Des usages de l’islam en Tchéchénie post-soviétique
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A partir de quel moment y a-t-il imbrication et interdépendance
entre l’évolution de l’islam en Tchétchénie et les deux conflits
qui y éclatent ? Si ce seuil est probablement difficile à identifier
de façon précise, une chose est sûre : en Tchétchénie, l’islam
a été investi, successivement ou simultanément, par différents
entrepreneurs identitaires ou politiques, et constitue une ressource
politique et sociale, convoquée de façon plus ou moins massive en
fonction des enjeux159. La volonté de plus en plus importante de
mainmise sur le fait religieux par le Président Ramzan Kadyrov
fait écho à la façon dont l’islam a été investi en Tchétchénie par une
multiplicité d’acteurs, depuis l’éclatement de l’Union soviétique
et résonne en particulier avec la persistance d’une résistance
armée, modifiée par rapport à ce qu’elle fut au début des années
2000, en particulier sur le plan de son socle idéologique devenu
entièrement islamiste : en effet, deux mois après l’assassinat en
mars 2005 du Président indépendantiste Maskhadov, héritier de
la laïcité soviétique et peu enclin à une islamisation du projet
national tchétchène, malgré les pressions récurrentes, son
successeur, l’imam Abdoul-Khalim Sadoullaev, proclamait la
création d’un Emirat nord-caucasien. L’émancipation vis-à-
vis de la tutelle russe était alors assortie d’une forte dimension
religieuse, devenant bientôt l’unique enjeu de mobilisation de la
résistance160. On voit alors, en remontant le temps, comment des
concurrences sur le contrôle du croire se font jour, et en quoi elles
traduisent les enjeux politiques à l’œuvre.
La question qui se pose est celle de savoir justement en
quoi et pourquoi l’islam représente un enjeu politique et social
en Tchétchénie, et comment les investissements opérés par
différents entrepreneurs identitaires ou politiques s’entrecroisent,
voire entrent en confrontation. Il en va de la question du choix
de sa place dans les différents projets politiques tchétchènes et de
l’articulation entre la place de l’islam et le degré d’indépendance
ou d’autonomie vis-à-vis de Moscou. La latitude octroyée par
Moscou à R. Kadyrov dans le modelage et le contrôle de l’islam
politique et social traduit une forme de tolérance quant à des
écarts par rapport aux textes constitutionnels fédéraux, en dépit
des objectifs proclamés d’instauration de la verticale du pouvoir.