La
Chambre
de
Commerce
de
Marseille
pendant
l'occupation
allemande
(12
novembre
1942
-
23
août 1944)
Témoignage
d'un
contemporain
Napol
éo
n a re
marqu
é à
ju
sle
til
re les diffiCllllés de l'
hi
sloire
la
plu
s co
nt
e
mporain
e.
« A UC
Ull
hi
s/orien, dicte-t-i1,
n'arrive
jll
S
qU
'a
nos
jour
s. »
El
l'A
nglai
s
Wall
er
Ral
eigh
avail
avanl
llli conslalt'
qlle les fails les pills
pr
oches so
nl
les
plu
s
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s à co
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min
er. Ces diffic
ult
és
bi
en
CO
llflu
es redo
ubl
e
nt
, p O
lir
des raiso
ns
lJu
'il
n'
est pas besoin d'analyser, lors
qu
'il s'agit de l'occllpalion.
Malgré la re
marquabl
e
organisation
du
Comit
é
d'Hi
sloire de
III
Seco
nd
e
Gu
e
rr
e mo
ndial
e
qu
'
anim
e ftl. He
nri
1
11i
c
ll
e
l,
mal
gré 1(:3
l.
·
nqllêt
es do
nt
il
a
pris
l'initiativ
e et les
publi
c
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ns
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s
la
charge,
ce
tt
e
hist
oire do
ulour
euse,
faut
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d'ar
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es
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ois, reste
s
ouvent
co
nfus
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imative
, défo
rm
ée
par
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pr
éféren
ce
s poli-
tiqu
es
ou
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és. A
la
c
ruaulé
des te
mp
s succM e
la
brutalit
é
d'affirmalions
s
ans
nuances
et
parf
ois sans fo
nd
em e
nl
.
C'
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st
po
urqu
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il
faut
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voir gré à
M.
Rmil
e Regis d'alloir
ouv
e
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le dossier de la C
hambr
e de
Comm
e
rc
e de ll1al'seille
durant
ces
ann
ées
sombr
e
s;
il
le fait de
mani
ère dépollillée el
pr
écis(',
sans
forcer le ton. Au Alarseillais, ù
l'hi
storien
pr
o{c
ssi
o
nnd
qlu
' je
suis
, ces pages
apportent
beauc
oup:
elles
appr
e
nnenl
ulle
résis-
tanc
e (aile
non
de re
fu
s
brutau
x et
imp
ossibles,
mais
d'
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oie·
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s gagn
é,
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es soustrailes, de
mat
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Ré
sistan
ce ù la petite se
maine
qui
cherchait
ci
sauv
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qui
pUl.llJui!
êtr
e
sauv
é:
dan
s le cas d'
un
port
au
ss
i
importanl,
les
chan
ces
de dé
barqu
em e
nt
,
dans
le cas de l'exposition de
l'Eur
ope r
onlr
e.
le bolche
vi
s
me,
l'
honneur
qui
n'
était pas
une
moindre
ri
cbesse.
Pi
erre GUIR,
1L
.
LA
CHAMBRE DE COMMERCE DE
MARSEILLE
163
Le 8 nove
mbre
1942, les forces alliées dé
barquent
en
Afrique
du Nord. Le
11
nove
mbre, l'arnl
ée
alle
mand
e
envah
it la
zone
sud
et
arrive
à M
arse
ille le 12 da
ns
la matinée. La
Kriegsmarine
occupe
le port
et
crée
une
Ha
fenkommand
a
ntur
qui
demand
e
imm
édia-
tem
en
t
la
livrais
on
des seize
grues
fl
o
Uant
es
du
port
et d'
un
certain
nombr
e
de
mah
onnes
po
ur
les e
nv
oyer en
Cyrénaïque
l'olTensive
alliée co
ntre
l'
Afrika
Korps
pr
ogresse.
Ce
s e
ngins
appartenaient
à
des sociétés de
manutention
priv
ées.
Le
ch
ef
d'
exploitation
du
p
or
t
réunit
l
eurs
r
eprésen
tant
s et le
directeur
des services
techniqu
es
de
la
Chambr
e
de
Comme
rce
. Celui-ci
rem
ar
qua
qu
e
la
leUre
ù'Hiti
er
au gouve
rnem
ent
fran
ça
is
précisait
que
les
tr
o
upe
s,
qui
av
a
ient
franchi la ligne d'armistice, « opéraient »
en
zone
sud par
suite
des circon
sta
nces créées par le déba
rqu
e
ment
des
Alliés
en
Afrique du Nord, mais n'étaient pas ù
es
troup
es
d'occupation.
