EXAMEN
DU
MÉMOIRE PUBLIÉ PAR M. HENRI DEFAY
INTITULÉ
ÉTUDE SUR LA BATAILLE QUI A PRÉCÉDÉ LE BLOCUS D'ALESIA
PAR 91 DE COVAAUT, MEMBRE TITULAIRE.
Le Mémoire publié en septembre 1803, par M. Defay, a pour objet de
déterminer le lieu de la bataille dans laquelle les Romains ont vaincu les
Gaulois avant le siège d'Alesia.
L'auteur a décrit avec soin toutes les routes anciennes dont on a retrouvé
des vestiges au sud et au sud-ouest de Langres, il y a joint une description
sommaire du terrain et y a fait, selon ses idées, l'application du texte des
Commentaires, aux chapitres 66 à 68 du VIIe livre. Le champ tle bataille
serait compris entre Montsongeon, Praulhoy, Isôme, Cusey et Dommarien.
Celle hypolhèse est adoptée, avec quelques modifications, dans l'Histoire
de César (2e volume, pages 253 à 257).
L'opinion de M. Defay se trouve réfutée d'avance par le plus grand nombre
des travaux publiés sur la question d'Alesia; en particulier, l'Examen critique
d'un texte fondamental et l'Alcsia de César maintenue dans VAuxois, par
M. Rossignol (1857
;
les considérations exposées dans YAlesia de César
laissée
à sa place, ainsi que dans le Compte Rendu des Mémoires du général de
Gœler, par M. de Coynart, sont en opposition complète avec l'hypothèse de
EXAMEN DU MÉMOIRE PUBLIÉ PAR M. HENRI DEFAY. 461
M. Defay. Il y aurait donc lieu seulement à résumer ces diverses publica-
tions,
à faire l'analyse des arguments produits dans les anciennes contro-
verses, en montrant leur accord avec le texte de César, et leur contradiction
avec la solution donnée par M. Defay. Il nous a paru que celte compilation
ferait perdre à la question une partie de son intérêt et qu'il serait préférable
de présenter une simple indication des travaux déjà publiés, en reprenant
l'examen du livre de César, de ce texte à la fois si rapide et si rigoureusement
concis, dans lequel chaque mot porte une signification importante autant que
précise.
Rappelons sommairement que César, obligé de lever le siège de Gergovia,
se porta vers le nord pour rallier son lieutenant Labienus, resté chez les
Senones, d'où il avait fait une expédition contre Lutèce. César comptait
trouver à Noviodunum des vivres, des approvisionnements de toute nature,
mais il n'y avait plus que des cendres lorsqu'il y arriva (livre VII, chap. 54
à 50). Il poursuivit sa route, rojoignit Labienus soit à Sens, soit, ce qui est
plus probable, entre Nevers et celte ville, à Auxerre ou à Joigny, de façon à
pouvoir se mettre en route pour la Séquanie en suivant le territoire extrême
des Lingons. Le chapitre 66 du VIIe livre, où celte indication est consignée,
a fourni précisément le texte fondamental examiné par M. Rossignol.
Nous le reproduisons :
« Qimm Cœsar, in Scquanos per extremos Lingonum fines iter faceret. »
Le premier mot de cette phrase signifie le plus souvent : tandis que ou
pendant que; clans ceLle acception, il indique la simultanéité entre la marche
de César et les opérations de Vercingétorix. Or, une lecture attentive des
Commentaires fait voir l'importance de chaque expression qui ne peut
signifier pour l'auteur qu'une seule chose et qui précise toujours un fait
ou une circonstance locale. Lorsque est une indication générale; pendant
que circonscrit les faits et renferme les opérations des deux armées dans le
même espace de temps
;
il est donc probable que l'auteur l'a choisi avec
celte intention
Si l'on compare le reste de la phrase : « Per extremos Lingonum fines iter
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EXAMEN
DU
MÉMOIRE
faceret, » avec les autres indications de mouvements qui se trouvent dans
le texte (1), on est endroit de conclure que les Romains suivaient une ligne,
une zone et ne la traversaient pas, et que César marchait en suivant la limite
du territoire des Lingons ou une zone étroite renfermant cette limite et ne
la franchissait pas. Si l'acception de quum, adverbe de temps, est exacte, et
elle doit l'être, le mouvement de Vercingétorix se trouve ainsi déterminé,
quant à sa durée, par la marche des Romains suivant la frontière des Lingons,
et la rencontre ne peut avoir eu lieu entre les deux armées que sur un point
voisin de cette frontière.
