REVUE MUSICALE
Théâtre DES Champs-Elysées Pénélope, poème lyrique en trois actes;
paroles de M. René Fauchois, musique de M. Gabriel Fauré. THÉATRE
DE L'OpÉitA-CoMiQUE Julien, poème musical, paroles et musique de
M. Gustave Charpentier.
Un jour, au théâtre de l'Odéon, l'auteur du livret de Pénélope,
M.René Fauchois, a mal parlé de Racine. M. René Fauchois, sur la
même scène, un autre jour, dans un drame qui portait le nom de
Beethoven, a fait parler Beethoven ainsi qu'il suit.
D'abord, àpropos de la symphonie Héroïque, dédiée, on le sait, au
Premier Consul, puis reprise àl'Empereur
Et certe, à ce moment, de cette jeune épée,
Qui jetait sur le monde un reflet d'épopée,
Je bénissais l'audace et l'inspiration
Hélas1. et j'enviais sa noble nation
Mais le jour j'ai su la honte de son sacre,
J'ai vu ce qu'il était un héros du massacre,
Un tyran tel que ceux qu'il écrasait jadis.
Sur ses lauriers souillés j'ai dit De profundis.
Et j'ai, de l'hymne écrit autrefois pour ce pitre,
Oté la dédicace et déchiré le titre.
Ailleurs, sur ses façons, bien connues, de composer au grand air,
en se promenant àl'aventure, et quelque peu débraillé, Beethoven
donnait certaines indications
En sortant du théâtre un air me vient eu tête.
Souvent, sur les remparts je marche et je m'arrête,
Et je m'assieds, en proie aux méditations,
Dans l'ombre qui serpente autour des bastions.
REVUE DES DEUX MONDES.
J'ai donc pris, par instinct, ma route favorite.
Toujours improvisant, j'ai du m'asseoir ensuite,
Et, mon sang bouillonnant sans doute sous ma peau,
J'ai mis ma redingote à bas, et mon chapeau.
Au théâtre de l'Odéon, entre ces tirades et d'autres similaires,
ou pires, l'orchestre Colonne exécutait certaines pages de Beethoven «.
l'ouverture de Léonore, la Mort de Claire (d'Egmont), des fragmens
de symphonies. Ainsi l'auditeur était à même de décider si l'immortel
musicien s'exprimait avec plus d'éloquence par la poésie que lui prêtait
M. Fauchois ou par sa propre musique.
Ce premier essai de collaboration poético-musicale ne laissait pas
d'inspirer quelques doutes sur le succès d'une nouvelle rencontre.
L'événement les a dissipés., M. René Fauchois s'est mieux trouvé,
beaucoup mieux, de parler, ou d'écrire pour M. Gabriel Fauré, que de
faire parler Beethoven. Le poète de Pénélope aparlé d'après Homère;
quelquefois seulement avec plus de recherche et de préciosité. Du
récit homérique, il a supprimé deux personnages, sympathiques pour-
tant et dignes de regrets Minerve et Télémaque. Les autres, il ne les
apoint travestis ou gâtés. Après tant de siècles, elle demeure encore
exquise, l'antique et conjugale aventure, exquise de jeunesse, de ten-
dresse et de pureté. Un sot nous écrivait cet hiver, àpropos de
Gounod musicien de l'antiquité, que les Grecs n'avaient jamais
compris la femme, l'épouse. Il oubliait Pénélope, Alceste et quelques
autres. Aussi bien, que n'ont-ils pas compris, ces Grecs, ou tout au
moins deviné! Plus pieux que nous ne le sommes souvent aujour-
d'hui, ils vénéraient le foyer, la «maison, »dont M. Henry Bordeaux
vient d'écrire, ici même, avec quelle religion et quelle ferveur 1
l'apologie, ou mieux, le poème. L'histoire de Pénélope, c'est l'histoire
trois fois millénaire, peut-être la plus ancienne histoire de la
« maison » chérie, défendue et sauvée.
Premier acte: retour d'Ulysse, sous les traits et les haillons d'un
vieux mendiant. Rudoyé par les prétendans, Pénélope l'accueille.
Sa nourrice Euryclée, en lavant les pieds du vagabond, y retrouve
la cicatrice connue. Elle se tait, sur l'ordre du maître, et celui-ci
demande à Pénélope l'unique faveur de l'accompagner au sommet
de la colline chaque soir, assise contre une colonne de marbre
par elle fleurie de roses, la reine eherche en vain sur les flots une
voile.
