L’ordre chronologique du Coran et les « variations » de son message : l’histoire
d’Abraham
La présentation que nous venons de faire de la thèse critique sur les variations du message
coranique entre la Mekke et Médine, est forcément schématisée. Cependant, elle ne l’est
guère plus que ce qui a été proposé au sujet de l’histoire coranique qui forme la charnière de la
prédication de Mahomet.
Voici comment est présentée dans l’Encyclopédie de l’Islam [1], l’histoire coranique
d’Abraham :
« Dans les plus anciennes sourates (51, 24 ss ; 37, 81 ss ; 6, 74ss ; 11, 72 ss ; 19, 42 ss ; 24,
52ss ; 29, 15ss) c’est Abraham un envoyé de Dieu qui a à avertir son peuple à la manière des
autres prophètes. Ismaël n’entre pas en rapport avec lui. A côté de cela, il est signalé qu’Allah
n’a encore jamais envoyé d’admoniteur aux Arabes (32, 3 ; 34, 3 ; 36, 5). Ibrahîm (Abraham)
n’apparaît jamais comme le fondateur de la Ka’ba ni comme le premier musulman.
» Dans les sourates médiniques, au contraire, Ibrahîm s’appelle Hanîf, Muslim, le fondateur de
la religion d’ibrahîm, dont il a élevé le palladium, la Ka’ba, de concert avec Ismaël (2, 18ss ; 3,
60, 84, etc.).
» Ce changement s’explique ainsi : Mahomet s’était à la Mekke appuyé sur les juifs ; mais il
apparut bientôt qu’ils prenaient contre lui l’attitude hostile. Aussi Mahomet fut-il forcé de se
procurer un autre appui ; c’est pour cela qu’il imagina d’une ingénieuse façon le nouveau rôle
du patriarche : dès lors il le pouvait s’affranchir du judaïsme d’Ibrahîm, lequel judaïsme fut le
précurseur de l’Islam. Lorsqu’ensuite la Mekke reparut au premier plan des pensées du
Prophète, Ibrahîm devient aussi le fondateur du sanctuaire de cette ville. »
Cette présentation a le mérite de mettre en relief l’importance singulière de l’histoire
d’Abraham dans le Coran. Nous croyons toutefois ne pas l’adopter pour les points suivants :
Le premier emploi de « muslim » dans le Coran se rencontre dans un récit abrahamique de la
toute première prédication mekkoise, (51, 56). De même, le verbe « aslama » qui apparaît déjà
en 37, 103, en un sens « technique ». C’est le récit du sacrifice d’Abraham.
A rapprocher de ce texte tous les emplois de la formule classique aslama ou wajjaha wajhahu
li’l-Lâh, diriger sa face vers Dieu, qui sont également mekkois et abrahamiques.
Pareillement, tous les emplois de hanîf, une appellation typique désignant comme muslim les
vrais croyants [2], sont apparentés aux récits abrahamiques. Or les emplois de 30, 29 et 10,
106 sont mekkois. En rapport avec ces textes, la péricope de 6, 74-84 doit être également
mekkoise. Abraham s’y présente dans un récit original par rapport aux précédents, mais du
même style, comme le champion du monothéisme.
Egalement l’expression millat Ibrahîm (communauté religieuse formée par la descendance
d’Abraham) apparaît dans la sourate mekkoise de Joseph, 12, 37-38. Il en est de même de ses
emplois dans 6, 126 et 16, 124.
Qu’Ismaël n’entre pas en rapport avec Abraham dans la période mekkoise, ne signifie pas que
le Coran ignore, à la Mekke, la généalogie abrahamique des Arabes. La forme même du nom
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