Trouble du comportement alimentaire de l’enfant et de l’adolescent Julie Brunelle Service de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent Pr. D. Cohen G.H.U. Pitié-Salpêtrière Cours IFSI-S509PSYCHOPATH09JB Sommaire • Anorexie mentale • Boulimie • Troubles des conduites alimentaires du nourrisson Anorexie mentale Introduction • Trouble psychopathologique multifactoriel avec conséquences somatiques potentiellement graves • Conduite d’addiction ou de dépendance Addiction : processus par lequel un comportement permet à la fois de procurer un plaisir et d’écarter une sensation de malaise interne (Goodman, 1990) Anorexie mentale Epidémiologie • Jeunes filles +++ 9 filles / 1 garçon • 2 pics de survenue – 13-14 ans – 18-20 ans – plus rarement avant la puberté (8 %) • Environ 1 % des adolescentes – fréquence en légère augmentation dans les populations de race blanche des sociétés occidentales Anorexie mentale • Repérage précoce (HAS- questionnaire SCOFF-F/DFTCA) 1. Vous faites-vous vomir parce que vous vous sentez mal d’avoir trop mangé ? 2. Vous inquiétez-vous d’avoir perdu le contrôle de ce que vous mangez ? 3. Avez-vous récemment perdu plus de 6 kg en 3 mois ? 4. Pensez-vous que vous êtes gros(se) alors que d’autres vous trouvent trop mince ? 5. Diriez-vous que la nourriture domine votre vie ? Anorexie mentale Diagnostic • Triade symptomatique +++ Anorexie: conduite active de restriction alimentaire, souvent justifiée par un régime devenant drastique / attitudes particulières face à la nourriture / sensation de faim remplacée par une intolérance à la nourriture Amaigrissement: progressif et souvent massif à la 1ère cs / peut atteindre 50 % du poids initial / aspect physique évocateur / méconnaissance voire déni de la maigreur / trouble de la perception de l’image du corps, fixations dysmorphophobiques Aménorrhée: primaire ou secondaire, non uniquement lié au désordre nutritionnel / un des derniers symptômes à disparaître Anorexie mentale Signes cliniques associés • • • • • Potomanie signe de gravité +++ Mérycisme signe de gravité +++ Douleurs abdominales Vomissements provoqués Prise de laxatifs ou diurétiques risque de désordres hydroélectrolytiques graves ++ • Hyperactivité motrice Anorexie mentale Signes somatiques • Cheveux secs et tombants, ongles striés et cassants, peau sèche, lanugo, hypertrichose, érosions buccales, dents abîmées,… • Hypertrophie des parotides • Troubles cardiovasculaires: pâleur, acrocyanose, froideur des extrémités, hypotension, bradycardie, oedèmes de carence,… • Hypothermie • Constipation • Fractures liées à l’ostéoporose Anorexie mentale Contexte psychologique • Déni de la gravité • Sentiment de bien être de maîtrise et de triomphe • Désir éperdu de mincir et peur de grossir part croissante de l’activité mentale • Isolement relationnel • Dépendance relationnelle : relations avec les parents marquées par l’emprise / conflits avec les parents contribuant à l’auto renforcement de la conduite • Besoin de maîtrise du corps • Sexualité desinvestie • Hyperinvestissement scolaire / intellectualisme • Faiblesse de l’estime de soi et dépression au cœur de la psychopathologie +++ • Pas de troubles psychiatriques majeurs Anorexie mentale Données paracliniques • Diagnostic clinique +++ • Examens complémentaires pour retentissement de la dénutrition et diagnostic différentiel- recommandations HAS • Biologique Hémogramme; Ionogramme sanguin; Calcémie, phosphorémie, 25OH-D3; Évaluation de la fonction rénale (urée, créatinine, clairance de la créatinine); Évaluation de la fonction hépatique (ALAT, ASAT, PAL et TP); Albumine, préalbumine; CRP Il n’est pas recommandé de faire un dosage de TSH sauf en cas de doute diagnostique persistant en faveur d’une hyperthyroïdie • • Troubles cardiovasculaires: ECG (QT long) hypotension et bradycardie Absorptiométrie osseuse: après 6 mois