La Lettre du Cardiologue - n° 348 - octobre 2001
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olor Kinesis (CK) est une technique récemment dévelop-
pée, permettant un codage couleur du déplacement de
l’endocarde. Elle s’inscrit dans une recherche d’informa-
tion quantitative de l’analyse segmentaire, reposant jusqu’à pré-
sent sur une approche subjective, dépendante de l’expérience du
praticien et soumise à une grande variabilité interobservateur.
COLOR KINESIS ET QUANTIFICATION
ACOUSTIQUE
Color Kinesis est une extension de la reconnaissance automa-
tique des contours par la quantification acoustique (AQ) (1).
CK (2) diffère de la quantification acoustique dans la mesure où
cette information est utilisée pour l’analyse du déplacement de
l’endocarde. CK utilise différentes couleurs, chaque pixel chan-
geant de couleur lorsqu’il passe du sang au myocarde d’une image
à l’autre. Les couleurs se superposent l’une à l’autre, tout au long
d’une systole ou d’une diastole. La résultante de ce traitement
informatique aboutit à l’historique de toute une systole ou de toute
une diastole, sur une même image gelée, par l’empilement suc-
cessif de ces couches de couleurs.
EN QUOI CK ET LA QUANTIFICATION
ACOUSTIQUE DIFFÈRENT-ILS ?
AQ et CK détectent automatiquement le contour endocardique
lors de la contraction et de la relaxation, utilisant la même infor-
mation de l’analyse de l’écho rétrodiffusé. Ces deux techniques
donnent cependant des informations différentes. AQ fournit un
contour en continu de l’endocarde sans “mémorisation” de la
position du contour lors de l’image précédente et permet d’obte-
nir une courbe de variations de surface tout au cours du cycle
cardiaque ; l’une de ses applications est la quantification de la
fraction d’éjection.
À l’inverse, CK fournit une information, image par image, du
changement de position de l’endocarde, modification qui est
mémorisée lors de la systole ou de la diastole. L’avantage de la
technique est donc d’obtenir de façon facile et instantanée une
information quantitative sur l’amplitude et sur le timingdu dépla-
cement régional de l’endocarde, et cela sur une seule image télé-
systolique et télédiastolique.
QUELLES SONT LES LIMITES DE COLOR
KINESIS ?
Comme dans toutes les techniques échocardiographiques conven-
tionnelles, la qualité des informations recueillies par CK dépend
de celle de l’image bidimensionnelle. Ainsi, il est illusoire d’ob-
tenir des images en CK, fiables et reproductibles, en cas de mau-
vaise échogénicité des patients. L’avènement de l’imagerie har-
monique a transformé cette technologie par le rehaussement de
l’endocarde ; les contours de l’endocarde, en particulier au niveau
MISE AU POINT
L’apport de Color Kinesis
en échocardiographie
!M.C. Malergue*
C
*Institut Jacques-Cartier, Paris Sud Massy.
"
Color Kinesis (CK) est une méthode de quantification
des anomalies systolo-diastoliques de la cinétique
régionale.
"
Grâce à un support informatique simple de quantifica-
tion, différents paramètres de fonction régionale peu-
vent être analysés, tant lors de la systole que de la dias-
tole.
"CK permet de quantifier l’étendue des anomalies de la
cinétique, mais aussi les retards de contraction ou de
relaxation régionale.
"Cette technique est également applicable à l’échogra-
phie de stress dans la recherche de l’ischémie et/ou de
la viabilité.
"L’imagerie harmonique et l’échographie de contraste
permettent l’obtention de contours endocarditiques opti-
misés.
Mots-clés : Color Kinesis - Quantification acoustique.
Points forts
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des parois antérieure, latérale et apicale, sont enfin détectés de
façon fiable et autorisent un contour reproductible. Le réglage,
par l’ajustement des gains, est une étape préliminaire indispen-
sable afin d’obtenir, en AQ, une courbe optimisée de la zone
d’intérêt.
Il est de ce fait irréaliste de vouloir travailler en CK sans ima-
gerie harmonique. Ce progrès permet actuellement d’utiliser AQ
et CK en routine chez la plupart des patients.
