Décision de radiodiffusion CRTC 2005-419
Ottawa, le 18 août 2005
CHUM limitée
Victoria (Colombie-Britannique)
Plainte concernant la diffusion d’un épisode de l’émission
Talk Radio sur les ondes de CFAX Victoria
Dans la présente décision, le Conseil traite une plainte concernant des propos diffusés
par la station de radio AM, CFAX Victoria. Après examen du segment de l’émission en
cause, le Conseil conclut qu’en le diffusant, CHUM limitée, titulaire de CFAX, a enfreint
la disposition du Règlement de 1986 sur la radio qui interdit la diffusion de propos
offensants. Le Conseil conclut également que la titulaire a failli au respect de certains
objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion établis dans la Loi sur la
radiodiffusion, notamment celui d’assurer une programmation de haute qualité. Le
Conseil accorde à la titulaire un délai de trois mois pour élaborer et soumettre à son
approbation les lignes directrices qui régiront désormais ses émissions de tribune
téléphonique.
Historique
1. Le 11 octobre 2004, le Conseil a reçu une plainte par écrit concernant un segment
d’émission diffusé le 27 septembre 2004 sur les ondes de CFAX, une station de radio
AM située à Victoria, en Colombie Britannique. La titulaire, CHUM limitée (CHUM),
venait d’acquérir les stations CFAX et CHBE-FM de Seacoast Communications Group
Incorporated en date du 3 septembre 2004.
1
2. Puisque CFAX n’est pas membre du Conseil canadien des normes de la radiotélévision,
le Conseil a traité la plainte.
La plainte
3. Dans une brève intervention téléphonique au cours de l’émission de tribune téléphonique
Talk Radio du 27 septembre 2004, le plaignant a dénoncé les opinions formulées par
l’invité du jour en disant qu’il avait [traduction] « rarement…entendu un message à la
radio tellement plein de haine qu’il soit à la limite de l’aliénation mentale ».
4. Dans sa plainte écrite, le plaignant allègue que cette émission radiophonique constitue un
cas de propos haineux à l’égard des Musulmans et de la religion islamique.
1
CFAX et CHBE-FM Victoria – Acquisition d’actif, décision de radiodiffuson CRTC 2004-402, 3 septembre 2004
Réplique de la titulaire
5. CHUM a répliqué à la plainte le 22 novembre 2004 en ces termes : [traduction]
Certes, Talk Radio présente des opinion différentes et, à l’occasion, des gens dont
l’opinion risque de choquer une partie de l’auditoire. Nous sommes à l’affût
d’invités qui ont des idées tranchées sur des questions importantes et, à
l’occasion, il nous arrive de tomber sur un invité dont le point de vue est radical.
Dans de tels cas, nos animateurs et nos auditeurs ont démontré qu’ils n’avaient
pas peur de réfuter les opinions radicales. Cela donne, à notre avis, une émission
capable d’exposer un large éventail d’opinions sur des questions d’actualité.
6. La titulaire a aussi déclaré qu’il était important [traduction] « de faire la distinction entre
les opinions de l’invité et la conduite de notre employé et de la station radiophonique ».
Selon la titulaire, l’animateur de l’émission [traduction] « a réfuté plusieurs fois les
opinions de l’invité et n’était clairement pas d’accord avec plusieurs des affirmations de
son invité au cours de l’entrevue ».
L’émission
7. Talk Radio (l’émission) est une émission de tribune téléphonique dont le thème principal
est l’actualité. À l’époque de la plainte, l’émission faisait partie d’un bloc de l’après-midi
intitulé Newsline, animé par Terry Moore (l’animateur) et diffusé de 15 à 19 heures du
lundi au vendredi sur les ondes de CFAX.
8. Le segment à l’étude consiste en une entrevue de l’animateur de l’émission avec Craig
Winn (l’invité). Ce dernier, citoyen américain, a été décrit par l’animateur comme
[traduction] « un entrepreneur, un ex-milliardaire de l’Internet qui a fait la couverture du
magazine Business Week […] un homme investi d’une mission, celle de parler de la
véritable motivation des terroristes et de ce qu’il faut faire pour contrer leur démence ».
