Quel rôle peut jouer une approche philosophique dans

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 1 L’interdisciplinarité : ce que le rôle des approches philosophiques dans des interactions entre disciplines peut en révéler. Pierre Livet Considérons trois exemples d’interdisciplinarité1 : 1) les sciences cognitives, qu’elles soient représentationnalistes ou connexionnistes ; 2) le passage en économie de la théorie de l’équilibre général (déjà elle-­‐même un exemple d’interdisciplinarité) à la microéconomie et de là à la neuro-­‐économie ; 3) Le développement des simulations en SHS. On observe dans ces trois domaines qu’ont eu lieu de nombreuses interventions de type philosophiques – par des philosophes ou par d’autres théoriciens montrant des préoccupations de style philosophique, à savoir avancer des thèses conceptuelles, discuter de la pertinence de concepts et critiquer leur usage, pour des questions qui ne peuvent pas être décidées ni seulement par une démonstration formelle, ni par une expérimentation. I . Esquisse de l’analyse des trois exemples (à développer pour un papier final) 1) Les sciences cognitives ont démarré grâce à un double déblocage, permis par les technologies informatiques d’une part et la critique du behaviorisme d’autre part. Les philosophes ont proposé un cadre conceptuel justifiant la rencontre des deux courants. (théorie computationnaliste de l’esprit et théorie de la multiréalisabilité et de la survenance du mental sur le physique). Ensuite, certains d’entre eux ont critiqué ce cognitivisme dit « high church » en liaison avec un autre déblocage, celui qui a permis le redémarrage des recherches sur les réseaux dits à l’époque de « neurones formels » et qui a donné le connexionnisme. Là aussi ils ont proposé un cadre conceptuel qualifié d’anti-­‐représentationnaliste (qui a donné lieu depuis aux théories de l’embodiement). Un peu en arrière de cette scène, d’autres philosophes ont indiqué à chaque fois les limites des potentialités des dispositifs formels, et surtout celles des prétentions affichées par les auteurs des cadres conceptuels (le modularisme de Fodor, et son désintérêt pour les neurosciences, par exemple, ou encore les difficultés des systèmes connexionnistes à rendre compte de la réversibilité entre la composition d’éléments signifiants et leur décomposition, qui permet d’autres recompositions. 2) C’est par un transfert des mathématiques (système d’équations différentielles) à l’économie que la théorie économique a pu s’établir à un niveau formel au 19ème, donc par une interdisciplinarité qu’on pouvait penser exemplaire. Pourtant un sens, ce succès menait dans une impasse, puisqu’au 20ème, le même Debreu qui a d’abord démontré avec Arrow en 1954 l’existence de cet équilibre, et la possibilité de le formuler dans les termes de la théorie des jeux, a ensuite démontré avec Scarf vingt ans après (1974) l’impossibilité d’assurer qu’une procédure de tâtonnement permette de trouver cet équilibre quand on se situe hors équilibre. Les dispositifs autres que le tâtonnement proposés pour pallier ce défaut ne mènent pas à un équilibre unique, ou exigent des hypothèses formelles peu plausibles. En ce qui concerne l’équilibre général, la critique a été interne, sans lien avec des discussions philosophiques. Mais elle laisse maintenant ouverte d’autres pistes qui donnent lieu à des développements philosophiques – et à des critiques du paradigme économique dominant (cf. Kirman). Par ailleurs elle est devenue externe et partiellement philosophique quand on a exploité les expériences en psychologie de l’école de Kahneman et Tversky pour critiquer les axiomes de la théorie de la décision et 1
(tirés de mon expérience personnelle)
2 proposer des versions plus riches conceptuellement (regret, anticipations, variations des préférences au cours du temps). Un autre développement vers l’extérieur a donné lieu, dans le prolongement de cette première critique, à la neuro-­‐économie, qui a des prétentions de réalisme, et qui a des relais philosophiques (neuro-­‐philosophie) mais qui donne elle aussi lieu à des critiques épistémologiques, venant tant des philosophes que des neurosciences. 