Une autre limite réside dans le fait que CK s’intéresse non pas à
l’épaississement de l’endocarde, mais à sa cinétique ; on peut
cependant habituellement considérer que, si le mouvement de
l’épicarde est minime et qu’il n’y a pas de mouvement de trans-
lation cardiaque excessif, le mouvement de l’endocarde est cor-
rélé à son épaississement. Comme l’ensemble des méthodes ana-
lysant l’excursion de l’endocarde, CK est affectée par la translation
et/ou la rotation cardiaque.
L’ACQUISITION DES IMAGES EN CK EST-ELLE
DIFFICILE ?
L’acquisition des images en CK repose sur un contour “irrépro-
chable” de l’endocarde et l’optimisation de ces images passe par
une réelle courbe d’apprentissage. L’étape initiale est donc d’ob-
tenir un contour adéquat en AQ avant l’utilisation du module CK ;
il est d’ailleurs nécessaire de confronter en permanence le contour
de l’endocarde reconnu par l’opérateur à celui reconnu par la
machine en switchant de l’image en échelle de gris à l’image en
CK. Un réglage soigneux des gains permet d’effacer une recon-
naissance inadéquate au niveau d’un cordage aberrant ou de bruit
acoustique intracavitaire. Ces réglages, en cas d’épreuve phar-
macologique, peuvent être mémorisés pour chaque incidence ;
cela confère des conditions d’enregistrement superposables et
reproductibles au cours d’une échographie de stress.
Le repère de l’ECG est également indispensable pour le codage
couleur, le logiciel commençant son contour après le début des
QRS. Pour la diastole, il est d’ailleurs possible de modifier le
moment du codage couleur par rapport à l’ECG, afin d’indiquer
le début effectif de la diastole.
QUEL EST L’AVANTAGE CLINIQUE DES IMAGES
EN CK ?
L’application clinique la plus évidente est la détection des ano-
malies de la cinétique régionale (3, 4). L’épaisseur totale de la
bande de couleur reflète l’amplitude de la cinétique de l’endo-
carde dans chaque territoire et dans chaque incidence ; il est alors
possible de définir un segment comme normokinétique, hypo-
kinétique, akinétique ou dyskinétique. Les résultats obtenus par
CK ont été largement corrélés aux interprétations convention-
nelles en imagerie bidimensionnelle. Les images télésystoliques
déterminent également l’étendue spatiale des anomalies de la
cinétique dans les différents territoires coronariens avec une excel-
lente définition de l’étendue de la dysfonction régionale.
LES OUTILS DE QUANTIFICATION CK
Un logiciel récemment développé par l’équipe de l’université de
Chicago permet une approche quantitative automatisée des ano-
malies segmentaires (5, 6) ; il est ainsi possible d’appréhender
non seulement l’amplitude du mouvement de l’endocarde, mais
également le timing de la cinétique régionale, c’est-à-dire le
moment du déplacement de l’endocarde de façon régionale ; cette
approche temporelle permet le diagnostic de retard de contrac-
tion ou de relaxation d’une paroi par rapport à une autre. Diffé-
rents territoires d’analyse sont divisés dans chaque incidence
selon la segmentation recommandée par l’American Society of
Echocardiography (figures 1 et 2).
MISE AU POINT
Figure 1. Gauche : infarctus intéressant les deux tiers du septum moyen et apical, la pointe et la paroi latérale dans ses portions apicale et moyenne.
Hyperkinésie compensatrice de la base latérale. Droite : histogramme d’amplitude du déplacement régional. Incidence 4 cavités.
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La fonction systolique ainsi que la fonction diastolique peuvent
être analysées par l’obtention de plusieurs paramètres tels que le
pourcentage de réduction de la surface lors de la systole dans un
segment donné, le déplacement absolu de l’endocarde, la vitesse
du pic d’éjection ou de relaxation, le time to peak systolique et
diastolique et le temps moyen de contraction ou de remplissage ;
ces paramètres correspondent à des informations régionales spa-
tiales et temporelles, éléments jusqu’à présent inaccessibles par
échographie conventionnelle. Cette étude segmentaire est obte-
nue aisément et rapidement off line grâce à un logiciel d’utilisa-
tion facile. Cette analyse a le mérite d’être automatique, et éli-
mine toute variabilité inter- ou intraobservateur.
