La laïcité aujourd'hui
dossier
62 /octobre-novembre 2015 / n°455
et que la République garantisse le libre
exercice des cultes ; qu’il implique que
celle-ci ne salarie aucun culte ».
La République ne reconnaît aucun culte,
mais les connaît tous et se doit de prendre
en considération leur existence sociale. Ils
disposent d’un ancrage au sein de la société.
De plus, la liberté de conscience et le libre
exercice du culte sont tous deux consacrés
par notre droit. Pèse ainsi sur l’État une
double obligation : celle d’accompagner
l’exercice de la liberté religieuse, celle de
concilier les exigences de la vie collective à
travers, notamment, la sauvegarde de l’ordre
public. L’intervention de l’État est donc
indispensable et implique mécaniquement
un dialogue avec les différents cultes.
Comment l’État pourrait-il assurer la liberté
de religion sans édifices pour pratiquer
dignement le culte? Le législateur et la
jurisprudence ont permis de trouver des
solutions pragmatiques grâce à un dialogue
constant et constructif qui permet de
conserver l’équilibre posé par la loi de 1905
entre la liberté religieuse et la neutralité
de l’État. Les baux emphytéotiques
administratifs, les garanties d’emprunt sont
ainsi des leviers permettant aux pouvoirs
publics de satisfaire à leur obligation
en matière de libre exercice du culte,
musulman ou autre.
Si le dialogue est ainsi une nécessité, la
difficulté dans le cas précis de l’islam,
comme d’ailleurs pour d’autres cultes
récents, réside dans la nécessité de disposer
d’un interlocuteur identifié et légitime.
Le dialogue avec l’islam relève
d’une absolue nécessité mais
revêt des spécificités
L’islam est une religion dont la pratique
et le nombre de fidèles est en constante
progression en France depuis la seconde
moitié du XXe siècle. Selon l’une des
enquêtes les plus poussées menées par
l’Insee, nommée « Trajectoire et origines »,
la France compterait 4,2 millions de
musulmans en 2008. La perception
d’une forte visibilité de l’islam est donc
notamment liée à l’accroissement rapide
de cette population. Depuis 1962, leur
nombre a été multiplié par 10 et leur poids
démographique par 7 ou 8. Les fidèles
musulmans vivent dans certaines aires
géographiques bien déterminées, et non
uniformément sur l’ensemble du territoire.
La place grandissante de l’islam en fait
démographiquement la deuxième religion
de France après le catholicisme.
De ce fait, il s’est agi à compter des années
1980 de faire face à des besoins criants
des fidèles en matière de mosquées, sans
lesquelles un exercice digne du culte
n’est pas possible. Nombre de besoins
cultuels des communautés musulmanes
ne trouvaient pas de réponse. Beaucoup
a été fait en une trentaine d’années. Le
dialogue entre les pouvoirs publics et les
responsables musulmans a permis de
trouver des réponses pragmatiques à des
questions qui ne se posaient pas en 1905,
de pallier des impensés de la loi, qui n’avait
pu anticiper la pratique future d’un culte
presque inexistant sur le
territoire métropolitain
à l’époque. Un cadre
réglementaire a ainsi
pu être trouvé autour
de l’abattage rituel,
afin que soit respecté
l’équilibre entre la liberté
de culte, le respect des
règles sanitaires et la
protection animale.
Des regroupements
confessionnels à l’intérieur des cimetières
municipaux ont pu être créés dans de
nombreuses communes pour respecter les
rites funéraires musulmans. La célébration
de la cérémonie religieuse de l’Aïd-el-
Kebir est accompagnée par les ministères
de l’Agriculture et de l’Intérieur afin de
garantir un bon déroulement des opérations
d’abattage. Des aumôneries musulmanes
ont été créées dans les services publics.
L’absence « naturelle » d’institutionnalisation
de l’islam sunnite en France a toutefois
posé très tôt la question de l’interlocuteur
naturel de l’État. Le besoin d’une instance
représentative du culte musulman s’est fait
ressentir dès la fin des années 1980. À
cette époque, le paysage religieux français
compte quelques associations cultuelles
musulmanes déclarées dans le cadre
fixé par la loi de 1901. Aux côtés de la
Fédération nationale de la Grande Mosquée
de Paris, de sensibilité algérienne, l’Union
des organisations islamiques de France
(UOIF), de tendance Frères Musulmans, voit
le jour en 1983 et la Fédération nationale
des musulmans de France (FNMF), de
sensibilité marocaine, créée en 1985 sont
les premières à s’implanter. Elles sont bientôt
rejointes par le Comité de coordination des
musulmans turcs de France (CCMTF), créé
en 1986 et directement lié à la présidence
des affaires religieuses de Turquie, et la
Fédération française des associations
islamiques d’Afrique, des Comores et des
Antilles (FFAIACA, 1989). Le paysage
religieux musulman de France se diversifie
donc, quand, jusqu’alors, n’existait que
la Grande Mosquée de Paris fondée en
1926, interlocuteur quasi-exclusif de l’État
français pour les questions relatives au culte
musulman sur le territoire.
L’émergence de l’idée de création d’une
instance représentative de l’islam
en France coïncide avec un contexte
international troublé.
En 1986, la France
connaît ses premiers
attentats terroristes;
la condamnation de
Salman Rushdie par
le monde musulman
après la parution de ses
Versets sataniques et
les premières « affaires
de voile », à Creil, en
1989 incitent le ministre
de l’Intérieur de l’époque, Pierre Joxe,
à lancer dès la fin de l’année 1989 un
Conseil de réflexion de l’Islam de France
(Corif). L’expérience ne sera que de courte
durée, mais peut être considérée comme la
première tentative d’institutionnalisation du
culte musulman en France. Les successeurs
de Pierre Joxe reprendront cette idée. Charles
Pasqua (1986-1988 et 1993-1995), alors
ministre de l’Intérieur, introduira néanmoins
une parenthèse, dans le contexte de la
guerre civile algérienne, en privilégiant
une gestion diplomatique et sécuritaire de
l’islam de France. Jean-Pierre Chevènement
(1997-2000), lancera l’istichara (ou
« consultation », en français), qui aboutira
en 2003 à la création du Conseil français
du culte musulman (CFCM).
Les contours de cet organe représentatif
feront l’objet d’intenses débats avant de
se fixer. À l’instar du Consistoire israélite,
c’est en principe la représentation des
fidèles sur toutes les questions relatives
au culte que cette instance doit assurer.
Néanmoins, le CFCM n’est pas constitué
de représentants religieux et rassemblent
des gestionnaires du culte musulman. Un
L’absence
« naturelle »