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une forte dépendance par rapport aux villes, induisant ce que l'on a appelé un «
développement inégal et dépendant ». Le mouvement a entraîné l'émergence de
quelques centres que l'on a baptisés « métropoles » ; par ailleurs, un « mitage »
du territoire a provoqué les tensions que l'on sait.
Ces bouleversements induisent une palette de nouveaux besoins dans la mesure
où ils bousculent les modes de vie. Les instruments que s'est donnés le
fédéralisme peinent à s'adapter à la situation. La sécurité sociale est touchée de
plein fouet. La création de l'«Initiative des villes», en 2002, est un signe clair: la
gouvernance par les voix du fédéralisme ne manque pas de mérite, mais elle
comporte des limites difficilement supportables, en particulier pour le
fonctionnement des organismes sociaux et l’égalité de traitement des citoyens.
La monétarisation de la vie
Dans les sociétés autarciques, le regard se porte sur le grenier et les personnes de
l'entourage. Dans la société dite moderne, les références deviennent le billet de
banque et la carte de crédit (quand elle n'est pas bloquée !). La proportion des
matériaux, des objets et des services qui sont contrôlés par le marché grimpe à
belle allure. Tout s'achète, et il faut payer pour tout, ou presque. La sécurité au
quotidien est de plus en plus maîtrisée et distribuée par des mécanismes
marchands. La sécurité sociale connaît cet envahissement et doit se plier à la
grammaire imposée. En outre, on ne compte plus les prestations
traditionnellement assurées par le réseau primaire, avec plus ou moins
d’efficacité, qui sont reprises par un marché en voie de professionnalisation. Pour
ne retenir qu’un exemple, évoquons le coût de l’enfant4. La simple possibilité
d’entretenir un enfant implique ou exige aujourd’hui une importante disponibilité
financière. L’école primaire est gratuite et c’est très bien. Mais, combien de
parents font la douloureuse expérience de l’ampleur de tous ces frais annexes, de
ce déferlement marchand qui s’attaque directement à l’enfant? N’y a-t-il pas une
certaine arrogance dans le discours de ceux qui bombardent les familles pauvres
de bons conseils en les invitant à éduquer leurs enfants à la résistance aux
sollicitations de la publicité et du marché? Dans une société de lacs et de glaciers
qui a monétarisé l'eau avec une belle constance, le marché est prometteur, celui
de la vieillesse en particulier.
La précarisation de l'emploi
Quelques-uns se souviennent de la crise des années 1930, ou ils ont entendu les
récits du grand-père. Les Trente glorieuses avaient permis à ce cauchemar de
s'estomper dans les mémoires. Au milieu des années 1970, les premiers coups de
boutoir de ce que l'on s'est empressé d'appeler la crise sont reportés sur la main-
d'oeuvre étrangère et, bientôt, sur les emplois féminins. Mais, depuis les années
1990, la précarisation de l'emploi s’installe dans la dynamique sociale5.
Le marché du travail s’est enfoncé dans l’habitude de compter un certain niveau
de chômage comme une réalité normale et évidente. Des grappes de jeunes
4Joseph DEISS, Marie-Luce GUILLAUME, Ambros LÜTHI : Le coût de l’enfant en Suisse, analyse
des échelles d’équivalence des revenus, Éditions Universitaires, Fribourg, 1988.
5 Rosanna MAZZI : La précarisation de l'emploi, Réalités sociales, Lausanne, 1987.