Le logiciel de quantification permet d’obtenir des histogrammes
régionaux et de les comparer, lors du suivi du patient, au décours
d’un geste de revascularisation. Si les courbes d’amplitude peu-
vent être accessibles par une analyse visuelle conventionnelle, les
retards de contraction ou de remplissage sont inaccessibles en
dehors d’une analyse quantitative. Le retard systolique a été consi-
déré par certains comme un facteur précoce d’ischémie, et le
terme de “tardokinésie” a été avancé pour définir ce phénomène.
Les travaux expérimentaux chez l’animal permettent ainsi de
mettre en évidence des retards de contraction avant même que
n’apparaisse une diminution de l’amplitude de déplacement de
l’endocarde ; dans certains cas, ce retard de contraction est isolé
sans anomalie de l’amplitude de la cinétique segmentaire.
De même, en cas de cardiomyopathie congestive, l’asynchro-
nisme de contraction et de relaxation a été retenu comme cause
physiopathologique de l’insuffisance cardiaque. Color Kinesis
devient un outil simple pour mettre en évidence cet asynchro-
nisme intraventriculaire et déterminer quels sont les éventuels ter-
ritoires asynchrones ; cette application pourrait avoir un impact
intéressant dans l’indication des stimulateurs multisites, tant dans
le diagnostic de l’asynchronisme intraventriculaire gauche que
dans la localisation des zones à “resynchroniser”.
ÉCHOGRAPHIE DE STRESS ET COLOR KINESIS
L’évaluation de la dysfonction régionale est habituellement basée
sur l’interprétation visuelle de l’épaississement régional et de
l’amplitude du mouvement endocardique. De nombreuses publi-
cations insistent sur la variabilité interobservateur lors de l’in-
terprétation des échographies de stress. L’un des avantages de CK
MISE AU POINT
Figure 2. Gauche : akinésie antérieure et septale haute (incidence petit axe). Droite haut : histogramme ; droite bas : courbes temporelles régionales.
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durant un stress pharmacologique est l’analyse quantitative sur
une image télésystolique. Le logiciel de quantification autorise
une analyse spatiale et temporelle des anomalies segmentaires.
Les données (7)semblent conformes à l’interprétation d’un méde-
cin expérimenté lors des épreuves de stress et sont supérieures à
l’interprétation de praticiens moins expérimentés. La faisabilité
reste cependant limitée, pour des FMT (fréquence maxima théo-
rique) élevées, en raison de la vitesse d’acquisition actuellement
trop faible ; de nouveaux logiciels majorant cette fréquence à
50 images/minute permettraient l’acquisition des étapes d’écho-
graphie de stress, même à fréquence élevée.
L’analyse de la viabilité en cas de cardiopathie ischémique chro-
nique ou d’infarctus aigu semble une application prometteuse ;
l’absence d’élévation de fréquence, à faible dose de dobutamine,
ne gêne pas l’acquisition des images (figure 3). La présence de
viabilité sous dobutamine est un excellent facteur pronostique (8)
lors d’une décision de revascularisation, tout particulièrement en
cas d’altération de la fonction globale. Une évaluation quantita-
tive des territoires viables aide à une stratégie “éclairée” de revas-
cularisation.
COLOR KINESIS PEUT-IL ANALYSER
LA FONCTION DIASTOLIQUE RÉGIONALE ?
Les anomalies globales de la fonction diastolique sont évaluées
grâce à l’analyse du flux mitral en doppler pulsé. Les indices de
fonction diastolique reflètent la fonction globale de la relaxation
active et de la compliance ventriculaire gauche qui peuvent être
affectées par les conditions de charge, une fuite mitrale impor-
tante, l’âge et la fréquence cardiaque. D’autres paramètres tels
que le DTI à l’anneau et le flux de propagation du flux intraven-
triculaire gauche ont été proposés récemment et seraient indé-
pendants des conditions de charge. Ils représentent cependant une
évaluation de la fonction diastolique globale.
