EXAMEN

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EXAMEN
DU
MÉMOIRE PUBLIÉ PAR M. HENRI DEFAY
INTITULÉ
ÉTUDE SUR LA BATAILLE QUI A PRÉCÉDÉ LE BLOCUS D'ALESIA
PAR 91 D E
C O V A A U T , MEMBRE TITULAIRE.
Le Mémoire publié en septembre 1803, par M. Defay, a pour objet de
déterminer le lieu de la bataille dans laquelle les Romains ont vaincu les
Gaulois avant le siège d'Alesia.
L'auteur a décrit avec soin toutes les routes anciennes dont on a retrouvé
des vestiges au sud et au sud-ouest de Langres, il y a joint une description
sommaire du terrain et y a fait, selon ses idées, l'application du texte des
Commentaires, aux chapitres 66 à 68 du VIIe livre. Le champ tle bataille
serait compris entre Montsongeon, Praulhoy, Isôme, Cusey et Dommarien.
Celle hypolhèse est adoptée, avec quelques modifications, dans l'Histoire
de César (2e volume, pages 253 à 257).
L'opinion de M. Defay se trouve réfutée d'avance par le plus grand nombre
des travaux publiés sur la question d'Alesia; en particulier, l'Examen critique
d'un texte fondamental et l'Alcsia de César maintenue dans VAuxois, par
M. Rossignol (1857 ; les considérations exposées dans YAlesia de César laissée
à sa place, ainsi que dans le Compte Rendu des Mémoires du général de
Gœler, par M. de Coynart, sont en opposition complète avec l'hypothèse de
EXAMEN DU MÉMOIRE PUBLIÉ PAR M. HENRI DEFAY.
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M. Defay. Il y aurait donc lieu seulement à résumer ces diverses publications, à faire l'analyse des arguments produits dans les anciennes controverses, en montrant leur accord avec le texte de César, et leur contradiction
avec la solution donnée par M. Defay. Il nous a paru que celte compilation
ferait perdre à la question une partie de son intérêt et qu'il serait préférable
de présenter une simple indication des travaux déjà publiés, en reprenant
l'examen du livre de César, de ce texte à la fois si rapide et si rigoureusement
concis, dans lequel chaque mot porte une signification importante autant que
précise.
Rappelons sommairement que César, obligé de lever le siège de Gergovia,
se porta vers le nord pour rallier son lieutenant Labienus, resté chez les
Senones, d'où il avait fait une expédition contre Lutèce. César comptait
trouver à Noviodunum des vivres, des approvisionnements de toute nature,
mais il n'y avait plus que des cendres lorsqu'il y arriva (livre VII, chap. 54
à 50). Il poursuivit sa route, rojoignit Labienus soit à Sens, soit, ce qui est
plus probable, entre Nevers et celte ville, à Auxerre ou à Joigny, de façon à
pouvoir se mettre en route pour la Séquanie en suivant le territoire extrême
des Lingons. Le chapitre 66 du VIIe livre, où celte indication est consignée,
a fourni précisément le texte fondamental examiné par M. Rossignol.
Nous le reproduisons :
« Qimm Cœsar, in Scquanos per extremos Lingonum fines iter faceret. »
Le premier mot de cette phrase signifie le plus souvent : tandis que ou
pendant que; clans ceLle acception, il indique la simultanéité entre la marche
de César et les opérations de Vercingétorix. Or, une lecture attentive des
Commentaires fait voir l'importance de chaque expression qui ne peut
signifier pour l'auteur qu'une seule chose et qui précise toujours un fait
ou une circonstance locale. Lorsque est une indication générale; pendant
que circonscrit les faits et renferme les opérations des deux armées dans le
même espace de temps ; il est donc probable que l'auteur l'a choisi avec
celte intention
Si l'on compare le reste de la phrase : « Per extremos Lingonum fines iter
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EXAMEN DU MÉMOIRE
faceret, » avec les autres indications de mouvements qui se trouvent dans
le texte (1), on est endroit de conclure que les Romains suivaient une ligne,
une zone et ne la traversaient pas, et que César marchait en suivant la limite
du territoire des Lingons ou une zone étroite renfermant cette limite et ne
la franchissait pas. Si l'acception de quum, adverbe de temps, est exacte, et
elle doit l'être, le mouvement de Vercingétorix se trouve ainsi déterminé,
quant à sa durée, par la marche des Romains suivant la frontière des Lingons,
et la rencontre ne peut avoir eu lieu entre les deux armées que sur un point
voisin de cette frontière.
