Revue
Aspects législatifs de l’accueil d’embryons
Legislative aspects of embryo donation
Frédérique Dreifuss-Netter
Faculté de droit
de l’Université Paris Descartes
Directrice du Centre de Recherches
en droit médical
Résumé.L’accueil d’embryons a été créé par la loi du 29 juillet 1994 afin d’éviter la
destruction des embryons surnuméraires issus de fécondation in vitro. Il est soumis aux
dispositions régissant l’assistance médicale à la procréation. En outre, le législateur a régle-
menté les conditions dans lesquelles le couple à l’origine de la conception doit donner son
consentement. Quant au couple d’accueil, il doit obtenir l’autorisation d’un juge qui vérifie
qu’il présente toutes les garanties éducatives dans l’intérêt de l’enfant à naître. La loi du 6 août
2004 relative à la bioéthique et le décret d’application en date du 22 décembre 2006 ont
précisé les conditions dans lesquels des centres d’assistance médicale à la procréation
peuvent être autorisés à exercer cette activité ainsi que les responsabilités des différentes
équipes de cliniciens et de biologistes impliquées dans le processus. L’accueil d’embryons a
été très peu mis en œuvre jusqu’ici en France.
Mots clés : embryon surnuméraire, loi du 29 juillet 1994, loi de bioéthique
Abstract.Embryo donation was implemented by law passed in July 29
th
1994, in order to
prevent the destruction of supernumerary embryos conceived through in vitro fertilization.
The french regulations concerning human reproduction apply to embryo donation. The
embryos’ gametes providers must give informed consent and a judge must formally authorise
the donation to the recipient couple. The new law of August 6
th
2004, followed by a
governmental decree (december 2006), is clearer about the requirements medical centers
have to fulfill in order to proceed to embryo donation and about their responsibilities in the
process. However, only a small number of children have been born in France following
embryo donation.
Key words: supernumerary embryo, law of July 29
th
1994, law of August 6
th
2004
L’accueil d’embryons occupe une
place à part au sein des techni-
ques d’assistance médicale à la pro-
création. Lors du vote des lois de
1994, il s’agissait moins de pallier
l’infertilité d’un couple que de procé-
der au « sauvetage » des embryons
surnuméraires
1
. Le terme d’« ac-
cueil » employé dans la loi tandis que
les gamètes font l’objet de « don » est
significatif de la volonté de ne pas
considérer les embryons in vitro
comme des choses et de permettre
leur développement et leur naissance
au sein d’une famille. Il ne s’agit pas
d’une technique de routine mais d’un
processus dont le législateur a souli-
gné à deux reprises le caractère « ex-
ceptionnel », tant pour le couple à
l’origine de l’embryon que pour le
couple d’accueil
2
.
A la différence des autres modes
d’AMP nécessitant les gamètes d’un
tiers, la prise en compte de l’intérêt du
futur enfant se marque par l’interven-
tion d’un juge aux fins de contrôler les
capacités éducatives du couple de-
mandeur. Pour autant, l’accueil d’em-
bryon n’est pas assimilable à une
adoption, dans la mesure où le ratta-
chement de l’enfant à sa famille ne
s’effectue pas en justice. L’établisse-
ment de la maternité par accouche-
ment n’est pas différent de ce qui se
passe lors du don d’ovocytes, celui de
la paternité obéit aux mêmes mécanis-
mes que l’insémination artificielle
avec donneur, avec des modalités dif-
férentes selon que le couple est marié
1
C’est pourquoi, en revanche, le double don
demeure interdit (CSP art L 2141-3).
2
CSP art L 2141-5 et L 2141-6.
mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie 2008 ; 10 (1) : 21-3
médecine thérapeutique
Médecine
de la Reproduction
Gynécologie
Endocrinologie
Tirés à part : F. Dreifuss-Netter
doi: 10.1684/mte.2008.0125
mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie vol. 10, n° 1, janvier-février 2008 21
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
ou non
3
. En outre, l’accueil d’embryon demeure une
activité d’assistance médicale à la procréation soumise
aux principes généraux d’anonymat
4
et de gratuité
5
.
