EN FINIR AVEC LE
CATÉCHISME
RÉPUBLICAIN POUR
RETROUVER LA
RÉPUBLIQUE
Nous avons voulu dans ce texte expliquer le
retour du religieux dans notre pays, poser
franchement la question de l’Islam en
France, nous pencher sur la laïcité. Il
propose une voie de sortie républicaine et
politique à la situation actuelle
Contribution Thématique présentée par :
CHALVIN Paul
LES PREMIERS SIGNATAIRES:
Christian Brugerolle (75, CR, CA), Paul Chalvin (75, BN MJS), Danle Hoffman-Rispal
(75, ancienne députée), Thomas Lauret (75, conseiller de Paris, secrétaire de
section), Corinne Narassiguin (75, SN, porte-parole), Eric Offredo (75, premier adjoint
au Maire du XIIIe arrondissement, CF), Bruno Pain (75)
LES SIGNATAIRES:
Denise Abbes (75, CA), Lou Bachelier-Degras (38, BN MJS), Guillaume Boissonnat
(75), Anne Boulakia (75), Mathias Brugere (75), Julie Changeur (75), Cyrille Collin
(75), Thierry Chatelier (75), Arthur Colin (75), Mathieu Gervais (75, CA), Maxime
Gfeller (75), Basile Imbert (30), Arnaud Panis (75), Erwann Paul (75), rard Rispal
(75), Pierre-Louis Rolle (75), Eric Slupowski (75, BFA)
TEXTE DE LA CONTRIBUTION
Cette contribution, rédigée par un groupe de militants parisiens, était destinée à être
publiée à l’occasion des Etats Généraux de notre parti. Nous n’avons pas changé le
fond de ce texte depuis les attentats qui ont frappé notre pays au mois de janvier
2015. Car ces événements affreux, d’une extrême dureté, n’ont pour nous agi que
comme un électrochoc pour de nombreux français et leurs représentants. En tant
que sociaux-démocrates et progressistes, nous avons toujours porté haut la
République. Unepublique vivante, qui rassemble tous ses enfants et donne un
cadre à notre communauté de destins. A lopposé d’une République muséale,
sonnant creux, que lon invoque à tout bout de champ, lorsque la parole publique
patine, lorsque les promesses ne sont pas tenues, en la dévoyant, en la
dévalorisant, en la désacralisant.
Le Premier Ministre a po à travers des discours forts le constat que nous avions
déétabli : fatigue de nos institutions, grégation socio-spatiale,
dysfonctionnement de nos systèmes éducatifs, ralentissement dangereux de notre
économie, anomie géralisée, défiance. A travers ces quelques pages, nous avons
voulu expliquer le retour du religieux dans notre pays, poser franchement la question
de l’Islam en France, nous pencher sur la laïcité valeur fondamentale et souvent
détournée. Nous n’oublions évidemment pas que les inégalités socio-économiques
sont au cœur des probmes qui se posent à nous et qu’il y aurait beaucoup de
choses à écrire sur nos politiques publiques à commencer par la politique de la
Ville et notre système éducatif. Ce n’est pas l’affaire de ce texte qui part de
constats historiques et théoriques pour donner de la densité aux concepts que nous
avons à ur de défendre et pour proposer enfin une voie de sortie véritablement
républicaine et politique à une situation qui n’a que trop duré.
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Quel sens donner au retour des religions ? Jusqu psent, les socialistes ont
adhéré à la théorie de lacularisation du monde. Nous avons cru au recul de la
religiosité face à la modernité. Cette hypothèse montre aujourd'hui ses limites.
Un constat s'impose : une certaine interprétation de la laïcité républicaine est en
échec. Son ambition fondatrice est trop souvent réduite au cantonnement de la
religion dans la sphère prie. Entre les débats sur le foulard et la Manif pour tous,
en passant par l'essor des mouvements « pro vie », l’actualité montre chaque jour
l'importance du fait religieux dans le débat public.
Pour comprendre le retour du religieux, les socialistes doivent analyser les
mouvements de fond qui traversent la socié. Le questionnement sur la laïcité, tour
à tour remise en cause ou réaffirmée, cristallise un malaise plus général : notre
société s'interroge sur l'identité. De nos jours, on ne s'identifie plus seulement par
son appartenance nationale ou la profession que l'on exerce. Les processus
d’individualisation éclatent l’identité des individus. Chacun se construit une identité en
fonction de sa position dans les rapports de production, mais aussi de son identité de
genre, de sa religion, de son orientation sexuelle, voire de son origine géographique
et/ou ethnique ou encore même de son appartenance à une ou plusieurs
communautés affinitaires/électives.
