Les nouveaux intellectuels religieux saoudiens : le Wahhabisme en

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Stéphane Lacroix*
Les nouveaux intellectuels religieux
saoudiens : le Wahhabisme en question
Abstract. New religious intellectuals in Saudi Arabia : questioning Wahhabism
This article is about the “new religious intellectuals” who have played a key role in the debates
which have shaken the Saudi kingdom since the late 1990s. Since that period, most of these
intellectuals have become prominent figures in the “islamo-liberal” movement, which emerged
out of part of the Islamist opposition, and calls for democratic reform within an Islamic framework, as well as a revision of the dominant Wahhabi religious discourse. In this article, we
will mainly focus on the question of religious reform. We will show how these intellectuals have
based their critique of Wahhabism on a plurality of modes, which correspond to the different
legitimizing discourses of the reformist movement these intellectuals represent. We will finally
examine the limits of this critique: while the regime can, if it suits its temporary interests,
tolerate, and even encourage, a degree of religious criticism, it cannot let this criticism turn into
what many of these intellectuals consider as its natural corollary, i.e. political criticism.
Résumé. Cet article s’intéresse à ces « nouveaux intellectuels religieux » qui occupent une place
prépondérante dans les débats qui agitent le royaume saoudien depuis la fin des années 1990.
Depuis cette période, ils se sont, pour beaucoup, faits les porte-voix du spectaculaire repositionnement d’une partie de l’opposition islamiste saoudienne qu’a constitué l’émergence d’un
*Doctorant et enseignant à l’Institut d’Études Politiques de Paris.
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mouvement « islamo-libéral » appelant à une réforme démocratique du système dans le cadre
de l’islam, allant de pair avec une profonde remise en question du discours religieux wahhabite
dominant. C’est ce second aspect de réforme religieuse qui nous occupera plus particulièrement
ici. Nous montrerons notamment comment ces intellectuels ont fait usage d’une pluralité de
modes de remise en cause du wahhabisme, qui correspondent à autant de discours de légitimation du mouvement réformiste qu’ils incarnent. Nous verrons enfin les limites de cette
critique : si le pouvoir peut, en fonction de ses intérêts conjoncturels, tolérer, voire encourager,
un certain degré de critique religieuse, il ne peut laisser celle-ci se muer en ce que beaucoup de
ces intellectuels considèrent comme son corollaire naturel, la critique politique.
Des changements importants se sont produits en Arabie Saoudite ces
dernières années, affectant notamment un champ politico-intellectuel local en
pleine ébullition. Ceux-ci s’y sont soldés par des recompositions spectaculaires,
entraînant l’émergence de nouveaux acteurs. C’est ainsi que l’on peut voir
s’affirmer dès la fin des années 1990 un courant réformiste « islamo-libéral »,
« composé d’anciens islamistes et libéraux, sunnites et chiites, appelant à une
réforme démocratique du système dans le cadre de l’islam, allant de pair avec
une profonde remise en question du discours religieux wahhabite dominant
(Lacroix, 2004a : 346). C’est de ce courant – qui se constitue autour d’un réseau
de salons et de sites internet – qu’émaneront la plupart des manifestes politiques
réclamant l’instauration d’une monarchie constitutionnelle présentés au pouvoir
à partir de l’année 2003.
Parallèlement à la montée en puissance de ce groupe, se font connaître,
tant en son sein qu’en ses marges, un petit nombre d’intellectuels influents,
pour la plupart issus des différentes composantes de l’islamisme saoudien, et
dont les écrits servent de support théorique à ce repositionnement d’une partie
de l’opposition saoudienne. Dans leur pensée, la critique de la rigidité et de
l’intransigeance du projet de l’opposition islamiste historique et sa reformulation
en des termes plus souples et plus « inclusifs » s’accompagne d’une remise en
cause souvent virulente du Wahhabisme, dans ses implications religieuses, sociales
et – dans certains cas – politiques. Quoique ce dernier phénomène ne soit pas
inédit en Arabie Saoudite, où, à différents moments de l’histoire, des oulémas
Les intellectuels de ce courant se nomment publiquement tanwiriyyun (éclairés), ‘aqlaniyyun
(rationalistes) ou encore, pour certains, wasatiyyun (centristes, modérés). En privé, Abd al-Aziz alQasim n’hésite néanmoins pas à se qualifier d’ « islamiste libéral », une appellation que ces intellectuels
taisent dans l’espace public car elle nuirait à leur stratégie de revendication de l’héritage de l’opposition
islamiste saoudienne. Notre usage du terme « islamo-libéral » répond ici à deux logiques : politique,
d’une part, celui-ci marquant la volonté de ces intellectuels de créer une plate-forme politique
commune rassemblant les deux adversaires historiques du champ politique saoudien, les islamistes et
les libéraux ; intellectuelle, d’autre part, car leurs idées se veulent être l’expression d’un « libéralisme
fondé sur le livre et la Sunna » (libaraliyya ‘ala al-kitab wa-l-sunna), c’est-à-dire pour lequel la question
des droits et des libertés reste fondamentale mais se dit dans le langage de l’islam.
Ces salons de rencontre sont attachés au domicile d’un intellectuel et portent un nom dérivé du jour
de la semaine où ils se tiennent (on parlera par exemple de ahadiyya pour un salon du dimanche).
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du Hedjaz, du Hasa et – quoique beaucoup plus rarement – du Najd, s’en sont
pris au discours religieux wahhabite, sa systématisation et sa généralisation
constituent indéniablement une nouveauté, d’autant que beaucoup des critiques
actuels proviennent du cœur géographique et idéologique du Wahhabisme.
C’est à ces « nouveaux intellectuels religieux » que nous nous intéresserons
ici, à travers une étude des différents modes de remise en cause du discours
religieux wahhabite dominant dont ils se sont fait les porte-paroles. Nous
n’aborderons donc que très superficiellement la dimension proprement politique
de leur discours – au sens des revendications spécifiques qu’il contient quant
aux réformes politiques à entreprendre, notamment tout ce qui a trait à la
démarche constitutionaliste à laquelle adhère une partie d’entre eux – en nous
bornant a priori à les étudier, plus comme des penseurs religieux en lutte contre
l’hégémonie du discours wahhabite, que comme des activistes politiques (ce
qu’ils sont parfois aussi) défiant l’ordre établi. Nous soulignerons néanmoins les
limites de cette distinction, qui apparaissent très nettement lorsque certains de
ces intellectuels posent ouvertement la réforme politique comme corollaire de la
réforme religieuse, plongeant le pouvoir, d’abord bienveillant, dans un embarras
qui se solde finalement par un sursaut de répression à leur encontre.
Définir le Wahhabisme Quoique le terme « Wahhabisme » ait plus souvent, au cours de l’histoire, été
employé comme un anathème politique mal défini que comme un objet de sciences
sociales, nous croyons possible – à la suite des penseurs saoudiens que nous nous
proposons d’étudier ici – de l’utiliser, à condition d’en circonscrire préalablement le
sens. Nous désignerons donc par « Wahhabisme » la tradition religieuse développée
depuis le milieu du xviiie siècle par les oulémas de l’institution religieuse fondée
par les héritiers de Muhammad Ibn Abd al-Wahhab (1703-1792), une institution
qui, en retour, se considère comme la gardienne de cette tradition. L’une et l’autre
entretiennent un rapport organique avec l’État saoudien, fondé en 1744 à la suite
d’un pacte conclu entre Ibn Abd al-Wahhab et Muhammad Ibn Sa‘ud, selon lequel
le « sabre » se mettrait désormais au service du « goupillon », et réciproquement.
