Introduction - La naissance des macromolécules : Staudinger

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Contribution à l’histoire industrielle des polymères en France par Jean-Marie Michel
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INTRODUCTION - LA NAISSANCE des MACROMOLECULES : STAUDINGER .................................. 1
Graham, Ostwald ................................................................................................................................................ 1
Macromolécules .................................................................................................................................................. 3
La France et les macromolécules ........................................................................................................................ 5
A Paris:............................................................................................................................................................ 6
A Strasbourg ................................................................................................................................................... 7
A Mulhouse ..................................................................................................................................................... 7
A Lyon ............................................................................................................................................................ 7
INTRODUCTION - LA NAISSANCE des MACROMOLECULES : STAUDINGER
C'est en 1922, dans un article publié avec son collaborateur Fritschii qu'Hermann Staudinger
invente le terme de "macromolécules" définies comme de longs enchaînements moléculaires régis par
les seules lois de la chimie organique devenues classiques, c'est à dire les lois de valences suivant les
règles largement reconnues de Kekulé.
Avant 1860, les chimistes peinaient à établir un modèle valable pouvant expliquer les réactions
chimiques et la constitution de la matière. Vers 1858, Kékulé revendique la notion de valence. Chaque
élément est doté d'une atomicité (valence) invariable, déterminée par sa structure. La molécule est
l'assemblage géométrique de ces éléments par l'intermédiaire de ces liens de valence. Le carbone est
tétravalent. Quelques années plus tard, vers 1865, Kekulé complète sa théorie par sa description du
cycle benzénique qui ouvre, à la chimie organique, la porte au champ immense des composés
aromatiques.
Les théories de Kekulé sont simples, trop simples. On comprendra petit à petit que la liaison
chimique ne se résout pas à un trait de crayon tracé sur une feuille de papier entre les symboles de
deux atomes. Mais elles vont apporter aux chimistes organiciens un outil de compréhension et de
conception qui, malgré ses imperfections et approximations, s'avérera remarquablement profitable au
développement de la chimie organique, particulièrement en Allemagne.1
La proclamation de Staudinger, en fait l'affirmation d'une théorie nouvelle, fit grand bruit et leva
une cohorte de contradicteurs. Pourquoi ? Quel était l'état de la question à cette date ?
Au début du 20ème siècle, la chimie organique se confondait avec la chimie organique de
l’Ecole allemande qui était arrivée à un très grand degré de maturité. Les succès allemands étaient tels
que Bayer, fondateur d'un institut à Munich, pouvait écrire que « le champ de la chimie organique est
clos…et tout ce qui reste est la chimie des goudrons (schmiere, graisse)ii.» Ces résidus, n'ayant ni
point de fusion, ni température d’ébullition, c’est à dire ne possédant aucun de ces critères de
qualification auxquels se réfère tout chimiste organicien sérieux, étaient laissés pour compte par ces
derniers. D'autres s'en sont préoccupés.
Graham, Ostwald
En 1861, un chimiste écossais, Graham iiiconstate et rapporte que certaines substances telles
que: amidon, dextrine, gélatine, gomme etc. présentent la particularité de ne pas, ou peu, diffuser à
travers une membrane semi-perméable. Il fait ainsi une distinction entre deux classes de substances,
1
Durant les années qui suivent la divulgation des théories de Kékulé l'expansion de la chimie allemande devient
considérable. La symbolique de Kékulé y a contribué en apportant un outil pédagogique facilitant les échanges
scientifiques dans un pays constitué d’états, en favorisant l'émulation entre-eux, à travers Universités, Ecoles
techniques Supérieures, laboratoires dont celui de Leibig a été le prototype. D'autres facteurs importants ont joué
également un rôle important notamment la perméabilité entre université et industrie, les liens avec les industriels,
les sources nationales de matières premières etc…On considère qu'en 1900, l'Allemagne produisait 90% des
colorants synthétiques mondiaux.
Contribution à l’histoire industrielle des polymères en France
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celles qui traversent la membrane, les "cristalloïdes" et celles qui ne la traversent pas : les "colloïdes".
