AVANT-PROPOS
A Waterloo, les soldats de Sa Gracieuse Majesté britannique ne formaient pas tout à fait la septième
partie des troupes opposées à celles de Napoléon. Cela n'a nullement empêché l'Angleterre de s'attribuer les
lauriers et le profit de la victoire, ni même d'en faire un de ses grands sujets d'orgueil ; de la commémorer à
outrance ; de donner son nom, rien qu'à Londres, à une place, à un pont, à un parc, à un escalier, à une gare et
à un quai, sans parler de plusieurs rues ; d'en lier le souvenir aux mirages des succès escomptés ; de revigorer
les espoirs, à toute occasion, par la promesse d'un nouveau Waterloo.
Qu'un  général  anglais  ait  pu  décider  de  l'avenir  de  l’Europe,  pour  plus  d'un  siècle,  en  utilisant  une
majorité  de  combattants  étrangers,  n'était-ce  pas  là  un  symbole  spécifique,  le  signe  éclatant  de  la
prédestination de la Grande-Bretagne à conduire les peuples, à les prendre en tutelle ?
Soucieuse de conférer à ce symbole une valeur encore plus évidente, elle aurait pu se rappeler que le 18
juin 1815 s'étaient déroulées sur le plateau de Mont-Saint-Jean, non pas une mais deux batailles et que, si
l'armée prussienne de Blücher avait gagné la seconde et emporté la décision, Wellington avait bel et bien
perdu la première et compromis gravement les chances de son camp. L'Angleterre, magnanime, a préféré
négliger ce détail.
Quant à la victoire de la Marne, dont nous avons tendance à réclamer notre part, les critiques militaires
d'outre-Manche affirment que la gloire en revient de droit à M. W. Churchill, qui aurait bouleversé, ni plus ni
moins, le  plan  stratégique  de  l'Etat-major  allemand  en  jetant quelques  bataillons  de  la Royal  Navy  dans
Ostende.
Quitte  à  diminuer  dans  une  certaine  mesure  le  rôle  déterminant  de  M.  W.  Churchill,  ces  critiques
n'hésitent pas, il est vrai, à faire remarquer que nos adversaires ne laissaient point, à ce moment-là, de se
montrer  nerveux  parce  qu'ils  craignaient  de  voir  surgir  soudain  sur  la  ligne  de  jeu  le  petit  corps
expéditionnaire du maréchal French.
En  guise  de  conclusion,  ils  affirment  qu'on  ne connaît  pas, dans  toute l’Histoire,  une  bataille  qui  ait
nécessité moins de combats proprement dits que celle-là. Ils n'ont pas tort de s'exprimer de la sorte s'ils en
jugent d'après la conduite du corps French qui, n'ayant pas cru opportun d'intervenir en l'occurrence, a, quant
à lui, trouvé le moyen de réduire au minimum les péripéties et les risques de la lutte.
Il serait aisé de multiplier les exemples similaires, mais cette étude ne prétend nullement ironiser sur la
haute  idée  que  l'Angleterre  se  fait  d'elle-même  et  sur  les  illusions  qu'elle  professe  au  sujet  du  rôle
providentiel qui lui serait dévolu sur la planète. Un peuple a toujours raison d'être fier de lui et le peuple
anglais en a le droit. Cette étude se propose simplement de montrer, à la lumière des événements, que la
vieille  stratégie  du  Royaume-Uni,  infaillible  pendant  si  longtemps,  ne  s'accorde  plus  aux  conditions  de
guerre actuelles.
Il apparaît qu'aucun des éléments qui fondèrent et assurèrent jadis la grandeur britannique n'a conservé
dans le présent sa pleine valeur.
Déjà la dernière guerre, encore qu'elle se soit terminée par une victoire anglaise et même, à proprement
parler, par la victoire de la seule Angleterre, avait marqué la fin de la grande époque victorienne, apogée de
la puissance britannique à travers le monde. Elle avait laissé entrevoir le desserrement des liens de l'Empire
et inauguré l'ère de la rivalité anglo-américaine.
Cette fois-ci le déclin s'affirme. Pour qui regarde les choses avec une entière liberté d'esprit, il ne saurait
faire de doute, au point où en est arrivé le conflit auquel nous assistons, que le temps de l'hégémonie anglaise
ne soit passé. Grandeur et décadence : l'Histoire abonde en accidents analogues. Sans remonter à des temps
plus anciens, l'Espagne, au XVIIe siècle, la France, au XVIIIe, n'ont-elles point connu un sort identique ?
La Grande-Bretagne proclame elle-même sa faiblesse en multipliant par le truchement de la B. B. C. ses
appels à l'aide. Il est visible que sa stratégie de compensations multiples, entreprise aux dépens de la France
et de quelques pays neutres, n’est qu’une stratégie d’expédients à laquelle recourt, faute de mieux, une nation
déjà battue. Tout se passe comme si John Bull se hâtait de prendre des gages avec l’idée de les jeter dans la
balance lors des futures négociations de paix et de récupérer, si possible, grâce aux territoires ravis à autrui,
une part de ceux qu’il a perdu dans la bataille.
En  attendant,  le  gouvernement  de  Londres,  désespérant  de  ramener  la  victoire  sous  ses  drapeaux,
s’efforce  par  habitude  de  provoquer  la  révolution  sur  le  continent  avec  l'espoir  de  ressaisir  ainsi  ses