3) Les simulations ont d’abord été utilisées en physique (théorique ou appliquée, par exemple à la circulation) pour donner des idées plus claires de ce que donnait l’évolution de systèmes dont les équations ne permettent pas des solutions analytiques. Elles sont devenues un outil courant du physicien comme du cosmologue ou du météorologue. Mais ce n’est pas chez eux qu’on rencontre des proclamations de nouvelle ère conceptuelle, mais plutôt dans des domaines où les simulations sont moins installées, comme la biologie (exemple : le tout automates cellulaires de Wolfram). On retrouve alors la même dualité entre ces proclamations et des critiques épistémologiques qui visent ces prétentions (par exemple la prétention du Human Brain Project européen de s’en tenir à la littérature existante sur les connexions neuronales et de raisonner par simulations sans faire d’explorations supplémentaires), ou qui dénoncent les limites de l’usage de tel mode de simulation dans tel ou tel domaine. La nouveauté, c’est que les simulations dans un domaine tout aussi complexe, en SHS, ont donné lieu à des interactions avec des disciplines qui avaient peu recours à la formalisation et qui ont en revanche un bagage interprétatif conceptuel très riche et diversifié. Cela rejaillit sur la richesse des discussions épistémologiques. Il s’agit moins alors de la critique de prétentions annoncées, qui serait aisée, que de l’analyse des difficultés de mise au point de concepts communs, dans les interactions effectives entre disciplines, à propos d’objets concrets, ou des capacités des formalismes à rendre compte des subtilités des différences d’interprétation. II Le travail philosophique et l’interdisciplinarité Sur ces trois exemples, on notera que l’activité philosophique (des philosophes professionnels mais aussi des scientifiques du domaine) ne s’est pas bornée soit à des spéculations générales, soit à des études épistémologiques réalisées, comme le recommandait l’école française d’épistémologie du dernier siècle, au terme d’une histoire jugée une fois les résultats scientifiques stabilisés (donc un siècle après). L’activité philosophique a davantage consisté à faire travailler des champs de controverses, soit par une critique des fondements et des buts finaux des programmes, soit par un travail d’éclaircissement des malentendus sur les concepts annoncés comme régulateurs et des différences avec leur usage effectif. Dans la mesure où les deux biais de spéculation générale ou de retard historique peuvent être considérés comme des défauts de la profession philosophique, on peut donc penser que les champs interdisciplinaires sont des terrains favorables à des activités philosophiques plus vivantes. A tout le moins, il s’agit d’un remède à la tendance de la philosophie professionnelle à s’isoler du reste des disciplines, soit en coupant les ponts avec les sciences, soit en utilisant la coupure temporelle qui sépare les sciences du passé des sciences du présent. Cette tendance ne résultait d’ailleurs pas d’une volonté autonome des philosophes. Elle était d’ailleurs la contrepartie de la propension des disciplines à se définir au cours des siècles en s’autonomisant de la philosophie. L’interdisciplinarité fait revivre de la philosophie – pas forcément académique-­‐ dans les interstices des disciplines. 3 L’envers de la médaille est qu’il est difficile de regrouper tout ce travail philosophique en lui donnant une vitrine qui lui soit propre. Sa validité peut être assez éphémère, puisque son contenu est dépendant de controverses qui tiennent à ce que les savoirs interdisciplinaires n’ont pas encore trouvé à ce stade un statut stabilisé. Les termes de ces controverses transitoires ont donc vocation à devenir obsolètes. Le résultat est qu’il est difficile de cumuler les conclusions de ces controverses. On a bien une dynamique philosophique à l’œuvre, une vie philosophique au sein des sciences, mais pas d’œuvres philosophiques qui orientent toute une période ou qui la synthétisent. Qu’est ce que ces constats sur les fonctions des discussions philosophiques, observées dans ces trois exemples, peuvent nous apprendre sur l’interdisciplinarité elle-­‐même ? Est ce que cela voudrait dire que l’interdisciplinarité est un phénomène transitoire, qui comporte une phase de critique des programmes de recherche précédents et d’annonces de programmes novateurs, en recouvrement partiel avec une phase de discussions des spécifications liée à la mise en œuvre effective des projets de recherche, phases auxquelles succède soit l’extension de la discipline d’origine, soit la constitution d’une nouvelle discipline ? L’activité philosophique serait alors liée à cette période de transition, et s’éteindrait quand on revient aux choses supposées sérieuses parce que stabilisées. Un examen plus attentif à l’histoire des sciences – qu’on pourra faire dans nos trois exemples-­‐ montre qu’en fait, les discussions se poursuivent toujours, même si elles ne sont plus à l’avant-­‐scène, et qu’elles présentent toujours ce double visage, de volonté de renouvellement et de projections ambitieuses dans l’avenir, comme de mise au point plus patiente des interprétations des méthodes et expériences. Par ailleurs, quand les disciplines se stabilisent, on observe aussi un troisième aspect, celui du travail de construction de représentations qui donnent des versions de l’état des sciences en des termes qui puissent parler à chaque citoyen d’un niveau avancé