Le terme « wahhabisme », s’il a pu – contrairement à une croyance tenace qui
veut n’en faire qu’une invention coloniale – être employé par les partisans de cette
tradition pour se distinguer de leurs adversaires au xixe siècle, voit, depuis le règne
du roi Abd al-Aziz (1902-1953), son emploi récusé par l’institution religieuse
saoudienne, qui préfère désormais se désigner comme « salafiste ». Or la notion de
« salafisme » – qui désigne la pratique des salaf, les pieux ancêtres (c’est-à-dire, dans
l’acception la plus répandue, les trois premières générations de musulmans) – est
en elle-même ambiguë, puisque s’en réclament, non seulement une grande partie
des islamistes saoudiens, et parfois non-saoudiens, mais également les héritiers
intellectuels de la salafiyya égyptienne, fondée à la fin du XIXe siècle par Jamal
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al-Din al-Afghani et Muhammad Abduh. Le maintien du terme « wahhabisme »
permet donc ici de lever l’ambiguïté engendrée par cette polysémie.
Notre emploi du terme « tradition », que nous empruntons, à la suite de
Muhammad Qasim Zaman, au philosophe Alasdair MacIntyre (Zaman, 2002 :
4), vise à insister sur l’existence de dynamiques internes au Wahhabisme pouvant
aller jusqu’à produire des sous-écoles et des courants – les deux extrêmes étant
qualifiés d’ « inclusiviste » et d’« exclusiviste » (Al-Fahad, 2004) – qui s’articulent
néanmoins autour d’un certain nombre de points d’accord fondamentaux que
sont les grands principes contenus dans les écrits de Muhammad bin Abd alWahhab, eux-mêmes inspirés de ceux du théologien et juriste hanbalite médiéval
Ibn Taymiyya (1263-1328). Les préoccupations que reflètent ces principes sont
avant tout de nature théologique et visent à une purification du dogme (‘aqida),
qui doit n’être, aux yeux d’Abd al-Wahhab, que pur tawhid (unicité divine).
Or ce dernier estime que la foi de ses contemporains a à ce point dévié de
l’orthodoxie des pieux ancêtres (al-salaf al-salih) que la société dans laquelle il vit
est retombée dans une période d’ignorance (jahiliyya) semblable à celle qui avait
précédé la venue de l’islam. Car proclamer le tawhid, affirme Abd al-Wahhab,
ne suffit pas à être musulman, il faut aussi le mettre en œuvre dans le culte.
À cette règle contreviennent différentes pratiques religieuses répandues dans la
péninsule à son époque comme le culte des saints (à la base duquel se trouve
le tawassul, l’intercession) et le chiisme, en lesquels Abd al-Wahhab dénonce
des formes d’associationnisme (shirk). C’est donc contre elles, principalement,
que se construira le wahhabisme, avec néanmoins une nuance : tandis que les
inclusivistes, minoritaires, se borneront à des condamnations de principe, les
exclusivistes, le plus souvent majoritaires, feront de l’excommunication et,
parfois, de la lutte par le glaive contre ceux qui se livrent à ces pratiques, un
impératif.
Mais si les positions d’Abd al-Wahhab en termes de ‘aqida sont claires,
ses positions sur le fiqh (le droit) le sont beaucoup moins, d’abord et avant
tout parce qu’elles occupent une place bien moins centrale dans son œuvre
(Commins, 2006 : 12). Sa position de principe est que le seul critère de validité
d’un jugement religieux doit être le Coran, la Sunna et l’ijma‘ (consensus),
limité aux pieux ancêtres. Cela revient en théorie à rejeter l’emprise du taqlid
(imitation) des écoles juridiques, et à faire de l’ijithad (interprétation) le pilier
du droit. En pratique, pourtant, Abd al-Wahhab continue d’adhérer à la doctrine
juridique hanbalite pour ce qui est des furu‘ , des règles de l’exégèse. De fait,
il est même établi qu’Abd al-Wahhab n’a jamais émis d’opinion juridique inédite,
se limitant le plus souvent à un ijtihad relatif au sein de l’école hanbalite. Comme
le montre Frank Vogel, ce paradoxe entre un idéal d’ijithad affirmé et une
pratique juridique qui se situe largement dans l’école hanbalite allait être une
Al-Fahad parle d’« accomodationisme » là où nous employons le terme « inclusivisme ».
Article « Wahhabiya » dans l’Encyclopédie de l’Islam. Les nouveaux intellectuels religieux saoudiens : le Wahhabisme en question / 145
constante du wahhabisme jusqu’à nos jours (Vogel, 2000 : 74-76). C’est en
partie sur ce paradoxe que se fonderont, nous le verrons, certaines des critiques
du wahhabisme.
Loin de l’idéal d’ijtihad affirmé, donc, le wahhabisme s’apparente de plus
en plus, sur le plan juridique, à un hanbalisme conservateur, ce qui aboutit à
une rigidification du discours religieux, marquée par l’imposition d’un certain
nombre de pratiques sociales caractéristiques – c’est le cas de l’existence d’une
police des moeurs (hay’at al-amr bi-l-ma‘ruf wa-l-nahi ‘an al-munkar, le Comité
pour la Promotion de la Vertu et la Prévention du Vice) ou de l’interdiction faite
aux femmes de conduire des véhicules. Leur remise en cause sera par conséquent,
pour une partie des nouveaux intellectuels que nous prenons ici pour objet, au
cœur de la critique du Wahhabisme.
La tradition wahhabite demeure, depuis les premiers temps de son apparition,
hégémonique dans le champ religieux saoudien. La totalité des mouvements qui
y apparaissent à partir des années 1960, notamment les groupes islamistes des
deux grandes tendances réformiste et rejectioniste, continuent ainsi à s’inscrire en
son sein, c’est-à-dire qu’ils ne s’attaquent jamais à ses principes fondamentaux ni
ne se posent en faux contre son héritage. Ce n’est qu’à partir de la fin des années
1990 qu’une remise en cause systématique de cette tradition est entreprise, sur
des modes pluriels que nous nous apprêtons ici à décrire.
La pluralité des modes de remise en cause
du Wahhabisme Nous ne traiterons pas ici des penseurs réformistes « islamo-libéraux »
chiites, dont la position au sujet du Wahhabisme est sans surprise, étant
donné l’antagonisme fondamental existant entre Wahhabisme et chiisme. Il est
néanmoins intéressant de noter que ceux-ci, depuis l’accord de réconciliation
signé en 1993 entre l’opposition chiite en exil et le pouvoir saoudien – et plus
encore ces dernières années dans le cadre de leur action au sein du conglomérat
réformiste « islamo-libéral » – ont été très prudents de ne pas ouvertement
formuler d’attaques directes contre le Wahhabisme. Cela aurait en effet risqué de
mettre en péril leur nouvelle stratégie politique, consistant à appeler à l’ouverture
tout en réaffirmant à l’envi leur appartenance à la « nation saoudienne » et
en se posant en champions du nationalisme saoudien (Lacroix, 2004b : 753).
