LA COMPENSATION DES ATTEINTES À LA BIODIVERSITÉ :
LORSQU’IL N’Y A PAS D’AUTRES SOLUTIONS
PRINCIPES COMPTABLES POUR METTRE EN OEUVRE LA SÉQUENCE
« ÉVITER - RÉDUIRE - COMPENSER »
CHARLES GERMANEAU, FABIEN QUÉTIER, JULIE GOBERT, LAURE PERSEGOL, MARC BARRA & JOËL HOUDET
SYNERGIZ
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D
ans un contexte marqué par une actualité
croissante sur l’érosion de la biodiversité, les
entreprises prennent peu à peu conscience de leurs
responsabilités. Cela s’illustre notamment par des
avancées méthodologiques en matière de comptabilité des
interdépendances entre entreprises et biodiversité (impacts
et dépendances)1 et par l’évolution de la réglementation,
notamment en France (Grenelle de l’Environnement,
réforme des études d’impacts, loi européenne sur la
responsabilité environnementale). Dans ce même pays,
la formulation d’une doctrine nationale sur la séquence «
éviterréduire – compenser » (séquence ERC) les atteintes
à la biodiversité devrait prochainement être publiée.
Ce cahier technique a deux principaux objectifs. D’une
part, il vise à faire le point sur les enjeux théoriques et
techniques de la séquence ERC : sa portée ne se limite
ni aux projets soumis à l’évaluation environnementale
et aux impacts accidentels, ni aux frontières françaises.
D’autre part, ce cahier technique propose aux maîtres
d’ouvrage d’utiliser des cadres comptables écologiques
et économiques, rigoureux et transparents, pour mettre en
œuvre la séquence ERC de manière satisfaisante, quel que
soit le pays ou le projet concerné.
Aussi, dans un premier temps, nous nous intéressons
aux principes de la séquence ERC, et en particulier
à l’importance de la satisfaction des équivalences
écologiques entre attributs de biodiversité impactés et
attributs visés par les mesures compensatoires. Ensuite,
nous examinons les différents risques liés à la mise en
œuvre de mesures compensatoires. Au-delà des aspects
écologiques, légaux, nanciers ou institutionnels, nous
invitons les rmes à prendre plus systématiquement en
compte les dimensions sociales et culturelles de leurs
projets (en particulier lorsqu’elles opèrent à l’étranger); cela
an de s’assurer de l’acceptation des mesures préconisées
par toutes les parties prenantes, notamment les populations
locales directement concernées.
Enn, nous examinons les différents modèles de
comptabilité écologique et économique pour
appliquer la séquence ERC de manière socialement
et écologiquement acceptable, tout en s’assurant de
la viabilité nancière du projet. A terme, cela pourrait
impliquer plus d’investissements dans des alternatives qui
permettent d’éviter et de réduire les impacts au maximum
(infrastructures éco-conçues, ingénierie écologique2).
En effet, réaliser des mesures compensatoires efcaces
entrainerait des surcoûts trop onéreux dans nombre de
cas : cela pourrait rapidement inciter les entreprises à
changer de comportement. Mettre en œuvre de manière
rigoureuse la séquence ERC constituerait un des
catalyseurs clefs pour une économie réellement verte,
fondée sur le maintien et l’amélioration du potentiel
naturel, et non pas la réparation des dommages.