d’éducation, et qui donnent lieu à interprétations philosophiques. Mais le foisonnement des travaux de recherche fait que ces représentations sont toujours en retard d’une évolution par rapport aux avancées scientifiques. Cependant, on note aussi que ces avancées se cherchent des racines et des ancêtres dans des tentatives passées, qui avaient proposé des perspectives conceptuellement novatrices, mais sans disposer de tous les outils formels nécessaires pour les développer (cf. les rapports entre Poincaré et la théorie du chaos). Il s’agit là aussi d’interprétations épistémologiques et philosophiques, qui prennent un nouvel essor. Les activités scientifiques effectives se révèlent donc entretenir à toute période ces entrelacements d’interprétations programmatiques, de mises à l’épreuve des concepts et de reformulations plus intuitives des problématiques scientifiques, qui forment le tissu conjonctif des sciences, tissu d’activités qu’on peut dire philosophiques, et qui sont tout à la fois intra-­‐ et inter-­‐disciplinaires. Ces entrelacements nous rappellent que sans ce tissu inter-­‐prétatif, la recherche scientifique perdrait une motivation essentielle. L’inter-­‐disciplinarité, entendue comme flux intersticiel interprétatif (intersticiel par rapport aux formalismes et dispositifs expérimentaux) est donc non seulement constitutive de la création de nouvelles disciplines, mais elle est constitutive de la dynamique de recherche des disciplines. La notion d‘un tissu d’activités philosophiques internes aux sciences permet de renouveler un vision reçue de l’évolution du rôle de la philosophie. Selon cette vision, on a conçu la philosophie d’abord comme la mère de toutes les sciences, puis comme la 4 première des sciences, puis comme une réflexion générale en lien avec les sciences mais méta-­‐scientifique, puis comme un commentaire des relations entre sciences et humanités (en intégrant la politique), puis comme un commentaire de sa propre histoire et de l’histoire des sciences. Cette progressive dégradation allait de pair avec l’idée que la science progressait par divisions successives donnant lieu à des spécialisations disciplinaires. On s’aperçoit aujourd’hui que l’activité philosophique est instillée dans tous les recoins de la recherche scientifique, et qu’elle est indissociable de l’interdisciplinarité en ce sens fort, externe mais aussi interne aux disciplines, celle qui anime cette recherche. Sa prise en compte amène donc à donner un sens un peu différent à la notion d’interdisciplinarité. Est-­‐il alors encore souhaitable, en supposant que cette condition inter-­‐disciplinaire de la philosophie devienne sa principale condition, de pouvoir repérer une « saveur » proprement philosophique de ces activités de discussion d’interprétations, et si oui, par quels traits se signale-­‐t-­‐elle? Le premier de ces traits est que pour toute question d’interprétation contemporaine, on peut en philosophie retrouver dans l’histoire passée de la philosophie d’autres questions posées qui présentent avec la première des similarités importantes. A ces questions, plusieurs tentatives de réponse avaient aussi été données dans le passé, mais aucune d’entre elles ne s’était révélée totalement satisfaisante. En revanche, le travail philosophique de critique de ces réponses a montré quels étaient leurs défauts, et en quoi elles présentaient des impasses pour la réflexion. Il est donc possible d’utiliser ces similarités pour alerter ceux qui seraient tentés par des réponses similaires sur les difficultés qui les attendent. La philosophie ne nous apprend que peu de choses positivement, mais elle peut nous en apprendre un certain nombre négativement. Cependant, ces alertes reposent sur des similarités entre les questions présentes et passées, et non sur des identités. Un usage abusif de ces similarités pourrait amener à prétendre disqualifier des pistes de recherche de manière abusive. Le remède est alors de nous rendre plus sensible aux différences au sein de ces similarités, ce qui amène à analyser plus finement en quoi il y a eu déplacement conceptuel entre les différentes formulations successives de questions apparemment similaires. Repérer les similarités avec les impasses passées et analyser les différences conceptuelles avec des questions similaires, ce sont là les deux traits qui peuvent signaler une activité proprement philosophique – et ce sont deux conditions que les annonces de programmes de recherche ambitieux et supposés apporter des renouvellements ne remplissent que rarement. III Un exemple d’étude interdisciplinaire d’un déplacement conceptuel A titre d’exemple de ce travail de rappel des impasses et de détection des déplacements conceptuels, on peut étudier l’usage de la notion de concept dans les diagrammes UML, et les problèmes philosophiques associés à