Vinification - Union des oenologues de France

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Vinification
Gestion de la teneur en diacétyle des vins
Abstract: Diacetyl is responsible for the bitterness in wines. It is not
really appreciated by the tasters and it combines the SO2. Thus, the
control of its concentration is necessary.
Diacetyl results from a way using the citric acid by the lactic acid
bacteria during the malolactic fermentation. Acid citric is also an
essential source of energy and lipids for the bacteria in order to be
really performing.
To reduce the diacetyl content, whereas to use a strain unable
to degrade the citric acid which alters its performance, it is better
to respect the rules of MLF management, to use a malolactic starter
perfectly adapted to the wine parameters, to use co-inoculation,
to monitor regularly the L-malic citric degradation to be able to add
the SO2 since its end, to age on lies, and to well control the free SO2 after.
Figure 2 : Voies de dégradation de l’acide citrique
par les bactéries lactiques
Au carrefour des voies métaboliques d’utilisation de l’acide citrique,
le pyruvate est le métabolite clef. Il peut être :
> soit utilisé pour la synthèse de lipides, eux-mêmes exploités pour
celle des phospholipides membranaires, composants essentiels de
la membrane de la cellule.
> soit consommé pour produire les molécules acétoïniques.
La formation de ces molécules est un processus de détoxification
pour la cellule qui doit éliminer le pyruvate en excès lorsque la
demande en phospholipides est satisfaite. Mais la voie de formation
des composés acétoïniques est elle-même essentielle car elle
participe à la régulation du pH intracellulaire.
L’utilisation de l’acide citrique par les bactéries lactiques est aussi
une source d’énergie. D’une part car les molécules d’acétyl phosphate
produites à partir du pyruvate aboutissent à l’acide acétique, libérant
ainsi le phosphate utile à la synthèse d’ATP (Wagner et al., 2005),
mais également parce que la décarboxylation et la translocation de
la molécule de citrate (sous forme ionisée H2 citrate- au pH du vin),
sont les deux composants de la force proton motrice génératrice
d’énergie (Seiz et al., 1963, Ramos et al., 1995), comme d’ailleurs,
cela est le cas lors de la réaction de transformation malolactique.
Dans des conditions favorables pour les bactéries, l’orientation de
la voie métabolique vers les lipides ou le diacétyle, à partir de la
molécule de pyruvate dépend des besoins de la cellule en composants
cellulaires (lipides) et en énergie. En conditions limitantes de croissance, les bactéries vont utiliser l’acide citrique principalement
pour produire les composés acétoïniques.
Dans le vin, l’impact organoleptique du diacétyle est discuté depuis
de nombreuses années (Peynaud, 1947, Rankine et al., 1969). À la fin
de la FML, sa teneur varie entre 1 et 10 mg/L, parfois plus. Bien que
cela dépende de chaque vin (Martineau et al., 1995), les dégustateurs
s’accordent généralement pour dire que la teneur en diacétyle ne doit
pas excéder 5 à 6 mg/L dans la majorité des vins (Davis et al., 1986).
En deçà, on peut considérer qu’il participe au bouquet du vin, au-delà
il est préjudiciable. Les vins de chardonnay présentent généralement
1. Introduction
Le diacétyle (2,3-butanedione C4H6O2, Figure 1) est une molécule
acétoïnique responsable du caractère “beurré” perçu dans les vins
lors de la fermentation malolactique (FML) et diversement appréciée
par les dégustateurs (Martineau et al., 1995, Bartowsky et Henschke
2004).
Figure 1 : : formule chimique du diacétyle
Dans le vin, le diacétyle est principalement produit par les bactéries
lactiques et, notamment, par l’espèce Oenococcus oeni, responsable
de la FML (Renouf et al., 2006). Le diacétyle et les autres molécules
acétoïniques produites par les bactéries lactiques, acétoïne et
butanediol, sont issues de la dégradation de l’acide citrique (Figure 2),
un des acides organiques naturellement présent dans le jus de raisin.
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Résumé : Le diacétyle est responsable du goût beurré des vins.
Il est diversement apprécié par les dégustateurs et il combine le SO2.