Pour Graham, le comportement des colloïdes est la conséquence de leur constitution moléculaire
intime. Et il suggère que cette dernière est apportée par un degré de constitution "polymérique". Il faut
entendre ici la notion de substance polymérique dans le sens où l'avait définit Berzelius, en 1832,
corps de mêmes compositions chimiques mais de masses molaires différentes, donc multiples (comme
par exemple C2H2 et C4H4). Il s'agit là d'une définition qualitative qui n'implique pas une masse
molaire élevée. Après Berzelius, plus tard, Berthelot utilisera la terminologie "transformation
polymérique" pour désigner le passage du styrolène à son polymèreiv, également sans connotation
relative à la masse molaire.
La classification de Graham est très fragile et discutablev mais elle est à la base d'une nouvelle
chimie distincte de la chimie organique classique, la chimie des colloïdes, qui, quelques décades plus
tard, prendra une place importante sous l'impulsion dynamique de W.O. et W.I. Ostwald père et fils :
"Tous ces produits collants, mucilagineux, résineux, goudronneux qui refusent de cristalliser et qui
sont l'abomination du chimiste organicien normal, ces substances qui sont soigneusement mises de
coté, au fond de l'armoire et étiquetées "inutilisables", sont justement celles qui font les délices du
chimiste des colloïdes"
Furukawwa cite aussi ces deux extraits très intéressants de l'ouvrage de Wolfgang Ostwald
- « C'est un fait que les colloïdes constituent la plus universelle et la plus commune qui soit de
toutes les choses que nous connaissons. Nous avons seulement besoin de regarder le ciel, la terre, ou
nous-mêmes pour découvrir des colloïdes ou des substances voisines qui leurs sont associées .Nous
commençons la journée en faisant appel aux colloïdes, pour se laver, et nous la terminons au coucher
en buvant une tasse de colloïde, thé ou café".
- La physique jusque récemment s'est occupée principalement des propriétés massiques de la
matière ; la chimie de son côté, s'est consacrée principalement à l'étude des plus petites particules que
sont l'atome et la molécule. Relativement, nous avons une bonne connaissance des propriétés
macroscopiques et nous avons une certaine connaissance également des propriétés des atomes et des
molécules. C'est pourquoi nous avons été conduits à regarder toutes les choses autour de nous soit du
point de vue de la physique théorique, soit de celui de la théorie moléculaire ou atomique. Nous avons
complètement laissé échapper le fait que, entre la matière sous forme de masse et la matière sous
forme de molécules, il existe un royaume dans lequel un monde entier de phénomènes remarquables
se produisent, qui ne sont gouvernés ni par les lois contrôlant le comportement de la matière en
masse ni par celles gouvernant des systèmes de dimensions moléculaires. Nous commençons, depuis
peu, à apprendre que chaque structure apporte des propriétés spéciales et un comportement spécial
quand ses particules sont si petites qu'elles ne peuvent être reconnues microscopiquement tandis
qu'elles sont trop grandes pour être appelées molécules. C'est maintenant que nous comprenons le
sens de domaine des dimensions colloïdales, le monde des dimensions négligées»vi.
Cette nouvelle discipline s'élabore progressivement en s'appuyant sur des outils analytiques
adaptés, spécifiques, bien différents du bloc Maquenne des organiciens : dialyse, électrophorèse,
énergies de surface, viscosité. Elle s'impose comme une chimie à part entière, à l'égal de la chimie
organique. Son mérite est de couvrir une masse de phénomènes considérable: "Le cristalloïde est
l'exception, le colloïde, la règle, dans l'univers. Que nous soyons concernés par les régions au-dessus
de la terre, comme la couleur du ciel, la formation des brouillards, la précipitation de la pluie et de la
neige, ou par la terre elle-même dans ses courants boueux, ses minéraux et ses sols, ou avec les
matériaux fondus qui se trouvent sous la terre, les problèmes de la chimie des colloïdes sont plus
évidents que n'ont jamais été ceux des cristalloïdes"vii.
Pour Ostwald, les solutions colloïdales ne sont pas de vraies solutions où les molécules sont
dispersées mais une suspension de particules, un système biphasique. Cette théorie des colloïdes
n'apporte rien quant à la connaissance de la structure moléculaire des dits-colloïdes. Elle est muette sur
la nature moléculaire de certains d'entre eux: la cellulose, le caoutchouc, l'amidon, la gélatine.
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Un concept nouveau est proposé par Alfred Werner de l'Université de Zurich. Dans la théorie
des valences de Kekulé, les atomes sont liés entre eux par des liaisons fortes dont le nombre est
variable selon la nature des atomes qui constituent la molécule, mais bien définis par la théorie.
