Les bords de champs passés à la loupe

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ma biodiversité à la ferme
O
n sait déjà depuis un
certain temps que la
gestion des bords de
champs influe sur la
présence des insectes auxiliaires,
et que ces derniers régulent le
nombre de ravageurs dans les
cultures. Mais aucune donnée
précise n’existait jusqu’alors.
Différents travaux menés en France
par des équipes scientifiques*
dans le cadre du projet Peerless
(programme ANR Agrobiosphère)
portent sur ce service de
régulation afin de l’analyser, et de
le modéliser pour concevoir des
paysages accueillants pour les
insectes auxiliaires et défavorables
aux ravageurs. Débutée fin 2013,
la thèse de Anna Pollier participe
à cette recherche en se focalisant
sur les interactions entre le
milieu cultivé et le milieu seminaturel (haies, bosquets, forêts,
prairie permanente…). L’objectif
est d’évaluer le rôle joué par la
flore des bords de champ pour
la régulation des ravageurs à
travers les ressources qu’elle offre
aux insectes auxiliaires : abris,
nectar, pollen, proies ou plantes
de substitution. Un sujet pensé
par Armin Bischoff, professeur
d’Ecologie à l’Université d’Avignon
qui co-encadre cette thèse
avec Yann Tricault et Manuel
Plantegenest, enseignants
chercheurs à Agrocampus-Ouest.
Trois expérimentations
en cours
Les travaux portent sur des
cultures à fort enjeu économique,
le blé et le colza, qui se succèdent
dans les rotations. Trente deux
parcelles (16 de colza et 16 de blé),
appartenant à des agriculteurs du
Maine et Loire, sont le lieu de trois
expérimentations.
La première vise à évaluer
l’influence respective de la
végétation spontanée des bords
de champs, du paysage et des
pratiques agricoles dans le
service de régulation des insectes
ravageurs. Pour cela, des relevés
entomologiques sont réalisés
(printemps et été 2014 et 2015),
complétés par l’analyse de la
végétation et de l’occupation
des sols dans un rayon de un
kilomètre. La présence des
ravageurs les plus connus y est
analysée : pucerons, méligèthes,
charançons, criocères et leur
cortège d’auxiliaires : guêpes
parasitoïdes, syrphes, coccinelles,
carabes, araignées… Aux relevés
s’ajoute une enquête agronomique
auprès des agriculteurs. Il est ainsi
possible d’analyser l’impact de la
flore, du paysage et des pratiques
agricoles sur les observations
entomologiques.
La seconde expérimentation
consiste à mettre en place des
bandes de végétation de 3 fois
30 mètres disposées le long de
sept parcelles de colza en 2014,
puis des blés leur succédant
en 2015. Une première bande
est composée d’un mélange
fleuri, imaginé pour favoriser la
présence d’insectes auxiliaires. La
seconde est une bande enherbée
associant deux graminées, et la
troisième est constituée de la
flore spontanée qui repousse
après le retournement du sol.
L’expérimentation vise à comparer
l’impact de ces différentes bandes
à l’aide de relevés entomologiques
et botaniques.
Enfin, la troisième expérimentation
cherche à vérifier si les minuscules
guêpes parasitoïdes friandes de
pucerons, s’alimentent sur les fleurs
des bords de champ de colza en
testant une méthode originale de
marquage de ces fleurs.
Des premières
tendances
Ces expérimentations sont encore
au stade de l’observation. « Il est
nécessaire d’être prudent quant à
l’interprétation mais des tendances
se dégagent. Il existe bel et bien un
effet de la flore des bords de champ
sur la régulation des insectes
ravageurs », confirme Yann Tricault.
On observe un meilleur taux de
parasitisme des pucerons du
blé par les guêpes parasitoïdes
lorsque la flore est davantage
fleurie sur les bords de champs.
Et plus celle-ci est abondante,
plus les larves de méligèthes
sont parasitées. De même, plus il
y a d’éléments semi-naturels non
boisés dans le paysage, moins il y
a méligèthes . « Les paysages plus
variés semblent aussi favoriser la
présence de syrphes dans le blé »,
complète Yann Tricault
Concernant les différentes bandes
de végétation, il est trop tôt pour
tirer des enseignements. Mais
d’ores et déjà, on peut souligner
la diversité importante de la flore
spontanée le long des cultures
de blé et de colza : plus de 170
espèces identifiées !
En termes de pratiques agricoles,
quelques préconisations
peuvent être avancées. Il apparaît
souhaitable de favoriser la diversité
floristique et le fleurissement des
bords de champs, et d’éviter toute
dérive d’insecticides sur les bords
de parcelle. Dans une certaine
limite, il peut être aussi envisagé de
laisser la flore spontanée repousser
sur les parcelles cultivées.
A l’issue de cette thèse,
en novembre 2016, des
préconisations pourront être faites
L’INITIATIVE LOCALE L’INITIATIVE LOCALE
› La gestion des bords de champs apparaît de plus en plus comme un outil
en faveur d’une agriculture raisonnée. A travers sa thèse, Anna Pollier cherche
à en apporter la preuve.
©FOTOLIA
Les bords de champs
passésà laloupe
Enseigner
à produire
autrement
Tirant profit de cette thèse, une
collaboration s’est établie entre
Agrocampus- Ouest le Lycée
agricole du Fresnes à Angers,
spécialisé en horticulture ainsi
qu’avec le Lycée Nature de La
Roche-sur-Yon.
Des bandes fleuries sont
déployées sur des parcelles
expérimentales de ces deux
lycées et accueillent des
travaux de dévelop pement
complémentaires. Une façon
de s’inscrire dans le cadre du
programme Floregul (financé
par le Casdar Transition Agroécologique) qui vise à intégrer
dans l’enseignement technique
agricole la prise en compte de
la biodiversité et des services
écosystémiques en utilisant des
bandes fleuries comme support
pédagogique. De cette manière,
il est possible de tester des
protocoles accessibles, pour
ensuite les utiliser en travaux
pratiques dans l’enseignement.
C ’est en q uelq ue sor te u ne
réorientation de l’enseignement
agricole vers une formation
plus sensible à l’agroécologie,
conformément à l’ambition
d ’« E n s e i g n e r à p r o d u i r e
autrement ».
pour tendre vers une flore de bord
de champ favorable en identifiant
les espèces d’intérêt pour les
insectes auxiliaires. Les autres
expérimentations menées en
France permettront de confirmer
ces résultats pour l’avenir, de
limiter le recours aux traitements
phytosanitaires, tout en répondant
aux enjeux de préservation de la
biodiversité.
■ Isabelle Hingand
(* Inra d’Avignon, Dijon,Grignon,Rennes, AgroParisTech, Agrocampus
Ouest)
OCTOBRE 2015 • N° 124
LE MAGAZINE
DE LA NOUVELLE
AGRICULTURE
37
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