Les bords de la Vingeanne, à Praulhoy, sont à 24 kilomètres de la frontière orientale du territoire lingon, à près de 38 kilomètres de l'enclave
mandubienne, à près de 58 kilomètres de la limite méridionale. Cette contrée
ne peut donc satisfaire aux conditions si péremptoirement indiquées par le
texte.
Le membre de phrase : « Circiter milita passnum X ab Romanis, trinis
castris Yercingelorix consedit » a été traduit par : « Vercingétorix vint asreoir
trois camps à environ dix mille pas des Romains. »
M. Beaudement et M. Louandre ont traduit : « Vercingétorix, en trois
journées de marche, vint s'établir à dix mille pas des Romains, K
Ces deux interprétations ont été longuement discustées ; nous laisserons
de côté la question philologique ou grammaticale, en faisant remarquer seule(1) Ou voit en effet, au 7* chapitre du premier livre, que César ne permit pas aux Helvétiens
de « faire voyage par la province. » Pour traverser une province, il faut suivre une ligne, ainsi
cet exemple vient à l'appui de notre premier énoncé.
Au chapitre 10, il est écrit que les Helvétiens font voyage par les terres des Séquanes et des
Eiiuens peur aller chez les Santons (per ayrum Sequanorum et Mduoram in Santonumfinesiter
facerej. Trois pays contigus forment incontestablement une ligne, et il y a nécessité de faire
voyage par cette ligne pour arriver dans la troisième contrée.
Le chapitre li offre encore un exemple : les Helvétiens avaient essayé de faire voyage par la
province (iter per provinciam, per vim Tentassent].
Au VIP livre, César quitte la Loire pour aller rejoindre Labienus, c'est encore une ligne à
parcourir ; « il commença de faire voyage vers les Senones. • (Iter in Senones facere instituitj
Lorsque le général historien décrit un mouvement par lequel une armée quitte un côté d'une
ligne pour occuper l'autre, il emploie les expressions : traverser, franchir, sortit, conduire.
On en trouve des exemples livre I", chap. 12, 13 et 14 ; livre H', chap. 19 et 23 ; livre IIP,
chap. 11 ; livre IV", chap. 1".
PAR M. HENRI DEFAY.
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ment que la première version donne un renseignement sans importance et
probablement faux, parce que les Gaulois campaient par nation et que dans
le récit de la bataille il n'est plus question du nombre des camps. Vercingétorix
forma trois corps de cavalerie pour attaquer les Romains de front et sur les
flancs ; César ne dit pas que ces corps fussent tirés d'un, de deux ou de trois
camps. La seconde version, au contraire, fournit une évaluation de la plus
haute importance en plaçant la rencontre des deux armées à trois journées
de marche de Bibracte (Autun ou Beuvray), c'est-à-dire à environ 90 kilomètres. La seconde version est incompatible avec la supposition de M. Defay,
car il y a plus de 120 kilomètres de Beuvray ou d'Autun à Sacquenay.
On peut faire observer encore que César, quittant à Rougemont la zone
frontière des Lingons, ainsi qu'il est énoncé par l'auteur que nous réfutons,
allonge gratuitement le trajet qu'il doit parcourir pour se rendre en
Séquanie, qu'il s'engage dans un pays accidenté qui le conduit vers la portion la plus difficile de la cité où il ne doit que passer pour porter plus
facilement secours à la province. Rationnellement, sa roule était marquée
vers l'emplacement actuel de Dijon, d'où il devait prendre la zone inférieure
de la Séquanie, entre les montagnes et la Saône. Il devait chercher, pour
franchir la ligne de partage entre les bassins de la Saône et du Rhône, un
point assez éloigné de Bibracte, pour n'être pas surpris dans sa marche,
sans pour cela pénétrer au cœur de la Lingonie. Cette considération, qui
se trouve implicitement dans le texte, ne peut s'accorder avec l'hypothèse
de M. Defay.
Il nous reste à chercher quelle était la disposition du terrain sur lequel la
bataille a été livrée ; cette disposition est donnée dans le récit de l'action.