Les bords de la Vingeanne, à Praulhoy, sont à 24 kilomètres de la fron-
tière orientale du territoire lingon, à près de 38 kilomètres de l'enclave
mandubienne, à près de 58 kilomètres de la limite méridionale. Cette contrée
ne peut donc satisfaire aux conditions si péremptoirement indiquées par le
texte.
Le membre de phrase : « Circiter milita passnum X ab Romanis, trinis
castris Yercingelorix consedit » a été traduit par :
«
Vercingétorix vint asreoir
trois camps à environ dix mille pas des Romains. »
M. Beaudement et M. Louandre ont traduit : « Vercingétorix, en trois
journées de marche, vint s'établir à dix mille pas des Romains,
K
Ces deux interprétations ont été longuement discustées ; nous laisserons
de côté la question philologique ou grammaticale, en faisant remarquer seule-
(1) Ou voit en effet, au
7*
chapitre du premier livre, que César ne permit pas aux Helvétiens
de « faire
voyage
par la province. » Pour traverser une province, il faut suivre une ligne, ainsi
cet exemple vient à l'appui de notre premier énoncé.
Au chapitre 10, il est écrit que les Helvétiens font voyage par les terres des Séquanes et des
Eiiuens peur aller chez les Santons (per ayrum
Sequanorum
et
Mduoram
in
Santonum
fines
iter
facerej. Trois pays contigus forment incontestablement une ligne, et il y a nécessité de faire
voyage par cette ligne pour arriver dans la troisième contrée.
Le chapitre li offre encore un exemple
:
les Helvétiens avaient essayé de faire voyage par la
province (iter per
provinciam,
per vim Tentassent].
Au VIP livre, César quitte la Loire pour aller rejoindre Labienus, c'est encore une ligne à
parcourir ; « il commença de faire voyage vers les Senones. (Iter in
Senones
facere instituitj
Lorsque le général historien décrit un mouvement par lequel une armée quitte un côté d'une
ligne pour occuper l'autre, il emploie les expressions : traverser, franchir, sortit, conduire.
On en trouve des exemples livre I", chap. 12, 13 et 14 ; livre H', chap. 19 et 23 ; livre IIP,
chap.
11 ; livre IV", chap. 1".
PAR M. HENRI DEFAY. 163
ment que la première version donne un renseignement sans importance et
probablement faux, parce que les Gaulois campaient par nation et que dans
le récit de la bataille il n'est plus question du nombre des camps. Vercingétorix
forma trois corps de cavalerie pour attaquer les Romains de front et sur les
flancs ; César ne dit pas que ces corps fussent tirés d'un, de deux ou de trois
camps. La seconde version, au contraire, fournit une évaluation de la plus
haute importance en plaçant la rencontre des deux armées à trois journées
de marche de Bibracte (Autun ou Beuvray), c'est-à-dire à environ 90 kilo-
mètres. La seconde version est incompatible avec la supposition de M. Defay,
car il y a plus de 120 kilomètres de Beuvray ou d'Autun à Sacquenay.
