, est une étape préliminaire indispensable afin d’obtenir, en AQ, une courbe optimisée de la zone d’intérêt. Il est de ce fait irréaliste de vouloir travailler en CK sans imagerie harmonique. Ce progrès permet actuellement d’utiliser AQ et CK en routine chez la plupart des patients. Une autre limite réside dans le fait que CK s’intéresse non pas à l’épaississement de l’endocarde, mais à sa cinétique ; on peut cependant habituellement considérer que, si le mouvement de l’épicarde est minime et qu’il n’y a pas de mouvement de translation cardiaque excessif, le mouvement de l’endocarde est corrélé à son épaississement. Comme l’ensemble des méthodes analysant l’excursion de l’endocarde, CK est affectée par la translation et/ou la rotation cardiaque. L’ACQUISITION DES IMAGES EN CK EST-ELLE DIFFICILE ? L’acquisition des images en CK repose sur un contour “irréprochable” de l’endocarde et l’optimisation de ces images passe par une réelle courbe d’apprentissage. L’étape initiale est donc d’obtenir un contour adéquat en AQ avant l’utilisation du module CK ; il est d’ailleurs nécessaire de confronter en permanence le contour de l’endocarde reconnu par l’opérateur à celui reconnu par la machine en switchant de l’image en échelle de gris à l’image en CK. Un réglage soigneux des gains permet d’effacer une reconnaissance inadéquate au niveau d’un cordage aberrant ou de bruit acoustique intracavitaire. Ces réglages, en cas d’épreuve pharmacologique, peuvent être mémorisés pour chaque incidence ; cela confère des conditions d’enregistrement superposables et reproductibles au cours d’une échographie de stress. Le repère de l’ECG est également indispensable pour le codage couleur, le logiciel commençant son contour après le début des QRS. Pour la diastole, il est d’ailleurs possible de modifier le moment du codage couleur par rapport à l’ECG, afin d’indiquer le début effectif de la diastole. QUEL EST L’AVANTAGE CLINIQUE DES IMAGES EN CK ? L’application clinique la plus évidente est la détection des anomalies de la cinétique régionale (3, 4). L’épaisseur totale de la bande de couleur reflète l’amplitude de la cinétique de l’endocarde dans chaque territoire et dans chaque incidence ; il est alors possible de définir un segment comme normokinétique, hypokinétique, akinétique ou dyskinétique. Les résultats obtenus par CK ont été largement corrélés aux interprétations conventionnelles en imagerie bidimensionnelle. Les images télésystoliques déterminent également l’étendue spatiale des anomalies de la cinétique dans les différents territoires coronariens avec une excellente définition de l’étendue de la dysfonction régionale. LES OUTILS DE QUANTIFICATION CK Un logiciel récemment développé par l’équipe de l’université de Chicago permet une approche quantitative automatisée des anomalies segmentaires (5, 6) ; il est ainsi possible d’appréhender non seulement l’amplitude du mouvement de l’endocarde, mais également le timing de la cinétique régionale, c’est-à-dire le moment du déplacement de l’endocarde de façon régionale ; cette approche temporelle permet le diagnostic de retard de contraction ou de relaxation d’une paroi par rapport à une autre. Différents territoires d’analyse sont divisés dans chaque incidence selon la segmentation recommandée par l’American Society of Echocardiography (figures 1 et 2). Figure 1. Gauche : infarctus intéressant les deux tiers du septum moyen et apical, la pointe et la paroi latérale dans ses portions apicale et moyenne. Hyperkinésie compensatrice de la base latérale. Droite : histogramme d’amplitude du déplacement régional. Incidence 4 cavités. 32 La Lettre du Cardiologue - n° 348 - octobre 2001 M I S E A U P O I N T Figure 2. Gauche : akinésie antérieure et septale haute (incidence petit axe). Droite haut : histogramme ; droite bas : courbes temporelles régionales. La fonction systolique ainsi que la fonction diastolique peuvent être analysées par l’obtention de plusieurs paramètres tels que le pourcentage de réduction de la surface lors de la systole dans un segment donné, le déplacement absolu de l’endocarde, la vitesse du pic d’éjection ou de relaxation, le time to peak systolique et diastolique et le temps moyen de contraction ou de remplissage ; ces paramètres correspondent à des informations régionales spatiales et temporelles, éléments jusqu’à présent inaccessibles par échographie conventionnelle. Cette étude segmentaire est obtenue aisément et rapidement off line grâce à un logiciel d’utilisation facile. Cette analyse a le mérite d’être automatique, et élimine toute variabilité inter- ou intraobservateur. Le logiciel de quantification permet d’obtenir des histogrammes régionaux et de les comparer, lors du suivi du patient, au décours d’un geste de revascularisation. Si les courbes d’amplitude peuvent être accessibles