Au chapitre 47 du VIIe livre, on lit : «
Le lendemain, Vercingétorix
» partage sa cavalerie en trois corps : deux de ces corps se monlrent sur
» nos ailes ; le troisième se présente de front à l'avant-garde pour lui
» fermer le passage. César forme également trois divisions de sa cavalerie et
» l'envoie contre l'ennemi. Le combat s'engage sur tous les points ; l'armée
» fait halte, les bagages sont placés entre les légions. Partout où les nôtres
» fléchissent ou sont trop vivement pressés, César porte de ce côlé les
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EXAMEN DU MÉMOIRE
» enseignes et y fait marcher les cohortes. Celte manœuvre ralentit la pour» suite et ranime nos soldats par l'espoir d'un prompt secours. Enfin, les
» Germains gagnent le haut de la colline qui était à droite, en chassent les
» ennemis, les poursuivent jusqu'à la rivière où Vercingétorix s'était placé
» avec son infanterie, et en tuent un grand nombre. A la vue de cette
y> déroule, les autres craignent d'être enveloppés et prennent la fuite.
» Ce n'est plus alors que carnage : trois Eduens de la plus haute distinction
» sont pris et amenés à César : Cotus
, etc.
» 48. Vercingétorix, voyant toute sa cavalerie en fuite, fit rentrer les
» troupes qu'il avait rangées à la tête du camp et prit aussitôt le chemin
» d'Alesia, ville des Mandubiens
etc. » (Traduction d'Artaud.)
Au chapitre 46 est rapporté le discours de Vercingétorix aux chefs
de la cavalerie pour les exciter à vaincre les Romains ; il termine en
disant : « Je rangerai toute l'armée hors du camp, ce qui épouvantera
l'ennemi. »
Avec ces données, il est logique de conclure que l'armée romaine était en
marche quand la cavalerie gauloise l'attaqua sur un terrain tel que les
Romains pussent voir de leur position l'infanterie, l'armée de Vercingélorix
rangée hors des camps et près d'une rivière, ce qui indique que la rivière
était parallèle au front des camps. Il faut aussi qu'à la droite des Romains
se trouve une hauteur accessible à la cavalerie, cette hauteur pouvant être
un mamelon ou un contrefort. Il est indispensable encore que le terrain soit
en pente, puisqu'il y a une rivière devant les camps gaulois, et que pour
découvrir un terrain bas il faut toujours le dominer. Le tout doit être voisin
de la frontière des Lingons. Nous faisons remarquer tout de suite que si
Vercingélorix a marché trois jours pour arriver à dix mille pas des Romains,
le champ de bataille est à 90 ou '100 kilomètres d'Autun ou du mont
Reuvray, sur la même frontière, qui doit être la frontière occidentale, près
de laquelle, d'ailleurs, César a rejoint Labienus.
La frontière des Lingons ne peut être tracée d'une manière certaine ; il
n'y a pas, pour résoudre ce problème, et les problèmes analogues, d'autres
données que les limites des anciens diocèses dont les circonscriptions sont
PUBLIÉ PAR M. HENRI DEFAY.
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probablement les mêmes que celles des cités antiques, où ils se sont établis
au commencement du christianisme.
La Commission de la topographie des Gaules a pris ces limites pour circonscrire chaque nation, et nous ne pouvons pas faire mieux. D'après cela,
le territoire lingon commençait sur l'Armançon, au sud-est de Saint-Florentin; sa limite coupait, en tournant au sud, le cours du Serein, se maintenait parallèlement à cette rivière sur sa berge gauche, descendait dans
la vallée et la suivait en la remontant, de Grimaut à Bourbilly. De ce point
elle se dirigeait au nord-est vers Grignon et Monlbard, contournait le territoire mandubien et venait à l'ouest de Sombernon reprendre la direction
vers le sud-est pour aboutir à la Saône au-dessus de Seurre.
Nous avons vu que le point de cette frontière la plus rapprochée de
Prauthoy en était à près de 38 kilomètres.
Voici quelle est la disposition du terrain où M. Defay a placé la bataille
livrée par les Gaulois aux Romains :
La Yingeanne, à son origine et sur une longueur de 9 kilomètres, coule
de l'ouest à l'est, entre sa source et Villegusien, dans une vallée profonde,
découpée, ainsi que celles de plusieurs affluents, au milieu du calcaire jurassique inférieur. Cette rivière tourne au sud, passe à Piépape, au moulin de
Bize-1'Assaut, à Dommarien, Choilley, Dardenay, Cusey, où elle reçoit à
droite le Badin, ruisseau qui descend de Leuchey par Chatoillenot, Vauxsous-Àubigny et Isomes. Ensuite, la Vingeanne incline à l'est par Percey-lePetit, Percey-le-Grand et Saint-Maurice. Le développement de cette portion
du cours de la rivière est de 20 kilomètres, sans compter de nombreuses
sinuosités. Le terrain à droite, c'est-à-dire vers l'ouest, a deux zones différentes : la première est formée de plateaux découpés par de nombreuses dépressions sur le fond desquelles ils ont un relief d'environ 160 mètres.