9. La question à l’étude lors de l’émission du 27 septembre 2004 était l’escalade des armes
nucléaires et du terrorisme dans le monde, dans la perspective en particulier des attentats
terroristes en Irak et de la capacité nucléaire de l’Iran. À plusieurs reprises au cours de
l’entrevue, l’invité a qualifié les terroristes littéralement de [traduction] « bons
Musulmans » et de « fondamentalistes qui suivent l’exemple de Mahomet », et a décrit
l’Islam comme une source de terreur dans le monde. Les passages qui suivent sont
extraits de l’épisode en cause :
Ces djihadistes qui font vivre l’enfer à leurs propres compatriotes en Irak et
assassinent des Américains sont de bons Musulmans. Ce sont des
fondamentalistes qui suivent l’exemple de Mahomet. Tant que nous nous
illusionnons en les appelant des terroristes ou des rebelles, au lieu de dire ce
qu’ils sont réellement, de bons Musulmans, nous n’avons aucune chance de
nous protéger contre eux.
… [ils] vont tâcher de tuer un à un tous ceux qui ne partagent pas leur point de vue.
Les Musulmans vont continuer à se battre contre les non-Musulmans jusqu’à ce que
l’Islam soit la seule religion et la seule doctrine politique de la planète, ou qu’ils aient
tué tous les non-Musulmans.
10. Une transcription de l’entrevue figure en annexe à la présente décision.
Analyse et décision du Conseil
11. Selon l’article 5(1) de la Loi sur la radiodiffusion (la Loi), le Conseil réglemente et
surveille tous les aspects du système canadien de radiodiffusion en vue de mettre en
œuvre la politique canadienne de radiodiffusion. Cette politique et bon nombre de ses
objectifs sont décrits de façon exhaustive à l’article 3(1) de la Loi. Cet article stipule,
entre autres, que le système canadien de radiodiffusion devrait « servir à sauvegarder,
enrichir et renforcer la structure culturelle [et] sociale […] du Canada »
(article 3(1)d)(i)); « favoriser l’épanouissement de l’expression canadienne en proposant
une très large programmation qui traduise des attitudes, des opinions, des idées [et] des
valeurs […] canadiennes » (article 3(1)d)(ii)); et, par sa programmation, « …répondre
aux besoins et aux intérêts, et refléter la condition et les aspirations, des hommes, des
femmes et des enfants canadiens, notamment l’égalité sur le plan des droits… »
(article 3(1)d)(iii)). De plus, l’article 3(1)g) déclare que « la programmation offerte par
les entreprises de radiodiffusion devrait être de haute qualité ».
12. L’article 3(b) du Règlement de 1986 sur la radio (le Règlement) a été adopté dans le but
de donner effet aux objectifs de la politique canadienne de radiodiffusion de la Loi, dont
il est question ci-haut. Il précise qu’il est interdit au titulaire de diffuser :
… des propos offensants qui, pris dans leur contexte, risquent d’exposer
une personne ou un groupe ou une classe de personnes à la haine ou au
mépris pour des motifs fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique,
la couleur, la religion, le sexe, l’orientation sexuelle, l’âge ou la déficience
physique ou mentale.
13. Lors de son examen, le Conseil a tenu compte des préoccupations du plaignant, de la
réponse de la titulaire ainsi que de sa propre analyse de l’émission. Comme la plainte
concerne une émission de type tribune téléphonique, le Conseil s’est également penché
sur les responsabilités du radiodiffuseur qui sont énoncées dans Politique en matière de
tribunes téléphoniques, avis public CRTC 1988-213, 23 décembre 1988 (la politique sur
les tribunes téléphoniques).
Propos offensants
14. Le but du règlement interdisant les propos offensants est de prévenir les préjudices très
réels que de tels propos peuvent causer, préjudices qui sont contraires aux objectifs de la
politique canadienne de radiodiffusion. Les propos qui risquent d’exposer un groupe à la
haine ou au mépris causent des préjudices émotionnels pouvant entraîner de sérieux
problèmes d’ordre psychologique et social parmi les membres du groupe visé. La
dérision, l’hostilité et la violence encouragées par ces propos peuvent avoir, pour les
membres de ce groupe, un impact très néfaste sur l’estime de soi, la dignité humaine et
leur acceptation par la société. Ce préjudice mine l’égalité des droits de ceux qui sont
visés, droits que la programmation du système canadien de radiodiffusion devrait
respecter et refléter, conformément à la politique canadienne de radiodiffusion. En plus
d’éviter le préjudice aux personnes visées par de tels propos, la disposition du Règlement
interdisant les propos offensants vise à garantir à tous les Canadiens le reflet et le respect
des attitudes et des valeurs canadiennes. La diffusion de propos incitant à la haine et au
mépris mine également la structure culturelle et sociale du Canada, que le système
canadien de radiodiffusion doit sauvegarder, enrichir et renforcer.
