REVUE MÉDICALE SUISSE point de vue Au temps de l’utérus artificiel et des fécondations semi-naturelles Jean-Yves Nau [email protected] © istockphoto.com/ueuaphoto Mai 2016. Deux informations émergentes dans le flux perpétuel des mails et des dépêches. A Bilbao, une clinique privée annonce la première naissance, en Espagne, d’un enfant né grâce à une nouvelle technique de fécondation ; une « technique de fécondation naturelle » nous précise-t-on. On l’a baptisée AneVivo. Elle a été mise au point par l’entreprise suisse Anecova. Il s’agit, en substance, d’introduire ovules et spermatozoïdes dans un dispositif, ensuite placé dans la cavité utérine. La fécondation et le début du développement embryonnaire se font in vivo, au sein de cette « capsule poreuse ». Cinq jours plus tard, la capsule est retirée et on procède à la « sélection des meilleurs embryons » – embryons qui seront aussitôt réintroduits dans l’utérus de la future mère. « Cette méthode permet à l’embryon d’être fécondé et de se développer dès les premières heures dans son milieu naturel et dans les mêmes conditions de lumière et de température que s’il avait été conçu de manière naturelle, tout en assistée, précisent ses responsables. Le dis­ profitant des mêmes nutriments. Sur le positif AneVivo dispose de la certification plan psychologique, les parents se sentent européenne (marque CE) tout en ayant ainsi plus proches du processus de reproduction assistée », précisent les promoreçu l’agrément des différentes normes teurs. européennes, dont la HFEA Ils ajoutent que cette tech­ anglaise. » des travaux nologie « permet le passage La seconde information sont menés des fluides, des nutriments et nous vient de cette Gran­deautres éléments cellulaires et Bretagne dont le pragmatisme sur des non cellulaires à travers une pourrait aisément donner le embryons membrane poreuse, favorisant vertige. C’est une publication humains dont ainsi une interaction plus phy­ de Nature Cell Biology 1 comon modifie le mentée dans Nature.2 Les ausiologique entre les embryons patrimoine teurs sont dirigés par Anna et le milieu maternel ». La sohéréditaire à ciété Anecova commence tout Hupalowska et Magdalena Zer­ partir de la juste à commercialiser la tech­ nicka-Goetz (Mammalian Em­ nouvelle nologie AneVivo dans certaines bryo and Stem Cell Group, grandes cliniques « bénéficiant University of Cambridge, Detechnique de partment of Physiology, Deved’une renommée internatio« réédition du nale ». Anecova se présente lopment and Neuroscience). génome comme une société médicale Les biologistes britanniques humain » suisse d’innovation techno­ expliquent en substance avoir logique, située à Lausanne. mis au point de nouvelles tech­ « Nous travaillons actuellement avec des niques de culture. Celles-ci imiteraient l’en­ scientifiques et des sociétés leaders monvironnement utérin. diales dans le secteur de la reproduction Ils sont ainsi parvenus à obtenir des assistée dans le but de développer une apdéveloppements embryonnaires jusqu’à la proche plus naturelle en matière de techfrontière des 14 jours. Ils se seraient arrêniques et de traitements de reproduction tés à 13 jours. Il s’agit là d’un saut considérable qui nous mène bien au-delà du moment où ces embryons (qua­ tre ou cinq jours) auraient dû être implantés. Corollaire, ils deman­ dent à pouvoir aller plus loin, à ne plus respecter la limites des 14 jours (après lesquels un embryon humain ne peut plus se segmenter et conduire à la formation de jumeaux). Les partisans de cette limite font valoir que l’individualisation de l’embryon était un « déterminant de son statut moral », et que cette individualisation ne pou­vait être établie qu’une fois l’implantation terminée. La publication de Nature Cell Biology a été quelque peu mise en scène. La Pr Magdalena ZernickaGoetz a ainsi confié à la BBC ne pas se souvenir d’avoir été plus heureuse que le jour où elle est parvenue à ce résultat – résultat dont elle vante par ailleurs les pers­ pec­tives scientifiques. « Nous pour­ rions peut-être (…) étudier les causes potentielles de l’autisme et trouver pourquoi des produits chi­ 1004 44_45.indd 1004 WWW.REVMED.CH 18 mai 2016 17.05.16 10:02 Actualité canadienne, Françoise Baylis, nous rappelle que Sir Robert Edwards, l’un des grands pionniers de la fécondation in vitro, avait suggéré que cette limite, plutôt que de 14, devrait être de 21 jours. Elle souligne aussi qu’en France, la loi de bioéthique ne mentionne pas de limite – mais qu’une recommandation du Comité consultatif national d’éthique précise que seul l’embryon préimplantatoire peut être utilisé à des fins de recherche – ce qui limi­te à 7 jours sa mise en culture. Jus­ qu’alors, cette limite internationalement reconnue importait peu, parce que les scien­ tifiques étaient incapables de conserver des embryons humains vivants en dehors du corps pendant plus de quelques jours. Tel n’est plus le cas. « L’objectif de la construction d’un consensus internatio- 1Shahbazi MN. Self-organization of the human embryo in the absence of maternal tissues. Nat Cell Biol 2016 ; epub ahead of print. 2 Hyun I, Wilkerson A, Johnston J. Embryology policy : Revisit the 14-day rule. Nature 2016, comment. 