Les réformistes chiites ont ainsi en quelque sorte choisi de déléguer à leurs
homologues sunnites la responsabilité de telles attaques, et se sont contentés
d’offrir à ces derniers des tribunes dans les journaux qu’ils publient et dans les
Il existe bien en Arabie Saoudite des traditions religieuses dissidentes – à commencer par le chiisme
duodécimain et ismaélien et l’islam traditionnel hedjazi (sur lequel nous reviendrons) et du Hasa –
mais elles se trouvent exclues de l’espace de sens islamique légitime, et confinées à l’espace privé.
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conférences qu’ils organisent : Hasan al-Maliki a, à plusieurs reprises, été invité à
prendre la parole dans des salons d’intellectuels chiites de la province orientale ;
c’est également le cas d’Abdallah al-Hamid, qui, en 2002, a été reçu comme
orateur dans le forum de discussion hebdomadaire animé par Ja‘far al-Shayib,
dans la ville chiite de Qatif.
Pour ce qui est des intellectuels sunnites, on peut distinguer quatre principaux
modes de remise en cause du wahhabisme : une critique libérale, une critique
islamique, une critique salafiste et une critique « wahhabite » du wahhabisme. La
première est, comme son nom le laisse entendre, portée par le petit groupe des
intellectuels libéraux, aussi ne l’évoquerons-nous ici que pour mieux la distinguer
des autres. Les trois suivantes, en revanche, sont au cœur de la rhétorique des
nouveaux intellectuels religieux qui sont l’objet de cet article. Quoiqu’elles
constituent, en dernière analyse, trois variations sur un même thème, et que les
différences entre elles puissent parfois apparaître comme plus rhétoriques que
substantielles, les distinguer est important en ce qu’elles reflètent, d’une part, la
diversité des attaques portées aujourd’hui contre le wahhabisme et, d’autre part,
la pluralité des discours de légitimation sur lesquels joue le mouvement réformiste
actuel.
Une critique libérale
Le courant dit « libéral » saoudien regroupe tous les intellectuels réformistes
qui, sans se risquer à remettre ouvertement en cause – chose impensable dans
le débat saoudien – la légitimité suprême de la shari‘a, ne fondent pas leur
projet de société sur l’islam. Il rassemble donc tout aussi bien les rejetons du
communisme et du nationalisme arabe que les partisans d’une modernisation à
l’occidentale. Une partie de ces libéraux a néanmoins, depuis le milieu des années
1990, commencé à repenser sa relation à la religion, et a rejoint le mouvement
« islamo-libéral », à l’instar de Muhammad Sa‘id Tayyib, figure de proue de la
gauche saoudienne dans les années 1960 et 1970, puis du courant libéral depuis
les années 1980 (Lacroix, 2004a : 355).
La remise en cause du wahhabisme a toujours été au cœur du discours
des libéraux saoudiens, et cela plus encore après la guerre du Golfe lorsque
ceux-ci se sont mis à fustiger le « wahhabisme sous-jacent » de l’opposition
islamiste naissante. Comme c’est encore le cas aujourd’hui, il s’agit surtout
pour ces intellectuels de dénoncer, au nom de principes se réclamant plus
d’un humanisme universaliste que de l’islam à proprement parler, les
manifestations sociales du wahhabisme, notamment l’existence d’une police
des mœurs ou l’interdiction faite aux femmes de conduire. Cette critique
formulée par les libéraux s’accompagne donc rarement d’une réflexion
religieuse proprement dite sur la tradition wahhabite, ce qui la distingue
des trois suivantes.
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La critique islamique
Les quelques années écoulées ont vu se développer dans l’espace public saoudien –
principalement la presse et les sites Internet – une « critique islamique » du wahhabisme,
qui oppose la « modération » de l’islam aux « excès » du wahhabisme.
Les attaques les plus spectaculaires formulées sur ce mode ont émané d’un
groupe de jeunes intellectuels issus de la frange rejectioniste – la plus radicale –
de la mouvance islamiste. Forts de la légitimité que leur confère leur activisme
passé, ceux que l’on appelle en Arabie Saoudite les mutahawwilun (« ceux qui
sont en changement ») ne mâchent pas leurs mots dans leur dénonciation du
discours religieux dominant.
Le premier, et le plus célèbre d’entre tous, est Mansur al-Nuqaydan.
Al-Nuqaydan est né en 1970 dans ville de Burayda, chef-lieu de la région du
Qasim. À l’âge de 16 ans, il se laisse séduire par l’exclusivisme du discours
wahhabite et rejoint les rangs des « ikhwan de Burayda », une communauté
de quelques centaines de membres qui vit à l’écart de la société et refuse tout
contact avec la modernité. Au lendemain de la guerre du Golfe, il adhère à l’un
des nombreux groupuscules rejectionistes qui apparaissent à Riyad, au sein
desquels sont voués aux gémonies tant le « pouvoir apostat » que les « oulémas
du palais ». Une partie de ses compagnons d’alors se retrouveront, dix ans
plus tard, cadres de l’organisation « al-Qaida dans la Péninsule Arabique »
(Lacroix/Hegghammer, 2007 : 115). Al-Nuqaydan est emprisonné à plusieurs
reprises au début des années 1990, la dernière fois lors du vaste coup de filet
réalisé dans les milieux radicaux au lendemain des premiers attentats de Riyad
en novembre 1995. C’est pendant son séjour de presque trois ans dans l’une des
prisons de Djedda que se produit pour lui le grand changement : il lit beaucoup,
en particulier les ouvrages des penseurs islamistes « libéraux », tels Muhammad
al-Ghazzali et Yusuf al-Qaradawi, ou de certains représentants de la première
salafiyya égyptienne, débat avec ses compagnons de cellule, et ressort transformé
de l’expérience. Une fois dehors, il retrouve d’anciens compagnons qui ont
suivi un parcours similaire : un « milieu » voit le jour. C’est là que l’on retrouve
par exemple Abdallah bin Bijad al-‘Utaybi, membre du même groupuscule
qu’al‑Nuqaydan au début des années 1990, en fuite après 1995… et aujourd’hui
journaliste distingué au quotidien saoudien « al-Riyadh », où il s’est fait connaître
par l’audace de ses positions.
Car Al-Nuqaydan, Al-‘Utaybi et leurs compagnons, se sont tous, ou presque,
reconvertis dans le journalisme, et ont profité de la relative ouverture du
champ médiatique entamée sous l’impulsion du prince héritier Abdallah à
partir de 1999 pour faire connaître haut et fort leurs opinions. Leur production
prend donc principalement la forme d’articles de journaux, ce qui fait d’eux des
Entretiens avec Mansur al-Nuqaydan et Abdallah bin Bijad al-‘Utaybi, Riyad, juin 2003
et mai 2004.
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publicistes plus que des intellectuels stricto sensu, à l’inverse des individus que
nous évoquerons plus loin.