par une analyse visuelle conventionnelle, les retards de contraction ou de remplissage sont inaccessibles en dehors d’une analyse quantitative. Le retard systolique a été considéré par certains comme un facteur précoce d’ischémie, et le terme de “tardokinésie” a été avancé pour définir ce phénomène. Les travaux expérimentaux chez l’animal permettent ainsi de mettre en évidence des retards de contraction avant même que La Lettre du Cardiologue - n° 348 - octobre 2001 n’apparaisse une diminution de l’amplitude de déplacement de l’endocarde ; dans certains cas, ce retard de contraction est isolé sans anomalie de l’amplitude de la cinétique segmentaire. De même, en cas de cardiomyopathie congestive, l’asynchronisme de contraction et de relaxation a été retenu comme cause physiopathologique de l’insuffisance cardiaque. Color Kinesis devient un outil simple pour mettre en évidence cet asynchronisme intraventriculaire et déterminer quels sont les éventuels territoires asynchrones ; cette application pourrait avoir un impact intéressant dans l’indication des stimulateurs multisites, tant dans le diagnostic de l’asynchronisme intraventriculaire gauche que dans la localisation des zones à “resynchroniser”. ÉCHOGRAPHIE DE STRESS ET COLOR KINESIS L’évaluation de la dysfonction régionale est habituellement basée sur l’interprétation visuelle de l’épaississement régional et de l’amplitude du mouvement endocardique. De nombreuses publications insistent sur la variabilité interobservateur lors de l’interprétation des échographies de stress. L’un des avantages de CK 33 M I S E A U P O I N T Repos Faible dose Figure 3. Stress sous faible dose de dobutamine dans une cardiopathie ischémique dilatée. À gauche : à l’état basal, hypokinésie sévère diffuse ; à droite : viabilité intéressant les tiers moyen et apical du septum et les tiers moyen et apical de la paroi latérale. durant un stress pharmacologique est l’analyse quantitative sur une image télésystolique. Le logiciel de quantification autorise une analyse spatiale et temporelle des anomalies segmentaires. Les données (7) semblent conformes à l’interprétation d’un médecin expérimenté lors des épreuves de stress et sont supérieures à l’interprétation de praticiens moins expérimentés. La faisabilité reste cependant limitée, pour des FMT (fréquence maxima théorique) élevées, en raison de la vitesse d’acquisition actuellement trop faible ; de nouveaux logiciels majorant cette fréquence à 50 images/minute permettraient l’acquisition des étapes d’échographie de stress, même à fréquence élevée. L’analyse de la viabilité en cas de cardiopathie ischémique chronique ou d’infarctus aigu semble une application prometteuse ; l’absence d’élévation de fréquence, à faible dose de dobutamine, ne gêne pas l’acquisition des images (figure 3). La présence de viabilité sous dobutamine est un excellent facteur pronostique (8) lors d’une décision de revascularisation, tout particulièrement en cas d’altération de la fonction globale. Une évaluation quantitative des territoires viables aide à une stratégie “éclairée” de revascularisation. COLOR KINESIS PEUT-IL ANALYSER LA FONCTION DIASTOLIQUE RÉGIONALE ? Les anomalies globales de la fonction diastolique sont évaluées grâce à l’analyse du flux mitral en doppler pulsé. Les indices de fonction diastolique reflètent la fonction globale de la relaxation 34 active et de la compliance ventriculaire gauche qui peuvent être affectées par les conditions de charge, une fuite mitrale importante, l’âge et la fréquence cardiaque. D’autres paramètres tels que le DTI à l’anneau et le flux de propagation du flux intraventriculaire gauche ont été proposés récemment et seraient indépendants des conditions de charge. Ils représentent cependant une évaluation de la fonction diastolique globale. L’analyse segmentaire de CK lors de la diastole (9) donne accès aux propriétés régionales des fonctions de remplissage ; c’est ce qui a été retrouvé chez les patients présentant une cardiopathie hypertrophique ou une cardiomyopathie dilatée (figure 4). Ainsi, il a pu être mis en évidence, grâce à cette étude par CK, une augmentation de l’asynchronisme régional chez les patients présentant une hypertrophie ventriculaire gauche, une cardiomyopathie dilatée et une insuffisance mitrale sévère ; cette constatation de dysfonction diastolique régionale pourrait s’inscrire dans la physiopathologie de certaines insuffisances cardiaques diastoliques en dehors de toute dysfonction systolique. Cet asynchronisme peut d’ailleurs se modifier, voire se normaliser lors d’un traitement spécifique (9). Certains travaux semblent également suggérer que lors d’une cardiopathie ischémique, en dehors de toute anomalie systolique, il existe un asynchronisme de relaxation segmentaire ; ces retards de relaxation seraient