On peut faire observer encore que César, quittant à Rougemont la zone
frontière des Lingons, ainsi qu'il est énoncé par l'auteur que nous réfutons,
allonge gratuitement le trajet qu'il doit parcourir pour se rendre en
Séquanie, qu'il s'engage dans un pays accidenté qui le conduit vers la por-
tion la plus difficile de la cité où il ne doit que passer pour porter plus
facilement secours à la province. Rationnellement, sa roule était marquée
vers l'emplacement actuel de Dijon, d'où il devait prendre la zone inférieure
de la Séquanie, entre les montagnes et la Saône. Il devait chercher, pour
franchir la ligne de partage entre les bassins de la Saône et du Rhône, un
point assez éloigné de Bibracte, pour n'être pas surpris dans sa marche,
sans pour cela pénétrer au cœur de la Lingonie. Cette considération, qui
se trouve implicitement dans le texte, ne peut s'accorder avec l'hypothèse
de M. Defay.
Il nous reste à chercher quelle était la disposition du terrain sur lequel la
bataille a été livrée ; cette disposition est donnée dans le récit de l'action.
Au chapitre 47 du VIIe livre, on lit : « Le lendemain, Vercingétorix
» partage sa cavalerie en trois corps : deux de ces corps se monlrent sur
» nos ailes ; le troisième se présente de front à l'avant-garde pour lui
» fermer le passage. César forme également trois divisions de sa cavalerie et
» l'envoie contre l'ennemi. Le combat s'engage sur tous les points ; l'armée
» fait halte, les bagages sont placés entre les légions. Partout où les nôtres
» fléchissent ou sont trop vivement pressés, César porte de ce côlé les
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» enseignes et y fait marcher les cohortes. Celte manœuvre ralentit la pour-
» suite et ranime nos soldats par l'espoir d'un prompt secours. Enfin, les
» Germains gagnent le haut de la colline qui était à droite, en chassent les
» ennemis, les poursuivent jusqu'à la rivière où Vercingétorix s'était placé
» avec son infanterie, et en tuent un grand nombre. A la vue de cette
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déroule, les autres craignent d'être enveloppés et prennent la fuite.
» Ce n'est plus alors que carnage : trois Eduens de la plus haute distinction
» sont pris et amenés à César : Cotus , etc.
» 48. Vercingétorix, voyant toute sa cavalerie en fuite, fit rentrer les
» troupes qu'il avait rangées à la tête du camp et prit aussitôt le chemin
» d'Alesia, ville des Mandubiens etc. » (Traduction d'Artaud.)
Au chapitre 46 est rapporté le discours de Vercingétorix aux chefs
de la cavalerie pour les exciter à vaincre les Romains ; il termine en
disant : « Je rangerai toute l'armée hors du camp, ce qui épouvantera
l'ennemi. »
Avec ces données, il est logique de conclure que l'armée romaine était en
marche quand la cavalerie gauloise l'attaqua sur un terrain tel que les
Romains pussent voir de leur position l'infanterie, l'armée de Vercingélorix
rangée hors des camps et près d'une rivière, ce qui indique que la rivière
était parallèle au front des camps. Il faut aussi qu'à la droite des Romains
se trouve une hauteur accessible à la cavalerie, cette hauteur pouvant être
un mamelon ou un contrefort. Il est indispensable encore que le terrain soit
en pente, puisqu'il y a une rivière devant les camps gaulois, et que pour
découvrir un terrain bas il faut toujours le dominer. Le tout doit être voisin
de la frontière des Lingons. Nous faisons remarquer tout de suite que si
Vercingélorix a marché trois jours pour arriver à dix mille pas des Romains,
le champ de bataille est à 90 ou '100 kilomètres d'Autun ou du mont
Reuvray, sur la même frontière, qui doit être la frontière occidentale, près
de laquelle, d'ailleurs, César a rejoint Labienus.
La frontière des Lingons ne peut être tracée d'une manière certaine ; il
n'y a pas, pour résoudre ce problème, et les problèmes analogues, d'autres
données que les limites des anciens diocèses dont les circonscriptions sont
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