Dès le départ, le wahhabisme – en tant que discours religieux et dans
ses manifestations sociales – est la cible de choix de leur prose. Mais à la
différence de ce que l’on trouve dans les écrits des libéraux, le wahhabisme
n’y est pas mesuré à l’aune de l’humanisme, mais à celle de l’islam. C’est
ainsi, par exemple, qu’en 2000, Mansur al-Nuqaydan s’en prend avec
virulence au « comité pour la promotion de la vertu et la prévention du vice »
(la police religieuse), cherchant à montrer qu’il ne peut en islam n’y avoir
rien de tel et allant jusqu’à conclure – retournant ainsi contre les wahhabites
leurs propres armes – que son existence est une bid‘a (innovation blâmable).
La question du takfir (excommunication) est aussi largement débattue dans
les écrits de ces mutahawwilun - toujours à travers le prisme de l’islam – pour
conclure que le wahhabisme en fait un usage excessif et sans mesure. Au mois
de mai 2003, marqué par la reprise des attentats sur le sol saoudien, Mansur alNuqaydan, suivi quelques semaines plus tard par Abdallah Bin Bijad al‑‘Utaybi,
va même jusqu’à établir un lien explicite entre le Wahhabisme et les tendances
au takfir des militants jihadistes.
Il faut dire que, sur la question du takfir, al-Nuqaydan a de quoi se sentir
concerné : au mois de janvier 2003, il a été déclaré apostat par les principaux
idéologues du courant salafiste jihadiste saoudiens, Ali al-Khudayr et Nasir alFahd – l’équivalent, en droit islamique, d’une condamnation à mort. Se posant
en authentiques défenseurs du credo wahhabite, ceux-ci avaient jugé ses propos
sur « une réforme luthérienne de l’islam » inadmissibles.
Al-Nuqaydan n’a depuis cette époque jamais cessé d’évoluer : l’un des piliers
du courant « islamo-libéral » jusqu’en 2003, il semble avoir depuis pris les milieux
religieux – quels qu’ils soient – en grippe. Faut-il voir dans les épreuves qu’il a
subies suite à sa « condamnation à mort » les raisons de ce nouveau changement ?
C’est possible. Le fait est qu’aujourd’hui al-Nuqaydan est complètement sorti
de l’islamisme, dont il est devenu un farouche opposant. Quant aux autres
mutahawwilun, si quelques-uns l’ont suivi, la plupart ont persévéré sur la voie
de « l’islamo-libéralisme ».
Dans un registre moins spectaculaire mais tout aussi significatif, l’ouverture
médiatique de ces dernières années a redonné voix à l’islam hedjazi, devenu
particulièrement discret depuis le takfir (excommunication) prononcé en 1982 par
le conseil des grands oulémas, instance suprême du wahhabisme, à l’encontre de son
plus éminent représentant, le cheikh mecquois Muhammad ‘Alawi al‑Maliki.
L’une des personnalités illustrant le mieux cette tendance est la prêcheuse
islamiste de Médine, Suhayla Zayn al-Abidin. Comme beaucoup de personnalités
islamiques du Hedjaz, elle se rattache traditionnellement à l’une des quatre
Al-Majalla, 30 avril 2000 ; al-Riyadh, 11 mai 2003. Entretien avec Samir Barga, élève et gendre de Muhammad ‘Alawi al-Maliki, Djedda, avril 2005.
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écoles canoniques de droit musulman, celles-là même que le Wahhabisme
avait, en théorie, cherché à dépasser, et en était venu, en pratique, à nier, en les
excluant totalement de l’institution religieuse d’État et, au-delà, de l’espace de
sens islamique légitime.
Au cœur des préoccupations de Suhayla se trouve la situation de la femme en
Arabie. Ainsi, explique-t-elle, une grande partie des restrictions qui pèsent sur
les femmes saoudiennes provient de l’application aveugle et quasi-systématique
d’un principe-clé du droit wahhabite : celui de sadd al-dhara‘i, le « blocage des
moyens », qui énonce que toute action pouvant mener à commettre un pêché
doit être proscrite. C’est ainsi, notamment, que se justifie l’interdiction faite aux
femmes de conduire, puisque – alors qu’il n’y a rien dans les textes religieux qui
puisse en théorie légitimer une telle décision – les oulémas wahhabites ont estimé
que le surcroît d’indépendance acquis par les conductrices les exposerait au pêché.
Pour Suhayla Zayn al-Abidin, « sadd al-dhara‘i est aujourd’hui un principe qui est
exclusivement utilisé contre les femmes ». Or, explique-t-elle,
« alors que l’islam a permis l’ijtihad (l’interprétation des textes) dans le but de
s’adapter aux circonstances correspondant aux différents lieux et aux différentes
époques, un groupe d’oulémas, qui n’est pas peu nombreux, s’est contenté de
proclamer des interdictions au nom de sadd al-dhara‘i. Ceux d’entre eux qui ont
appliqué ce principe à la femme l’ont fait parce qu’ils la regardent avec des yeux
païens (jahiliyya), et la traitent selon des coutumes et des traditions païennes, qui
ne sont en rien une application de ce qu’a apporté l’islam ».
En d’autres termes – et c’est ici plus encore la hedjazie que la femme
qui parle – le Wahhabisme a servi à légitimer ce qui n’est rien d’autre que
des coutumes locales najdies. C’est dans ce même registre qu’elle ajoute :
« la présence d’une pluralité d’écoles est indispensable au sein des grandes instances
religieuses du pays, comme le conseil des grands oulémas ou le conseil de la fatwa,
pour briser le monopole d’une seule école qui se fonde sur une seule méthode
(manhaj) »10.
Cette dernière revendication est, au cours des dernières années, devenue
récurrente dans le discours d’une partie grandissante des islamistes et oulémas
traditionnels du Hedjaz.
La critique salafiste
Un second type de critique dont font usage les nouveaux intellectuels religieux
saoudiens est ce que nous appellerons la « critique salafiste » du Wahhabisme,
dont l’un des meilleurs représentants est probablement Hasan al-Maliki.
Al-Sharq al-Awsat, 30 mai 2004.
10 www.islamonline.com, 30 mai 2004.
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Sa particularité n’est pas, comme dans le cas précédent, de confronter le
wahhabisme à l’islam, mais bien d’opposer la pratique wahhabite à la théorie
qui lui a donné naissance. Le but est alors de mettre en lumière le paradoxe
originel d’un wahhabisme tiraillé entre un idéal d’ijtihad affirmé et une pratique
juridique figée dans un hanbalisme conservateur.
Hasan al-Maliki est né en 1970 à Jizan, près de la frontière avec le Yémen.