L’analyse segmentaire de CK lors de la diastole (9) donne accès
aux propriétés régionales des fonctions de remplissage ; c’est ce
qui a été retrouvé chez les patients présentant une cardiopathie
hypertrophique ou une cardiomyopathie dilatée (figure 4).Ainsi,
il a pu être mis en évidence, grâce à cette étude par CK, une aug-
mentation de l’asynchronisme régional chez les patients présen-
tant une hypertrophie ventriculaire gauche, une cardiomyopathie
dilatée et une insuffisance mitrale sévère ; cette constatation de
dysfonction diastolique régionale pourrait s’inscrire dans la physio-
pathologie de certaines insuffisances cardiaques diastoliques en
dehors de toute dysfonction systolique. Cet asynchronisme peut
d’ailleurs se modifier, voire se normaliser lors d’un traitement
spécifique (9).
Certains travaux semblent également suggérer que lors d’une car-
diopathie ischémique, en dehors de toute anomalie systolique, il
existe un asynchronisme de relaxation segmentaire ; ces retards
de relaxation seraient étroitement corrélés à des anomalies coro-
naires dans les territoires correspondants. De même, des anoma-
lies diastoliques à type de retard de relaxation peuvent apparaître
au cours des épreuves de stress pharmacologiques avant que ne
surviennent des anomalies régionales de la cinétique.
MISE AU POINT
Figure 3. Stress sous faible dose de dobutamine dans une cardiopathie ischémique dilatée. À gauche : à l’état basal, hypokinésie sévère diffuse ; à droite :
viabilité intéressant les tiers moyen et apical du septum et les tiers moyen et apical de la paroi latérale.
Repos Faible dose
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ÉVOLUTIONS FUTURES DE COLOR KINESIS
L’avènement des agents de contraste permet actuellement d’ob-
tenir une angiographie ventriculaire gauche par voie veineuse.
Cette opacification de la cavité ventriculaire optimise le contour
endocardique. De nouveaux logiciels, déterminant non plus l’in-
terface sang/endocarde, mais l’interface contraste/endocarde, per-
mettent d’obtenir une reconnaissance pratiquement parfaite du
contour endocardique, et, ainsi, une détection optimisée par Color
Kinesis. Cette nouvelle approche repousse les limites de CK liées
à la faible échogénicité et à l’absence de reconnaissance des zones
“difficiles”. Au même titre qu’il n’existe plus guère de patients
anéchogènes, l’utilisation de contraste intraventriculaire dans la
reconnaissance endocardique rendra l’utilisation de Color Kine-
sis possible et fiable chez tous les patients, même peu échogènes.
CONCLUSION
Les directions de recherche clinique en échocardiographie sont
actuellement dominées par le besoin de quantification de la fonc-
tion régionale. C’est le cas de l’échographie de contraste et du
doppler tissulaire. Color Kinesis apporte une autre approche basée
sur l’étude régionale du déplacement de l’endocarde avec deux
types d’information distincts, spatial et temporel. Cette dernière
information temporelle, jusqu’à présent inaccessible par les
méthodes conventionnelles, permet d’aborder des phénomènes
précoces liés à l’ischémie et à la dysfonction diastolique régio-
nale. L’avènement de l’imagerie harmonique et, plus récemment,
de l’échographie de contraste confère une dimension nouvelle à
CK ; son utilisation peut se faire en routine et lors d’échographie
de stress, tant dans le diagnostic de l’ischémie que dans celui de
la viabilité. "
Bibliographie
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2. Lang R, Vignon P, Weinert L and al. Echocardiographic quantification of
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3. Vitarelli A, Sciomer S, Penco M et al. Assessment of left ventricular dyssynergy
by Color Kinesis. Am J Cardiol 1998 ; 81 : 86-90.
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MISE AU POINT
Figure 4. Asynchronisme régional diastolique lors d’une cardiomyopathie dilatée. Il existe une dispersion de relaxation dans l’ensemble des territoires,
l’enregistrement étant effectué en incidence 2 cavités (2c).
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