CAS CLINIQUE Progrès en Urologie (2001), 11, 68-69 Coagulopathie de consommation révélatrice d’un cancer de la prostate Philippe VANTAUX (1), Philippe SCHNEIDER (2), Sylvie LE COZ (2), Arnauld VILLERS (3) (1) Service de Médecine Interne, (2) Service des Urgences, (3) Service de Chirurgie Générale et urologique, Centre Hospitalier Inter Communal Castres-Mazamet, Castres, France RESUME Une coagulation intravasculaire disséminée peut compliquer l’évolution naturelle d’une néoplasie prostatique. Sa gravité mérite la mise en place rapide d’un traitement médical. Nous décrivons l’observation d’un septuagénaire présentant une coagulopathie de consommation révélée par des lésions purpuriques disséminées. De façon concomitante, il est authentifiée une néoplasie prostatique. L’évolution est rapidement défavorable malgré l’utilisation d’une hormonothérapie et de transfusions sanguines. Le mécanisme d’apparition de la coagulation intravasculaire disséminée dans le cancer de la prostate reste mal connu mais il semble résulter de la libération de substances procoagulantes au cours de certains actes diagnostiques ou thérapeutiques. La gravité du pronostic incite à utiliser rapidement une hormonothérapie dont le délai d’action n’est pas immédiat. Elle peut contribuer à l’obtention d’une période de rémission si le syndrome hémorragique est initialement contrôlé. Des études complémentaires permettraient d’optimiser la prise en charge thérapeutique. Mots clés : Néoplasie prostatique, coagulopathie, hormonothérapie. L’apparition d’une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) lors de la survenue d’un cancer de la prostate est une situat ion grave qui nécessit e rapi dement la mise en place d’un traitement à visée hémostatique associé à une hormonothérapie antitumorale. rée, nodulaire avec une fixation à la paroi pelvienne (stade T4). La numération globulaire était pathologique avec 6,4 g d’hémoglobine, 20 000 leucocytes, dont 69 % de neutrophiles et 7 % de métamyélocytes neutrophiles, 20 000 plaquettes. Le taux de prothrombine était mesuré à 45%, le fibrinogène à 0,7 g par litre, les D Dimères à 10 000 ng par litre (N < 500). Le PSA était dosé 2 350 microg par litre (N < 4). Le myélogramme révèlait une infiltration métastatique par des cellules adénocarcinomateuses. Une hormonothérapie par voie parentérale (fosfestrol 300 mg 3 fois par jour) et orale (cyprotérone 200 mg par jour) était introduite. Il était prévu de réaliser une biopsie prostatique après normalisation des anomalies de la crase sanguine. Apparaissait 2 jours après son admission, un syndrome hémorragique majeur (saignement des points de ponction veineuse, hématome en regard de la ponction sternale) qui motivait une transfusion de plusieurs concen- OBSERVATION Un homme de 76 ans était hospitalisé pour anémie et thrombopénie. Il avait présenté 15 jours auparavant des douleurs dorsales pour lesquelles des clichés avaient montré un tassement des corps vertébraux D5 et D6. Il avait reçu alors un traitement sous la forme d’une injection quotidienne d’un anti-inflammatoire non stéroïdien pendant 15 jours. L’apparition d’une asthénie motivait la réalisation d’un hémogramme qui trouvait une anémie à 7,1 g / dl et une thrombopénie à 32 000/ ml. Dans les antécédents on notait une résection transurétrale de la prostate réalisée 15 ans auparavant pour un adénome. A l’entrée, l’état général était conservé. Il existait des lésions purpuriques déclives des membres inférieurs. Le toucher rectal trouvait une prostate indu- Manuscrit reçu : mai 2000, accepté : octobre 2000. Adresse pour correspondance : Dr. P. Vantaux, Service de Médecine Interne, Centre Hospitalier Inter Communal Castres-Mazamet, 20, Boulevard du Maréchal Foch, 81100 Castres. e-mail : [email protected] 68 P. Vantaux et coll., Progrès en Urologie (2001), 11, 68-69 trés globulaires et plaquettaires, ainsi que de plasma frais congelé. Le patient décédait d’une hémorragie intra cérébrale authentifié par un examen tomodensitométrique. REFERENCES 1. CABANE J., ETARIAN C., LOUVET C.: Coagulation intravasculaire disséminée associée au cancer de la prostate. Rev. Med. Int., 1995, 16, 219-224. COMMENTAIRES 2. COOPER D., SANDLER A., WILSON L., DUFFY T.: Disseminated intravascular