3Sur ce thème, voir Haldane JBS, Russel B. Dédale et Icare. Paris : éd. Allia, 2015. lu pour vous Traitement de l’asthme : les bêtaagonistes à longue durée d’action sont-ils dangereux ? L’utilisation de bêta-agonistes à longue durée d’action (LABA) pour le traitement de l’asthme a été longuement débattue. Les études ont montré que leur utilisation en monothérapie était associée à une augmentation du nombre de décès dus à l’asthme comparés au placebo. La FDA a donc demandé des études supplémentaires pour évaluer le traitement combiné de LABA et de corticoïde versus un traitement de corticoïde seul. Cette étude multicentrique randomisée en double aveugle est une étude de non-infériorité qui a comparé 11 679 patients asthmatiques de degrés moyen à sévère, âgés de plus de 12 ans, traités quotidiennement pour un asthme depuis un an au moins et ayant eu une exacerbation traitée par corticoïdes systémiques dans l’année écoulée (à l’exception des 30 derniers jours). Les participants étaient ran­ domisés dans un groupe fluticasone seule et un groupe fluticasone combinée au salmétérol. Le suivi était de 26 semaines. Pendant la durée de l’étude, le nombre de complications www.revmed.ch 18 mai 2016 44_45.indd 1005 nal devrait être de mieux faire concorder la science et l’éthique à propos de la recherche sur l’embryon humain » conclut la philosophe canadienne. Sans être inaccessible, cet objectif semble s’éloigner chaque jour un peu plus. Il nous faut, sans trop tarder, lire « Le Meilleur des mondes ». Ou le relire. sévères (hospitalisations, intubations ou décès) était identique dans les deux groupes. Le risque d’exacerbation sévère de l’asthme (nécessitant des corticoïdes systémiques ou une hospitalisation) était plus faible dans le groupe bithérapie que dans le groupe fluticasone seule (8 % vs 10 %). Commentaire : Cette étude confirme qu’il est sûr et efficace d’ajouter un LABA chez les patients asthmatiques de degrés moyen à sévère, insuffisamment contrôlés par un corticoïde seul, à condition que la préparation soit combinée. Les limitations de cette étude sont la courte durée du suivi et l’exclusion des patients ayant eu une exacerbation mettant en jeu le pronostic vital dans les 30 jours précédant l’étude. Les résultats ne peuvent donc pas être extrapolés à cette catégorie de patients. Dr Elodie Saillen Policlinique médicale universitaire Lausanne Stempel DA, et al. Serious asthma events with fluticasone plus salmeterol versus fluticasone alone. N Engl J Med 2016 ; epub ahead of print. © istockphoto.com/fotojog miques dans l’environnement peuvent affecter le développement de l’embryon », fait valoir un autre chercheur. Ainsi, l’ho­rizon des nouveaux possibles s’élargit-il comme rarement. La « règle des 14 jours » fut d’abord sim­ plement proposée, en 1979, par une structure éthique du gouvernement américain, puis approuvée en 1984 au Royaume-Uni par un comité ad hoc et, dix ans plus tard, outre-Atlantique. Aujourd’hui, une douzaine de pays se sont dotés de dispositifs législatifs ou de directives encadrant ce domaine d’activité et interdisant un développement embryonnaire in vitro au-delà de 14 jours. C’est notamment le cas des Etats-Unis, de la Chine, de l’Inde, du Royaume-Uni, de l’Australie, de l’Espagne, du Danemark ou des Pays-Bas. Loin d’interdire la recherche sur les embryons humains, cette réglemen­ tation définit bien souvent un espace temporel où cette recherche devient, de fait, permise. Pour l’heure, il s’agit de travaux qui por­tent sur les mécanismes du développement de l’embryon humain ; des travaux qui pourraient permettre d’améliorer les chances de réussite des tentatives de fécondation dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation. Il faut aussi compter avec l’obtention, à partir de ces embryons, de « cellules souches embryonnaires » qui pourraient contribuer au développement de nouvelles voies thérapeutiques régénératrices. En Chine, des travaux sont aussi menés depuis peu sur des embryons humains dont on modifie le patrimoine héréditaire à partir de la nouvelle technique, révolutionnaire, de « réédition du génome humain ». Le résultat des chercheurs britanni­ques soulève de manière très concrète la somme des questions théoriques (et fantasmati­ ques) inhérentes au concept d’utérus artificiel. Les premières phosphorescences sur le sujet datent d’un siècle, quand le biologiste et généticien (britannique), John Burdon Sanderson Haldane, élabora le projet d’un dispositif permettant chez les mammifères une grossesse extracorporelle, la croissance d’un embryon puis d’un fœtus en dehors du corps d’un organisme femelle. Développé en 1923 sous forme d’anticipation par Haldane,3 le concept d’ectogenèse inspirera bientôt à Aldous Huxley la clef de voûte de son chef-d’œu­ vre : « Le Meilleur des mondes » (1932). Un siècle plus tard, la nouvelle perspective de l’utérus artificiel dans l’espèce humaine survient alors que se développe à l’échelon international la pratique, controversée, des locations d’utérus et celle, encore confidentielle, des greffes d’utérus. Dans Le Monde, la philosophe et éthicien­ne 1005 17.05.16 10:02