La renaissance d`une cité antique

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MONTRÉAL
MARDI
10
AOÛT
2004
S3
VERS ATHÈNES
La renaissance d’une cité antique
Après 50 ans de
négligence, Athènes a
fait le ménage dans sa
cour. Et pour la première
fois en un demi-siècle,
ses habitants peuvent
imaginer à quel point
leur ville, jadis, devait
être agréable à vivre.
ISABELLE HACHEY
À ATHENES
M
elina Mercouri, la
grande dame du cinéma grec, avait
comparé Athènes à
« une femme laide qui aurait
du charme ». Bien sûr, il y
avait le Parthénon, juché sur sa
roche sacrée. Mais, d’en bas,
ses augustes colonnes doriques
n’étaient visibles qu’à travers
le « nefos », ce nuage de pollution jaunâtre qui hantait la ville. À travers aussi les antennes
dressées sur des blocs hideux,
les câbles des vieux trolleybus,
les bouchons, la poussière, le
chaos.
La cité antique suffoquait.
« Athènes est une ville historique, construite sur un site millénaire, mais en même temps
une ville nouvelle, sans passé.
Quand elle a été désignée capitale du nouvel État hellénique,
en 1833, c’était un grand village de 4000 habitants », explique Dora Galanis, architecte et
directrice de la Société pour
l’unification des sites archéologiques d’Athènes (EAXA).
Dans les années 1950, les
Grecs ont abandonné en masse
leurs campagnes, ravagées par
la guerre civile. Dans la capitale, trouver une solution immédiate à la misère primait sur les
considérations architecturales
et environnementales. Il y eut
une orgie de construction, sans
contrôle de densité ni de hauteur. Et c’est ainsi qu’Athènes
devint une ville de béton, l’une
des plus crasseuses et anarchiques d’Europe, où étouffent
PHTO KAI PFAFFENBACH, REUTERS
Les Athéniens apprennent à regarder leur ville d’un oeil nouveau, alors que le mariage entre l’héritage historique et la modernité européenne
semble enfin réussir après des décennies de chaos.
quatre millions de personnes.
Mais, depuis peu, la capitale
respire mieux. Au pied de
l’Acropole, les Athéniens sirotent des cafés frappés à l’ombre
des terrasses qui bordent des
chemins pavés de pierres grises. Ils n’en reviennent pas : le
long de ces rues désormais fermées au trafic, les immeubles
sales et décrépits auxquels ils
n’avaient jamais accordé un regard se révèlent tout d’un coup
être de jolies villas, fraîchement rénovées après des années de négligence. Pour la
première fois, il leur est possible d’imaginer à quel point
leur ville, jadis, devait être
agréable à vivre.
« Avant, les bus de touristes
se garaient sur ces rues en double ligne et gardaient leur moteur ouvert pendant des heures
afin que les passagers restent
au frais. Il pouvait y avoir une
centaine de bus garés le long
de cette route où circulaient en
plus 50 000 voitures par jour,
raconte Mme Galanis. Une résidente m’a confié que pour la
première fois en 40 ans, elle
peut entendre le chant des oiseaux. Et quand elle lave ses
rideaux le matin, ils ne sont
plus noirs le soir même ! »
Athènes ne se reconnaît
plus. La Grande Promenade,
cette voie piétonne reliant les
sites archéologiques de la ville
— du Temple de Zeus à l’Agora antique, en passant bien sûr
par l’Acropole — est la « colonne vertébrale » de la vaste
opération de réhabilitation du
centre historique entreprise par
l’EAXA en 1998. La société,
créée par le gouvernement, dispose d’un budget de 100 millions d’euros (dont une partie
provient des fonds olympiques) pour refaire une beauté à
la ville.
Les 16 kilomètres de bande
piétonne ont été complétés il y
a quelques jours à peine. Et les
Athéniens sont tombés sous le
charme. L’après-midi ou,
mieux, le soir, quand la chaleur du mois d’août bat en retraite et que le Parthénon s’illumine de tous ses feux, ils se
promènent à pas lents le long
des oliviers et des sites antiques, traversant 3000 ans
d’histoire. C’est un peu comme
si, après une parenthèse d’un
demi-siècle, on assistait à la reconquête d’une ville par ses
habitants.
« Athènes change et nous
change, dit Mme Galanis.
Avant, il fallait renouveler les
bornes antistationnement tous
les deux mois parce que les
gens ne voulaient pas se faire
dire où se garer. Plus maintenant. Ce qui change, c’est la
réaction des Athéniens envers
leur ville. Ils l’aiment et commencent à en prendre soin. »
Athènes se modernise, et a
bien l’intention de le prouver
au monde pendant les Jeux.
Oubliez la moussaka et le sirtaki. Dites bonjour aux filles
longilignes de Kolonaki, invariablement vêtues de pantalons
taille basse et de chemisiers
moulants. C’est dans ce quartier chic que prolifèrent les cafés branchés et les boutiques
de mode. Le passage à l’euro
avait déjà entamé le processus.
À marche forcée, les préparations des Jeux ont fini d’européaniser la capitale.
Heureusement pour les
nostalgiques, tout ne s’est
pas envolé dans ce grand
vent de modernité. La ville
méditerranéenne, ce petit côté nonchalant et échevelé, on
les retrouve encore en se perdant, par exemple, dans les
rues de Pirée. Quand on
s’éloigne du port et de ses
bars à touristes, on découvre
les poissonniers qui hurlent
le dernier arrivage, les marchands de bric-à-brac, les
odeurs d’épices et les vieux
qui jouent aux dominos, recroquevillés sur les trottoirs.
Après avoir profité des
charmes de Pirée, on saute à
bord du nouveau tramway
ultramoderne qui nous ramène au centre-ville d’Athènes
sans bruit, sans pollution et...
avec l’air climatisé à plein régime. C’est encore plus jouissif qu’une crème glacée. Le
bonheur pour 0,60 euro.
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