Werner admet que dans les atomes déjà liés par des liens covalents subsistent une affinité résiduaire
suffisante pour créer des liens complémentaires sous forme de "valences secondaires" ou "valences
partielles", selon F.K. J.Thiele. Ces forces sont suffisantes pour permettre aux molécules de s'associer
entre elles et former des agrégats ou (micelles) : c'est la théorie des agrégats moléculaires. Pour
Zsigmondy, "Les particules des solutions colloïdales sont plus grandes que les molécules et très
fréquemment doivent être considérées comme des agrégats de molécules"viii. Les nouveaux outils
d'investigation, telle l'analyse cristallographique avec les rayons X, confirme la validité de cette
hypothèse. Pour la communauté scientifique en général, la théorie des agrégats moléculaires est une
réponse satisfaisante. En particulier elle est adoptée pour expliquer la structure du caoutchouc, de la
cellulose, de l'amidon, des protéines.
Macromolécules
On en est là lorsque Hermann Staudinger2 s'installe à Zurich pour occuper une chaire
d'enseignant à l'Eidgenössische Technische Hochschule. Professeur de chimie aux qualités reconnues,
c'est un homme du cercle des chimistes organiciens allemands. À Zurich, il poursuit ses recherches
fribourgeoises, en particulier sur le cétène qu'il a découvert vers 1905. Mais partant du cétène il
s'intéresse à la synthèse de l'isoprène et à son polymère caoutchoutique. À Karlsruhe, il avait
également conduit d'autres polymérisations et expliqué ses résultats par l'existence de molécules à
longues chaînes sans avoir recours aux valences secondaires. Les conclusions de ses travaux
contredisaient les certitudes de l'époque, à savoir qu'il ne pouvait exister de molécules de masses
supérieures à 5000 (Emil Fischer, Wieland).
L'expérience cruciale est un travail sur le caoutchouc. En 1879, Bouchardatix avait entrepris des
études sur le caoutchouc et montré que, par chauffage, ce dernier dégage un corps volatil de même
composition centésimale, l'isoprène. Cet isoprène se transforme, sous l'influence de la chaleur, en une
substance caoutchouteuse, toujours de même composition centésimale. Bouchardat avait pensé, sans
s'y appesantir, que le caoutchouc pouvait être constitué par l'enchaînement covalent de quelques motifs
isoprènique. Et il était admis, en fait, que le caoutchouc était une association de petites molécules
groupées sous la forme de particules colloïdales. Dans cette hypothèse, l'hydrogénation du caoutchouc
devrait conduire à une substance volatile. Staudinger et Fritschi (1922) procèdent à une hydrogénation
soigneuse et n’obtiennent pas un produit volatil mais une substance de caractère colloïdal soluble. Les
résultats de cette opération chimique de synthèse d'un "polymère analogue" constituent la preuve, pour
ses auteurs, de l'existence de très longues molécules que Staudinger appelle "macromolécules":
"Nous proposons le nom de "macromolécules" pour ces particules colloïdales dans laquelle la
molécule est identique à la particule primaire, en d'autres termes où les simples atomes de la molécule
colloïdale sont liés ensemble par des forces de valence normale. De telles particules colloïdales sont
de vrais matériaux colloïdaux qui, en correspondance avec les forces de valence caractéristiques de
l'atome de carbone, se forment, particulièrement en chimie organique et dans les matériaux
organiques naturels. Ici les propriétés colloïdales sont déterminées par la structure et la taille de la
molécule et on ne peut attendre qu'une dispersion de faible poids moléculaire puisse être obtenue
dans n'importe quel autre solvant"x
"Comme pour tous les composés organiques, dans la structure des composés organiques
macromoléculaires les liaisons entre l'atome de carbone et principalement les atomes d' hydrogène,
d'oxygène et d’azote , en accord avec les lois de Kekulé, sont liés par des valences principales. La
seule différence entre macromolécules et les petites molécules de poids moléculaire bas est de l'ordre
de la taille structurale. S'il faut préciser une limite entre macromolécules et petites molécules- il y a
évidemment une transition entre les deux groupes-les substances de poids moléculaire plus grand que
10.000, c'est à dire dont les molécules contiennent un millier ou plus d'atomes, peuvent être classées
2
Hermann Staudinger est né en 1881.Son cursus scolaire l'amène à Halle, Darmstadt, Munich, Strasbourg. Il