Après une adolescence très pieuse, il étudie la communication à l’université de
l’Imam Muhammad Ibn Sa‘ud à Riyad. Dans son temps libre, il se passionne
pour l’histoire, ou plutôt pour la critique historique, et fait rapidement ses armes
sur les manuels scolaires saoudiens. Au milieu des années 1990, il publie son
premier ouvrage Pour sauver l’histoire islamique11, dans lequel il s’en prend à la
manière dont l’histoire est enseignée dans le royaume. Comme les wahhabites,
al-Maliki se réclame du salafisme. Mais pour lui, être salafiste ne signifie pas faire
des « pieux ancêtres » (al-salaf al-salih) des saints infaillibles comme, accuse-t-il, le
laisse penser l’historiographie saoudienne ; le salafisme, tel qu’il l’entend, rejette
au contraire toute sanctification des individus. Comme l’explique al-Maliki, il
s’agit avant tout d’une méthode (manhaj) qui impose le rejet catégorique de
l’imitation aveugle (taqlid) et le retour systématique aux fondamentaux. Or il
considère que le Wahhabisme, fondé sur ces principes, est devenu, au fil des
décennies, le contraire de cela : une tradition prisonnière de la pensée de ses
pères fondateurs, Muhammad Ibn Abd al-Wahhab et, par-delà, son modèle Ibn
Taymiyya, dont il est parfaitement hors de question de remettre en cause l’héritage
théologico-juridique. Pire, le Wahhabisme, à la racine duquel se trouvait l’idée
de dépasser les écoles existantes pour unifier la communauté musulmane, en est
venu à constituer une nouvelle école, une forme conservatrice de hanbalisme
dont la particularité est d’être plus rigide encore et plus intransigeante que celles
qui l’ont précédé puisqu’elle n’hésite à pratiquer le takfir (excommunication)
à l’encontre de ceux qui se risqueraient à la critique12. Car c’est là le second
point que relève al-Maliki : Ibn Abd al-Wahhab a dans ses écrits abusé du takfir,
dont il a fait une arme redoutable pour discréditer l’ensemble de ses adversaires
politiques et religieux – à commencer par son propre frère Sulayman. Ces « abus »
ont alors été repris aveuglément – faute de véritable ijtihad – par ses disciples
de l’institution religieuse wahhabite, et ce sont ces mêmes « abus » que l’on
retrouve aujourd’hui dans les manuels de religion saoudiens, à la critique desquels
Al-Maliki a consacré peu avant le 11 septembre 2001 un ouvrage très polémique13.
Or, explique-t-il, « Abd al-Wahhab est un prêcheur, pas un prophète »14. Son
Hasan Al-Maliki, Nahwa inqadh al-ta’rikh al-islami [Pour sauver l’histoire islamique], (n.d., n .p.).
Entretien avec Hasan al-Maliki, Riyad, avril 2004.
Hasan Al-Maliki, Manahij al-ta‘lim : qira’a naqdiyya li-muqarrarat al-tawhid li-marahil al‑�������
ta‘lim
al-‘amm [Les programmes scolaires : une lecture critique des prescriptions du « Tawhid »
pour les classes d’éducation générale], (n.d., n.p.).
14 Hasan Al-Maliki, 2004, Da������������������������
‘�����������������������
iyyatun laysa nabiyyun [un prêcheur, pas un prophète], Amman, Markaz
al-dirasat al-ta’rikhiyya.
11
12
13
Les nouveaux intellectuels religieux saoudiens : le Wahhabisme en question / 151
œuvre doit donc être soumise à la critique, selon les principes qu’il a lui-même
énoncés, et les fautes qu’il a commises doivent être corrigées. Ce n’est qu’ainsi
que l’institution religieuse saoudienne pourra sortir du cercle vicieux dans lequel
elle s’est, depuis sa création, enfermée.
On peut aisément imaginer la réaction des milieux conservateurs saoudiens face
à de telles prises de position, jugées révolutionnaires dans un pays peu habitué à
ce degré de critique religieuse : celle de l’institution wahhabite officielle, d’abord,
qui réagit en obtenant qu’al-Maliki soit renvoyé de son poste au ministère de
l’Éducation ; celle des idéologues jihadistes ensuite qui, comme dans le cas d’alNuqaidan, publient manifeste sur manifeste, dénonçant les hérésies d’al-Maliki
et appelant à ce qu’il soit jugé par un tribunal religieux.
L’autre héraut de la critique salafiste du Wahhabisme en Arabie Saoudite est
Abdallah al-Hamid. Né en 1950, il est diplômé de littérature de l’université
de l’Imam Muhammad Ibn Sa‘ud, où il a longtemps enseigné, et docteur de
l’université al-Azhar du Caire. Il se fait d’abord connaître dans le champ politicoreligieux en devenant, en 1993, l’un des six membres fondateurs du Comité de
Défense des Droits Légitimes (Lajnat al-difa‘ ‘an al-huquq al-shar‘iyya), fer de
lance de l’opposition islamiste réformiste incarnée par le mouvement de al-Sahwa
al-Islamiyya, le « réveil islamique ». La réaction des autorités est alors sans appel :
il est mis en retraite forcée et emprisonné pour plusieurs mois.
Déjà considéré comme un modéré au sein du « réveil islamique », il s’affirme
à partir du milieu des années 1990 comme l’une des voix de l’islamisme libéral
en Arabie Saoudite. Il devient même, à partir de la fin des années 1990, l’une des
principales figures du courant « islamo-libéral » naissant – et l’une des plus politisées.
Il est notamment l’un des « cerveaux » des pétitions politiques présentées au pouvoir
saoudien depuis janvier 2003, jusqu’à la dernière en date en février 200715. Mais,
figure centrale du mouvement de réforme politique, al-Hamid se pose avant tout
en penseur religieux : mieux, c’est sur une critique religieuse – implicitement dirigée
contre le Wahhabisme – qu’il fonde sa critique politique.
Dans une logique proche de celle d’al-Maliki, al-Hamid oppose un salafisme
créateur, dont il se réclame, à un salafisme conservateur assimilé à l’institution
religieuse wahhabite, qu’il dénonce. C’est ainsi qu’il déclare au sujet d’Ibn Taymiyya,
l’une des principales références intellectuelles de la tradition wahhabite :
« Ibn Taymiyya a produit un discours capable de remédier aux problèmes de
son temps et en ce sens, il est un créateur. Mais ceux de ses disciples qui font
aujourd’hui de lui une référence absolue, et prétendent résoudre nos problèmes
avec ses idées, ce sont des imitateurs et des salafistes conservateurs ».
15
Respectivement Ru’ya li-hadhir al-watan wa mustaqbaliha (Vision pour le présent et l’avenir de la
patrie), en janvier 2003, Nida’ watani : al-qiyada wa-l-sh‘ab ma‘an… al-islah al-dusturi awwalan
(Appel national : le peuple et les dirigeants ensemble… la réforme constitutionnelle d’abord), en
décembre 2003, et Ma‘alim fi tariq al-malikiyya al-dusturiyya (Jalons sur la route de la monarchie
constitutionnelle), en février 2007.
REMMM 123, 141-159
152 / Stéphane Lacroix
Pour al-Hamid, le premier type de salafisme caractérise historiquement la
période des quatre califes bien guidés mais se voit, dès la période Omeyyade
et jusqu’à la « période wahhabite », supplanté par le second. Non seulement
l’imitation aveugle, le taqlid, s’impose-t-elle progressivement comme étant la
norme, mais la loi islamique s’en trouve imparfaitement appliquée16. Aux yeux
d’al-Hamid en effet,
« la foi islamique possède deux versants : d’un côté, l’adoration spirituelle et de
l’autre, l’adoration civile.(…) D’un côté, il s’agit de croire en l’unicité de Dieu et
de suivre les rituels, et de l’autre, de fonder une cité juste régie par la shura17 »18.
Mais,
« les oulémas ont négligé les principes sociaux, matériels, pratiques imposés par la
religion pour se concentrer sur le spirituel, le métaphysique et le théorique ». « Les
devoirs imposés par la religion se sont limités au rituel et les exigences concernant
la vie de la communauté ont été négligées »19.