1 Synergiz, en partenariat avec Natureparif, travaille sur un guide « Bilan Biodiversité » à paraître n 2012.
2 Houdet, J., Barra, M., Germaneau, C., 2011. L’ingénierie écologique pour les entreprises : comment répondre à vos besoins tout en protégeant la
biodiversité ? Cahier technique 2011-02, Synergiz - GAIE, 11p. – http://www.synergiz.fr/?p=718 1/25
Ca h i e r t e C h n i q u e 2012-01
LA COMPENSATION DES ATTEINTES À LA BIODIVERSITÉ :
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PRINCIPES COMPTABLES POUR METTRE EN OEUVRE LA SÉQUENCE ÉVITER - RÉDUIRE - COMPENSER
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SOMMAIRE
Introduction : la séquence éviter – réduire – compenser
1. Eviter, réduire, puis compenser : l’importance des équivalences écologiques
1.1. Tendre vers l’horizon de zéro perte nette de biodiversité
1.2. La notion d’équité pour une compensation acceptable
1.3. Développer des équivalences écologiques désagrégées
2. Maîtriser les risques liés à la compensation
2.1. Les risques liés aux facteurs écologiques
2.2. Les dimensions socio-culturelles
2.3. Les facteurs légaux, nanciers et institutionnels
3. Quantier les pertes et les gains de biodiversité : les modèles de comptabilité écologique et économique
3.1. Les différentes approches pour évaluer les équivalences écologiques
3.2. Les implications économiques pour l’entreprise
Conclusions
Annexes
Figures et tableaux
Références
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(Crédit photo : Kalense Kid - Flickr)
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INTRODUCTION : LA SÉQUENCE
EVITER - RÉDUIRE - COMPENSER
Le principe de la compensation des impacts résiduels
sur la biodiversité existe en France depuis la loi du
10 juillet 1976 relative à la protection de la nature. Il a
depuis été repris dans de nombreux textes législatifs et
réglementaires, tant européens (directive habitats, faune,
ore3, directive plans et programmes4) que nationaux
(études d’impacts, code de l’environnement et régime
ICPE, évaluation des incidences Natura 2000, études des
incidences – loi sur l’eau).
Dans un cadre propre à chacune des réglementations
concernées, qui en précise les modalités, la compensation
intervient pour contrebalancer les effets négatifs d’un
projet de travaux, d’ouvrages ou d’aménagements, lorsque
toutes les mesures envisageables ont été mises en œuvre
pour éviter puis réduire les impacts négatifs dudit projet
sur la biodiversité. La compensation intervient donc à la
n de la séquence « éviter réduire compenser » (dite
ERC). Elle porte sur l’impact négatif « résiduel » éventuel
d’un projet et consiste, en dernier recours, à mener des
actions qui permettent de maintenir la biodiversité dans
un état équivalent ou meilleur à celui observé avant la
réalisation du projet.
Il s’agit bien de mettre en œuvre une compensation
« en nature » : la compensation monétaire est exclue du
dispositif.
3 La directive habitat, faune, ore est le nom d’usage renvoyant à la Directive 92/43/CEE sur la conservation des habitats naturels de la faune et de la ore
sauvages, et instituant le réseau Natura 2000.
4 Directive 2001/42/CE du 27 juin 2001, relative à l’évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l’environnement.
5 Les décrets portant réforme des études d’impact et enquêtes publiques ont été publiés le vendredi 30 décembre 2011.
6 L’article 2 de la loi n°76-629 du 10 juillet 1976 stipule que les projets doivent faire l’objet d’une étude d’impact présentant, entre autres, « les mesures
envisagées pour supprimer, réduire et, si possible, compenser les conséquences dommageables pour l’environnement »
Malgré les textes réglementaires faisant référence à la
séquence ERC, on constate depuis plusieurs décennies
en France que « l’exploitation des espèces à un rythme
supérieur à la vitesse de renouvellement de leurs
populations entraîne leur déclin » (Stratégie nationale
pour la biodiversité 2011-2020, MEDDTL, 2011). Si
le renforcement de la réglementation depuis 2007 et le
nouveau décret relatif à l’étude d’impact5 suscitent un
renouveau du dispositif de 19766 et offrent l’opportunité
d’une meilleure intégration des questions de biodiversité
dans les décisions d’aménagement, la mise en œuvre
de la séquence ERC sur le terrain est peu évidente faute
de méthodologie et de protocole clairs. On compense
1 hectare de forêt par 10 hectares de prairie, on déplace
une espèce dans un nouvel habitat sans se soucier des
effets sur le long terme, on plante des alignements
d’arbres en monoculture sans s’interroger sur la viabilité
de l’écosystème sans la diversité fonctionnelle adéquate.
Toutefois, compenser avec exactitude l’intégralité et les
spécicités de chaque site impacté est illusoire, car chaque
site impacté est unique, notamment du fait de sa situation
géographique, de sa trajectoire historique et de ses usages.
Par ailleurs, il n’est pas possible de concevoir un indicateur
unique « miracle », capable de mesurer le « niveau » de
biodiversité initial. Les paramètres à prendre en compte sont
multiples et dépendent de chaque enjeu considéré : espèces,
habitats, fonctionnalités socio-écologiques, ou encore
services écologiques utilisés par diverses parties prenantes.
