Coran – Un texte de l’Antiquité tardive »,
Angelika Neuwirth rappelle que ce texte
s’adressait initialement à des personnes
qui n’étaient pas encore musulmanes. Par
suite, il faut tenir compte de l’univers spi-
rituel de celles-ci, contemporaines de la
publication des deux Talmuds et des écrits
patristiques. Le Coran n’apparaît pas,
alors, comme seulement prophétie, mais
comme exégèse des traditions bibliques et
post-bibliques. Claude Gilliot resserre le
propos sur l’Arabie centrale dont il décrit
le syncrétisme religieux : « Point n’était
besoin de sortir de la péninsule Arabique,
à l’occasion des conquêtes et de la coloni-
sation musulmane pour être au courant
[…] du monachisme et de l’ascétisme sy-
riens » (p. ). Jacqueline Chabbi, pour
sa part, adopte une perspective anthro-
pologique, cherchant « quelle a été la va-
leur d’usage des diérentes thématiques
du Coran dans leur contexte culturel ini-
tial » (p. ). Cela la conduit à décrire un
« imaginaire tribal », avec une terminolo-
gie spécique, sous-tendant les sourates
de la période mecquoise. Le contact avec
une population diérenciée durant la pé-
riode médinoise aurait introduit la théma-
tique biblique pour soutenir le discours
contesté, entraînant un remodelage de
pans entiers de celui-ci. On a ainsi aaire
à une coranisation de la Bible. Par la suite,
les hommes de religion, souvent issus des
milieux convertis, vont à l’inverse bibli-
ser le Coran. Ce serait donc une erreur
méthodologique, si on veut comprendre
le Coran en soi, de chercher un appui
chez ces commentateurs ultérieurs. Enn
Geneviève Gobillot, prenant exemple sur
les homélies pseudo-clémentines qui pro-
posaient des corrections du texte biblique,
donne une interprétation de la doctrine
de l’abrogation exprimée en Cor. ,
par des exemples de remplacement, suc-
cessivement, de verset biblique « abrogé »
par un verset « équivalent », ou par un
« meilleur », et de verset « oublié » par un
« meilleur ».
. L’analyse littéraire. Pierre Larcher re-
lève des « variations graphiques du même
segment […] d’un Coran à l’autre ou au
sein d’un même Coran, sous deux formes,
analytique et synthétique » (p. ). La
première témoigne d’une histoire com-
plexe pour la formation du texte. La
seconde soulève des questions sur les
rapports entre l’oral et l’écrit dans le
Coran. Par la constitution d’un corpus
de « contre-discours coranique », Mehdi
Azaiez suggère que les développements
de la riposte répondent à une certaine lo-
gique selon laquelle « les items bibliques
aient été sollicités comme point d’appui
et arguments de persuasion » (p. ), pro-
cédé qui serait allé en s’ampliant. Anne-
Sophie Boisliveau analyse « le discours au-
toréférentiel dans les premières sourates
mecquoises », montrant des eets de mise
en scène qui amplient la portée du mes-
sage initial : « Le texte développe un dis-
cours visant à se conférer à lui-même, en
crescendo, un statut d’autorité » (p. ).
Enn, Michel Cuypers applique l’analyse
rhétorique sémitique au verset de l’abroga-
tion (Cor. , ) pour montrer que, dans
son contexte, il vise uniquement les Juifs.
Bien que non exhaustif des probléma-
tiques actuellement soulevées à propos
du Coran, ce recueil est déjà très riche et
ouvre (ou rappelle) des perspectives fé-
condes. Cependant, elles peuvent intro-
duire une part d’arbitraire. C’est le cas
notamment de la concurrence entre un
choix de la référence prioritaire accordée
au précédent biblique ou à un enracine-
ment culturel tribal arabe. J. Chabbi, qui
a par ailleurs soutenu de façon exclusive
cette dernière voie, est ici plus prudente,
parlant de « diagnostic de vraisemblance »
(p. ). Par contre, il y a, dans la contri-
bution de G. Gobillot (et par suite dans
celle de M. Cuypers qui y renvoie positi-
vement) un excès de volonté démonstra-
tive. Les exemples donnés — au demeu-
rant convaincants — conrment que le
Coran peut abroger telle partie d’une révé-
Recensions_2014_3.indd 508 01/04/2015 08:09:11