Maîtriser sa concentration est donc indispensable.
Le diacétyle découle d’une voie d’utilisation de l’acide citrique par
les bactéries lactiques au moment de la fermentation malolactique.
Chez ces bactéries, l’acide citrique est aussi une source d’énergie
et de lipides. Sa consommation est donc nécessaire pour que les
bactéries puissent être vraiment performantes.
Pour contenir la teneur en diacétyle, plutôt que d’utiliser des bactéries
incapables de dégrader l’acide citrique ce qui nuirait à la performance
de la FML mieux vaut se focaliser sur les conditions de mise en
œuvre de cette dernière Le choix d’une souche de bactéries adaptée
aux paramètres du vin, le recours à la co-inoculation, un suivi régulier
de la dégradation de l’acide-L-malique pour pourvoir sulfiter dès que
nécessaire, un élevage sur lies et un suivi régulier du SO2 libre durant
l’élevage sont des outils bien plus bénéfiques.
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par Vincent Renouf(1), Marie-Laure Murat (2)
(1) LAFFORT BP 17 - 33072 Bordeaux cedex
(2) Laboratoire SARCO, filiale de recherche du groupe LAFFORT, BP 40 - 33072 Bordeaux
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Figure 3 : Évolution de la teneur en acide citrique dans un vin de chardonnay inoculé en bactéries sélectionnées après la fermentation
alcoolique. Paramètres du vin avant l’inoculation : TAV=13,2 % vol., pH=3,3, acide-L-malique=2,4 g/L, acide citrique =0,68 g/L
la concentration la plus élevée, et c’est dans les vins blancs où la FML
est recherchée (vins acides et/ou de garde et vins de base effervescents)
que la perception du diacétyle est la plus préoccupante. La FML,
synonyme de baisse d’acidité et utile à la stabilisation microbiologique, ne doit en effet pas alourdir les vins avec des notes beurrées
excessives. Cette exigence a amené les microbiologistes du vin à
étudier les moyens de contenir la production de diacétyle par les
bactéries lactiques lors de la FML.
Cet article associe de brefs rappels des connaissances essentielles
sur le sujet et des résultats de récentes expériences, afin de proposer
des solutions pratiques pour contrôler au mieux la teneur en diacétyle
tout en assurant le succès de la FML.
les bactéries auront atteint un état de viabilité optimal (niveau de
population important), elles s’orienteront préférentiellement vers
l’acide malique, probablement car celui-ci est naturellement présent
en quantité bien plus importante que l’acide citrique dans le vin.
Il est important de souligner ici que le phénomène est tout à fait
identique lorsque les bactéries sont introduites dans le moût riche
en sucres lors des protocoles de co-inoculations (Renouf et al., 2008a).
2. L’acide citrique, un substrat utile
et indispensable aux bactéries
Comme évoqué précédemment, la voie de dégradation de l’acide
citrique est utile à O. oeni pour des points clefs de la viabilité
(population) et de la vitalité (activité) des cellules. La dégradation
de l’acide citrique assure en effet une production d’énergie,
la régénération du pouvoir réducteur, la régulation du pH intracellulaire et la synthèse de phospholipides membranaires. L’immense
majorité des souches indigènes et de celles sélectionnées pour les
levains malolactiques utilisent cette voie au cours de leur développement dans le vin.
L’acide citrique provient du raisin et même si l’activité des levures
peut moduler sa teneur, à la fin de la fermentation alcoolique, celle-ci
varie généralement entre 0,2 et 1 g/L, rarement plus. Cette teneur
n’est pas proportionnelle à l’acidité totale du vin. Par exemple,
la teneur en acide citrique dans des vins avec une acidité totale
élevée (12 g/L d’H2SO4) peut être inférieure à celle présente dans
des vins avec une AT de 6 g/L d’H2SO4. Soulignons également que
tout l’acide citrique n’est pas consommé lors de la FML. À la fin de
celle-ci, il persiste généralement 20 à 50 % de la teneur initiale.
La Figure 3 illustre l’évolution de la concentration en acide citrique
généralement observée durant la FML.
