REVUE MÉDICALE SUISSE
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18 mai 2016
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point de vue
AU TEMPS DE L’UTÉRUS ARTIFICIEL ET DES FÉCONDATIONS
SEMINATURELLES
Mai 2016. Deux informations émer-
gentes dans le flux perpétuel des mails et
des dépêches. A Bilbao, une clinique privée
annonce la première naissance, en Espagne,
d’un enfant né grâce à une nouvelle tech-
nique de fécondation ; une « technique de
fécondation naturelle » nous précise-t-on.
On l’a baptisée AneVivo. Elle a été mise au
point par l’entreprise suisse Anecova. Il
s’agit, en substance, d’introduire ovules et
spermatozoïdes dans un dispositif, ensuite
placé dans la cavité utérine. La féconda-
tion et le début du développement em-
bryonnaire se font in vivo, au sein de cette
« capsule poreuse ».
Cinq jours plus tard, la capsule est
retirée et on procède à la « sélection des
meilleurs embryons » – embryons qui se-
ront aussitôt réintroduits dans l’utérus de
la future mère. « Cette méthode permet à
l’embryon d’être fécondé et de se dévelop-
per dès les premières heures dans son mi-
lieu naturel et dans les mêmes conditions
de lumière et de température que s’il avait
été conçu de manière naturelle, tout en
profitant des mêmes nutriments. Sur le
plan psychologique, les parents se sentent
ainsi plus proches du processus de repro-
duction assistée », précisent les promo-
teurs.
Ils ajoutent que cette tech-
nologie « permet le passage
des fluides, des nutriments et
autres éléments cellulaires et
non cellulaires à travers une
membrane poreuse, favorisant
ainsi une interaction plus phy-
siologique entre les embryons
et le milieu maternel ». La so-
ciété Anecova commence tout
juste à commercialiser la tech-
nologie AneVivo dans certaines
grandes cliniques « bénéficiant
d’une renommée internatio-
nale ». Anecova se présente
comme une société médicale
suisse d’innovation techno-
logique, située à Lausanne.
« Nous travaillons actuellement avec des
scientifiques et des sociétés leaders mon-
diales dans le secteur de la reproduction
assistée dans le but de développer une ap-
proche plus naturelle en matière de tech-
niques et de traitements de reproduction
assistée, précisent ses responsables. Le dis-
positif AneVivo dispose de la certification
européenne (marque CE) tout en ayant
reçu l’agrément des différentes normes
européennes, dont la HFEA
anglaise. »
La seconde information
nous vient de cette Gran de-
Bretagne dont le pragmatisme
pourrait aisément donner le
vertige. C’est une publication
de Nature Cell Biology 1 com-
mentée dans Nature.2 Les au-
teurs sont dirigés par Anna
Hupalowska et Magdalena Zer-
nicka-Goetz (Mammalian Em-
bryo and Stem Cell Group,
University of Cambridge, De-
partment of Physiology, Deve-
lopment and Neuroscience).
Les biologistes britanniques
expliquent en substance avoir
mis au point de nouvelles tech-
niques de culture. Celles-ci imiteraient l’en-
vironnement utérin.
Ils sont ainsi parvenus à obtenir des
développements embryonnaires jusqu’à la
frontière des 14 jours. Ils se seraient arrê-
tés à 13 jours. Il s’agit là d’un saut considé-
rable qui nous mène bien au-delà
du moment où ces embryons (qua-
tre ou cinq jours) auraient dû être
implantés. Corollaire, ils deman-
dent à pouvoir aller plus loin, à
ne plus respecter la limites des
14 jours (après lesquels un em-
bryon humain ne peut plus se seg-
menter et conduire à la formation
de jumeaux). Les partisans de
cette limite font valoir que l’indi-
vidualisation de l’embryon était un
« déterminant de son statut mo-
ral », et que cette individualisation
ne pou vait être établie qu’une fois
l’implantation terminée.
La publication de Nature Cell
Biology a été quelque peu mise en
scène. La Pr Magdalena Zernicka-
Goetz a ainsi confié à la BBC ne
pas se souvenir d’avoir été plus
heureuse que le jour où elle est
parvenue à ce résultat – résultat
dont elle vante par ailleurs les pers-
pec tives scientifiques. « Nous pour-
rions peut-être (…) étudier les
causes potentielles de l’autisme et
trouver pourquoi des produits chi-
JEAN-YVES NAU
DES TRAVAUX
SONT MENÉS
SUR DES
EMBRYONS
HUMAINS DONT
ON MODIFIE LE
PATRIMOINE
HÉRÉDITAIRE À
PARTIR DE LA
NOUVELLE
TECHNIQUE DE
RÉÉDITION DU
GÉNOME
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miques dans l’environnement peuvent af-
fecter le développement de l’embryon », fait
valoir un autre chercheur. Ainsi, l’ho rizon
des nouveaux possibles s’élargit-il comme
rarement.
La « règle des 14 jours » fut d’abord sim-
plement proposée, en 1979, par une struc-
ture éthique du gouvernement américain,
puis approuvée en 1984 au Royaume-Uni
par un comité ad hoc et, dix ans plus tard,
outre-Atlantique. Aujourd’hui, une douzaine
de pays se sont dotés de dispositifs législa-
tifs ou de directives encadrant ce domaine
d’activité et interdisant un développement
embryonnaire in vitro au-delà de 14 jours.
C’est notamment le cas des Etats-Unis, de
la Chine, de l’Inde, du Royaume-Uni, de
l’Australie, de l’Espagne, du Danemark ou
des Pays-Bas. Loin d’interdire la recherche
sur les embryons humains, cette réglemen-
tation définit bien souvent un espace tem-
porel où cette recherche devient, de fait,
permise.