Les pentes sont rocheuses à leur partie supérieure. La première zone finit à
une ligne dirigée du nord au sud, entre Vesvres, au-dessus de Villegusien
et Vaux-sous-Aubigny par Prauthoy. La seconde est une plaine onduleuse,
où les hauteurs ont un relief moyen de 50 mètres sur les parties les plus
basses ; le relief augmente vers le nord, entre Praulhoy et la Vingeanne.
166
EXAMEN DU MÉMOIRE
Cette zone esl bornée au sud par un coteau formant plusieurs saillies, qui
en dominent l'ensemble sur un dévelopement de 14 kilomètres. Les villages
d'Occey, Sacquenay et Montormentier couronnent le coteau ; le Badin coule,
en réalité, au pied de ses pentes septentrionales. Jusque vis-à-vis Sacquonay,
mais à environ 5 kilomètres des crêtes du coteau, au nord de Montormentier, la Vingennne fait suite au Badin.
Il y a, au nord-est de Prauthoy, un massif plus élevé que le reste; au
sud du même village se trouve un contrefort et une butte isolée, dont le
village de Montsaugeon occupe le sommet. Enfin, un plateau également isolé
forme la berge gauche du Badin, qu'il masque totalement à tout le terrain
du nord, excepté aux sommets de Prautboy et de Montsaugeon.
Sur la rive gauche de la Vingeanne, le relief est plus prononcé, il atteint
90 mètres, et le lit du cours d'eau borde le pied des versants. 11 y a, au
nord du moulin de Bize-1'Assaut, un mamelon allongé du sud-ouest au
nord-est. Au delà du vallon, où coule et se perd le ru de Chassigny, on
trouve un autre mamelon qui semble le prolongement du premier et porte
à son sommet le bois Maurice ou Moris.
M. Defay a donné deux descriptions de la bataille, l'une dans le milieu de
son Mémoire, l'autre dans un Appendice à la fin, sous le titre de : Rectification relative au plan de la bataille, d'après de nouvelles recherches; c'est
naturellement cette rectification qu'il faut examiner en la comparant au
texte des Commentaires.
M. Defay a supposé César venu de Rougemont et campé sur le versant
septenlrional du mamelon de Bize-1'Assaut, d'où il se met en marche dans la
direction d'Isomes, par un chemin dit des Lorrains, que l'auteur croit être
une route gauloise. Il affirme ensuite que du mamelon de Bize-1'Assaut
César voyait à dix mille pas les camps gaulois sur le plateau d'Occey, Sacquenay et Montormentier, ce qui n'est pas du tout nécessaire ; le texte ne
dit point que César découvrait les camps ganlois à près de 15 kilomètre!!, il
se borne à indiquer que cette distance séparait les deux armées.
La colonne romaine est attaquée dans sa marche par trois coprs de cavalerie gauloise qui se présentent sur son front et sur ses ailes. L'infanterie
PUBLIÉ TAil M. HENRI DEFAY.