D’où, explique-t-il, la lente décadence que connaît depuis lors le monde
musulman.
Car si le problème est bel et bien religieux, la solution ne saurait être que
politique :
« Si nous voulons connaître notre réveil religieux, ce réveil ne doit-il pas être à la fois
chaleur et lumière ? Cela signifie que nous devons reprendre en considération le versant
civil de la foi, dont la culture religieuse néglige depuis bien longtemps l’importance,
tout particulièrement les valeurs de la société civile, des droits de l’homme, de la
raison, de la technique et de la modernité administrative et matérielle »20.
Il s’agit, pour al-Hamid, d’entamer un véritable « jihad civil » - non-violent dans le but de faire revivre ces institutions et cette « culture civile », disparue
depuis l’époque des « pieux ancêtres ». C’est ce principe qui sous-tend son
activisme politique, intense à partir de l’année 200221.
Contrairement à al-Maliki et al-Nuqaydan, al-Hamid n’est pas directement
pris pour cible par les fers de lance du Wahhabisme et de l’institution religieuse,
probablement parce que ses critiques sont plus prudentes et moins explicites
Entretien avec Abdallah al-Hamid, Riyad, juin 2003.
Littéralement, la consultation. Mais al-Hamid lui donne une signification plus large et fait de la shura
l’équivalent islamique de la démocratie occidentale.
18 Abdallah Al-Hamid, 2003, Hatta la yatahawwal al-Islam ila taqus [Pour que l’islam ne devienne pas
un simple rituel], Beirut, al-dar al-‘arabiyya li-l-‘ulum, p. 62.
19 Tajdid al-fikr al-dini (le renouveau de la pensée religieuse), al-Shari‘a wa-l-hayat, al-Jazeera TV,
26 mai 2002.
20 Abdallah Al-Hamid, 2003, al-Bahth ‘an ayni al-zarqa’ [En quête de ma source bleue], Beirut, al-Dar
al-‘arabiyya li-l-‘ulum, p. 21.
21 Entretien avec Abdallah al-Hamid, Riyad, juin 2003.
16
17
Les nouveaux intellectuels religieux saoudiens : le Wahhabisme en question / 153
que celles de ses compagnons. Il n’en est cependant pas autant de l’institution
politique, qui, exaspérée par son activisme, le fait arrêter au mois de mars 2004,
dans la foulée de la pétition, de décembre 2003 en faveur d’une monarchie
constitutionnelle, qu’il a rédigée et coordonnée.
La critique « wahhabite »
Le dernier mode de remise en cause du Wahhabisme que nous recensons ici
présente une particularité notable : il rappelle la pluralité interne de la tradition
wahhabite, et prône sa réforme de l’intérieur, en se proposant d’y redonner cours
aux tendances inclusivistes face à la main-mise des exclusivistes, d’où le nom de
critique « wahhabite » du Wahhabisme que nous lui avons attribué. Son porteparole principal est le cheikh Abd al-Aziz al-Qasim.
Al-Qasim, né en 1961, est juriste de formation. Après de brillantes études
religieuses, il est nommé juge à la Haute-Cour de justice de Riyad. Au lendemain
de la guerre du Golfe, il joue un rôle important dans la mobilisation islamiste en
faveur des réformes, avant de s’impliquer en 1993 dans la création du Comité de
Défense des Droits Légitimes, dont il est l’un des inspirateurs. Son activisme lui
vaut quatre années de prison, et un renvoi définitif de la Haute-Cour. Al-Qasim
travaille depuis sa libération comme avocat indépendant. Outre l’originalité de
son discours, l’importance d’al-Qasim dans le mouvement réformiste actuel
provient du fait qu’il descend d’une des familles les plus renommées du Najd
central, connue pour avoir fourni à l’institution religieuse wahhabite quantité de
prestigieux oulémas. De plus, il a gardé de sa participation au « réveil islamique »
du début des années 1990 des liens étroits avec certains des personnages les
plus influents de l’ancienne opposition, libérés comme lui à la fin des années
1990. C’est ainsi qu’il a pu, lors de l’épisode que nous évoquerons plus loin du
manifeste « Comment nous pouvons coexister », convaincre les figures de proue
du mouvement, Salman al-Awda et Safar al-Hawali, de se joindre à la liste des
signataires, réalisant par là un véritable coup de force au sein du champ islamiste
saoudien.
Le point de départ du raisonnement d’al-Qasim consiste à rappeler que le
Wahhabisme, loin d’être une doctrine fermement établie, est une tradition
en mouvement, au sein de laquelle ont, au fil des décennies, cohabité divers
courants, plus ou moins exclusivistes et plus ou moins rétifs à la modernité.
Pour al-Qasim, il est donc possible, sans sortir de la tradition, de redonner vie
à ses tendances les plus modérées. Prenant l’exemple d’Ibn Taymiyya, l’un des
principaux inspirateurs du Wahhabisme, il déclare : « Il est l’un des meilleurs théoriciens de l’idée de pluralité des interprétations
religieuses (ijtihadat) – et par-delà, de la différence d’opinions – en islam. On
peut même trouver dans ses écrits des choses sur la tolérance à l’égard des nonmusulmans, juifs et chrétiens. Mais ne garder de l’ensemble de son œuvre que
les passages correspondant à telle période de conflit entre les différents courants
REMMM 123, 141-159
154 / Stéphane Lacroix
de l’islam ou entre les musulmans et les non-musulmans, c’est faire preuve de
malhonnêteté intellectuelle ».
Et ce raisonnement vaut, ajoute al-Qasim, pour la plupart des représentants
de la tradition wahhabite. Ainsi, ajoute-t-il, dans le Wahhabisme tel qu’il
se présente aujourd’hui,
« la prédominance du discours exclusiviste a amené à donner trop d’importance
à des questions comme celle d’al-wala’ wa-l-bara’ (l’allégeance aux musulmans
et la rupture avec les infidèles) au détriment d’autres thèmes présents dans la loi
islamique comme celui de la dignité humaine, du droit à la différence d’opinion, de
la coexistence avec les non-musulmans – qui souffrent de nos jours d’un véritable
abandon »22.
La lutte contre les tendances exclusivistes du Wahhabisme est donc au cœur
de l’action d’al-Qasim. C’est lui qui, en avril 2002, coordonne la rédaction
et la signature d’un manifeste intitulé « Comment nous pouvons coexister »,
se présentant comme une réponse de 150 intellectuels saoudiens, islamistes
et libéraux, à une lettre ouverte portant le nom de « What we are fighting for »
(Ce au nom de quoi nous nous battons), signée par 60 intellectuels américains
des plus prestigieux, parmi lesquels Samuel Huntington et Francis Fukuyama,
et publiée dans la presse occidentale. Alors que les Américains justifiaient dans
leur texte la politique de l’administration Bush au Moyen-Orient en s’appuyant
sur le concept de « guerre juste », les Saoudiens répondent par un appel au
dialogue et à la coexistence pacifique, dans le respect des valeurs et des spécificités
culturelles de chacun. L’initiative provoque l’indignation des milieux religieux
les plus conservateurs en Arabie, et ce sont, comme dans les cas précédents,
les cheikhs du courant salafiste jihadiste qui montent au créneau pour
« défendre ces piliers de la foi que sont le jihad et le dogme d’al-wala’ wa-l-bara »
et dénoncer les « erreurs » commises par les signataires, qualifiés de « traîtres »
et de « capitulateurs ».
