Quelle relance ? Jacques BICHOT Economiste Professeur émérite à l’université Lyon 3 11 mai 2012 … peut-on pratiquer sans trop aggraver l’endettement en proportion du PIB ? Le Président élu souhaite ne pas engager la France dans une spirale récessive : diminuer les dépenses publiques déboucherait sur moins d’activité, ce qui signifierait moins de revenus du travail, donc plus de dépenses sociales et moins de rentrées fiscales, c’est-à-dire plus de déficit, d’où la nécessité d’un nouveau tour de vis, etc. Il faut effectivement éviter ce piège, analogue à celui dans lequel la Grèce semble être tombée. Mais comment faire ? La comparaison entre relance par la distribution de revenus pour stimuler la consommation et relance par l’investissement public éclaire la recherche de solutions. Miser sur la consommation privée en augmentant les prestations sociales, ou en s’abstenant d’en diminuer certaines, implique une importante perte en ligne. En effet, les revenus disponibles ne sont pas entièrement dépensés – le Français est plus "fourmi" que "cigale" – et une trop grande part de la dépense se porte sur des produits importés, ce que ne changeront pas des incantations sur le thème "produire en France". On ne peut même pas obtenir un meilleur résultat en centrant davantage la distribution de revenus de transfert sur les ménages les plus modestes, car s’ils épargnent moins, il est probable qu’ils achètent proportionnellement plus de produits importés, le "made in China" étant moins cher que le "fabriqué en France". En revanche, l’investissement public, particulièrement en infrastructures, se traduit presque totalement par une augmentation de la production nationale. La perte en ligne est nettement moindre. Pour augmenter le PIB d’un milliard, il suffit par ce canal d’emprunter à peine davantage, disons par exemple 1,2 milliard au lieu de 1,6 dans le cas précédent. Moralité : quand on a très peu de marge de manœuvre pour emprunter, mieux vaut le faire pour construire des routes, des centrales nucléaires ou des sous-marins que pour maintenir le pouvoir d’achat des retraités ou créer des emplois bidon. Le même raisonnement vaut pour les réductions de dépenses. Les élus (de droite comme de gauche) sont tentés de couper dans les dépenses d’investissement plutôt que dans les prestations sociales. Malheureusement, l’enfer économique est pavé de bonnes intentions sociales. Diminuer les dépenses d’un milliard en réduisant les commandes d’avions de chasse et le rythme de construction des lignes à grande vitesse ampute davantage le PIB qu’une économie de même ampleur sur les pensions ou les indemnités de chômage. Il faut aussi comparer les résultats des réductions de dépenses publiques à ceux que l’on pourrait obtenir en libérant les activités productives de divers obstacles administratifs. La première formule nuit au PIB en même temps qu’elle freine l’augmentation de la dette, si bien que son résultat n’est pas merveilleux quant au rapport entre dette et PIB. En revanche, la suppression de contraintes administratives stimule la production (donc le PIB) et freine l’accroissement de la dette (plus d’activité signifiant davantage de rentrées fiscales et sociales). Prenons un exemple. Un particulier fait repeindre sa maison. En discutant avec l’entrepreneur, il s’aperçoit que le crépi aurait besoin d’être remplacé. Tous deux seraient prêts, l’un à prolonger le chantier, l’autre à débourser le supplément requis : voilà qui serait bon pour le PIB et l’emploi ! Oui, mais la réfection du crépi, à la différence des travaux de peinture, nécessite un permis de travaux. Le délai d’obtention de ce permis est en principe un mois à partir du dépôt de la demande, en fait plutôt deux mois. Or le propriétaire n’a pas envie de subir un second épisode de travaux ; quant à l’entreprise, elle aurait fait le travail dans la foulée, étant alors en manque de commandes, tandis qu’elle a un important chantier en vue pour dans deux mois. Résultat : le crépi n’est pas rénové, l’activité est moindre qu’elle n’aurait pu être. Une règle administrative dépourvue d’utilité débouche sur un PIB inférieur à ce qu’il aurait été sans elle. Autre exemple : combien d’artisans travaillent seuls, alors qu’ils engrangeraient facilement assez de commandes pour embaucher ? Ils préfèrent refuser des chantiers rémunérateurs plutôt que de prendre un ou des compagnons, parce qu’ils redoutent les complications, notamment administratives, que leur imposeraient le code du travail et celui de la sécurité sociale. Leurs clients potentiels, au lieu de dépenser, financent par leur épargne les indemnités de chômage des travailleurs restés sans emploi parce que la condition d’employeur, à force de règlements, est devenue un fardeau. Supprimer le fatras de règles bureaucratiques qui entravent l’initiative et l’activité est ce que l’on pourrait faire de plus utile pour assainir les finances publiques, développer l’emploi et augmenter le pouvoir d’achat. Les dirigistes, de gauche comme de droite, devraient certes faire violence à leur penchant naturel pour œuvrer au démantèlement progressif des obstacles administratifs à la croissance, mais ne vivons-nous pas un marasme économique et une langueur de l’emploi qui justifieraient une telle conversion ?