L’admission de principe résulte des lois de 1994 dites
de bioéthique, mais il a fallu attendre cinq ans avant la
parution du décret d’application (D. n° 99-925 du 2
novembre 1999 Journal Officiel du 6 novembre). Les
CECOS ont ensuite décidé d’un moratoire afin de réfléchir
sur les enjeux de cette nouvelle forme d’AMP pour les
couples et les enfants à naître. La loi du 6 août 2004 a
introduit quelques modifications dans les dispositions lé-
gislatives relatives à l’accueil d’embryon. Elle a été com-
plétée par le décret du 22 décembre 2006 qui a réécrit la
partie réglementaire correspondante du Code de la santé
publique (Décret n° 2006-1660 du 22 décembre 2006 ;
CSP art R 2141-2 à R 2141-13). La loi et le décret ont
précisé les conditions auxquelles est soumis l’accueil
d’embryons et aménagé les étapes de son déroulement.
Les conditions de l’accueil
d’embryons
Elles sont relatives au couple à l’origine de la concep-
tion de l’embryon et au couple d’accueil.
Le couple à l’origine de la conception
En vertu de l’article L 2141-5 du Code de la santé
publique, un couple ayant lui-même procédé à une fécon-
dation in vitro peut consentir exceptionnellement et par
écrit à ce que ses embryons soient accueillis par un autre
couple. Il en est de même lorsque l’un des membres du
couple est décédé, l’autre étant consulté également par
écrit sur le point de savoir s’il consent à l’accueil des
embryons. Cette disposition apparaît inutilement cruelle
lorsque l’homme est décédé puisque la loi ne permet pas
à la femme d’obtenir elle-même le transfert
6
. L’expression
du consentement doit être précédée d’entretiens du cou-
ple avec l’équipe pluridisciplinaire du centre. Il doit pou-
voir rencontrer un psychiatre ou un psychologue. La te-
neur de l’information est précisée à l’article R 2141-2 du
Code de la santé publique. Le consentement doit être
confirmé dans un délai de trois mois. L’homme et la
femme à l’origine de l’embryon doivent se soumettre à des
tests de sécurité sanitaire au moins six mois après la
congélation afin de détecter les infections latentes lors de
la fécondation. La liste des affections à rechercher (R
2141-3) est moins complète que pour le don de gamètes et
ne comporte pas de tests génétiques. Outre les tests pro-
prement dits, les antécédents personnels et familiaux du
couple ainsi que les données cliniques doivent être re-
cherchés et conservés par le centre, sous forme rendue
anonyme, dans un dossier archivé de manière à préserver
la confidentialité. Le consentement à l’accueil vaut
consentement à la conservation des données. Ces forma-
lités rendent très improbable l’accueil des « stocks »
d’embryons actuellement détenus par les laboratoires car
leurs géniteurs sont souvent décédés ou perdus de vue.
Dans le cas contraire, il faudrait, pour que l’accueil abou-
tisse, qu’ils acceptent de donner leur consentement des
années après la fin de leur projet parental et qu’ils se
soumettent aux tests sanitaires.
Couple d’accueil
Pour ce qui est du couple d’accueil, il doit remplir
l’ensemble des conditions que la loi exige pour accéder à
l’assistance médicale à la procréation. En outre, l’article
L 2141-6 réserve cette indication aux seuls couples pour
lequel l’assistance médicale à la procréation sans tiers
donneur ne peut aboutir. Mais l’expression « à titre excep-
tionnel » employée par le législateur fait penser qu’il vaut
mieux proposer l’accueil d’embryon à des couples pour
lesquels une autre technique d’AMP avec donneur a peu
de chances de réussir, par exemple un couple qui cumule
une cause masculine et une cause féminine d’infertilité,
ou une cause d’infertilité et le risque de transmettre une
maladie génétique. La logique de la loi n’est cependant
pas très lisible, car, si l’accueil a pour objectif de réintégrer
les embryons in vitro au cœur d’un projet parental, on ne
voit pas pourquoi il devrait demeurer exceptionnel.