Vous l’aurez compris, la dimension socio-culturelle de la
séquence ERC ne doit pas être négligée (Gobert 2010 ;
Landsberg et al., 2011) : une attention toute particulière
doit être portée aux populations humaines impactées
par le projet, notamment au niveau des changements de
disponibilité des services écologiques qu’elles utilisent.
Pour remédier à ces lacunes et passer de la théorie à
l’action, une des clefs se situe dans le développement d’une
comptabilité d’équivalences écologiques désagrégées (se
reporter au Tableau 1 p. 8). Celle-ci implique une évaluation
adéquate de chacun des attributs potentiellement impactés.
(Crédit photo : Julien Bertrand)
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PRINCIPES COMPTABLES POUR METTRE EN OEUVRE LA SÉQUENCE ÉVITER - RÉDUIRE - COMPENSER
1 - EVITER, RÉDUIRE, COMPENSER : L’IMPORTANCE
DES ÉQUIVALENCES ÉCOLOGIQUES
1.1. Tendre vers l’horizon de zéro perte nette de
biodiversité
La séquence ERC vise à respecter le principe de « zéro
perte nette » de biodiversité, une expression qui mérite
quelques explications.
Le concept de « zéro perte nette » de biodiversité désigne le
point où les gains générés par des mesures compensatoires
deviennent équivalents aux pertes dues aux impacts
d’un projet. Ainsi, s’il y a bien destruction de certains
éléments de biodiversité, les mesures compensatoires
sont censées permettre d’atteindre la neutralité
écologique du projet, par la restauration d’attributs
équivalents à ceux qui ont été détruits ou dégradés, et
leur sécurisation sur le long-terme (en perpétuité, sinon
8 Code de l’environnement, Article L122-1, modié par LOI n° 2010-788 du 12 juillet 2010 - art. 230
la compensation n’a pas de sens7). Pour aller plus loin, la
notion de gain net signie que les gains de biodiversité
sont plus importants que les pertes (BBOP 2009).
La capacité de tendre vers l’horizon de zéro perte nette
repose sur l’évaluation de l’état socio-écologique initial
des milieux potentiellement impactés, cela an de pouvoir
comparer dans l’espace et dans le temps l’évolution des
attributs de biodiversité soumis à la séquence ERC : avant
et après impact mais aussi avant et après compensation.
A titre d’exemple, la réglementation française impose une
étude d’impact pour tout projet d’aménagement8, soit « une
analyse de l’état initial du site et de son environnement,
portant notamment sur les richesses naturelles et les
espaces naturels agricoles, forestiers, maritimes ou de
loisirs, affectés par les aménagements ou ouvrages ; (...),
une analyse des effets directs et indirects, temporaires
et permanents du projet sur l’environnement (…) ».
La hiérarchie des mesures est primordiale pour la mise en œuvre de la séquence ERC.
Tout d’abord, le porteur de projet devrait s’efforcer d’éviter toute atteinte à la biodiversité. Cette première étape est la plupart du
temps négligée : de nombreux impacts non évités sont aisément identiables pour nombre de projets. En effet, un projet est rarement
abandon ou entièrement repenpour cause d’impacts irversibles sur la biodiversité. Sa rentabilité économique prend souvent le
dessus sur ses impacts environnementaux ou sociaux. Ceci conduit certains gouvernements à fermer les yeux sur des projets désastreux.
Dans certains cas toutefois, des projets ont dû être abandonnés en raison de manifestations locales et de pressions médiatiques trop
importantes. C’est notamment le cas d’un projet de mine de gisement d’or en Guyane, qui a été abandonnée sur cision du président
de la république française. Au Venezuela, le gouvernement refuse pour le moment d’exploiter les nappes de pétrole situées au cœur
du Parc National de Yasuni (les ts engendrés seraient pour l’essentiel irréversibles) et demande à la communau internationale
de partager les coûts d’opportunités associés à leur non-exploitation. D’autres projets sont malheureusement moins médiatisés et les
communautés locales souvent démunies face à certaines multinationales. Par exemple, on peut mentionner les mines de cuivre en
Zambie ou l’exploitation forestière incontrôlée en république Démocratique du Congo.