Comme le montre ce graphique, la consommation de l’acide citrique
a principalement lieu entre l’inoculation des bactéries et le déclenchement de la FML. Tout se passe comme si les cellules positionnées
dans un environnement nouveau avaient besoin d’utiliser l’acide
citrique pour survivre à l’inoculation. Ceci s’explique à la fois car,
à ce moment, les bactéries ont besoin d’énergie, mais aussi parce que
la régulation du pH intracellulaire (entre 5,5 et 6) est essentielle dans
un environnement acide tel que le vin. Une fois adaptées au milieu,
les bactéries vont ensuite se multiplier et l’élaboration des nouvelles
membranes va alors nécessiter une synthèse accrue de phospholipides.
L’acide citrique reste donc nécessaire aux bactéries. Ensuite, lorsque
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Figure 4 : Comparaison entre un levain malolactique conventionnel (en vert : Lactoenos SB3®, LAFFORT) et un levain malolactique incapable
de dégrader l’acide citrique (en rose) dans un rouge de Merlot (TAV=13,4 % vol., pH=3,68, acide-L-malique = 2,6 g/L et acide citrique = 0,32 g/L)
(Essai réalisé au laboratoire à 25°C). ▲= acide-L-malique (g/L) et + = acide citrique (g/L)
l’acide citrique, il fut logique de constater que ces souches peinaient
à se développer dans le vin lorsque les conditions étaient difficiles
et qu’elles présentaient des performances bien moindres par rapport
aux autres levains malolactiques. Comme l’illustre l’essai comparatif
présenté à la Figure 4, le levain malolactique incapable de dégrader
l’acide citrique a connu une phase de latence deux fois plus importante
que le levain conventionnel, malgré des conditions (TAV, pH et température) favorables aux bactéries. Au final, le levain conventionnel n’a
dégradé que 0,17 g/L d’acide citrique et produit à peine 2 mg/L de
diacétyle (1,8 mg/L). En outre, bien que le premier n’ait pas dégradé
l’acide citrique, l’acidité volatile était significativement plus élevée
qu’avec le levain malolactique conventionnel (0,36 contre 0,25 g/L
d’H2SO4). La longueur de la phase de latence a sans doute concouru
à cette augmentation de l’acidité volatile en permettant le développement d’autres microorganismes.
Priver les bactéries de la possibilité d’utiliser l’acide citrique et des
bénéfices que cela apporte aux cellules ne semble donc pas être
la meilleure solution dans la mesure où cela se fait au détriment
de l’efficacité du levain en termes d’adaptation au milieu et de
déclenchement de l’activité malolactique.
Néanmoins, d’autres solutions existent. Par l’analyse des facteurs
qui influencent la production de diacétyle par les bactéries, il est
possible de mieux gérer la teneur finale de diacétyle tout en assurant
le succès de la FML.
3. Conditions de production du diacétyle
par les bactéries
Comme nous l’avons vu précédemment, l’acide citrique est nécessaire
aux bactéries lorsque la demande en phospholipides et en énergie
est élevée et qu’un effort de régulation du pH intracellulaire est
nécessaire.
La demande en phospholipides dépend du développement de la
bactérie. Il est difficile de s’en affranchir car il est désormais bien
admis qu’une population minimale de 106 à 107 cell/mL est nécessaire
pour le déclenchement de la FML. En revanche, les demandes en
énergie et de régulation du pH dépendent directement des paramètres
Tableau 1 : Effet de la température et du Titre Alcoométrique Volumique (TAV) sur la production de diacétyle
en fin de FML dans un vin initialement riche en acide citrique (2,5 g/L) (essai mené en laboratoire).
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Parmi les substrats alors disponibles, les bactéries lactiques dégraderont initialement une légère quantité d’acide citrique puis
s’orienteront vers l’acide malique en n’utilisant qu’une infime
quantité de glucose ou de fructose qui restent la cible privilégiée
des levures également en activité à ce moment. Nos suivis de
co-inoculation ont démontré cette cinétique de substrats (résultats
non présentés).
Ensuite, l’acide citrique n’est plus consommé par les bactéries durant
la FML, hormis en toute fin où une légère dégradation à de nouveau
lieu.