devient professeur associé à Karlsruhe
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comme macromolécules. Les caractéristiques macromoléculaires apparaissent à peu près à partir de
cette taille. Au-delà aucune limite ne peut être donnée. On connaît des composés macromoléculaires
dont la masse moléculaire est de plusieurs millions c'est à dire qu'un million et plus d'atomes forment
une macromolécule de la façon prescrite par la théorie de Kekulé".xi
"Les composés macromoléculaires sont bâtis en accord avec les lois de la théorie structurale
de Kekulé de la même façon que les substances organiques de faible poids moléculaire". Ceci étant
admis et reconnu "compte tenu de la taille des macromolécules, des séries de problèmes apparaissent
de sorte que la chimie macromoléculaire diffère substantiellement de la chimie des bas poids
moléculaires".xii
En d'autres termes, il n'est nul besoin de faire appel à des nouvelles théories pour comprendre et
expliquer l'existence de ces macromolécules. C’est la taille même de ces macromolécules qui leur
confère des propriétés particulières
Les conclusions de Staudinger, pour l'essentiel, ne sont pas partagées tant par ses confrères de
Zurich que par ses collègues allemands. La bataille des macromolécules ne faisait que commencer :
elle durera une quinzaine d'années et mettra en scène des professeurs de grande notoriété, appartenant
à des disciplines chimiques diverses, certains prétendants aux prix Nobel. Cette polémique, pour
l'essentiel, est circonscrite aux milieux germaniques: suisses, allemands, autrichiens.
A la théorie macromoléculaire est opposée la théorie des agrégats. On maintient que, comme
pour les solutions de savons, associations de petites molécules en paquets micellaires, la cellulose, le
caoutchouc, l'amidon etc… sont formés de petites molécules. L'existence de grandes molécules est
récusée par la majorité de la communauté scientifique sur la base de plusieurs arguments. Emil
Fischer, prix Nobel de chimie, a effectué la synthèse pas à pas de molécules polypeptidiques en vue
de préparer des molécules ayant les mêmes propriétés que les protéines naturelles. N'ayant pu dépasser
la masse de 4021 il en conclut que c'était, là, la taille limite des plus grosses molécules. Les
cristallographistes de l'époque, considèrent de leur côté qu'une molécule ne peut pas être plus grande
que la taille de l'unité structurale déterminée par les rayons X.
Staudinger arrivera à convaincre ses nombreux détracteurs par un travail acharné qui le conduit
à mettre au point des techniques analytiques spécifiques, tant chimiques que physico-chimiques. La
méthode des "polymères analogues", méthode élégante qui nécessite une grande expertise
expérimentale, sur laquelle il avait fondé ses conclusions en 1920, est développée. Les grosses
molécules réagissant chimiquement comme les petites, Staudinger procède à des transformations
chimiques sans toucher à la taille de la macromoléculaire. Ainsi passe-t-il de l'acétate de cellulose à la
cellulose puis au nitrate de cellulose. L'étude des séries de "polymères homologues", molécules de
structures identiques mais de masse molaire croissante (par exemple polystyrènes de différentes
masses molaires) permet d'étudier l'évolution des propriétés avec le degré de polymérisation. Il est
beaucoup fait appel à la viscosimétrie, largement étudiée et approfondie, reconnue comme un outil
remarquable d'investigation des molécules en solution3, mais également aux autres méthodes de
caractérisation, à la détermination des masses molaires par voies chimiques (groupes terminaux) et
physico-chimiques. Les polymères qu'il étudie au début sont des molécules simples (polyoxyde
d'éthylène, polystyrène, acide polyacrylique)
Tous ces travaux confirment la théorie. Dix ans après la première publication dédiée aux
macromolécules, Staudinger peut toujours écrire
"Le principe de structure de ces plus grandes molécules est le même que celui des molécules
ordinaires. Les macromolécules sont les derniers termes des séries de polymères homologues dont
toutes les molécules présentent le même type de structure et ne diffèrent que par la longueur de la
chaîne. Ces macromolécules se rattachent donc d'une façon continue aux plus petites molécules
possédant les propriétés des composés organiques simples"xiii.