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de Vercingétorix est au bas des camp», sur la rivière. M. Defay ne dit pas
quelle rivière ; ça ne peut être que le Badin, jusqu'à la hauteur de Sacquenay;
mais dans le premier récit, ce serait la Vingeanne perpendiculaire ta la droite
de la ligne des camps, ce que le texte ne permet pas d'admettre. L'armée
romaine étant en marche sur Isomes, est toute entière sur la rive gauche
de la Vingeanne ; M. Defay a supposé que le corps gaulois de la droite marchait entre Dommarien et Choilley, le second destiné à prendre les Romains
de front entre Prauthoy et Dommarien ; le troisième, enfin, marcherait entre
Montsaugeon et La Chassagne, ferme située sur un coteau presqu'au milieu
de la zone onduleuse du terrain. Ce? dispositions seraient admissibles, mais
ce qui ne l'est pas, c'est que le corps gaulois de la droite passe la Vingeanne
entre Dommarien et Choilley pour attaquer le quartier général de César,
alors que le proconsul romain se trouve entre Dommarien et Montsaugeon,
où il s'arrête, à peu près au centre de la partie onduleuse et praticable du
terrain. Rien, dans le texte, n'indique un semblable mouvement, et rien,
dans l'hypothèse même de l'auteur, ne le justifie. Cela n'est qu'un moyen
de faire intervenir la Vingeanne dans cette action de guerre dont elle eût
clé voisine, mais sans pouvoir servir à rien, si les Gaulois étaient campés
d'Occey à Montormentier, César marchant de Bize-l'Assaut à Isomes. La
même observation s'applique au fait supposé que les Gaulois chargés d'attaquer le front et le flanc gauche des Romains étant battus, ont été franchir
la Vingeanne â Choilley pour revenir la passer de nouveau à Cusey. Ce
mouvement eût été dangereux sans aucune utilité. M. Defay place à Montsaugeon la colline d'où les Germains auraient chassé les Gaulois, c'est fort
bien si les pentes de ce mamelon sont accessibles à la cavalerie ; mais il est
inadmissible que les Gaulois se soient portés en déroule de Montsaugeon à
Cusey et Isomes. A Isomes, soit ; pourquoi vers Cusey, quand l'armée gauloise est établie d'Occey à Montormentier? Ici encore, l'idée préconçue
d'arriver à la Vingeanne a fait errer l'auteur. En effet, un corps de troupes
repoussé de Montsaugeon et appartenant à une armée établie sur le coteau
d'Occcy à Sacquenay devait marcher directement vers cette position, et non
pas se porter à l'extrême droite. La même observation, comme nous venons
ri-
168
EXAMEN DU MÉMOIRE
de le dire, s'applique aux deux autres corps de cavalerie gauloise ; ils se
sont repliés sans nul doute sur le gros de l'armée, sur l'infanterie formée
devant les camps, non au bas, comme l'auteur l'énonce. Le texte est formel
à cet égard, et rien n'y indique un double passage de rivière ; c'est entre
les trois points où les Romains ont été attaqués et le cours d'eau, près
duquel et devant les camps (pro castris) l'infanterie de Vercingétorix était en
bataille, que les Gaulois ont été tués partout (omnibus locis fit cœdes). L'aile
gauche, dit M. Defay, suit les Gaulois et les met en pièces. Les tumuli de
Choilley et de Dardenay confirment ce mouvement.
Nous ne contestons pas les traces de combats retrouvés sur les bords de
la Vingeanne, on en retrouve partout ; nous disons seulement : Ces tombeaux ne sont pas ceux des Gaulois morts dans le combat décrit aux
chapitres 47 et 48 du septième livre des Commentaires, parce que la disposition du terrain, l'emplacement des tumuli ne peuvent pas s'accorder avec
le récit de César.
Dans l'hypothèse que nous examinons, les Gaulois, repoussés derrière le
Badin et ramenés dans les camps de Montormentier, Sacquenay et Occey,
se seraient mis en marche par leur gauche en remontant au nord-ouest
pour se réfugier à Alesia, c'est-à-dire qu'ils auraient défilé devant les
Romains vainqueurs en exécutant un véritable retour offensif, sans que
ceux-ci eussent fait autre chose que d'imiler leur mouvement afin de les
poursuivre, au lieu de manœuvrer par la vallée du Badin pour les attaquer
en tête, ce qui eût été facile. Il n'y a pas d'autre raison à cette supposition
étrange que la nécessité d'arriver à Alise-Sainte-Reine, où l'auteur veut
bien admettre qu'était Alesia, la ville des Mandubiens, après avoir amené
malgré lui et malgré la raison le proconsul romain et son armée au milieu
du territoire lingon.
M. Defay s'est proposé de répondre aux principales objections qui
pourraient être opposées à sa théorie. En premier lieu, il établit l'authenticité des chemins dont il a reconnu les vestiges et sur lesquels il appuie
tout son système. Nous ne pouvons pas et nous voulons encore moins nier
l'existence de ces chemins ; nous ferons remarquer seulement que rien ne
PUBLIÉ PAR M. HENRI DEFAY.
169
prouve leur origine celtique; ils ne datent très probablement que du moyenâge ou au plus tôt de la domination romaine.