Au final, dans le vin de la Figure 3, 0,46 g/L d’acide citrique ont été
utilisé par les bactéries durant la FML. Cette quantité a abouti à
une teneur finale en diacétyle de 2,2 mg/L. Ce rendement est bien
inférieur au rendement théorique de la réaction qui selon Bartowsky
et Henschke (2004) serait qu’1 mol d’acide citrique donne 0,5 mol
de composés acétoïniques. Nos résultats laissent donc bien supposer
que l’acide citrique dégradé fut exploité par les bactéries à d’autres
fins essentielles (énergie, phospholipides) que celles de la production
du diacétyle.
La production de diacétyle dépend non seulement de la quantité
d’acide citrique dégradée, mais également des aptitudes des bactéries
et des contraintes environnementales auxquelles elles ont dû faire
face. En effet, comme nous l’avons précédemment exposé, le détournement de la voie du citrate via le pyruvate dépend exclusivement
des demandes physiologiques. De façon générale, les facteurs tels
que le pH, la température, et plus généralement la composition du
vin, qui affectent la croissance des bactéries, modifient le rendement
de production de diacétyle.
Face au problème aromatique du diacétyle, des microbiologistes
ont tenté d’isoler ou d’obtenir des souches d’O. oeni incapables de
dégrader l’acide citrique, quelles que soient les conditions environnementales. Il s’agit de souches dépourvues des gènes impliqués
dans la synthèse des enzymes assurant la dégradation du citrate.
Cependant, compte tenu des observations faites précédemment
sur les intérêts adaptatifs conférés par les voies de dégradations de
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de l’environnement des bactéries. De façon générale, toutes les
conditions difficiles pour les bactéries vont augmenter ces besoins.
Par exemple, nous avons mesuré une hausse de 30 % de la production
de diacétyle durant la FML d’un vin de chardonnay si l’on se plaçait
à pH= 3,1 plutôt qu’à pH=3,5, toutes conditions égales par ailleurs.
Dans le même vin, à pH=3,5, la production de diacétyle augmente
de 12 % lorsque que l’on modifie la teneur en SO2 total (25 / 45 mg/L).
Il est toutefois difficile de tirer des généralités à partir de ces
observations car de multiples paramètres sont à prendre en considération. Par exemple, si l’on étudie l’effet de la température, on
constate qu’à 25° C, la production est bien plus importante qu’à 16° C,
ceci n’étant significatif que dans les vins avec un TAV élevé (Tableau 1).
Il est probable que la température élevée s’ajoute à la toxicité de
l’éthanol pour contraindre les bactéries à exploiter l’acide citrique.
On sait également que la température et l’éthanol agissent directement sur la membrane des cellules et que les demandes en
phospholipides sont probablement plus élevées dans cette situation.
Dans le vin avec un TAV plus faible, l’observation inverse est réalisée :
la production en diacétyle est légèrement plus élevée à 16° C qu’à
25° C. Dans ce cas, il aurait donc été sans doute préférable de se
placer le plus proche possible de 20° C, température optimale pour
la croissance des bactéries dans le vin. Enfin, notons que les valeurs
relativement hautes en diacétyle obtenues durant cet essai résultent
probablement de la complémentation en acide citrique du vin.
Ceci confirme que plus la teneur en acide citrique est élevée,
plus le risque de production de diacétyle est important (dans cet
essai, l’acide citrique et l’acide malique étaient au même niveau de
concentration).
De façon générale, lorsque les conditions sont difficiles pour les
bactéries, la synthèse de diacétyle est accrue. Néanmoins, il est
probable que la dégradation de l’acide citrique soit moindre avec
une souche disposant d’une remarquable capacité de tolérance aux
différentes contraintes. À titre d’exemple, la Lactoenos 350 PreAc®
(LAFFORT) est une souche sélectionnée pour sa résistance à des
contraintes d’acidité et de toxicité élevées (teneurs en acides gras)
(Renouf et Favier, 2010). Comme l’illustrent les données du Tableau 2,
elle consomme moins d’acide citrique qu’une souche dont les aptitudes
physiologiques intrinsèques sont considérées comme moyennes.