d’aménorrhée, puis tous les 2 ans si aménorrhée persistante) diminution densité minérale osseuse par ostéoporose Anorexie mentale Signes de gravité • • • • • • • • • • Amaigrissement rapide, brutal et > 30 % du poids BMI < 13 Bradycardie < 40 /min Hypotension < 9 / 5 Troubles du rythme cardiaque (hypokaliémie) Hypothermie Troubles biologiques graves Epuisement Ralentissement psychique, troubles de la conscience Episode dépressif majeur, idéations suicidaires Anorexie mentale Diagnostic différentiel • Affections psychiatriques: – Dépression majeure – Episode psychotique – Phobies alimentaires • Affections organiques – Tumeurs cérébrales (tronc cérébral) – Cancers (leucémies) – Maladies du tractus digestif (maladie de Crohn, achalasie de l’œsophage) – Hyperthyroïdies – Panhypopituitarisme, maladie d’Addison Anorexie mentale Formes cliniques • Anorexie-boulimie : 50 % des cas • Anorexie mentale du garçon : 10 % / en augmentation / trouble de l’identité sexuelle • Anorexie pré pubère: 8-10 % des cas – Retard de croissance ++ – Pronostic plus grave • Anorexie sub clinique Anorexie mentale Facteurs étiopathogéniques • Facteurs psychologiques – Rôle de l’adolescence – Personnalité pré morbide: enfance sans histoire, aconflictuelle, souci de conformisme et de répondre aux attentes narcissiques de la mère – Facteurs familiaux : crainte des conflits, difficulté d’autonomie, effacement des barrières entre les générations • Facteurs culturels – Corps idéal, maîtrisé et contrôlé – Impact de la valorisation de la femme mince sur adolescentes au narcissisme défaillant ? • Rôle de la dénutrition – Impact important: facteur dépressogène, modification des perceptions,… Anorexie mentale Psychopathologie individuelle • Déplacement des conflits intrapsychiques • Fragilité identitaire • Conflit dépendance-autonomie «ce dont j’ai besoin, c’est ce qui me menace» • Exigences en réponse de l’angoisse de ne pas contrôler, à la peur des appétits, à l’insupportable de la sexualité,… Anorexie mentale Evolution et pronostic • Durée d’évolution de plusieurs mois à toute une vie • Décès 10 % des cas (dénutrition, suicide) • Rechutes environ 50 % des cas • Conduites alimentaires et poids normalisés dans 75 à 80 % des cas à 5 ans • Chronicité dans 15 à 20 % des cas • Guérison à 4 ans – 50-60 % des cas si triade symptomatique Anorexie mentale Principes de traitement • Abord global intégré, somatique et psychologique, dans la durée +++ • Objectifs multiples: traiter le symptôme majeur, traiter la personnalité, traiter les dysfonctionnements familiaux • Hospitalisation si danger vital ou si malgré suivi ambulatoire poursuite de la perte de poids ou absence de reprise de poids (critères d’hospitalisation voire HAS) • Contrat de poids : objet de médiation utile permettant de mobiliser les positions du patient et de son entourage • Psychotropes uniquement en appoint • Psychothérapies +++: de soutien, analytique, psychodrame, cognitivo-comportementale • Famille: groupe de parole, thérapie familiale Anorexie mentale Principes de traitement • Adopter une attitude souple/ nourriture • Attitude empathique et déculpabilisante/ famille> alliance thérapeutique • Contre attitudes Anorexie mentale critères d’hospitalisation • Anamnestiques · Perte de poids rapide : plus de 2 kg/semaine Refus de manger : aphagie totale, Refus de boire Lipothymies ou malaises d’allure orthostatique Fatigabilité voire épuisement évoqué par le patient • Cliniques IMC < 14 kg/m2 au-delà de 17 ans, ou IMC < 13,2 kg/m2 à 15 et 16 ans, ou IMC < 12,7 kg/m2 à 13 et 14 ans Ralentissement idéique et verbal, confusion Syndrome occlusif Bradycardies extrêmes : pouls < 40/min quel que soit le moment de la journée, Tachycardie Pression artérielle systolique basse (< 80 mmHg), PA < 80/50 mmHg, hypotension orthostatique mesurée par une augmentation de la fréquence cardiaque > 20/min ou diminution