Al-Qasim poursuit par ailleurs sa lutte contre l’exclusivisme wahhabite
sur le terrain des manuels scolaires : à la suite d’al-Maliki, qui avait ouvert
la polémique avec son ouvrage mentionné précédemment, il présente au
second dialogue national organisé en décembre 2003 un rapport23 dans lequel
il dénonce l’usage fait du takfir dans les manuels de religion qu’il accuse, sinon
de produire des terroristes, de former une jeunesse incapable de s’ouvrir aux
autres, musulmans non-wahhabites et non-musulmans réunis. La virulence de
22
23
Entretien avec Abd al-Aziz al-Qasim, Riyad, avril 2004.
Abd al-Aziz Al-Qasim, Ibrahim al-Sakran, al-Muqarrarat al-dirasiyya al-diniyya – ayn al-khalal –
qira’a fi fiqh al-ta‘amul ma‘ al-akhar wa-l-waqi‘ wa-l-hadara fi-l-muqarrarat [Les programmes scolaires
religieux – Où se situe le problème ? – Étude de la doctrine de la relation à l’Autre, à la réalité
et à la civilisation], (n.d., n.p.)
Les nouveaux intellectuels religieux saoudiens : le Wahhabisme en question / 155
la critique entraîne, quelques jours plus tard, un retour de bâton des milieux
islamistes conservateurs : 156 oulémas et prêcheurs, issus du « réveil islamique »
pour la plupart, publient un manifeste24 dans lequel ils dénoncent par avance
toute réforme des programmes scolaires, perçue comme nécessairement « imposée
de l’étranger ».
Influences et portée
Par delà les spécificités rhétoriques de chacun de ces nouveaux intellectuels,
on retrouve chez eux, en dernière analyse, un même dénominateur commun :
l’influence de la salafiyya égyptienne – et de ses grandes figures Muhammad
‘Abduh, Jamal al-Din al-Afghani et Rashid Rida – parvenue jusqu’à eux à
travers différents canaux que nous décrirons ici. Dans ce cadre, la similitude
des démarches intellectuelles des deux « salafismes » – l’idée d’un retour aux
sources, la différence n’étant que dans les modalités méthodologiques de ce
retour – a clairement facilité le passage de l’un vers l’autre.
Le premier de ces canaux est purement saoudien : il s’agit du cheikh Abd alRahman al-Sa’di (1889/90-1957), l’un des principaux représentants de l’« école
de Unayza » (Steinberg, 2003 : 185-200) , connue, à l’image de ce « Paris
du Najd »25, pour son ouverture sur le monde. Cette école s’est entre autres
inspirée des enseignements de Rashid Rida, sans pour autant renier – loin
s’en faut - l’héritage wahhabite26. Ainsi, le cheikh Muhammad bin Uthaymin,
considéré comme le numéro deux de l’institution religieuse wahhabite après
le cheikh Abd al-Aziz Bin Baz jusqu’à leurs morts respectives en 2001 et
1999, a été l’élève de Abd al-Rahman al-Sa’di. Ce dernier, figure historique
du courant inclusiviste au sein de l’école wahhabite, réputé pour sa modernité
relative, est aujourd’hui devenu l’une des références principales des nouveaux
intellectuels religieux, et en particulier de ceux qui, comme Abd al-Aziz alQasim, appellent à une remise en question du Wahhabisme sans pour autant
sortir de la tradition.
L’autre canal est celui des Frères musulmans, et en particulier des plus
« libéraux » d’entre eux, tels Muhammad al-Ghazzali et Yusuf al-Qaradawi.
La présence de ceux-ci dans le Golfe à partir des années 1960 a peut-être
joué un rôle, mais c’est surtout par leurs écrits qu’à partir des années 1980,
ils se font connaître dans les cercles islamistes saoudiens. À cette même
époque, des personnalités proches de cette tendance, mais plus ouvertement
politisées, comme le tunisien Rashid al-Ghannushi et le soudanais Hasan
www.elaph.com, 1er janvier 2004.
C’est ainsi que le voyageur Amin Rihani décrit au début du siècle la ville de Unayza qui le frappe
par son raffinement et son ouverture au monde.
26 Al-Sharq al-Awsat, 25 janvier 2004.
24
25
REMMM 123, 141-159
156 / Stéphane Lacroix
al-Turabi, acquièrent également une popularité notable auprès de certaines franges
de l’islamisme saoudien. Notons que, comme beaucoup des nouveaux penseurs
décrits précédemment, ces islamistes étrangers feront l’objet d’attaques et de
réfutations de la part des cheikhs saoudiens les plus intransigeants, en particulier
ceux du courant salafiste jihadiste. Ainsi, Nasir al-Fahd, célèbre pour l’ouvrage
en deux tomes qu’il a rédigé pour réfuter le manifeste « Comment nous pouvons
coexister » ainsi que pour sa fatwa de takfir contre Mansur al-Nuqaydan et pour
ses appels à traîner Hasan al-Maliki devant un tribunal religieux, s’est aussi
illustré par plusieurs pamphlets sur les « égarements » de Yusuf al-Qardawi.
En dépit de leur fort impact sur le débat saoudien, la portée hors d’Arabie
Saoudite du discours de ces nouveaux penseurs saoudiens, quoique difficile
à mesurer, semble faible. Cela peut en partie s’expliquer par le caractère très
saoudo-saoudien du débat en cours. Non que le Wahhabisme soit un phénomène
exclusivement saoudien ; il ne l’est plus depuis longtemps, et on trouve des
mouvements marqués de son sceau de Rabat à Koweit, en passant par Alger.
Mais en Arabie Saoudite, le Wahhabisme est aussi un dogme religieux officiel,
et la critique du Wahhabisme portée par ces intellectuels a une toute autre
dimension, au sens où elle ne peut manquer de s’adresser à l’État qui s’en est
fait le garant. Il est donc nécessaire de s’intéresser à la position de ce dernier
dans le débat en cours
Pouvoir et post-Wahhabisme
Or le plus surprenant a priori dans cet élan de critique est peut-être la position
du pouvoir saoudien : il se garde d’abord d’intervenir, laissant, comme on a pu
le voir dans le cas d’al-Maliki, l’institution religieuse régler ses comptes avec
ses détracteurs, avant d’apporter, en juin 2003 – par l’intermédiaire du prince
Abdallah – une pierre de taille à l’édifice de la remise en cause du Wahhabisme
avec l’organisation de la première conférence de dialogue national à Riyad.