Il est également important de souligner que la durée de la FML
joue un rôle déterminant. Quelles que soient les circonstances,
plus la FML tarde à s’achever, plus la quantité d’acide citrique
dégradée, et donc le risque de production de diacétyle, seront élevés.
Une fois enclenchée, si la FML tarde à s’achever, cela signifie que
les bactéries rencontrent des difficultés : elles ont alors recours à la
dégradation de l’acide citrique.
Enfin, notons que la concentration finale dans le vin est aussi
déterminée par la vitesse de réduction du diacétyle. En effet, comme
toute cétone, le diacétyle est un composé instable qui peut très
rapidement être réduit en l’alcool correspondant : ici l’acétoine,
puis le butanediol. Ces molécules sont beaucoup moins odorantes
que le diacétyle. Le taux de formation du diacétyle dépend donc
du taux de dégradation de l’acide citrique mais également du taux
de conversion en acétoïne. Cette conversion est assurée par les levures
Saccharomyces, notamment lorsqu’elles sont en déclin en fin de
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fermentation alcoolique, mais également par les O. oeni elles-mêmes
lorsque leur population décline en fin de FML (Martineau et
Henick-Kling, 1995).
4. Comment gérer la teneur en diacétyle
dans son vin en fin de FML ?
Compte tenu des observations précédentes, le premier point essentiel
est de placer les bactéries dans un milieu le plus favorable possible
à leur développement. Le respect des conditions optimales de gestion
de la FML tel qu’un sulfitage modéré de la vendange pour limiter
la dose de SO2 résiduel au moment de l’ajout des bactéries, ou le
maintien d’une température stable et la plus proche possible de
20° C, sont donc les premiers éléments à prendre en considération.
Le choix de la souche de levures utilisée revêt également une grande
importance. En effet, suivant les souches de levures, la quantité de
pyruvate varie en fin de FA. D’autre part, de nombreuses interactions
levures/bactéries existent (Alexandre et al., 2004). Les levures, suivant
leur production de SO2 et d’acides gras à moyenne chaîne, peuvent
rendre le milieu plus ou moins favorable aux bactéries (Murat et al.,
2007). La vitesse d’autolyse des levures en fin de FA joue également
un rôle important. D’une part, car cette autolyse enrichit le milieu
en nutriments pour les bactéries, et d’autre part, car comme nous
l’avons exposé, ces levures en déclin ont une forte activité diacétyle
réductase.
Une souche de bactérie parfaitement adaptée aux conditions du vin
est également indispensable. Si le degré alcoolique est élevé, il faudra
choisir une bactérie spécifiquement sélectionnée pour résister à
l’alcool. Si c’est l’acidité la principale contrainte, il faut choisir une
bactérie spécifiquement sélectionnée pour résister aux plus bas pH.
Le stade de l’inoculation est également essentiel. Si, traditionnellement, les bactéries sélectionnées étaient ajoutées après achèvement
de la FA, des techniques de co-inoculation, c'est-à-dire d’inoculation
des bactéries dans le moût en fermentation, sont désormais proposées
et de plus en plus utilisées (Renouf et al., 2008a). Les objectifs sont
principalement de gagner du temps dans la réalisation de la FML
et de parfaitement contrôler l’écosystème microbien du vin durant
les vinifications en imposant une souche sélectionnée de levures
et de bactéries. Ceci permet d’éviter les contaminations liées aux
flores d’altération mais également une gestion plus économique
et écologique de la FML (Renouf et al., 2008b, Laurent et al., 2009).
En effet, lorsque les bactéries agissent à la température de la FA,
il n’est pas nécessaire de chauffer les vins comme cela peut être le
cas lors des FML plus tardives. Ajouter les bactéries dans le moût
en début de fermentation permet également de placer les bactéries
dans un milieu plus favorable à leur développement. Le moût
constitue en effet un environnement riche en nutriments et clément
pour une adaptation rapide des bactéries, d’où une moindre dégradation d’acide citrique. Soulignons également que le diacétyle produit
durant la FML peut être aussitôt réduit par l’activité diacétyle
réductase des levures avec lesquelles elles cohabitent. Au final,
la teneur en diacétyle peut être réduite de moitié en co-inoculation
par rapport à une FML tardive. Dans certains cas, le diacétyle peut
même être imperceptible à la fin des fermentations alors qu’il est
perçu en fin de FML spontanée tardive.