Second acte: nocturne et mélancolique entretien de Pénélope et de
son hôte; lui, craignant de se trahir, elle, curieuse et vaguement
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attirée. Ulysse ensuite, resté seul avec le vieil Eumée et les pâtres,
se fait reconnaître par eux, n'exigeant d'eux, pour aujourd'hui, que
leur silence, et, pour demain, que leur secours.
Troisième et dernier acte sur le conseil de l'ingénieux étranger,
Pénélope impose aux prétendans l'épreuve de l'arc. Vous en savez
l'issue, et la victoire de l'époux. Apeine achevé, dans la coulisse, le
massacre de ses compétiteurs, Ulysse reparaît, non seulement rajeuni,
mais revêtu d'un militaire et somptueux uniforme. L'âge, l'aspect, la
toilette, en un instant Minerve protectrice a tout renouvelé. Sur ce
dernier point on a seulement trouvé qu'elle»avait trop bien fait les
choses et costumé son héros en sujet de pendule, en guerrier d'opé-
rette plutôt que d'opéra.
Apropos de Pénélope, il s'agit maintenant de la musique, on
pourrait citer une fois de plus, avec une variante, un contresens au
besoin, le fameux vers Ilumanum paucis vivit genus. Il suffirait de le
traduire ainsi «Le genre humain vit de peu de chose. » Autrement
dit, peu de chose est nécessaire pour qu'il y ait, en musique du moins,
de l'humanité et de la vie. Et sans doute la vie dont une Pénélope est
vivante ne surabonde et ne déborde pas. Elle ne se manifeste ni par
de vastes développemens, ni par des effusions prolongées, ni par des
éclats retentissans. Discrète, cachée, mystérieuse même, elle ne se
révèle àl'auditeur, et plus encore au lecteur attentif, que par des
mouvemens modérés, des traits choisis, des accens toujours justes,
souvent profonds. Et cela est fort bien. Nous n'attendions pas de
M. Fauré, se faisant le musicien d'Ulysse et de Pénélope, un « drame
lyrique, »encore moins un «grand opéra, » mais plutôt un pqème
élégiaque, une série d'impressions ou d'esquisses sonores, un album
de lieder, mélancoliques et nobles comme Pénélope, et, non moins
qu'Ulysse, ingénieux. C'est presque cela que nous avons eu. Presque,
non pas tout àfait, peu de pages de Pénélope étant aussi développées,
et, comme on dit, «poussées, » que les Berceaux, par exemple, ou les
Roses d'Ispahan, ou tel autre chef-d'œuvre d'un genre M. Fauré
depuis longtemps ne craint pas de rival. Moins que des lieder des
demi-lieder, ou des quarts de lieder, c'est ainsi qu'on pourrait définir
la nouvelle œuvre de M. Fauré. Au surplus, aucun sujet n'offrait une
affinité plus étroite avec la nature du musicien. L'action, l'action
intérieure, la seule qui compte, se passe ici, jusqu'à la scène finale,
entre l'époux qui craint d'être reconnu et l'épouse qui ne le reconnaît
pas. Les péripéties, légères, ne consistent chez l'un, qu'en réserves,
réticences, furtifs mouvemens aussitôt réprimés chez l'autre, en
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vagues soupçons, en pressentimens secrets, non moins vite évanouis.
Tout baigne ainsi les pensées, les passions, et les discours mêmes,
dans la demi-teinte et le clair-obscur. Or c'est justement l'atmo-
sphère, un peu voilée où M. Fauré se complaît c'est là, de son art
et de son âme rêveuse, le domaine choisi, mystérieux.