15. Les propos diffusés en ondes contreviennent à l’article 3(b) du Règlement lorsque les
trois critères suivants sont réunis :
(i) les propos sont offensants;
(ii) les propos offensants, pris dans leur contexte, risquent d’exposer une personne
ou un groupe ou une classe de personnes à la haine ou au mépris;
(iii) les propos offensants sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la
couleur, la religion, le sexe, l’orientation sexuelle, l’âge ou la déficience
physique ou mentale.
16. Le Conseil juge que le passage de l’émission en question renferme des propos offensants
à l’égard des Musulmans fondés sur leur religion. L’invité affirme par exemple :
[traduction]
Tout ce qu’on sait concernant Mahomet […] présente l’unique prophète
de l’Islam comme un terroriste, un voleur, un marchand d’esclaves, un
pédophile, comme un homme qui a pratiqué l’inceste, de nombreux actes
de viol, des meurtres collectifs, l’assassinat de tous les journalistes. C’est
lui le fondement de l’Islam. Sans Mahomet, pas d’Allah; sans Mahomet,
pas de Coran; sans Mahomet, pas d’Islam. Les fondements de l’Islam
reposent sur un pirate et terroriste perverti. Ça n’est peut-être pas joli de
dire cela, mais c’est malheureusement la vérité, et à vouloir le nier, nous
nous ferons tuer.
La plus grande compassion qu’on puisse avoir c’est de dénoncer et de
condamner les doctrines qui sont fondamentalement racistes, intolérantes
et violentes. L’Islam représente toutes ces choses-là.
17. À un moment donné au cours de l’entrevue, l’invité déclare que les Musulmans :
[traduction]
… ne sont pas en mesure de comprendre ce qu’ils font. Personne avec
toute sa tête ne serait prêt à s’en remettre aux conseils d’un violeur, un
terroriste, un massacreur […] Alors il faut partir du principe qu’ils sont
irrationnels, endoctrinés depuis la naissance et que, ou bien ils ont perdu
la faculté de penser, ou bien ils estiment que penser est dangereux.
18. Dans la perspective du Conseil, de tels propos portent atteinte à la dignité humaine des
Musulmans en les représentant comme des personnes inférieures au plan intellectuel. De
plus, les Musulmans sont décrits comme des gens dont les croyances religieuses en font
une menace physique pour les non-Musulmans. Bien qu’il n’y ait eu aucun appel à la
violence comme tel au cours de l’émission, le Conseil estime que les commentaires de
l’invité sont susceptibles d’inspirer une certaine forme d’action à l’encontre des
Musulmans à cause de leur religion. Le Conseil juge cela d’autant plus dangereux dans le
contexte politique et international actuel où le terrorisme est tout particulièrement au
centre de l’attention.
19. Le Conseil souligne également que le contexte de l’émission était suffisamment sérieux
pour que les auditeurs puissent trouver les explications de l’invité crédibles ou
convaincantes. En particulier, la gravité du sujet, la nature et le ton de la discussion, de
même que le fait que l’invité ait été présenté comme une autorité en la matière, tout
concourait à donner de la crédibilité à l’information diffusée. Le sujet de la discussion de
même que le ton sont demeurés sérieux tout au long de l’entrevue. Le Conseil considère
les commentaires sur les Musulmans et l’Islam comme étant des propos offensants qui,
pris dans leur contexte, risquent d’exposer les Musulmans à la haine ou au mépris pour
des motifs fondés sur leur religion.
20. À la lumière de ce qui précède, le Conseil conclut qu’en diffusant le segment en
question, la titulaire a enfreint l’article 3(b) du Règlement.
Politique sur les tribunes téléphoniques
21. Conformément à l’article 3(1)h) de la Loi, le titulaire d’une entreprise de radiodiffusion
est responsable des émissions qu’il diffuse.
22. Dans la politique sur les tribunes téléphoniques, la responsabilité du titulaire à l’égard
des émissions de tribune téléphonique est décrite comme suit :
Le titulaire est responsable des actions de ses employés, y compris les
animateurs, les producteurs et les programmateurs de tribunes téléphoniques.
Le titulaire est également responsable des observations que les invités ou les
appelants font au cours de ce genre d'émissions.
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