Comme pour les autres techniques d’AMP avec don-
neur, le couple receveur doit donner son consentement
dans un premier temps à l’équipe médicale, à laquelle doit
s’adjoindre un psychologue ou un psychiatre, puis dans
un deuxième temps devant un juge ou un notaire, ce qui
permettra de sécuriser la filiation
7
. Mais alors que le rôle
du juge se borne, en matière de dons de gamètes, à
recueillir le consentement, l’autorité judiciaire intervient à
nouveau au cours de la procédure pour contrôler l’apti-
tude du couple d’accueil sur le plan familial, éducatif et
3
Dans les couples mariés, la filiation paternelle découle de la présomp-
tion de paternité (pater is est quod nuptiae demonstrant). Dans les couples
non mariés, elle résulte de la reconnaissance de paternité. Lorsque
l’enfant est issu d’une procréation médicalement assistée, le consente-
ment donné devant un juge ou un notaire interdit toute action ultérieure
en contestation de filiation. En outre, le compagnon qui ne reconnaîtrait
pas l’enfant né après l’accueil d’embryon pourrait engager sa responsabi-
lité ou se voir déclaré père contre son gré. Cf CSP art L 2141-10 in fine et
et C Civ. Art. 311-20.
4
CSP art L 2141-6 al 3 et L 2162-6 pour les sanctions pénales. L’anony-
mat propre aux dons de gamètes distingue l’accueil d’embryon de l’adop-
tion. En effet, contrairement à l’adoption, il n’existe pas en l’espèce de
jugement public constatant la filiation. Les parents seront donc totalement
libres de lui révéler ou non les circonstances de sa conception.
5
L 2141-6 alinéa 4 et L 2162-1 pour les sanctions pénales.
6
Le couple doit être vivant lors du transfert (CSP art L 2141-2). Voir avant
l’entrée en vigueur de la loi l’arrêt rendu par la Cour de cassation dans
l’affaire Pires, Civ I 9 juillet 1996, Rec. Dalloz 1996 Jurispr. p 376, note
F. Dreifuss-Netter. La solution actuelle est en outre illusoire puisque les
tests sanitaires nécessaires à l’accueil ne pourront plus être réalisés s’ils ne
l’ont été auparavant.
7
Sur ce mécanisme, voir note 3.
Revue
mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie, vol. 10, n° 1, janvier-février 2008
22
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
psychologique et lui délivrer une autorisation, ce qui
rapproche l’accueil d’embryon de l’adoption
8
.
Les étapes de l’accueil d’embryons
La mise en œuvre de l’accueil se fait en plusieurs
étapes médicales, entre lesquelles s’intercale la nécessaire
étape judiciaire.
La prise en charge de chacun des couples par
des équipes médicales
Le décret de 2006 a précisé les rôles de chacun des
professionnels. En effet, le couple à l’origine de la concep-
tion est tout d’abord pris en charge par l’équipe pluridis-
ciplinaire du centre qui conserve ses embryons issus de la
fécondation in vitro. C’est cette équipe qui procède aux
formalités de consentement et d’information et constitue
le dossier médical. Si elle n’est pas titulaire de l’autorisa-
tion spécifique de conservation en vue d’un accueil, elle
doit ensuite transférer les embryons à un centre qui l’a
obtenue. Car c’est là une nouveauté issue de la loi du
6 août 2004 relative à la bioéthique : la mise en œuvre de
l’accueil d’embryon nécessite désormais la réunion
d’autorisations cliniques et biologiques spécifiques, au
sein de centres qui doivent être implantés dans un établis-
sement public ou privé à but non lucratif
9
. Ce dernier
procède aux vérifications à caractère sanitaire et recueille
la confirmation du consentement. Il en adresse deux
exemplaires au président du tribunal de grande instance
ou son délégué, lequel peut éventuellement entendre le
couple à l’origine de la conception. Après retour d’un
exemplaire, le praticien agréé constitue un dossier relatif
au couple qui contiendra, outre les informations relatives
aux tests sanitaires et à sa santé, celles relatives au devenir
de ces embryons. Ces informations « sensibles » parce
qu’elles permettent de faire le lien entre l’enfant à naître et
le couple à l’origine de sa conception, seront conservées
pendant quarante ans, sous forme codée, dans des lieux
protégés à accès restreint.
