Leur important rôle dans la politique égyp-
tienne remonte à la fin des années 1930 quand
la Confrérie, fondée en 1928, devient une
influente force politique. Avec des moments de
recul, ils n’ont cessé d’être présents. Pendant la
période nassérienne, ils connaissent une crise
interne et subissent une sévère répression. Ils
savent se reconstruire à partir des années 1970,
malgré la concurrence des mouvances islamistes
radicales, pour jouer à nouveau un rôle de
premier plan et disposer d’un ancrage important depuis les années 1980. Ils sont appelés à
jouer un rôle majeur sur le nouvel échiquier politique qui se dessine dans l’après-
Moubarak. Pour le pouvoir militaire, ils sont redevenus fréquentables. Ils sont associés aux
discussions avec le vice-président Omar Soleiman avant le départ du président Moubarak.
Signe du rôle que l’armée semble vouloir leur accorder, l’actuel président du Conseil de
révision de la Constitution est un juriste et un intellectuel indépendant respecté qui appar-
tient à la mouvance islamiste. Le vice-président du comité est un cadre de la Confrérie. Ce
comité comprend tout un éventail de sensibilités. Notons qu’une partie des élites des pays
occidentaux ne serait pas gênée de voir un axe Armée-Frères assurer la paix sociale et la
stabilité régionale.
En Égypte, on doit d’ailleurs parler d’«islamismes». Les radicaux, les Gama’ât Islâmya
ou autre Gihâd, brisés par la répression, ont abandonné la lutte armée. Sans parler des
formes indépendantes d’islamisme, il existe des sensibilités nationalistes influencées par les
références islamiques et des courants salafistes, conservateurs religieux, qui ne sont pas
directement préoccupés par la politique.
Aujourd’hui, la Confrérie se déclare favorable à l’existence d’un parlement et évoque
les droits de l’homme. Elle renonce à mettre au premier plan sa revendication d’applica-
tion de la chari’a (loi islamique). Puissante, structurée, moderne, non-traditionaliste, elle
adopte une posture protestataire démocratique, sans renoncer à des références très conser-
vatrices. Les Frères musulmans ne sont pas exempts de tensions et divisions. Leur objectif
est d’obtenir la légalisation d’un parti politique qui pourrait se nommer «parti de la
liberté et de la justice». L’autolimitation est une des caractéristiques de leur orientation
stratégique, d’où leurs nombreux zigzags qui peuvent surprendre.
La vision répandue d’une fracture entre les vieux conservateurs et des jeunes plus ouverts
ne semble pas toujours judicieuse… Le critère de jugement à retenir doit résulter de
l’examen des actions menées par les Frères musulmans et non de leur discours… Ni fascisme
ni anti-impérialisme, la Confrérie n’est pour autant pas devenue une version égyptienne de
l’AKP turque… Tout dépendra des processus politiques et sociaux.
«RÉVOLUTION SUR LE NIL»
N° 45
45
DOSSIER
Mohammed Badie, leader
des Freres musulmans en Égypte
lors d'une conférence de presse au Caire
le 9 novembre 2010