Judéité et Judaïsme
Dans le passage de la Torah lu, au
premier jour de Roch Hachana, Avraham se
plaint à Avimélekh, roi des philistins, à
propos des puits que les seviteurs du roi lui
ont volés. Avimélekh n’est pas seul dans
l’histoire ; il est accompagné de Pikhol, son
général en chef. Avimélekh répond à
Avraham au sujet de sa plainte : « je ne sais
pas qui a commis cela, et toi aussi tu ne m’en
as pas fait le récit, et moi aussi, je n’en avais
pas entendu parler jusqu’aujourd’hui ».
Aviméleh affirme qu’il ne savait pas, qu’il n’a
rien entendu de l’histoire, qu’on ne lui a rien
rapporté. Mais cette insistance ne risque-t-
elle pas de susciter la méfiance chez
Avraham ? A force d’affirmer son innocence,
ne risque-t-il pas de distiller le doute ?
Rabi Yits’hak de Volozhin (Pé Kadoch)
propose un commentaire très original :
Avimélekh dit à Avraham : « je ne sais pas qui
a commis cela », puis il se tourne vers son
général et lui reproche : « et toi aussi tu ne
m’en as pas fait le récit ». Et Pikhol lui
répond : «et moi aussi, je n’en avais pas
entendu parler jusqu’aujourd’hui ».
Autrement dit, personne ne sait rien, n’a rien
entendu, ni le roi ni le chef de la police de ce
minuscule royaume. On est parfois confronté
Souviens-toi !
Mon ami, mon frère,
Souviens-toi que tu es juif,
aujourd’hui bien sûr, en ce jour de Kippour,
mais aussi demain, et aussi après demain, et
tous les jours de ta vie.
Mon ami, mon frère,
Souviens-toi de cette histoire, de ton
histoire, commencée il y a 3500 ans avec notre
ancêtre Avraham qui découvrit l’existence
d’un D.ieu Créateur ;
Souviens-toi de cette histoire, de ton
histoire, qui s’est poursuivit en traversant
l’esclavage d’Egypte, les miracles de la
libération et le passage au cœur de la mer des
Joncs;
Souviens-toi de ce moment unique
dans l’histoire de l’humanité, depuis non
réitéré, de cette scène qui se produisit au pied
du mont Sinaï où D.ieu Se dévoila et nous
confia Sa Torah ;
Souviens-toi, mon ami, mon frère, de
l’établissement de nos ancêtres dans la terre
promise, de la construction du Temple de
Jérusalem ; et puis de sa destruction des
siècles plus tard, et de l’exil, et de la
dispersion ;
Souviens-toi des croisades
meurtrières et de l’Inquisition, des cosaques et
des pogromes, des fosses et des camps, des
chambres à gaz et des attentats dans les bus,
souviens-toi de toute cette douleur, de toute
cette souffrance, souviens-toi mais surtout
interroges-toi, interroges-toi sur ce que tu fais
de ta vie, et sur ce que tu fais dans ta vie de
toute cette mémoire, de toute cette histoire,
de toutes ces larmes, de tout cet espoir.
Interroges-toi sur ce que cela signifie
que d’être juif, et souviens-toi que pendant
des millénaires, la judéité était
indéfectiblement liée au judaïsme ; souviens-
toi que pendant des siècles et des siècles, le
juif ne pouvait pas envisager sa vie sans la
Torah et ses commandements, sans
l’observance du chabbat et les lois juives de
l’alimentation.
à des situations où l’on se sent très seul
parce qu’autour de nous, personne ne sait
rien, personne n’a rien vu.
En ce jour de Roch Hachana, nous savons, on
nous a dit et nous avons entendu. En ce jour
de Roch Hachana, nous savons. Qu’est-ce
que nous savons ? Nous savons que D.ieu
existe et qu’Il nous a donné une loi, la Torah.
C’est bien ce que le texte de la Amida dit :
« comme nous savons que Tu es Hachem
notre D.ieu (kemo chéyada’nou Hachem
Elokénou)».