Le retour du religieux s'inscrit dans lmergence de revendications identitaires. Les
tensions identitaires ne sont pas nouvelles. Notre pays présente une spécificité : en
France, c'est l'Etat qui a fait la Nation. C'est pourquoi l’identité républicaine tend à
mépriser, voire à combattre les autres identités (régionales, religieuses, etc.) La
République a promu une « religion civile » qui s'est substituée au catholicisme. La
laïcité, en plus du respect de l’égalité morale et de la liberté de conscience, vise aussi
à l’émancipation des individus et à l’essor d’une identité civique commune. Au début
du XXe siècle, dé, les Français de la IIIepublique acceptaient mal la pratique du
catholicisme des immigrés Italiens. Aujourd'hui, alors que l'Islam est apparu aux
travailleurs issus de l'immigration comme une identité « de secours » face au
chômage et à l'effritement des collectifs ouvriers, le modèle républicain semble à
nouveau menacé.
Toutes les identités ne bénéficient pas de la même reconnaissance. La laïcité, qui
exprimait autrefois une aspiration à l'émancipation dans une socié dominée par la
religion catholique, apparaît aujourd'hui comme un instrument de répression d'une
religion minoritaire, l'Islam, essentiellement pratiquée par les immigs et leurs
descendants dans une socié sécularie. A la question traditionnelle de la
redistribution économique et de l’égalité des chances, qui reste cruciale, s'ajoute
l'enjeu de la reconnaissance des identités plurielles. Or, pour les socialistes, la justice
républicaine est avant tout un juste partage des richesses, bien plus que la juste
reconnaissance de l'égale valeur des identis. On ne peut s'en satisfaire alors que
le retour du religieux met au jour des tensions profondes au sein de notre socié.
Les socialistes doivent donc inventer des solutions progressistes, susceptibles de
faire advenir une socié plus juste à tous niveaux, plut que de s'en tenir à la
simple riposte contre la droite et l'extrême droite ou à un discours simplement
autoritaire.
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I/ Le retour du religieux et des tensions religieuses est un pnone général qui
pose en particulier la question de l'Islam
Le socialisme français s'est traditionnellement oppo aux religions et plus
précisément à la religion catholique, considérée comme vectrice et gardienne des
conservatismes. La notion deritélée ainsi que l’espérance placée dans une
vie après la mort « où les premiers seront les derniers » entrent par exemple
directement en contradiction avec la volonté de progrès et de transformation sociale
pore par les socialistes. Ce n’est qu’avec le développement de l’anticolonialisme,
l’arrivée en France de minorités religieuses discriminées, et l’émergence d’une
deuxième gauche rassemblant les catholiques sociaux que cette prise de position «
laïcarde » et anticléricale a évolué vers une acception de la religiosité comme
exercice d’une liberté individuelle et donnée objective du social.
1/ Le retour du religieux et des tensions religieuses est un phénomène global auquel
la France n'échappe pas
Les théoriciens de la cularisation du monde, de Max Weber à Marcel Gauchet,
prévoyaient le recul de la religiosité face à la modernité. Au vu des statistiques et des
plus récents travaux de recherche des sociologues de la religion, on peut s’accorder
sur l’échec au moins partiel de cette conception simpliste et considérer plutôt quun
réenchantement du monde, aux dynamiques complexes, est en cours.
Ce retour du religieux s’inscrit dans le cadre géopolitique avec pour conquence
l’émergence d’un Islam radical mondiali, la constitution récente de l’Etat Islamique
et, plus généralement, la multiplication des phénomènes sectaires à travers le globe.
En France, l’importation du conflit israélo-palestinien avec sa cohorte de tensions
entre communautés, mais également les mouvements sociaux de masse (Manif pour
tous) à l’encontre des réformes sociétales mees par le gouvernement, sont autant
de signes de (re)mobilisations autour de motivations religieuses.