Rappelons la loi de viscosité pour les molécules filiformes sp/C=Km.M dite loi de Staudinger qui s’est révélée
un outil particulièrement fécond
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Contribution à l’histoire industrielle des polymères en France
Contribution à l’histoire industrielle des polymères en France par Jean-Marie Michel
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En dépit de cette continuité, les propriétés des substances macromoléculaires ne peuvent être
prédites d'après la seule connaissance des propriétés des petites molécules constitutives. Staudinger a
réalisé lui-même plus tard combien, à l'époque, l'acceptation de sa théorie était difficile pour ses
contemporainsxiv. Le fait est illustré par la comparaison des propriétés des substances de basse masse
molaire, des macromolécules linéaires et des colloïdes micellaires.
Comparaison entre composés de basses masses molaires, composés macromoléculaires linéaires
et colloïdes micellaires xv
Propriétés
Dissolution
Les particules
dissoutes sont :
La solution est :
Une solution à 1%
possède :
La viscosité de la
solution, au repos :
Les particules
dissoutes :
Si les propriétés
colloïdales de la
solution changent :
Sans gonflement
Composés
macromoléculaires
linéaires
Avec gonflement
Monodisperses
Polydisperses
Polydisperses
Newtonienne
Non newtonienne
Non newtonienne
Une faible viscosité
Une haute viscosité
Une haute viscosité
Ne change pas
Vieillit
Vieillit
Dialysent
Ne dialysent pas
Ne dialysent pas
Les molécules sont
inchangées
Les molécules
(macromolécules) sont
décomposées
Les molécules sont
inchangées mais la taille
des micelles est changée
Composés basses
masses moléculaire
Colloïdes micellaires
Avec gonflement
Le concept de macromolécule a fini par s'imposer, après toutefois une dernière et vigoureuse
bataille qui, durant quelques années, met aux prises Staudinger, devenu professeur à Fribourg, en
Allemagne, avec K.H. Meyer et H. Mark4 . Cette polémique, passionnée et passionnelle, oppose à
Staudinger la Nouvelle Théorie Micellaire. K.H. Meyer et H. Mark " considèrent que les longues
chaînes de valence primaire sont associées par des forces micellaires spéciales. Selon cette théorie,
les particules dans une solution colloïdale ne sont pas les macromolécules elles-mêmes mais des
micelles; les poids de ces particules, déterminés par les méthodes physiques, sont appelés poids
micellaires".xvi
Avec le temps, la théorie macromoléculaire de Staudinger s'impose. Elle s’avérera d'une
fécondité exceptionnelle. Car, vérifiée d'abord pour les macromolécules synthétiques simples, son
champ d'application concerne aussi tout l'immense domaine de la chimie complexe des
macromolécules biologiques (protéines, acides nucléiques, polysaccharides)
Le prix Nobel est décerné à Hermann Staudinger en 1953.
La France et les macromolécules
Comme souligné précédemment la querelle sur les macromolécules fut limitée à un groupe de
savants germaniques. Après 1930 la polémique subsiste mais s'apaise progressivement et les travaux
de Staudinger gagnent fortement en crédit. Staudinger peut commencer à diffuser sa théorie en dehors
de l'Allemagne.
4
K.H. Meyer est directeur des recherches à l'I.G.Farben. Mark a acquis une grande expérience en
radiocristallographie appliquée notamment aux fibres textiles. Il vient d'être appelé par Meyer à Leverkusen. Il
s'y illustrera par la mise au point du procédé de fabrication du styrène à partir d'éthylbenzène
Contribution à l’histoire industrielle des polymères en France
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Sa première manifestation en France est probablement la conférence qu'il prononce devant la
Société Chimique de France, à Paris, le 13 juin 1931. Elle est intitulée "Sur la constitution des
colloïdes moléculaires (molekulkolloide), à propos d'une discussion entre M. Lumière et M.Kruyt"xvii.
Staudinger ne tranche pas entre les positions des deux savants français car "l'exemple des protéines
(qui fait l'objet de la controverse) n'est pas convenable pour l'éclaircissement de la structure des
produits de poids moléculaire élevés". Mais il en profite pour exposer ses théories concernant les
polymères de synthèse et ses distinctions entre suspensoïde, colloïdes d'association ou micellaires,
colloïdes moléculaires.
Cette conférence reçoit un écho favorable. A son issue, selon Staudinger lui-même, Raymond
Delaby5, alors secrétaire général de l'IUPAC (International Union of Pure and Applied Chemistry)
propose que soit créé un comité spécial sur les macromolécules à l'intérieur de l'IUPAC. La chose ne
se fera pas immédiatement. Il faut attendre 1946: le nouveau comité sera présidé par le Professeur
américain Mark (maintenant au Brooklyn Institute) et le Professeur anglais Sir Melville.