de la PA > 10-20 mmHg Hypothermie < 35,5 °C, Hyperthermie • Paracliniques Acétonurie (bandelette urinaire), hypoglycémie < 0,6 g/L, Troubles hydroélectrolytiques ou métaboliques sévères, en particulier : hypokaliémie, hyponatrémie, hypophosphorémie, hypomagnésémie (seuils non précisés chez l’enfant et l’adolescent) Élévation de la créatinine (> 100 μmol/L) Cytolyse (> 4 x N), Leuconeutropénie (< 1 000 /mm3), Thrombopénie (< 60 000 /mm3) Anorexie mentale critères d’hospitalisation • Risque suicidaire Tentative de suicide réalisée ou avorté, Plan suicidaire précis, Automutilations répétées • Comorbidités Tout trouble psychiatrique associé dont l’intensité justifie une hospitalisation : Dépression, Abus de substances, Anxiété, Symptômes psychotiques, Troubles obsessionnels compulsifs • Anorexie mentale Idéations obsédantes intrusives et permanentes, incapacité à contrôler les pensées obsédantes, Renutrition : nécessité d’une renutrition par sonde naso-gastrique, ou autre modalité nutritionnelle non réalisable en ambulatoire, Activité physique : exercice physique excessif et compulsif (en association avec une autre indication d’hospitalisation), Conduites de purge (vomissements, laxatifs, diurétiques) incapacité à contrôler seul des conduites de purge intenses • Motivation, coopération Échec antérieur d’une prise en charge ambulatoire bien conduite, Patient peu coopérant, ou coopérant uniquement dans un environnement de soins très structuré, Motivation trop insuffisante, r • Disponibilité de l’entourage Problèmes familiaux ou absence de famille pour accompagner les soins ambulatoires, Épuisement familial Stress environnemental Conflits familiaux sévères, Critiques parentales élevée, Isolement social sévère Disponibilité des soins · Pas de traitement ambulatoire possible par manque de structures Anorexie mentale Hospitalisation • Ré alimentation – Par voie orale, progressive ++ sauf si urgence vitale: entérale – Attention syndrome de renutrition inappropriée (supp phosphorémie) • Contrat d’hospitalisation: – négocié avec le patient et sa famille – poids et relations avec l’entourage • +/- Séparation thérapeutique – Peut faire partie du contrat – permet d’ouvrir des possibilités de relations nouvelles au travers de la vie institutionnelle • Psychothérapie individuelle • Thérapie familiale • Mesures thérapeutiques diversifiées – Thérapies corporelles, groupes de paroles,… • • • • • • • • Syndrome de renutrition Hypophosphorémie - Conséquences • Cardiaques : ↓ fonction myocardique, arythmie, insuff. cardiaque congestive, mort subite • Neuromusculaires : asthénie, confusion, neuropathie, parasthésies, rhabdomyolyse, Guillain-Barré • Hépatiques : insuffisance hépatique aiguë • Respiratoires : insuffisance respiratoire aiguë • Hématologiques : anémie, hémolytique, thrombopénie • Squelettiques : ostéomalacie • • • • • • Syndrome de renutrition Messages clés Syndrome potentiellement fatal, causé par une renutrition trop rapide après une période de dénutrition Signe majeur : HYPOSPHOREMIE associée à des échanges hydroélectrolytiques Identification des patients à risque Renutrition avec apports caloriques faibles + vitamines (thiamine) pendant 10 jours La nutrition peut être commencée simultanément à la correction en électrolytes et vitamines Boulimie Introduction • Trouble psychopathologique à incidence somatique • Reconnue depuis les années 70 • Consommation exagérée d’aliments avec perte de contrôle des prises, rapidement, sans rapport avec la sensation de faim • Diagnostic souvent tardif Boulimie Epidémiologie • Fréquente dans les pays les plus développés • Prévalence : 1,5 % de la population féminine • 3-4 filles / 1 garçon • Début vers 18-20 ans Boulimie Diagnostic clinique • Forme clinique caractéristique = forme compulsive normo pondérale, évoluant par accès avec vomissements provoqués • Crise – 1 à 2 / semaine à plusieurs / jour – ingestion massive – impulsive, irrépressible avec perte de contrôle – grande quantité de nourriture, richement calorique – moments de solitude, en cachette, en dehors des repas – arrêt par vomissements provoqués – sentiments de honte, de dégoût de soi, de culpabilité à la fin de l’accès – diverses stratégies de contrôle du poids Boulimie Caractéristiques psychiques • Peur de grossir • Préoccupations autour du poids et de l’image corporelle • Préoccupations autour de la nourriture • Dépendance exagérée aux parents et notamment à la mère • Investissement perturbé de la sexualité • Fréquemment associés: anxiété, dépression, PAL, kleptomanie Boulimie Diagnostic différentiel • Fringales, grignotages et hyperphagies prandiales • Hyperphagies dans le cadre d’un diabète, syndrome de Kluver-Bucy • Episode maniaque Boulimie Formes cliniques • Boulimie normo pondérale 70 % des cas • Boulimie avec obésité 30 % • Formes mixtes anorexie boulimie • Formes masculines plus sévères / trouble de l’identité sexuée • Etat de mal boulimique exceptionnele t grave Boulimie Evolution et pronostic • Evolution longue et fluctuante • Chronicité avec troubles associés (dépression, TS, co addictions,…) • Pronostic dépend de la psychopathologie sous jacente • Complications somatiques – – – – troubles métaboliques et hydroélectrolytiques troubles du cycle menstruel hypertrophie des parotides et des sous-masillaires altération des muqueuses bucco-pharyngées et digestives, troubles dentaires Boulimie Principes de traitement • Chimiothérapie IRS: efficacité sur intensité et nombre de crises • Psychothérapies +++ – – – – – d’inspiration psychanalytique cognitivo-comportementale psychodrame thérapies de groupe prises en charge familiales • Hospitalisation rare – État de mal – Complications somatiques ou psychiatriques Principaux troubles alimentaires du nourrisson • Alimentation au cœur de la relation précoce mère enfant – la perception par le bébé de ses propres besoins de faim va activer son éveil et ses pleurs – cela va activer le comportement de sa mère qui va prendre le bébé et le placer devant le sein – le stimulus du sein dans la bouche active la tétée et le lait dans la bouche active la déglutition – la régulation mutuelle de l’interaction peut être décrites à 3 nivaux: comportemental, affectif, et fantasmatique Principaux troubles alimentaires du nourrisson • Comportemental: expressions faciales, regards,postures et gestes • Affectif: contact œil à œil,paroles et attention de la mère et vocalisations du bébé • Fantasmatique: attitudes corporelles de la dyade, distances, verbalisations au cours de la consultation Principaux troubles alimentaires du nourrisson • Anorexie d’opposition – la plus fréquente – plus conduite de refus qu’absence d’appétit – besoin de changement et non caprice – moment de changement (sevrage, nourrice, déménagement, …) – rapport de force accentue le malentendu – souvent poids conservé mais perte de poids ou stagnation pondérale = critères de gravité – formes simples et complexes Principaux troubles alimentaires du nourrisson • Anorexie d’inertie – plus rare et plus grave – perte de poids constante avec engagement du pronostic vital – associée à des troubles dépressifs ++ – début précoce possible (premier trimestre) – contexte de privation affective ++ Principaux troubles alimentaires du nourrisson • Les vomissements – fonctionnels ou psychogènes – contexte relationnel non adapté avec bouleversement du mode de vie (séparation avec la mère) – risque de déshydratation aigue – deuxième trimestre ou avant • Le mérycisme – – – – – sentiment d’insécurité chez l’enfant autres signes de la série dépressive, repli sur soi contexte de carence affective sévère aggravé par une béance du cardia formes bénignes et formes sévères plus rares • Troubles des conduites alimentaires www.has-sante.fr