La France, pays fier de sa tradition lque, n’échappe donc pas à une dynamique de
fragmentation du corps social en multiples communautés, dont certaines à dimension
religieuse. Dans le débat public, la confusion est totale : on instrumentalise le départ
de jeunes Français à létranger pour mener le djihad afin de pointer du doigt
l’ensemble de la communauté musulmane. Certains parlementaires n’hésitent pas à
produire des rapports populistes sur, par exemple, l’islamisation des prisons
françaises avec une intention similaire. Il ne s’agit pas de nier laalité de ces
phénomènes de radicalisation, pour se restreindre à ces deux exemples, tant chez
nos jeunes que dans nos prisons : il s’agit bien d’un probme decuri
publique. Cependant, les fragilités de notre société la rendent poreuse aux
fantasmes et prompte à l’affrontement et il convient de ne pas agiter le chiffon rouge
à de simples fins polémistes. Depuis les attentats terribles qui ont frappé notre pays
plusieurs jours durant, l’attitude exemplaire de l’exécutif mais aussi d’une grande
partie de la classe politique a permis de prendre la mesure de la gravité des choses
et de faire cesser l’odieux bavardage. De très nombreux français ont fait bloc le 11
janvier en défilant dans les rues du pays pour défendre la liberté d’expression et
exprimer leur attachement aux valeurs fondamentales de lapublique. Pour
beaucoup, il s’est agi d’un électrochoc intellectuel et politique.
2/ L'Islam pose des questions particulières
Nier la spécificité et l’importance de la religion musulmane en France serait une
tartufferie que les socialistes ne peuvent se permettre. La loi de 1905, historiquement
située, est interpe de manre à restreindre les libertés des croyants musulmans
plutôt qu’à les accompagner dans une pratique de leur culte adaptée au pacte
républicain. L’Islam constitue la deuxième religion en France, d’après une étude de
l’INSEE/INED de 2010 qui comptabilise deux millions de croyants, sur cinq à six
millions de personnes venues de pays dorigine où la confession musulmane est
dominante.
La France interdisant les statistiques dites ethniques, il existe au sein du débat public
une très dommageable tendance consistant à assimiler les trajectoires sociales et
géographiques des personnes avec une pratique religieuse, écueil qu’évite en
l’occurrence l’étude INSEE/INED. Des points de friction émergent peu à peu dans les
rapports sociaux du quotidien depuis quelques années : foulard à l'école, pratique du
culte, demande d'horaires aménagés à la piscine, développement des filières
alimentaires « hallal »... Et plus récemment dans des dérives exceptionnelles qui ont
frappé notre pays tout entier. Aujourd’hui, la religion musulmane a besoin d’être
épaulée pour mettre fin aux peurs des uns et des autres.
II/ En finir avec le catéchisme républicain
Il fut un temps où les socialistes étaient capables d'innover pour faire évoluer le
rapport de la République aux cultes. Qui se souvient que nous avons été les
premiers à vouloir instaurer un dialogue entre l'Etat et des interlocuteurs
représentatifs de l'Islam de France ? C'est pourtant le sens de la création en 1990
par Pierre Joxe de lphémère Conseil deflexion sur l'Islam en France (CORIF),
puis de la large consultation des associations musulmanes lane par Jean-Pierre
Chenement, alors ministre de l'Inrieur de Lionel Jospin, achevée en 2002 avec la
mise en place du conseil français du culte musulman (CFCM). La paternité de ces
innovations, oubliée de trop de socialistes, ne peut s'expliquer que par un rapport
comple à la laïcité.
1/ Les socialistes s'en tiennent trop souvent à une forme de catéchisme républicain
Les socialistes et la gauche en général commettent trop souvent deux erreurs dans
leur approche de la laïcité.
Premièrement, la laïcité est vue comme un bloc monolithique. Pour le philosophe
Henri Peña-Ruiz, tenant de cette vision maximaliste, elle se fonde ainsi sur plusieurs
principes :
liber de conscience fondée sur l’autonomie de la personne et de sa spre prie
;
pleine égali des athées, des agnostiques et des divers croyants ;
souci d’universalité de la sphère publique.
Selon lui, « ainsi comprise, la laïci n’a pas à s’ouvrir ou à se fermer » (Peña-Ruiz,
Histoire de la laïcité). Mais il n’envisage pas que ces principes puissent entrer en
conflit les uns avec les autres.
Deuxièmement, la laïcité forge une identitépublicaine qui doit se substituer aux
identités particulres. Dans la lignée degis Debray, pour qui « La démocratie,
c'est ce qui reste d’une république quand on éteint les lumières », Peña-Ruiz écrit
que « délier l’État de toute tutelle théologique ne suffit pas. Il faut aussi délier les
citoyens des tuteurs multiples qui peuvent s’imposer à eux, dans la société civile
comme dans le débat politique » (Peña-Ruiz, Dieu et Marianne). Cette conception est
problématique à deux titres. D'une part, l’idée sous-jacente selon laquelle la raison
n'est émancipatrice que si elle est dégagée de toute foi religieuse est très
contestable. D'autre part, cette valeur d’émancipation risque fort d'entrer en conflit
avec l’égalité morale et la liberté de conscience des citoyens.