Tableau 2 : Effet de la souche de bactérie sur la production de diacétyle en fin de FML
(Levain malolactique robuste / levain malolactique de moyenne efficacité)
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Enfin rappelons que le moment du sulfitage post-fermentaire joue
également un rôle prépondérant. Durant la FML, un suivi régulier
de la cinétique de dégradation de l’acide-L-malique permet de pouvoir
rapidement sulfiter le vin dès l’achèvement de la FML. En effet,
comme nous l’avons vu précédemment, la seconde phase de
consommation de l’acide citrique a lieu au terme de la FML.
Lorsque la concentration en acide-L-malique atteint celle de l’acide
citrique (autour de 0,3 g/L en moyenne), il semblerait que les bactéries
ont à nouveau tout autant d’intérêt à utiliser l’un ou l’autre de ces
substrats. Dans bien des cas, elles consomment alors un peu d’acide
citrique et produisent du diacétyle. Donc, si durant la première partie
de la FML les bactéries consommaient l’acide-L-malique en très fortes
proportions, lorsqu’il n’y aura plus d’acide-L-malique disponible,
elles vont de nouveau dégrader l’acide citrique. Si bien que l’on
recommande alors de sulfiter le vin dès que la concentration en
acide-L-malique atteint le seuil de 0,2-0.3 g/L. Dans ce cas, les derniers
milligrammes d’acide-L-malique restant seront dégradés par l’activité
enzymatique résiduelle des cellules stoppées par le sulfitage et qui
n’ont pas ainsi le temps de se réorienter vers l’acide citrique.
Enfin, il est essentiel de préciser que le travail du vin après la FML
selon qu’il prévoit un contact prolongé avec les lies (qui permet une
réduction en acétoïne et butanediol) ou, au contraire, un soutirage
rapide influe sur la concentration finale en diacétyle (Nielsen et al.,
1999). Par ailleurs, le sulfitage n’est pas sans incidence. En effet,
le diacétyle se combine de façon réversible. En présence de SO2,
la teneur en diacétyle libre, aromatique, chute. Inversement, son
impact aromatique augmente lorsque le niveau de sulfitage est
insuffisant. Bien évidemment, une bonne gestion en amont de la
teneur en diacétyle concourt également à réduire les besoins en SO2.
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5.Conclusion
La dégradation de l’acide citrique par les bactéries lactiques lors de
la FML ne doit pas être considérée comme préjudiciable à la qualité
du vin. En effet, les voies métaboliques de dégradation de l’acide
citrique sont nécessaires afin que les bactéries lactiques soient
réellement performantes, même en conditions environnementales
contraignantes. Il est par ailleurs possible de prévenir des productions
excessives de diacétyle par des règles simples : emploi d’un levain
malolactique adapté à la situation, co-inoculation dans les vins
les plus sensibles, respect des règles de sulfitage et de température,
suivi régulier de la FML afin de permettre un sulfitage post-fermentaire rapide et enfin ajustement régulier du SO2 libre durant l’élevage.
Ces pratiques simples sont bien plus satisfaisantes que l’utilisation
de bactéries lactiques incapables de dégrader l’acide citrique.
En effet, comme nous l’avons vu ces bactéries perdent en efficacité
malolactique, amenant d’autres problématiques.
Notons pour terminer que le diacétyle, de par ses fonctions cétones,
est un composé très réactif qui peut notamment réagir avec les acides
aminés soufrés conduisant à des molécules odorantes conférant des
notes florales ou toastées intéressantes. En la matière, de nombreux
travaux restent encore à réaliser pour préciser le rôle de la FML sur
les qualités organoleptiques du vin (de Revel et al. 1999, Malherbe
et al., 2009) mais se priver d’une production contrôlée de diacétyle
impliquerait de ne pas pouvoir disposer de ces composés participant
probablement à la complexité aromatique du vin final.
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