C’est dans ce cadre que, pour la première fois dans l’histoire de l’Arabie Saoudite,
des représentants de l’ensemble des groupes confessionnels présents sur le
territoire du royaume – sunnites wahhabites et non-wahhabites, notamment
de tendance soufie, ainsi que chiites duodécimains et ismaéliens – sont invités
à s’asseoir côte à côte pour débattre de l’avenir du pays. Les discussions qui
marquent cette première rencontre débouchent sur la rédaction d’une charte27
approuvée par le prince Abdallah qui contient, outre un appel à la réforme
politique, un appel à la réforme sociale et religieuse, portant ainsi un coup
sérieux au Wahhabisme : d’une part, y est officiellement reconnue la diversité
confessionnelle et intellectuelle de l’Arabie Saoudite, ce qui correspond à une
profonde remise en cause de l’exclusivisme wahhabite ; d’autre part, le principe
de sadd al-dhara‘i (le blocage des moyens) y est épinglé, et le texte annonce
27
Al-Watan, 22 juin 2003.
Les nouveaux intellectuels religieux saoudiens : le Wahhabisme en question / 157
qu’il devra à l’avenir n’être utilisé « qu’avec mesure et modération ». Enfin, aucun
membre de l’institution religieuse wahhabite officielle n’est présent, ce qui peut
être interprété comme une volonté délibérée du pouvoir de la marginaliser.
Une seconde session de ce dialogue national se tient en décembre 2003, avec
des débats d’une très grande franchise, marqués notamment par l’exposé déjà
mentionné d’Abd al-Aziz al-Qasim. Plusieurs autres sessions suivent jusqu’en
2005, avec un contenu beaucoup moins ambitieux. Le mouvement d’ouverture
« post-wahhabite » lancé en juin 2003 se poursuit néanmoins, sous d’autres
formes.
Car si le dialogue national est l’aspect le plus institutionnel de cette ouverture,
il est loin d’en constituer la seule manifestation : la presse saoudienne, étroitement
contrôlée par le pouvoir, ouvre ainsi ses colonnes aux thèses des nouveaux intellectuels,
offrant à ces derniers la possibilité de se faire entendre par de larges franges de la
population éduquée. La question de la femme y est aussi fréquemment évoquée,
et le pouvoir tolère – voire encourage – certains actes de rébellion individuelle,
comme lorsque, lors du forum économique de Djedda de janvier 2004, la femme
d’affaire Lubna al-Ulayan « perd » son foulard, en plein discours d’ouverture devant
une salle bondée. Le grand mufti protestera, mais l’institution politique restera
muette. La question des minorités confessionnelles, traditionnellement traitée
sur le mode de l’exclusion, connaît aussi d’importants développements : certaines
des restrictions pesant sur la pratique religieuse des chiites ont par exemple été
levées, comme lors des dernières célébrations de l’Ashoura où ceux-ci peuvent,
depuis 2004, défiler librement dans les villes de la province orientale où ils sont
majoritaires28. Enfin, l’épisode de la mort du cheikh mecquois Muhammad Alawi
al-Maliki a offert une très parlante illustration de l’ouverture « post-wahhabite » en
cours : alors que celui-ci avait, toute sa vie durant, fait l’objet de virulentes attaques
de la part de l’establishment religieux wahhabite culminant avec son takfir déjà
évoqué en 1982, son décès en novembre 2004 fait la une des principaux titres de la
presse saoudienne, qui le présentent comme un quasi-événement national. Mieux,
le prince héritier Abdallah vient lui-même porter ses condoléances à la famille du
défunt, au cours d’une visite largement médiatisée.
De là à conclure que le « post-Wahhabisme » que les nouveaux intellectuels
ont, parmi les premiers, aussi explicitement appelé de leurs vœux, est en marche,
il n’y a qu’un pas. Les raisons de cette ouverture sont multiples : pressions
américaines consécutives aux attentats du 11 septembre ; nécessité, en période
de crise intérieure et régionale, de fonder une unité nationale que le Wahhabisme
s’est avéré incapable de créer ; et, peut-être surtout, stratégie du prince héritier
Abdallah qui cherche ainsi à s’attirer le soutien des franges les plus libérales du
champ politique saoudien dans son bras de fer contre ses frères Sudayri - Nayef,
le ministre de l’Intérieur, en tête – alliés aux conservateurs. En conséquence,
les nouveaux intellectuels religieux ont, depuis le 11 septembre, et plus encore
28
Entretiens avec Ja’far al-Shayib, Qatif, avril 2004 et avril 2005.
REMMM 123, 141-159
158 / Stéphane Lacroix
depuis l’année 2003, bénéficié pour formuler leurs critiques d’un climat
relativement favorable, marqué par une certaine réceptivité du politique.
Conclusion La montée en puissance du courant réformiste « islamo-libéral » en Arabie
Saoudite s’est donc accompagnée de l’émergence d’un groupe de nouveaux
intellectuels religieux, producteurs d’un contre-discours religieux profondément
critique de l’orthodoxie wahhabite dominante – contre-discours qui, en retour,
a servi de support théorique au spectaculaire repositionnement idéologique qu’a
constitué, au sein du mouvement islamiste saoudien, l’apparition du courant
« islamo-libéral ». La force de ce contre-discours religieux réside, comme nous
avons pu le voir, dans sa nature extrêmement plastique, puisqu’il peut jouer sur
les différents registres de légitimation du Wahhabisme – islamique, salafiste et
« wahhabite » – pour le contrer sur chacun d’entre eux.
Quoique ces nouveaux intellectuels demeurent peu nombreux, leur position
dans le champ islamiste leur a permis d’y exercer une influence importante.
Ils y ont, d’une certaine manière, agi comme un groupe de pression, cherchant
à s’attirer l’indispensable soutien des grandes figures du « réveil islamique »,
à l’instar du très populaire Salman al-Awda qui, après avoir signé le manifeste
de coexistence pacifique avec l’occident d’avril 2002, s’est à plusieurs reprises
rapproché des positions de Abd al-Aziz al-Qasim. Ils ont, de plus, su tirer
avantage du climat de l’après-11 septembre pour pousser le pouvoir – incarné
ici par le prince Abdallah – dans le sens d’une ouverture « post-wahhabite »,
en s’efforçant de lui proposer un discours islamique alternatif, seul à même
de lui permettre de dépasser sa désormais encombrante légitimité wahhabite
sans sacrifier sa précieuse légitimité islamique.
Mais l’alliance entre Abdallah et les « islamo-libéraux » a ses limites :
si la critique religieuse et les appels à une ouverture « post-wahhabite »
correspondent bien aux attentes d’un prince héritier à la fois engagé dans
un bras de fer avec ses frères Sudayris alliés aux forces conservatrices, désireux
de montrer à l’étranger, dans la foulée du 11 septembre, un visage plus avenant,
et soucieux de reconstituer une unité nationale mise à mal par des décennies
d’exclusivisme wahhabite, Abdallah n’est aucunement prêt à adopter les réformes
politiques que les plus politisés des « islamo-libéraux », Abdallah al-Hamid
en tête, considèrent comme un corollaire indispensable de la réforme religieuse.
Cette contradiction apparaît au grand jour en mars 2004 avec l’arrestation
d’al-Hamid et d’une dizaine d’autres activistes politiques ayant, pour la plupart,
appelé à l’établissement d’une monarchie constitutionnelle. Depuis la libération
d’al-Hamid en août 2005, la tension est à nouveau palpable. La réforme
du wahhabisme, persiste-t-il à interroger, peut-elle se faire – comme le voudrait
le pouvoir – dans un climat d’immobilisme politique ?
Les nouveaux intellectuels religieux saoudiens : le Wahhabisme en question / 159
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