cette notion. Un cadre rectangulaire dans un diagramme UML représente une classe, associée à un concept. Si on base l’ontologie du domaine sur les éléments du diagramme UML, on devra donc compter les concepts dans notre ontologie. Il semble que c’est là suivre la voie proposée par Frege : il voulait d’une part différencier le concept (Begriff) du sens (Sinn) puisque pour lui un concept est non pas le sens, mais la dénotation (Bedeutung) d’un terme conceptuel (par exemple un terme comme « planète », ou « rouge »). Cependant, il se refuse à réduire le concept aux entités tombant sous le concept, donc à son extension, parce qu’il pense que le concept doit être donné avant son extension. Mais par ailleurs, comme il relie le concept, comme « insaturé » (ne donnant pas à lui 5 seul une valeur de vérité), et la notion de fonction, il souhaite cependant le rattacher à une version extensionnelle, qui pour la fonction est celle de son parcours de valeurs (la liste de ses inputs et outputs et leurs correspondances). Or, comme on sait, permettre à tout concept de définir une classe (une extension sélectionnée par une propriété) va conduire au paradoxe de Russell, celui de la classe des classes qui n’appartiennent pas à elles-­‐mêmes. Ce paradoxe tient à ce qu’on utilise une notion (celle d’appartenance) qui permet de tout rabattre sur les entités éléments dans un usage qui implique d’être très libéral sur les distinctions admissibles pour définir les rôles que peuvent jouer ces rassemblements d’éléments. Le projet d’une logique des concepts, envisagé par Gödel tout au long de sa vie, devient donc périlleux, puisque la notion de concept exige cette libéralité, qui va jusqu’à admettre que : « ne pas être un concept » puisse être tenu pour un concept -­‐pourtant cela revient à dire que quelque chose qui n’est pas un concept hérite de la propriété d’être un concept ! Le lamba-­‐calcul de Church a poursuivi la piste des fonctions, avec sa notion d‘abstraction, qui permet d’exprimer dans un langage formel la notion : « la fonction qui pour telles spécifications de la variable donne lieu à telles valeurs ». Ce langage est censé déterminer la procédure qui conduit d’une variable à sa valeur, mais comme on peut y formuler des fonctions qui s’appliquent à elles-­‐mêmes, cette procédure peut ne pas se terminer, or un paradoxe correspond à une procédure qui ne se termine pas. On retrouve donc les effets paradoxaux d’une logique des concepts. Cependant, comme les informaticiens peuvent se donner des moyens de repérer de telles boucles, leur aspect paradoxal est réduit à une impasse du calcul, qu’on peut éviter, d’une manière quelque peu ad hoc, par des codages différents. Et si l’on veut éviter que des concepts de concepts ne soient pas distingués des concepts, on peut utiliser un lambda calcul typé. Du coup, le drame philosophique du paradoxe étant supposé contenu, on peut prétendre réintroduire les concepts dans l’ontologie, et les faire figurer dans les rectangles des diagrammes UML. Mais pour l’ontologie philosophique, le problème reste entier : comment bien fonder les distinctions entre types sans réintroduire les problèmes des concepts ? Les philosophes ont récemment préféré en appeler à la différence entre l’ontologie qui traite des entités (en se centrant sur les entités existantes) et la logique qui formule les combinaisons de leurs représentations. C’est le courant dit des « truth-­‐
makers », où l’on soutient que ce qui fait la vérité d’une proposition, ce sont simplement les entités qu’elles composent. Or ces entités sont, pour prendre une ontologie classique, des substrats ou substances et des propriétés ou qualités, mais ce ne sont pas des concepts. Par exemple, dans le courant dit « tropiste », qui n’admet que des propriétés particulières reliées par une relation de comprésence, et éventuellement similaires entre elles, les propriétés sont en fait considérées comme « saturées » -­‐ ce sont des propriétés concrètes particulières-­‐ et non pas comme « insaturées », à compléter par une entité particulière, ce qui est le cas des concepts. Le problème que cette solution soulève, c’est qu’on ne sait pas comment des entités peuvent à elles seules induire une vérité (résultat d’une évaluation), qui était jusqu’alors liée à la composition correcte (ou pas, pour la fausseté) entre substrat et propriété, dualité de notions qui renvoyait à la différence entre référent particulier et concept. Qu’il y ait de la neige et qu’il y ait ce blanc particulier ne suffit pas à fonder la vérité de « cette neige est de cette couleur blanche » -­‐ il faut encore relier les deux et évaluer cette liaison. Or celui qui fait des diagrammes UML suppose données cette possibilité de liaison et cette possibilité de vérité, sinon il n’aurait pas introduit tel rectangle dans son schéma. On peut