L'impact immédiat du discours de Staudinger n'est pas manifeste. Mais il est intéressant de
constater que trois ans plus tard, en avril 1934, à Mulhouse, le Directeur de l'usine de Roussillon où se
fabrique l'acétate de cellulose français, dans un exposé très complet sur l'acétate de cellulose, ses
propriétés et ses applications, cite la formule énoncée par Staudinger corrélant la viscosité spécifique
à la masse molaire:
Sp=KCM
La référence est prudente et reste conditionnellexviii; la modeste recherche industrielle de
l'époque prenait déjà en considération les travaux très récents d'un savant étranger dans le souci de
mieux caractériser ses produits. La viscosimétrie de Staudinger, toute critiquée qu'elle soit, s'impose.
Les chercheurs de la Société d'Alais, Froges et Camargue y font appel comme moyen de
caractérisation de la grandeur moléculaire des macromolécules dès le début de leurs études de
laboratoire, en 1937 sur le chlorure de polyvinyle et le polystyrène. On parle de masses moléculaires et
on la chiffre.xix
A Paris:
Paris est marquée par la personnalité de Georges Champetier. Présent à la fois à la Faculté des
Sciences, à son Institut de Chimie, et à l'Ecole Municipale de Physique et de Chimie, il va occuper une
place importante dans l'enseignement et la recherche macromoléculaire.
En 1933, il publie une thèse sur les combinaisons d'addition de la cellulose. La cellulose restera
un thème de recherche de son laboratoire pendant de nombreuses années. En 1937, il est chef de
travaux à l'Institut de Chimie de la Faculté des Sciences, puis maître de conférences de Chimie
Industrielle. Dans ses cours est inclus un enseignement sur les polymères. A partir de 1953, il est
nommé professeur titulaire à titre personnel de la chaire de chimie macromoléculaire.
Parallèlement, il enseigne à l'Ecole de Physique et de Chimie de la Ville de Paris. En 1938, le
Directeur, Paul Langevin, le nomme chargé de conférence de chimie industrielle; une partie
importante de son cours est consacrée à la chimie macromoléculaire. Nommé Directeur des Etudes, en
1950, il prolonge l'enseignement par une année supplémentaire, à partir de 1951, avec une option
chimie macromoléculaire.
S'il est resté fidèle à la cellulose, il s'intéresse aussi, avec ses collaborateurs, aux protéines
fibreuses (cornéine), puis aux polyamides synthétiques (polyamide 66). C'est ce mouvement vers les
5
Delaby Raymond. 1891-1958 est un chimiste organicien, préparateur au cours de chimie organique du
professeur Behal. En 1931-1932, il est chargé de cours de chimie organique. Il deviendra secrétaire de la Société
Chimique de France (Ann.Pharm.Franç. 18 145 (1960))
Contribution à l’histoire industrielle des polymères en France
Contribution à l’histoire industrielle des polymères en France par Jean-Marie Michel
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polyamides qui a attiré, sans doute, l'attention des chercheurs de la Société Organico travaillant alors
sur le polyundécaneamide (Rilsan). Georges Champetier a dirigé de nombreuses thèses sur les
polyamides dans les laboratoires de l'Institut de Chimie de Paris puis de l'Ecole de Physique et de
Chimie de la Ville de Paris.
Georges Champetier a contribué à la diffusion des connaissances en chimie macromoléculaire
par ses nombreux ouvrages et publications sur les polymères.
