2
était un simple champ ouvert à l’activité humaine, et la religion constituait un lien entre
la vie terrestre et sociale. L’homme paraissait comme une conscience qui, emmêlé dans
l’écheveau de la vie, n’arrivait pas à s’en dépêtrer.
1. Adam: Le mythe fondateur
On peut dire que les arabes n'étaient pas attachés à une religion donnée avant
l'avènement de l'Islam. Bien que des sanctuaires sacrés eussent existé çà et là, et que le
Judaïsme et le Christianisme fussent bien implantés dans certaines régions et dans
quelques tribus, aucune autorité religieuse n’a vu le jour en Arabie. D'ailleurs, les vrais
ennemis de la nouvelle religion n'étaient que les "koubarâ" ou aristocrates mekkois qui
croyaient à l'éternité de la nature, autant dire des athées. La masse, idolâtre, ne voyait en
ses divinités disparates qu’un moyen de conjurer les forces hostiles au déroulement
paisible de leur existence. Cela dit, l’incompatibilité conceptuelle entre l’Islam et ses
détracteurs était telle qu’on ne pouvait imaginer un quelconque compromis. La lecture
des premiers chapitres du Coran révélés à Mohammad témoigne du contraste évident
entre le paganisme et l’Islam. Aux yeux de ses contribules, les paroles du Prophète à ses
quelques adeptes n’avaient qu’une seule explication : « Certes il est possédé » (3). Trop
de choses choquaient la conscience empirique et triviale des païens arabes.
Il y a d’abord cette conception à leur sens aberrante et scandaleuse, que Dieu se
manifeste dans leur vie et exige un extraordinaire changement. Comment concevoir que
le Coran soit et la parole directe de Dieu, et un discours essentiel sur la signification du
monde?!
La réponse proposée par le texte coranique, nous la tirons d'un verset de la
période mekkoise, repris textuellement dans la période médinoise: "Ils (les infidèles)
n'ont point mesuré Allah à sa vraie mesure"(4).
Entre le paganisme et l’Islam, la grande rupture réside dans la perception du
Sacré. En effet, tout l'effort coranique tend à ébranler l'ancien univers conceptuel en vue
de lui en substituer un autre, qui se fonde essentiellement sur un culte nouveau: celui de
l'Unicité. Unicité qui abolit toutes les divinités et consacre la dévotion à un Dieu
Unique, Créateur et Vivant, Dieu de la transcendance et de la proximité.
Conséquence de l’unicité de Dieu, et nouvelle source de conflit: la
désacralisation du monde. Celle-ci était, pour les adversaires de l’apostolat de
Muhammad, inconcevable car elle présentait une difficulté majeure. Si le Sacré se retire
de l’univers et ne se révèle plus qu’à l’homme, en l’occurrence au Prophète, c’est tout le
système culturel, social et politique hérité des aïeux qui est appelé à disparaître. En
désacralisant le monde et la nature, ce sont les coutumes, les traditions et les hiérarchies
sociales qui sont remises en cause. Derrière la foule de divinités, il y avait les normes
qui se sont édifiées en leurs noms et les intérêts occultes qui les soutiennent. Ainsi la
Révélation, à partir de l’Unicité et de sa nouvelle perception du Sacré, a voulu redéfinir
et réorganiser l'univers conceptuel ancien : le monde et la nature, la communauté et les