S’il n’est pas possible d’éviter toutes les atteintes, les mesures de réduction devraient être mises en œuvre pour l’ensemble
des phases du cycle de vie du projet. C’est au niveau des phases de construction et d’usage / d’exploitation que les entreprises
font souvent le plus d’efforts, même s’il est rare qu’elles s’intéressent à un impact clef, celui de la fragmentation du paysage
(infrastructure routière, projets immobiliers).
Les impacts non évités ou réduits, dits résiduels, devraient systématiquement faire l’objet d’une compensation en nature
sur un horizon de zéro perte nette. En d’autres termes, les mesures compensatoires viennent en dernier recours, lorsqu’il est
démontré que le maître d’ouvrage ne peut ni éviter, ni réduire les impacts de son projet.
En complément des actions compensatoires, le porteur de projet peut volontairement mettre en place des mesures additionnelles
de conservation.
Enn, la mise en place systématique de mesures de suivi des actions d’évitement, de réduction et de compensation est
préconisée. Il s’agirait pour le porteur du projet d’en évaluer la performance sur le long terme, et de rendre compte de l’atteinte
(ou non) de l’objectif de zéro perte nette à ses diverses parties prenantes. Cela impliquerait de jouer sérieusement au jeu de la
transparence, par exemple via un site internet rendant publiques l’ensemble des données.
Encadré 1 - Éviter, réduire, compenser : Ne pas oublier l’ordre !
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En d’autres termes, la conception des mesures compensatoires
devrait se réaliser sur la base d’une comparaison quantiée
et détaillée (désagrégée) entre cet état initial et l’état attendu,
après projet, des différents sites affectés par la séquence
ERC. La compensation appelle ainsi à la quantication des
équivalences écologiques entre ce qui est impacté et ce qui
doit être compensé.
Dans le cas de la compensation par l’offre, le maître
d’ouvrage se tourne vers un opérateur qui a déjà alisé
une action pouvant servir de mesure compensatoire (ex.
projet Coussoul dans la plaine de la Crau piloté par la CDC-
biodiversité), il s’agirait de démontrer les équivalences
écologiques entre les impacts résiduels éventuels du maître
d’ouvrage et les mesures compensatoires réalisées ex ante
par l’opérateur.
Toutefois, il convient de rappeler que le principe de
précaution implique d’éviter les gâts irréversibles. On
ne peut pas considérer comme mesure compensatoire
adéquate des actions portant sur des milieux que l’on n’est
pas en mesure de réhabiliter, de restaurer ou de curiser.
De plus, l’anticipation des gains générés par les mesures
compensatoires est parfois difcile, en particulier pour
certaines espèces aux longs cycles de vie ou pour certains
milieux complexes dont le temps de reconstitution peut
dépasser les siècles (forêts anciennes, tourbières). Aussi, la
faisabilité de la compensation devrait être systématiquement
démontrée et les résultats des mesures compensatoires
mesurés et mis à disposition du plus grand nombre (par
exemple via diffusion sur un site internet indépendant). Cela
nécessiterait la sélection ou le développement d’indicateurs
appropriés sur le cours, le moyen et le long terme.
Autre nécessité, la mise en place d’objectifs et de jalons
permettant une certaine exibilité dans la mise en œuvre de
la séquence ERC an de:
pallier au manque de connaissance sur les dynamiques
d’interactions entre les composantes de la biodiversité
sur le site impacet ceux dédiés à la compensation ;
mieux contrôler l’atteinte ou non de ro perte nette,
en fonction des échéances et objectifs spatio-temporels
du projet ;
mieux intégrer la dimension sociale dans l’adaptation
locale de la séquence ERC.
Une démarche commune de conception et
dimensionnement des mesures compensatoires
Différentes procédures ont été élaborées pour concevoir
et dimensionner les mesures compensatoires dans les
différents pays ayant intégrés la séquence ERC dans leur
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PRINCIPES COMPTABLES POUR METTRE EN OEUVRE LA SÉQUENCE ÉVITER - RÉDUIRE - COMPENSER
Figure 1 : conception et dimensionnement de la compensation (Quétier et Lavorel, 2011)
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