A Strasbourg
A l'Université de Strasbourg est attaché le nom de Charles Sadron. Charles Sadron est un
physicien. Il soutient une thèse sur le magnétisme sur ses travaux effectués à l'Institut de Physique,
durant les années 30. Après un séjour à Pasadena (Californie) chez Von Karman, il revient en France
au début de la guerre. En 1940, il suit l'Université repliée à Clermont-Ferrand. On lui doit, à cette
époque, des publications sur la dimension des molécules colloïdales, la statistique et le mouvement
brownien des molécules longues dont il déduit des résultats permettant d'interpréter les mesures de
viscosité spécifique. Ces molécules longues, Sadron ambitionne de leur consacrer un laboratoire. Avec
l'aide du C.N.R.S. il fonde, en 1954, le Centre de Recherches des Macromolécules (C.R.M.), à
Strasbourg, avec Henri Benoît comme Directeur adjoint .6
A Mulhouse
L'Ecole de Chimie de Mulhouse est frappée du sceau de l'industrie textile qui tient une place
très importante dans la région. Sa direction est très ouverte aux développements nouveaux7. En 1935,
son directeur, Battegay publie un ouvrage sur la cellulose. En 1936, un enseignement sur le
caoutchouc est professé par Léon Denivelle. Déjà en 1931, un de ses professeurs, Lichtenberger, avait
publié un article classant les matières plastiques artificielles connues à cette époquexx.
En juin 1939, le Comité Scientifique et Technique de la Société de Chimie Industrielle organise,
à Paris, des Journées des Matières Plastiques et des Résines Synthétiques. Battegay, président du
Comité prononce une conférence plénière dans laquelle il mentionne l'apport de Staudinger, de
Carothers, décrit l'état actuel des théories sur la polymérisation radicalaire, la polycondensation.
En 1940, l'Ecole de Chimie quitte l'Alsace occupée par les Allemands; elle est "repliée" à
Toulouse, puis à Lyon. En 1946, la guerre est terminée, elle retrouve ses locaux de Mulhouse et
reprend son activité normale. Lichtenberger, qui en est devenu le directeur, crée un enseignement de
chimie macromoléculaire et une spécialisation haut polymères dans le cadre d'une quatrième année
d'études.
A Lyon
En 1941, le Professeur Lichtenberger venant de Mulhouse, crée une quatrième année d'études
portant sur le programme suivant: matières plastiques, matières colorantes, fibres textiles, produits
pharmaceutiques. Mais il faut attendre 1956 pour que soit créé, à l'université, un certificat de chimie
macromoléculaire dont l'enseignement est attaché à la chaire de chimie générale, et à l'INSA, à
Villeurbanne, un cours de chimie et physico-chimie macromoléculaire.
i
Staudinger H., Fritschi Helv.Chim.Acta 5 785 (1922)
Furukawa Y. Inventing polymer Sciences: Staudinger, Carothers and the emergency of Macromolecular
Chemistry (citation Willstätter 1965 p113)
iii
Furukawa op.cit.; Champetier Georges Histoire de Macromolécules ESPCI 1983
ii
6
Ces renseignements nous ont été aimablement communiqués par Monsieur Henri Benoît
Comme en témoigne la conférence de 1934 de Ledru sur l'acétate de cellulose, répondant à l'invitation de
Battegay, à une époque où ce polymère commence seulement à se développer (voir référence)
7
Contribution à l’histoire industrielle des polymères en France
Contribution à l’histoire industrielle des polymères en France par Jean-Marie Michel
iv
8
Berthelot 1866 294
Champetier op.cit.
vi
Wolfgang Oswald 1917; cité par Furukawa p27
vii
M.H.Fischer ; cité par Furukawa p.30
viii
Zsigmondy, lecture du Prix Nobel ; cité par Furukawa
ix
Champetier G. op.cit.
x
Staudinger H. ; cité dans A Scientific Autobiography base on my Original Papers (p 83)
xi
Staudinger H. Macromolecular Chemistry Nobel lecture, 11 décembre 1953
xii
Staudinger H. Macromolecular Chemistry Nobel lecture; op.cit.
xiii
Staudinger H. Bull.Soc.Chim. 49 1267 (1931)
xiv
Kaufman M. Ed.Chem. 26, 63 (1971)
xv
Staudinger H; cité dans A Scientific Autobiography base on my Original Papers
xvi
Staudinger H. A Scientific Autobiography base on my Original Papers (Wiley, 1970); Furukawa op.cit.; Stahl
G.H.Chemtech.492 1984
xvii
Staudinger H. Bull.Soc.Chim ; op.cit. (Kruyt est professeur à l'université d’Utrecht)
xviii
Ledru Marcel Revue de chimie industrielle 258 (1934)
xix
Rapport AFC ; Laboratoire du Bourget Résines de PVC, Premier rapport, 20 août 1957; Polystyrène, Premier
Rapport 26 août 1937
xx
Lichtenberger; Bull.Soc.Ind.Mulhouse nov. 1931; Rev.Mat.Plast.81,155 1932
v
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