Il n'est pas vrai cependant qu'on ne puisse trouver dans Péné-
lope une seule touche énergique. Nous y signalerions jusqu'à deux
raccourcis qui ne manquent pas de vigueur. L'un est la brève accla-
mation des bergers reconnaissant leur maître. Le geste sonore, car il
n'y alà rien de plus, est soudain, juste, et, par sa brièveté même,
efficace. L'autre moment n'est pas moins beau et dure davantage;
Gcethe aurait dit il s'arrête. C'est, au début du dernier acte, une
phrase, mieux qu'une phrase d'Ulysse, méditant sa vengeance pro-
chaine. La période, par extraordinaire, a de l'ampleur, avec une force
contenue, mais sensible le rythme en est solide, la déduction mélo-
dique originale, et terminée, ou plutôt couronnée au sommet, par un
vigoureux accent. Et tout cela donne bien l'impression du retour, de la
rentrée, secrète encore, mais bientôt manifeste, d'un personnage
héroïque et longtemps caché, dans ses droits, son rôle et son carac-
tère ou sa nature de héros. L'épilogue enfin permet, pendant quelques
instans, à la musique de se donner carrière. Le dernier chœur, dont
Ulysse et Pénélope sont les coryphées, achève l'ouvrage par un lumi-
neux cantique d'allégresse et d'amour. Il y a là, toutes proportions
gardées, quelque chose qui rappelle un peu l'action de grâces finale
d'un Fidelio, d'un Freischùtz, de ces opéras qu'on aquelquefois
nommés, à cause de leur conclusion généreuse, vraiment libératrice,
les «opéras de la délivrance. »
Le premier acte de Pénélope est de beaucoup le plus complet. Il
est aussi le plus caractéristique. Il n'existe que par les détails, mais
tous les détails en sont précieux. Le caractère de l'héroïne est
posé dès les premières notes, peu nombreuses, mais qui suffisent,
tant elles sont riches de pensée et de sentiment, lourdes de sou-
venir et de tristesse. D'un bout à l'autre de l'acte, les personnages,
principaux ou secondaires, et les choses mêmes, l'atmosphère, ou,
comme on dit, improprement d'ailleurs et contrairement à ce qu'on
veut dire, le «milieu, »en un mot le tableau tout entier, est fait de
touches un peu minces, un peu courtes aussi taches, si l'on veut, et
hachures. Il yen a de mélodiques, d'harmoniques, d'orchestrales,
mais chacune a son effet. Il n'en est pas une seule qui ne concoure au
dessin, au modelé et à la couleur de l'ensemble. Eurymaque, un des
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prétendans, reproche àla reine les délais qu'impose à leurs préten-
tions l'interminable broderie
Depuis qu'en ce travail ta piété s'absorbe,
Bien des fois le soleil a parcouru son orbe,
Et les doigts del'aurore ont éveillé souvent
La forêt endormie auprès du mont rêvant.
Le paysage poétique n'est rien auprès du paysage musical, où,
défaillant de note en note, par tierces successives, la voix et l'accom-
pagnement, le chant et les accords, ceux-ci délicieusement dégradés
et fondus, ont l'air eux-mêmes de dormir et de rêver. Pénélope
alors de répondre seulement «J'ai tissé de mes mains pour le père
d'Ulysse ce linceul. » Et l'intonation de sa réponse, et même, avant
qu'elle réponde, quelques notes d'orchestre, lentement étagées les
unes au-dessus des autres, suffisent pour déployer, avec le suairo
étendu, l'immense, la mystérieuse mélancolie dont il est le symbole.
« Ne forçons point notre talent. » Parce qu'il n'a pas forcé le sien,
le musicien du premier acte de Pénélope a tout fait avec grâce. Et
cette grâce est noble, elle est triste, le sujet la voulait telle et,
même ingénieuse, toujours elle attendrit. Si Pénélope, se croyant
seule un moment, détisse, furtive, le funeste tissu, quelques notes
échappées (sont-elles de flûte ou de harpe?) semblent se défaire
comme les points. Mais elles signifient autre chose encore. Par leur
ton ou leur mode, par l'harmonie qui les enveloppe, enfin par les sou-
pirs, que çà et elles interrompent, de l'ouvrière ennemie de son fatal
ouvrage, elles ajoutent, ces notes, perlées commedes larmes, au trait
pittoresque et spirituel, un autre trait, qui va plus loin, de sentiment
et d'émotion.
Quelques périodes lyriques, d'un lyrisme volontairement retenu,
forment dans le courant de l'acte comme des îlots délicieux. Un
intermède chorégraphique, de peu de durée, se partage pour ainsi
dire en deux couplets. Le premier est seulement dansé dans le
second, la voix de Pénélope entrelace avec les motifs sinueux de l'or-
chestre, une adorable plainte, avivée à la fin par un beau cri de fidèle,
d'amoureux espoir. En l'une et l'autre strophe, on doute si la mélodie
ou l'harmonie est plus subtile. Et l'union, l'unité des deux élémens
est si étroite qu'on ne saurait les séparer, qu'on ne les perçoit, qu'on
ne les conçoit même qu'ensemble. Tout cela est fin, jamais on no sau-
rait trop le redire, et tout cela sait être profond témoin certain lied
encore (il n'y a décidément pas d'autre mot), où, religieusement pen-
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