En ce jour de Roch Hachana, on a dit, répété,
affirmé, expliqué que la judéité ne se résume
pas à un sentiment, ni à des valeurs, ni à une
simple appartenance à un peuple, ni même à
l’amour d’un Etat qui
borde la Méditerranée (puisque la
judéité a précédé l’Etat d’Israël), ni à la
mémoire de la Choa (car la judéité a aussi
précédé la Choa). Si l’on considère la
judéité sous ces aspects et ces aspects
seulement, on réduit considérablement sa
dimension, on réduit son impact, on fait
de la judéité une partie de notre vie, et
non notre vie. La judéité, le fait d’être juif
est un événement, un événement qui
concerne l’intégralité de nos vies, donc
notre façon d’agir, de s’exprimer, de
penser, de ressentir, de manger, de
travailler, de gérer son temps avec le
chabbat, d’entretenir des liens avec
autrui. C’est l’observance et la pratique
du judaïsme qui nourrissent la judéité, qui
lui donnent un sens ; c’est
l’accomplissement des mitsvot qui
exprime la judéité et lui permet de se
manifester.
En ce jour de Roch Hachana, nous
écoutons les sonneries du chofar nous
rappeler notre vocation, notre identité.
Etre juif, certains jours de l’année, ou à
certains moments de la journée, revient à
appauvrir la judéité, à en faire un élément
de la vie parmi d’autres alors que la
judéité, c’est l’essence même de notre
vie. Cette judéité ne peut perdurer et se
transmettre que si, comme pendant des
millénaires, elle se conjugue au judaïsme.
Rabbin Jacky Milewski
Et puis, il y a encore autre chose :
parfois, selon les événements et les
circonstances, tu te souviens que tu es juif et
tu viens à la schoule. Pour une naissance, une
circoncision, un mariage, un deuil, tu reprends
ta kippa pliée et ton vieux talit et tu ouvres les
portes de la schoule. Mais la judéité ne mérite-
t-elle pas de s’exprimer bien plus souvent ? La
judéité n’a-t-elle pas de signification les jours
où rien de particulier ne se produit ? N’a-t-elle
pas à se manifester dans les périodes
routinières, dans le quotidien ?
Souviens-toi enfin, fils d’Avraham,
fille de Sarah, que tu as une seconde maison,
que cette seconde maison c’est la schoule
dans laquelle tu te trouves en ce moment, cet
endroit où les juifs se rassemblent pour
prononcer des mots immémoriaux, pour
entendre des paroles provenant d’autres
temps, des mots juifs, des temps juifs. Cette
maison appartient à la grande maison d’Israël.
Venir à la schoule est un acte identitaire. A
travers les générations, la schoule était un lieu
de refuge et de lumière. Nos grands-parents et
arrières grands-parents la considéraient
comme leur maison. En sera-t-il de même pour
tes enfants et tes petits enfants ? Y viendront-
ils en touriste, en étranger, en coup de vent,
dans la plus grande ignorance de leur racine,
se sentiront-ils ici chez eux ? A l’aise ? Tout
cela, mon ami, tout cela, mon frère, c’est de
toi et de toi uniquement que cela dépend.
Mon ami, mon frère,
Souviens-toi que tu es juif,
aujourd’hui bien sûr, en ce jour de Kippour,
mais aussi demain, et aussi après demain, et
tous les jours de ta vie.
Rabbin Jacky Milewski
Mon ami, mon frère,
Reconnais que revendiquer sa
judéité en oubliant, en négligeant, en
repoussant le judaïsme, en se disant juif
athée ou juif laïc ou juif de culture ou juif
de cœur, ou juif libéral, reconnais que
c’est là une manière d’être juif que ni
l’histoire juive ni la tradition d’Israël ne
connaissent.
Souviens-toi de ton grand-père,
ou de ton arrière grand-père, au visage
rayonnant et honorable, qui le matin, tôt,
s’enveloppait de talit et se parait de ses
tefiline, qui considérait la schoule comme
sa maison et qui parlait à D.ieu comme on
parle à un ami, comme on parle à un père.
Souviens-toi de ta grand-mère et de ton
arrière grand-mère qui récitait sans cesse
de si belles suppliques en yiddisch, la tête
couverte, et emplie de crainte du ciel.
Et surtout souviens-toi de
l’avenir de tes enfants et petits-enfants
que tu veux juifs, de tes enfants dont tu
voudrais non pas simplement connaître
mais reconnaître la descendance, et qui te
considèreraient comme un lien de
transmission à travers les générations.
Souviens-toi et reconnais que si tu veux
que tes enfants et petits-enfants soient
juifs, c’est toi-même qui doit l’être, et pas
seulement aujourd’hui mais tous les jours
de la vie. Et être juif, c’est avant tout se
comporter comme un juif, c’est manger
comme un juif ce que la Torah autorise,
c’est travailler comme un juif en observant
le chabbat, c’est s’exprimer comme un juif
en conformité avec l’éthique juive.