Pour l’heure, il s’agit de travaux qui
por tent sur les mécanismes du développe-
ment de l’embryon humain ; des travaux
qui pourraient permettre d’améliorer les
chances de réussite des tentatives de fé-
condation dans le cadre d’une assistance
médicale à la procréation. Il faut aussi
compter avec l’obtention, à partir de ces
embryons, de « cellules souches embryon-
naires » qui pourraient contribuer au dé-
veloppement de nouvelles voies thérapeu-
tiques régénératrices. En Chine, des tra-
vaux sont aussi menés depuis peu sur des
embryons humains dont on modifie le pa-
trimoine héréditaire à partir de la nouvelle
technique, révolutionnaire, de « réédition
du génome humain ».
Le résultat des chercheurs britanni ques
soulève de manière très concrète la somme
des questions théoriques (et fantasmati-
ques) inhérentes au concept d’utérus arti-
ficiel. Les premières phosphorescences
sur le sujet datent d’un siècle, quand le
biologiste et généticien (britannique), John
Burdon Sanderson Haldane, élabora le
projet d’un dispositif permettant chez les
mammifères une grossesse extracorporelle,
la croissance d’un embryon puis d’un fœ-
tus en dehors du corps d’un organisme
femelle. Développé en 1923 sous forme
d’anticipation par Haldane,3 le concept
d’ectogenèse inspirera bientôt à Aldous
Huxley la clef de voûte de son chef-d’œu-
vre : « Le Meilleur des mondes » (1932).
Un siècle plus tard, la nouvelle pers-
pective de l’utérus artificiel dans l’espèce
humaine survient alors que se développe à
l’échelon international la pratique, contro-
versée, des locations d’utérus et celle, en-
core confidentielle, des greffes d’utérus.
Dans Le Monde, la philosophe et éthicien ne
canadienne, Françoise Baylis, nous rappelle
que Sir Robert Edwards, l’un des grands
pionniers de la fécondation in vitro, avait
suggéré que cette limite, plutôt que de 14,
devrait être de 21 jours.
Elle souligne aussi qu’en France, la loi
de bioéthique ne mentionne pas de limite
– mais qu’une recommandation du Comité
consultatif national d’éthique précise que
seul l’embryon préimplantatoire peut être
utilisé à des fins de recherche – ce qui
limi te à 7 jours sa mise en culture. Jus-
qu’alors, cette limite internationalement
reconnue importait peu, parce que les scien-
tifiques étaient incapables de conserver des
embryons humains vivants en dehors du
corps pendant plus de quelques jours.
Tel n’est plus le cas. « L’objectif de la
construction d’un consensus internatio-
nal devrait être de mieux faire concorder
la science et l’éthique à propos de la re-
cherche sur l’embryon humain » conclut la
philosophe canadienne. Sans être inacces-
sible, cet objectif semble s’éloigner chaque
jour un peu plus. Il nous faut, sans trop
tarder, lire « Le Meilleur des mondes ». Ou
le relire.
1 Shahbazi MN Selforganization of the human embryo
in the absence of maternal tissues Nat Cell Biol 
epub ahead of print
2 Hyun I Wilkerson A Johnston J Embryology policy
Revisit the day rule Nature  comment
3 Sur ce thème voir Haldane JBS Russel B Dédale et
Icare Paris éd Allia 
lu pour vous
Lutilisation de bêta-agonistes à longue durée
d’action (LABA) pour le traitement de l’asthme
a été longuement débattue. Les études ont
montré que leur utilisation en monothérapie
était associée à une augmentation du nombre
de décès dus à l’asthme comparés au placebo.
La FDA a donc demandé des études supplé-
mentaires pour évaluer le traitement combiné
de LABA et de corticoïde versus un traitement
de corticoïde seul. Cette étude multicentrique
randomisée en double aveugle est une étude
de non-infériorité qui a comparé 11 679 patients
asthmatiques de degrés moyen à sévère, âgés
de plus de 12 ans, traités quotidiennement pour
un asthme depuis un an au moins et ayant eu
une exacerbation traitée par corticoïdes systé-
miques dans l’année écoulée (à l’exception des
30 derniers jours). Les participants étaient ran-
domisés dans un groupe fluticasone seule et
un groupe fluticasone combinée au salmété-
rol. Le suivi était de 26 semaines. Pendant la
durée de l’étude, le nombre de complications
sévères (hospitalisations, intubations ou dé-
cès) était identique dans les deux groupes. Le
risque d’exacerbation sévère de l’asthme (né-
cessitant des corticoïdes systémiques ou une
hospitalisation) était plus faible dans le groupe
bithérapie que dans le groupe fluticasone seule
(8 % vs 10 %).
Commentaire Cette étude confirme qu’il est
sûr et efficace d’ajouter un LABA chez les pa-
tients asthmatiques de degrés moyen à sévère,
insuffisamment contrôlés par un corticoïde
seul, à condition que la préparation soit com-
binée. Les limitations de cette étude sont la
courte durée du suivi et l’exclusion des patients
ayant eu une exacerbation mettant en jeu le
pronostic vital dans les 30 jours précédant
l’étude. Les résultats ne peuvent donc pas être
extrapolés à cette catégorie de patients.
Dr Elodie Saillen
Policlinique médicale universitaire
Lausanne
Stempel DA et al Serious asthma events with
fluticasone plus salmeterol versus fluticasone alone
NEngl J Med  epub ahead of print
© istockphoto.com/fotojog
Traitement de l’asthme les bêta
agonistes à longue durée d’action
sontils dangereux?
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