Le centre agréé pour l’accueil prend également en
charge le couple désirant accueillir l’embryon. Ce couple
doit avoir eu au moins un entretien avec l’équipe pluridis-
ciplinaire du centre à laquelle doit s’adjoindre un psycho-
logue ou un psychiatre. Le clinicien spécialement agréé
doit certifier que le couple a été informé, remplit les
conditions légales et ne présente pas de contre-indications
médicales à l’accueil. Il transmet un exemplaire de ce
certificat au juge.
La phase judiciaire
En application de l’article L 2141-6 du Code de la
santé publique, le couple doit porter sa demande d’ac-
cueil devant le juge du tribunal de grande instance du
domicile ou celui du centre si le couple réside à l’étranger.
Le décret du 22 janvier 2006 a précisé que cette demande
ne nécessite pas de recourir à un avocat. Si le consente-
ment solennel à l’AMP n’a pas encore été donné, le juge
recueille en outre ce consentement, contrôle que la pro-
cédure préalable a été respectée, puis il vérifie les capaci-
tés d’accueil du couple demandeur après avoir ordonné le
cas échéant une enquête. L’autorisation est valable trois
ans, ce qui permet pendant cette période de procéder
éventuellement à plusieurs tentatives de transfert. Elle est
signifiée au couple par lettre recommandée avec accusé
de réception. Le renouvellement éventuel a lieu dans les
mêmes formes. La loi est muette sur la possibilité d’un
recours en cas de refus.
La phase médicale de transfert
La remise de l’embryon par le biologiste agréé pour la
conservation des embryons en vue de leur accueil s’effec-
tue entre les mains du biologiste agréé qui va procéder à
leur décongélation, exerçant dans un centre d’assistance
médicale à la procréation qui réunit les autorisations
cliniques et biologiques nécessaires pour la fécondation in
vitro, pas nécessairement dans le cadre de l’accueil. L’em-
bryon est accompagné d’un document mentionnant les
coordonnées du centre qui conserve le dossier du couple,
les résultats des tests sanitaires sous forme anonyme et
l’identité du couple à qui est destiné l’embryon. Ainsi,
la traçabilité est assurée sans porter atteinte à l’anonymat.
Le clinicien agréé du centre, avant de procéder au trans-
fert, devra se faire remettre une copie de l’autorisation
judiciaire.
La complexité de la procédure d’accueil d’embryons
ainsi que la double intervention du juge traduisent l’ambi-
valence du législateur à l’égard de cette technique et
expliquent qu’elle demeure relativement peu usitée. La
protection des couples et de l’enfant à naître est un souci
louable. Néanmoins, les garde-fous mis en place ne doi-
vent pas dispenser d’une réflexion plus globale sur les
problèmes éthiques soulevés par l’accueil d’embryon. Sa
mise en œuvre, au carrefour du biologique et du social,
apporte en effet une réponse originale au grand débat sur
la filiation.
8
Mais le contrôle préalable à l’adoption est exercé par l’administration de
l’Aide sociale à l’enfance qui délivre un agrément et non par le juge.
9
CSP art L 2141-6 in fine et R 2142-7. L’exercice sans autorisation est
pénalement sanctionné, CSP, art. L 2162-3.
mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie vol. 10, n° 1, janvier-février 2008 23
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
1 / 3 100%