En
conséquence,
ces
troup
es
devaient avoir non le droit de réqui-
s
iti
on,
mais
seulement
la
possibilité
d'utilis
er le
matériel
aux
condi-
tions no
nnal
es
en
payant
l
es
redevan
ces
d'usage. Ce point de vue
fut
o
pp
osé
par
la
Direction
du
Port
aux
offic
iers
de
la
Kriegs-
marine qui s'en
Ill
o
nLr
èrc
nl
fort contrariés, si bien
que
les di
sc
us-
sions
trainèrent
pendant
plusieurs
jours.
Fin
alement, les
Allemands
saisirent
l
es
gru
es
pur
eme
nt
et
simplement,
sa
ns
fanna
lit
és
juri-
diques, en prenant
ael
e de n
os
protestalions. Ce
ll
es
-ci n'avaie
nt
pas
cependant
été
inutil
es.
D
'a
bo
rd
, e
ll
es
avaient
fait
gagner
un
te
mps
pr
écie
ux
, car, à
l'appr
oche de l'hiver, la
navigati
on de
par
eils c
ngins
en
dit
er
-
ranée était dangere
us
e. En fait, aucun
d'
eux ne parvint à quitter la
côte française.
Ensuite,
ell
cs
perlllircllt de faire r
econna
ître par l
es
aulorit
és
allemandes
qu'clles n'avaie
nt
pas le droit de
réquisition
ou de
prise
ùe gue
rr
e et
qu'
e
ll
es devaie
nt
utiliser le mat
ér
iel
du
po
rt
co
mme
un
usager
ordi
naire. Ceci e
ut
pour
conséquence
de pe
rm
e
ttr
e la
perce
ption
d
es
taxes d'usages d
es
e
ngins
et
de procurer
ainsi
l
es
l'ecelles nécessa
ir
es
pour payer le 'personnel titulaire et
sur
tout de
conserver
sur
place ce perso
nn
el
indisp
e
ns
able
pour
le fonction-
nem
e
nt
des engins. Il
fut
exonéré
du
S.T.O. (Service
du
Tr
ava
il
Obligato
ir
e);
ainsi
aucun
des
agents
des services tec
hniques
de
ta
Chambre
de
Commerce ne
quitta
son post
e,
à l'exce
pti
on
de
deux
164
E.
RêGIS
ou
trois d'en
tr
e eux qui, malgré les instructions et les avertissements
'lui
leur
ava
ie
nt
é donnés, ré
pondirent
à des cOIl\'ocations
individuelles.
Enfin, ceci pe
rmit
à
tout
le pe
rs
o
nnel
des services tec
hniqu
es
de
circuler
libr
eme
nt
sur
le p
or
t et de
recneillir
des
renseignements
précieux qui furent
transmis
aux
organisatio
ns
de rés
islance
. Les
bureaux et ateliers,
situés
au
centre du port, ne furent évacués
'lue
le 16 ao
ût
1944,
après
le dé
barquement
des Alliés
en
Proven
ce.
Une vingtaine
d'
age
nts
auxiliaires furent licenciés
et
pl
acés
dans les
entreprises de travaux publics re
quis
es
par l
'O
rga
nis
a
ti
on Todt
.t
ainsi
pr
otégés égaleme
nt
contre
le S.T.O .
. '.
Apr
ès
l'
e
nlèvcment
des g
ru
es
/lottant
es, la Kriegsmarine
donna
l'ordre à
un
e entreprise ùe la place de dé
monl
e
r,
le
2H
décClll-
br
e 1942, seize g
rues
modernes
pour
les expédier égale
ment
cn
Cyrénaïque,
mal
gré
nos
prot
es
tati
o
ns
véhémentcs.
Ce
tr
avail néces-
s
itait
l'
e
mpl
oi
de
la
grue
fl
oUante Golia
th
de
150 to
nn
es de la
Chambre
de Commerce. Comme
l'Organisation
T
odt
l'utilisait éga-
lement
po
ur
la
pr
é
parati
on
du
chantier
de
la
bas
e
sous-
marin
e,
la Direction
des
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Techniques
manœuvra
entre
le
s ùeux
serviccs, si bien
qu'elle
reçut
l'ordr
e de
l'O
.T.
d'am
ar
rer la
grue
au
môle H,
près
du
chantier,
en
un
e
ndroit
tr
ès
dan
gere
ux
po
ur
Ull
eng
in
de
70
m de ha
ut
'lui
n'a
'lue
quelques
d
éc
imètre
s de
tirant
d'eau. Dès le
premier
coup
de
mistral,
les câbles de lixatioll des
crochets de suspension rOlllpirentJ l
es
flasques s'entrechoquèrent et
se
brisèr
ent,
immobilisant
l'app
areil.