M. Defay explique, en second lieu, que César suivait les limites du pays
des Lingons les plus éloignées de la ville de Langres, celles de l'ouest. Nous
sommes d'accord sur ce point, mais nous différons tout-à-fait d'opinion
quand l'auteur nous dit que cette marche amène César à Prauthoy, fût-ce
même pour y prendre la route de Lyon ou celle de Genève.
La troisième objection est celle-ci : « César n'a-t-il pas pris un chemin
trop long? » Nous la trouvons d'autant plus juste que nous l'avons énoncée
nous-même ; M. Defay y répond par le motif que les Romains ne pouvaient
pas rester chez les Senones, ne pouvaient passer sur le territoire des Eduens
et devaient aller chez les Helvétiens ; sans doute, parce que César dit qu'il
va en Séquanie. Il fallait donc arrivera la jonction des voies de Lyon et de
Genève. Cette réponse nous parait laisser la question tout entière, car elle
s'appuie sur une interprétation arbitraire du texte de César.
Aux critiques qui trouveraient que Vercingétorix semble s'être avancé
beaucoup sur le territoire lingon, M. Defay oppose l'enthousiasme du chef
arverne qui a deviné l'intention de César d'aller près de Langres pour tourner
à angle droit et prendre la voie de Genève, l'impossibilité où les Lingons se
fussent trouvés d'opposer de la résistance à 80,000 hommes qui allaient
attaquer César. L'auteur donne, de plus, aux Gaulois une rapidité de
mouvement telle, que les Lingons ne pouvaient pas être préparés à les repousser ; il aurait pu ajouter encore d'autres fantaisies à sa démonstration
sans pour cela réfuter la critique militaire, laquelle n'est rien près des objections philologiques que soulève une interprétation au moyen de laquelle
les régions extrêmes d'un territoire sont transportées au centre même du
pays. M. Defay a omis d'expliquer comment les Gaulois, battus à Montsaugeon, se sont portés sur Alesia en traversant près de 40 kilomètres d'un
pays resté fidèle aux Romains. L'enthousiasme de Vercingétorix d'une part,
la stupeur des Lingons de l'autre, devaient être singulièrement modifiés,
et cependant, du champ de bataille à Alesia, les Gaulois n'auraient eu affaire
qu'aux Romains.
•170
EXAMEN DU MÉMOIHE
Une autre objection porte sur la distance du champ de bataille à Alesia ;
cette distance n'est-elle pas trop grande? La réponse s'appuie sur la signification des mots : altero die, littéralement : Vautre jour, dont l'auteur a
fait le surlendemain; pourquoi le surlendemain au lieu du premier, du
troisième ou d'un autre jour encore plus éloigné? M. Defay cite le Dictionnaire de l'abbé Danet, qui traduit : altéra die quant a Brundmium solvil,
par : deux jours après qu'il fut parti de Brindes par mer. Il ajoute les
expressions : Postero die, Postridie, proximo aie, qui signifient le lendemain ; il reconnaît néanmoins que tous les Irad licteurs de César le font arriver
devant Alesia le lendemain de la bataille.
Nous n'insisterons pas sur la valeur d'altero die, nous croyons avec Amiot,
Turpin de Crissé, MM. Beaudement, Louandre, Artaud, Bertrand et Creuly,
que César est arrivé devant Alesia le lendemain de la bataille. Ici se place
une observation qu'on peut appeler topographique : dans toutes les descriptions de terrain César indique, d'une façon implicite mais positive, la situation qu'il occupe par rapport aux objets qu'il décrit. Lorsqu'il fait connaître,
au 38 e chapitre du premier livre, l'Oppidum des Séquanes, Vesuntio, il parle
comme s'il était au dehors du cercle formé par le Doubs et ayant devant
lui la ville ainsi que le rocher de la citadelle. C'est ainsi qu'il a vu cet
ensemble en arrivant de Langres. Quand il décrit Gergovia, au chap. 30
du VIIe livre, César est au sud-est de la montagne; c'est là que dut l'amener
la disposition du terrain, et. il s'est avancé jusque vers Orcet pour ne pas se
trouver entre l'Opidum et le lac de Sarliève ; il voit les camps gaulois et la
colline située en avant près du ruisseau de l'Auzon. S'il eût donné les détails topographiques sans tenir compte de sa position personnelle, il eût désigné l'orientation de chaque objet. Il dit ce qu'il a vu en ai rivant sous Gergovia.