Notre « catéchisme républicain » ne nous permet pas de penser une République du
XXIe siècle, respectueuse des droits et des libertés. Mais il y a pire : il n'est même
pas fidèle à l'esprit originel de la laïcité.
2/ La perception commune de la laïcité n'est ni fidèle à son esprit originel, ni adaptée
à la socié d'aujourd'hui
La loi de 1905 fut en réalité une œuvre de compromis et d'apaisement.s l'origine,
la laïcité française est accommodante. Elle instaure par exemple des aumôneries
finanes par l’État dans l’are, les hôpitaux, les collèges et les lycées. Les églises
construites avant 1905 sont entretenues par les communes. Dès les années 1920,
l'État a aussi recherché des accommodements avec la loi dans un souci
d'apaisement vis-à-vis des catholiques. En 1932, des collectivités dle-de-France ont
ainsi réservé des terrains pour la construction dglises, avant de les louer par bail
emphytéotique au diose de Paris. En 1961, la loi a autori les départements et
les communes à se porter caution pour des dépenses liées à la construction de lieux
de culte. Cas exceptionnel, la municipali des Lilas (Seine-Saint-Denis) ame
récemment finan la construction d'une église moderne pour remplacer l’ancienne,
devenue tuste, dont elle était propriétaire. Et, bienr, le Concordat s’applique
toujours en Alsace-Moselle, tandis que l'enseignement privé subsiste.
En 2004, la Commission Stasi écrivait que « tout en restant une valeur partagée par
tous, au cœur du pactepublicain, [la laïcité] n’a jamais été une construction
dogmatique. Déclinée de façon empirique, attentive aux sensibilis nouvelles et aux
legs de l’histoire, elle est capable aux moments cruciaux de trouver les équilibres et
d’incarner les espérances de notre société ».
L'Islam a bénéficié également des accommodements autoris par la laïcité. En
1920, la France finance la construction de la Grande Mosquée de Paris. Plus
récemment, l'État a accordé une subvention de 5 millions de francs pour la
construction de la Mosquée dvry (Essonne), inaugurée en 1996, en se fondant sur
la présence d'un centre culturel dans l'enceinte du lieu de culte. Le développement
de l’Islam, qui se traduit par un manque criant de lieux de culte pour cette religion,
incite aujourd’hui à de nouveaux accommodements, qui n'empêchent pas une
application ferme des principes les plus essentiels de la laïcité. Certains
accommodements originels, comme le Concordat, peuvent d'ailleurs être remis en
question. L'essentiel est de faire vivre la laïcité, de se prémunir contre toute vision
figée de celle-ci, pour qu'elle s'adapte à la France du XXIe siècle.
III/inventer la laïcité pour retrouver lapublique
Nous devons faire évoluer notre conception de la laïci pour que chacun s’y sente
représenté. Il s’agit de combiner la plausibili de la correction avec la force radicale
de la transformation, qui s’attaque à la racine de l’injustice.
En matière de laïcité, plusieurs propositions gagneraient donc à être portées dans le
débat public par les socialistes :
Les imams doivent être formés en France afin de limiter l’influence d’imams radicaux
formés à l’étranger.
Il faut réformer les jours fériés. Les enfants des écoles, les étudiants et les
travailleurs doivent pouvoir obtenir des accommodements raisonnables afin de
prendre part aux principales tes de la religion de leur choix.
La construction de lieux de culte cents doit être facilitée. Une mesure
exceptionnelle pourrait permettre leur financement public au nom du libre exercice
des cultes. En effet, nous pouvons interpréter cette disposition de la loi de 1905
comme n’étant pas seulement une obligation morale mais également une obligation
matérielle.
Il faut réformer le Concordat d'Alsace-Moselle pour tenir compte des évolutions de
la société. Deux options peuvent être envisaes : soit l'ingration des imams dans
le Concordat, soit la suppression de celui-ci.
Enfin, l’école doit redevenir le creuset d'une Nation française faite d'identités
multiples, notamment issues des religions. Les programmes scolaires doivent
enseigner les origines de la diversité de la société française moderne. L’école doit
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