La Direc
ti
on
des
Services
Techniques
info
rma l
es
autorités
allemandes
que la réparation demanderait au
)\101nS
trois
mois
.
Furieux,
les Alle
mands,
après
des
menaces
et
des acc
usati
o
ns
de
sa
bo
tag
e, fire
nt
ve
nir
les
in
nie
ur
s de
la
Société DEMAG
'lui
avail
cons
truit
la g
ru
e en 1932
au
titr
e des
réparations.
Ils
appor-
rent les
plans
d'exécution de la grue que les ingénieurs ùes Servi
ces
Techniqu
es,
stupéfaits,
n'avai
e
nt
jamais
vus!
Les o
rdr
es
pour
ln
réparation des
pièces
abîm
ées
furent
d
on
nés
inllnédiale
ment,
mais
les
ing
énieurs averlirent les entreprises chargees des travaux
'1u'elles
devaient
travailler
très
soigneusement
et
tr
ès le
nlemenl.
La
r
épara
ti
on
dura
trois
mois
et
demi, malgré le co
ntrôle
des
LA
CHAMBRE
DE
COMàŒRCE
DE
M
AR
SEIL
LE
165
Allemands
. Lo
rsqu
e la
grue
fut
remise
en se
rvic
e,
l'Afrika
Korps
é
tait
chassé
de Cyréna
ïquc
et
capitulait
hient
ôt
au
ca
p Bon le
12 mai 194
3.
Les g
ru
es res
tèrent
sur
les
quais
en
partie
dé
mont
ées !
Le
pr
és
ident
de
la
Chambre
de Commerce fit
alors
un
e dém
ar-
che
auprès
du
Haf
e
nkommandant
pour
obtenir
l'a
utorisation
de les
rem
e
ttre
en é
tat
afin
d'éviter
qu'ell
es ne
s'abîment.
Elle
lui
fut
accordée a
près
de
longs
pourpar
l
ers
' .
.
...
Dès
l'arriv
ée des
troupes
allemandes,
la
Chambre
de
Co
mmerce
mil
en
sûreté ses arc
hi
ves historiques el unc partie de ses collections
artistiques
dans
une
chapelle
du
do
maine
du
Géné
ral
à
Puyloubier,
appartenant
à so n vicc-président, M. Camille
Grand-Dufay.
Lcs
S
er
vices
Techniqu
es
chargés
de
celle
opération
en
profitèrent
pour
Ill
êler
aux
cai
sses
d'archives
un
lot important de caisses de pièces
en cuivre et en bronze destinées à
l'
entretien d
es
grues, qui furent
ainsi soustraites à la quisition.
Signalons que,
profitant
de
la
constructi
on
par
les
Allemands
d'abris
bétonnés,
sur
la digue
du
larg
e, ils démo
ntèrent
toutes
les
lignes
électriques
et
cachèrent
les câbles
dans
les caves des
bâti-
Inents de la rue Saint-Cassien 2. Ces réserv
es
de
cuivre permirent,
dès
la
Lib
é
rati
on,
d'obtenir
rapidement
les câbles nécessa
ires
à
la
remise
en é
tat
du
réscau é
lectriquc
du
port
et de gagncr
ainsi
plusieurs
Ill
o
is
.
Marchandises en/reposées dans
le
port.
De
juill
et 1940
il
novembre
1942, Marseille
fut
le seul
grand
po
rt
fran
çais disponible, et il
assura
rég
ulièrement
les re
lations
avec
l'Afriqu
e
du
Nord
et
mê
me
avec l'A.O.F.
pour
les
ca
rg
aisons
dont
les Alliés to
rai
e
nt
le
passag
e
par
Gi
braltar
pour
pe
rmellre
1.
Il faut signaler que, le
25
décembre
1944
, un accident analogue
se
pro-
duisit, les Américains ayant conduit la grue Goliath au môle H malgré les
avertissements des ingénieurs de la Chambre. L'immobilisation était
un
e catastro-
phe car des navires chargés de locomotives arrivaient. Les spécialist
es
deman·
daient plus de
tr
ois semaines pour faire la r
ép<lra
tion. Le personnel de la
Chambre ussit, par un prodige d'acrobatie et
d'h<lbil
etechnique, à remettre
Ja
grue en se
rvi
ce en moins d'une semaine et la réparation définitive ne fut faite
qu'un an après, lorsque le Japon eut capitulé.