Par analogie, en peut reconnaître que la description d'Alesia est prise de
la plaine des Laumes, laquelle s'étend, pour cette situation de l'observateur, en avant de la ville. Les troupes gauloises étaient derrière la place, par
rapport à la plaine, et César a soin de dire que la rampe occupée par ces
troupes regardait le soleil lovant. Il est donc plus que probable que l'armée
PUBLIÉ PAR M. HENRI DEFAY.
171
romaine est arrivée devant Alesia par la plaine des Laumes ou plus exactement par la vallée de la Brenne ; il ne venait pas de Prauthoy, qui est à l'est
du Mont-Auxois, mais d'un point plus rapproché situé à l'ouest, puisqu'il
devait êlre sur la limite extrême du territoire lingon. Dans le système que
nous examinons, César serait arrivé sur le mont Plevenel ou dans la vallée
de Darcey ; il n'aurait pas dit alors que la plaine s'étendait en avant.
Nous revenons aux réponses de M Defay sur les objections qu'il suppose
formulées contre son hypothèse, et nous trouvons en dernier lieu que le
nombre des tumuli est peu en rapport avec l'imporlance du combat. A ses
yeux comme aux nôtres, cette circonstance ne signifie rien; la culture a fait
disparaître un grand nombre de sépultures antiques, et sur le sol fertile
de Prauthoy on pourrait n'en plus trouver aucune, sans que pour cela on
put nier une action de guerre accomplie à sa surface.
Mais les restes trouvés dans les tombelles de Prauthoy, Dommarien,
Choilley, etc., se rapportent-ils réellement à la bataille de César contre
Vercingétorix? M. Defay n'entreprend pas de le prouver, il se contente c'e
faire remarquer la similitude des objets découverts à Chaniberceau et à
Choilley comme un indice d'un même temps, d'un même peuple, d'une même
action. Les tombelles de toutes les contrées contiennent des ornements en os,
en pierre, en bronze ; leur origine est celtique, mais leur chronologie est à
peu près impossible à déterminer.
Les enviions de Praulhoy, voisins de Langres, touchant à la partie montagneuse du pays, traversés par des routes très importantes, ont été le théâtre de nombreux combats qui ont laissé leurs traces, leur cachet, si l'on veut,
sur divers points. Cela est incontestable, mais cela ne prouve pas que César
et Vercingétorix s'y soient rencontrés. Au nombre des indications qui sont
rapportées à la bataille dont il s'agit, on a compté des fers de chevaux trouvés sur différents points. Comme les chevaux des Romains n'étaient certainement pas ferrés, que les chevaux des Gaulois n'auraient pu l'être sans que
leurs ennemis eussent pris ce procédé, si avantageux pour la cavalerie, les
fers de chevaux ne prouvent absolument rien quant à la question traitée. Ils
peuvent bien ne pas remonter à plus de 23'i ans. En effet, au mois de sep-
172
EXAMEN DU MÉMOIRE PUBLIÉ PAR M. HENRI DEFAY.
tembre 1636, l'armée impériale, forte de 80,000 hommes, avait son quartier général à Champlilte; le cardinal de Lavaletle, à la tête de l'armée française, occupait Montsaugeon. Le duc de Saxe-Weimar était à Isomes, avec le
corps suédois à la solde de la France Le premier fut battu dans sa position,
Rantzau le fut à son tour à Isomes et fut secouru par le duc de Saxe-Weimar,
qui avait remporté un avantage à Leffonil. Le terrain doit avoir conservé des
vestiges de ces combats ; la cavalerie était nombreuse et a pu laisser bien des
fers de chevaux enfouis dans le sol.
En résumé, M. Defay a dû, pour établir son hypothèse, altérer le sens élémentaire du récit de César, puisqu'il fait arriver l'armée romaine au centre
du territoire lingon, quand le texte dit péremptoirement le territoire extrême
de la cité ; le champ de bataille ne satisfait pas les conditions énoncées aux
chapitres 46, 47 et 48 du VIIe livre des Commentaires. Le Badin est trop
loin des camps, la Vingeanne aussi ; cette rivière ne couvrait que l'aile
droile, et César ne laisse pas voir qu'il y eût deux rivières ; il ne parle que
d'une. Le mouvement des Gaulois vers leur gauche n'eût été possible que s'ils
eussent repoussé les Romains, et la distance de Prauthoy à Alise-Sainte-Reine
aurait exigé plus de deux jours de marche.
La bataille qui a précédé le siège d'Alesia n'a pas pu être livrée sur la
Vingeanne.
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