étroitement corrélés à des anomalies coronaires dans les territoires correspondants. De même, des anomalies diastoliques à type de retard de relaxation peuvent apparaître au cours des épreuves de stress pharmacologiques avant que ne surviennent des anomalies régionales de la cinétique. La Lettre du Cardiologue - n° 348 - octobre 2001 M I S E A U P O I N T Figure 4. Asynchronisme régional diastolique lors d’une cardiomyopathie dilatée. Il existe une dispersion de relaxation dans l’ensemble des territoires, l’enregistrement étant effectué en incidence 2 cavités (2c). ÉVOLUTIONS FUTURES DE COLOR KINESIS L’avènement des agents de contraste permet actuellement d’obtenir une angiographie ventriculaire gauche par voie veineuse. Cette opacification de la cavité ventriculaire optimise le contour endocardique. De nouveaux logiciels, déterminant non plus l’interface sang/endocarde, mais l’interface contraste/endocarde, permettent d’obtenir une reconnaissance pratiquement parfaite du contour endocardique, et, ainsi, une détection optimisée par Color Kinesis. Cette nouvelle approche repousse les limites de CK liées à la faible échogénicité et à l’absence de reconnaissance des zones “difficiles”. Au même titre qu’il n’existe plus guère de patients anéchogènes, l’utilisation de contraste intraventriculaire dans la reconnaissance endocardique rendra l’utilisation de Color Kinesis possible et fiable chez tous les patients, même peu échogènes. sur l’étude régionale du déplacement de l’endocarde avec deux types d’information distincts, spatial et temporel. Cette dernière information temporelle, jusqu’à présent inaccessible par les méthodes conventionnelles, permet d’aborder des phénomènes précoces liés à l’ischémie et à la dysfonction diastolique régionale. L’avènement de l’imagerie harmonique et, plus récemment, de l’échographie de contraste confère une dimension nouvelle à CK ; son utilisation peut se faire en routine et lors d’ échographie de stress, tant dans le diagnostic de l’ischémie que dans celui de la viabilité. " Bibliographie 1. Perez JE, Waggoner AD, Barzilai B et al. On line assessment of ventricular function by automatic boundary detection and ultrasonic backscatter imaging. JACC 1992 ; 19 : 313-20. CONCLUSION 2. Lang R, Vignon P, Weinert L and al. Echocardiographic quantification of regional left ventricular wall motion with Color Kinesis. Circulation 1996 ; 93 : 1877-85. Les directions de recherche clinique en échocardiographie sont actuellement dominées par le besoin de quantification de la fonction régionale. C’est le cas de l’échographie de contraste et du doppler tissulaire. Color Kinesis apporte une autre approche basée 3. Vitarelli A, Sciomer S, Penco M et al. Assessment of left ventricular dyssynergy La Lettre du Cardiologue - n° 348 - octobre 2001 by Color Kinesis. Am J Cardiol 1998 ; 81 : 86-90. 4. Mor Avi V, Vignon P, Koch R et al. Segmental analysis of Color Kinesis images. Circulation 1997 ; 95 : 2082-97. 35 M I S E A U P O I N T 5. Mor Avi V, Spencer K, Lang R. Acoustic quantification today and its future horizons. Echocardiography 1999 ; 16 : 85-93. 6. Vignon P, Mor Avi V, Weinert L et al. Quantitative evaluation of global and regional left ventricular diastolic function using Color Kinesis. Circulation 1998 ; 97 : 1053-61. 7. Roch R, Lang R, Garcia MJ et al. Objective evaluation of regional left ventricular wall motion during dobutamine stress echocardiographic studies using segmental analysis of Color Kinesis images. JACC 1999 ; 34 : 409-19. AUTOQUESTIONNAIRE 8. Bax JJ, Poldermans D, Elhendy A et al. Improvement of left ventricular ejection fraction, heart failure symptoms and prognosis after revascularization in patients with chronic coronary artery disease and viable myocardium detected by dobutamine stress echocardiography. J Am Coll Cardiol 1999 ; 34 : 163-9. 9. Godoy I, Mor Avi V, Weinert L et al. Use of Color Kinesis for evaluation of left ventricular filling in patients with dilated cardiomyopathy and mitral regurgitation. J Am Coll Cardiol 1998 ; 31 : 1598-606. C FM 1. Color Kinesis permet l’analyse : 3. Color Kinesis donne accès : a. de la cinétique régionale a. aux asynchronismes régionaux systoliques b. de la contraction régionale b. aux asynchronismes régionaux diastoliques c. de la contraction et de la cinétique régionales c. aux asynchronismes systoliques et diastoliques 2. Color Kinesis permet l’analyse : 4. Color Kinesis peut être utilisée : a. des anomalies régionales de la fonction systolique a. avec l’imagerie harmonique b. des anomalies régionales de la fonction diastolique b. avec les agents de contraste c. des anomalies régionales systoliques et diastoliques c. avec l’harmonie et les agents de contraste RÉPONSES FMC 1. a ; 2. c ; 3. c ; 4. a, b, c. 36 La Lettre du Cardiologue - n° 348 - octobre 2001