2. Siège de la Direction des Services Techniques de la Chambre de
Commerce.
166 E.
R1~GIS
de
ravitaill
er
la
zone libre. Aussi, le
Il
novembre
1942, il Y
ava
it
plu
s
de
3
nlÎlIions
de
to
nnes
de
marchandises
dans
l
es
hangars
.
Les
Allemands
transformant
le
port
en
un
port
milit
aire, il
fallait
évacuer
l'apidcluent ces
marchandises
po
ur
éviter
qu'clles
ne
fussent
prises
ou
pillées.
Le
pr
ésid
ent
put
savo
ir
,
au
début
de
janvi
er 1943,
que
l'in-
lendant
von
Barby
avail
la
charge
de ces ma
rch
and
ises ct,
au
cours
d'uu
c
audience
à l'Hôtel
Spendid,
il lui fit
accepter
'lu
e
la
Chambre
ùe
Commerce
soit
chargée
de
pr
épare
r les dossie
rs
d'e
nl
ève
ment,
de les lui
faire
signer
et
de
remettre
l
es
marchandises
aux
récep-
tionnaires.
Un
service
spécial
fut
rapidement
organisé
dont
le
personn
el
s'acquitla
de
cette
cb
e dé
licate
avec
une
int
elligence
ct
un
e
per
sévéra
nce dign
es
d'
éloges. Il
fallait
parfois
ins
ist
er
lr
ois
ou
quatre
fois po
ur
obtenir
la
signature
des
bordereaux
d'enlè-
vcment
ct
cinq
moi
s d'effo
rts
furent
nécessaires
pOUl'
évacue
r la
to
talit
é d
es
ma
rch
an
ùises.
Au
moins,
ri
en ne
fut
pe
rdu
ni
pr
élevé,
grâce
au
fail
que
la
Chambr
e de Co
mm
erce
put
assurer
la
dir
ection
des
opérations
3.
Les
interventions
ùu
pr
és
ident
a
uprès
des
autorités
allemandes
d
ev
enai
e
nt
de
plus
en
plus
fr
éq
uentes
et
difficiles.
Les
réquisitions
d'a
ppart
eme
nts,
d'hôtels,
se Illultipliaie
nt
et
la Gestapo opé
rait
d
es
arrestations
de
plus
en
plu
s
nombreuses
dans
tous
les
mili
eux.
Pour
ga
rùer
l'auùienc
e
de
s occ
upants
el
obtenir
des
re
nd
e
z-vous
qu'il d
en
la
ndait
per
so
nnellem
e
nt
sans
appui
des
repr
ése
ntants
du
gouverncment,
il
lui
fallait
une
intr
o
du
ction.
Après
lllill'c
réflexion
ct
avec
l'
accor
d
de
la
Chanlbl'e,
qui
es
tima
que
to
ut
dcvaiL
être
tenté
pour
la défcn
se
du
pod
et de
ses
res
so
rti
ssa
nts
et
qu'une
att
ilud
e
pur
em
en
t
négative
serait
inutile,
il
réunit,
le 20 Illai 1943.
autour
du
con
su
l né
ral
d'Allelnagne
et
des
autorités
pr
éf
ec
tor
ales.
la
dizain
e d
'omciers
allemands
qu
i
commandaient
le p
or
t, et
la
G
es
tapo,
en
avertissant
les
ha
u
ts
fonctionnaires
fr
a
nçais
que
leur
pr
ésence
n'
était
pas
nécessaire
4.
Celle
réunion
facilita
g
randem
e
nt
3.
Archives
Chambre
de
Commerce.
Dossiers
de
la
séri
e Re. D
'a
utr
e
par
t,
l''::vac
uati
on
de
la
zone
portuaire
éta
nt
décidée
par
les a
uto
rités
allemandes
au
début
du
Illois
de
mar
s
1944,
la
Cha
mbr
e de
Commerce
e
ut
qua
lit
é
pour
obten
ir
des
dél'ogJ.t~ùns
en
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des
e
nt
repr
i
ses
.commerciales,
.
indu
~tr
iell
es
et
arti-
sana
l
es
ai
nS
I
que
de
lem-
per
s
onnel.
Le
servIce
ôes
évacuations
fut
installé
dans
le
grand
hall
de
la
Eourse
et
reçu
t,
s le
premier
jour,
plus
d'un
milli
er
de
persOlUlCS.
4.
Ar
chi
ves. Chc:unbrc
de
Commerce.
Registre
des
délibérations
1
52
,
pag
..:
s
192
ct
1
93.
Séance
du
10
mai
1943.
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