d’ailleurs retrouver dans ces diagrammes les notions de l’ontologie 6 philosophique et formelle, sous des noms un peu différents : entité, objet correspondent à substrat ou référent, attribut correspond à propriété. Les diagrammes n’indiquent pas de vérité ou de fausseté, mais des contraintes sur les liaisons qui soutiennent la vérité. Elles portent sur le nombre d’entités, sur les « domaines de valeurs » des attributs (une notion à relier à ce qu’était celle de parcours de valeur pour Frege). On trouve aussi des contraintes sur les différents rôles joués par les entités dans une relation, ce qui revient à imposer des propriétés relationnelles différentes pour chaque terme de la relation. On pourrait bien sûr vouloir construire une relation de « liaison correcte entre telle entité et telle propriété » qui correspondrait à la vérité. Mais cela n‘aurait pas de sens de devoir spécifier pour chaque relation de ce genre quels sont les particuliers qui sont les particuliers corrects. Sur ce point, la doctrine des truth-­‐makers se borne simplement à dire que s’il y a vérité, alors c’est qu’on est sûr de disposer de ces particuliers, en se gardant bien de spécifier comment on en dispose. Traiter ce problème de la liaison entre propriétés et subtrats (ou entre propriétés et comprésence si on soutient une ontologie tropiste) comme une simple présupposition semble bien consonner avec l’optique des diagrammes UML, qui s’intéresse essentiellement, d’une part aux contraintes sur les domaines de valeurs et sur l’utilisation des bons attributs, d’autre part aux procédures qui vont permettre, étant donné certains objets, attributs, et relations, de calculer les états des propriétés d’autres objets et de leurs relations. On y parle de concept, mais aussi de type. En fait on y a réduit le concept au type, un type définissant les modalités de mise en relation et de mise en opération qu’on peut pratiquer sur une entité (au sens le plus large, non réduit aux substrats ou objets, et qui peut comprendre les attributs), pour la relier à une autre entité ou lui donner une valeur. Finalement, que faire de notre attribut « n’est pas un concept », qui est lui-­‐même un concept ? En termes de truth-­‐maker, il suffit d’en avoir une instance, et on peut en avoir: un substrat particulier, ou même un trope (une propriété particulière) ne sont ni des attributs ni des concepts. En termes de type, on va pouvoir opérer sur ces instances (des substrats particuliers) et leur appliquer une opération qui est de fait conceptuelle, et qui consiste à les ranger dans la classe des substrats, lesquels ont des attributs (au sens du diagramme, donc reliés à des domaines de valeurs) qui ne comptent pas les attributs ou concepts dans leur domaine de valeurs. Il faudrait alors pouvoir indicier différemment les attributs visés comme instances et l’attribut comme fonctionnalité du diagramme, ce qui reviendrait à leur donner des types différents. Mais cette différence est elle-­‐même une différence de rôle fonctionnel dans une opération, donc simplement ce qui définit un type. On a ainsi rendu le paradoxe marginal, et cela au prix de deux déplacements : 1) on a renvoyé le problème de la vérité aux entités ontologiques supposées la fonder ; 2) on a éludé le problème posé par la généricité du concept, qui s’applique aussi à ce qui n’est pas un concept, en ne reconnaissant comme attributs que des notions liées à une procédure ou opération dont les tenants et aboutissants peuvent être définis. Conclusion Ce sont là des déplacements conceptuels : ils ne résolvent pas le problème, ils le déplacent. Pour qu’ils aient lieu, il faut 1) qu’une nouvelle problématique, voire une nouvelle discipline, qui n’a pas les mêmes contraintes que celle dans laquelle s’était posé le problème, en fournisse une nouvelle version ; 2) que cette nouvelle version puisse conserver ce qui était opératoire et laisser de côté ce qui faisait blocage. Mais expliciter un déplacement conceptuel c’est aussi 3) noter l’aspect du problème qu’il laisse irrésolu, 7 et que des recherches ultérieures pourront explorer, ou bien dont elles pourront montrer qu’il tenait à des confusions conceptuelles. La fonction de l’activité philosophique (non réservé aux philosophes de professsion, encore une fois) est au premier chef d’expliciter ces trois aspects des déplacements conceptuels, elle semble donc intimement liée à l’interdisciplinarité. Elle rend par là même explicite le lien intime entre interdisciplinarité et déplacements conceptuels. Peut-­‐être faudrait il parler ici de trans-­‐disciplinarité, au sens où les déplacements conceptuels ne se bornent pas aux relations externes entre disciplines, mais travaillent tout aussi bien au travers (trans) des disciplines, y compris de l’intérieur. 
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