coagulation and excessive fibrinolysis in a patient with metastatic prostate cancer. Response to epsilon-aminocaproic acid. Cancer 1992, 70, 656-658. Les cancers de la prostate représentent 25% des causes néoplasiques de CIVD. Le mécanisme du déclenchement est mal connu, mais il peut être favorisé par des actes traumatiques (biopsie, sondage évacuateur) [4] ou thérapeutiques (utilisation de strontium-8 [7]. La coagulopathie pourrait résulter de la production de substances procoagulantes et notamment du TNF [6]. La gravité du pronostic impose une prise en charge rapide. Le traitement doit avoir une action sur le volume tumoral et sur les anomalies de la crase. Il est classique d’utiliser les oestrogènes par voie parentérale qui ont une action favorable en 3 à 6 jours ainsi que les agonistes de LH-RH associés à des anti-androgènes périphériques [3]. Le kétoconazole et la chimiothérapie semblent donner de bons résultats [5, 8]. L’acide amino caproïque pourrait être utilisée en deuxième intention [2]. 3. GOLDENBERG S., FENSTER N., PERLER Z.: Disseminated intravascular coagulation in carcinoma of prostate : role of estrogen therapy. Urology, 1983, 22, 130-133. L’association cancer de la prostate/CIVD est observée classiquement dans le cas d’une maladie non traitée, méconnue ou traitée localement sans traitement hormonal. Deux observations ont été publiées dans le cas de cancers hormono-indépendants [8]. Si le risque d’aggravation d’une CIVD existe à l’initiation d’un traitement hormonal par agoniste de la LH-RH par l’élévation transitoire de la sécrétion androgénique, il n’a pas été décrit de coagulopathie apparaissant sous traitement anti hormonal bien conduit [1]. Le décès peut survenir en quelques jours, du fait de la gravité du syndrome hémorragique, malgré le début immédiat du traitement anti-hormonal. En cas d’efficacité du traitement symptomatique du syndrome hémorragique permettant d’attendre le délai d’action (1 à 2 semaines) du traitement hormonal anti-tumoral, une période de rémission de deux ans peut être obtenue puis la progression survient au stade d’échappement au traitement hormonal [1]. Des études complémentaires devraient déterminer l’approche thérapeutique optimale. ____________________ 4. HARVEY M., OSOBORN D., HUTCHINSON R.: Disseminated intravascular coagulation following transrectal prostatic biopsy. Br. J. Urol., 1987, 59, 363-366. 5. LOWE F., SOMERS W.: The use of ketoconazole in the emergency management of disseminated intravascular coagulation due to prostatic cancer. J. Urol., 1987, 137, 1000-1002. 6. NAKASHIMA J., TACHIBANA M., UENO M., BABA S., TAZAKI H.: Tumor necrosis factor and coagulopathy in patients with prostate cancer. Cancer Res., 1995, 55, 4881-4885. 7. PASZKOWSKI A., HEWITT D., TAYLOR A.: Disseminated intravascular coagulation in a patient treated with strontium-89 for metastatic carcinoma of the prostate. Clin. Nucl. Med., 1999, 24, 852-854. 8. SMITH M.R; : Successful treatment with mitoxantrone chemotherapy of a disseminated intravascular coagulation due to metastatic acute independent prostate cancer. J. Urol., 2000, 163, 248. SUMMARY Prostate cancer presenting in the form of disseminated intravascular coagulation Prostate cancer can be complicated by disseminated intravascu lar coagulation. The severity of this complication justifies rapid medical treatment. The authors describe the case of a man in his seventies presenting with disseminated purpuric lesions due to disseminated intravascular coagulation. Prostate cancer was documented concomitantly. The clinical course was rapidly unfavourable despite endocrine therapy and blood transfusions. The mechanism of disseminated intravascular coagulation in prostate cancer has not been clearly elucidated, but appears to be related to release of procoagulant substances during certain diagnostic or therapeutic procedures. The severity of the pro gnosis justifies rapid introduction of endocrine therapy, which is not immediately effective. It can help to achieve a period of remission if the haemorrhagic syndrome is controlled. Further studies may help to improve therapeutic management. Key-Words: prostate cancer, disseminated intravascular coagu lation, endocrine therapy ____________________ 69